LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Le fichier des pirates

C’est un nouveau fichier, il ne porte pas encore de nom, il est destiné à recenser les données nominatives des abonnés à Internet convaincus de téléchargement illégal. Alors, que va-t-il contenir ?

hacker_boutillonfreefr.1225726378.jpgAprès le vote de la loi Création et Internet (déjà adoptée par le Sénat), des sociétés privées vont scanner en toute légalité les réseaux pour collecter les adresses IP des ordinateurs suspects. Ces adresses seront ensuite communiquées par lots à l’Hadopi (la Haute autorité) qui se retournera vers Orange, Free, etc., pour obtenir les coordonnées exactes des Internautes. Les renseignements seront archivés dans un fichier tenu par cette Haute autorité.

Le coût de ce gymkhana est estimé à près de 10 millions d’euros la première année, dont une part à la charge des fournisseurs d’Internet. Ceux-ci ne sont pas forcément d’accord. Ainsi, Xavier Niel, le président d’Iliad (Free), disait il y a quelques mois (Le Monde diplomatique) : « L’Hadopi n’est pas aujourd’hui une bonne loi pour les Français. S’il s’agit de préserver les intérêts de quelques artistes qui gagnent beaucoup d’argent, ça n’a peut-être pas grand sens. Redéfinissons un certain nombre de choses, reprenons la licence légale, étudions un certain nombre de solutions alternatives, ne forçons pas le filtrage de milliers de choses pour simplement rendre service à quelques-uns. »

La ministre de la culture n’est pas de cet avis. Elle pense qu’il faut protéger les artistes et leurs œuvres à sa manière, et pour mieux s’expliquer, elle a ouvert un site « J’aime les artistes », plus spécialement destiné aux jeunes. Il faut dire que parfois, elle fait flop !

À la question de savoir pourquoi la France veut adopter cette loi – en urgence – alors que le Parlement européen traîne les pieds, elle nous donne cette leçon de démocratie: « La prise de position du Parlement européen le 10 avril 2008, défavorable à la suspension de l’accès Internet est manifestement mal fondée. Le vote de l’amendement Bono a été acquis à une majorité très courte (314 voix contre 297)… »

À la question de savoir si les familles sanctionnées ne seraient pas du même coup privées de téléphone et de télévision : « Personne ne sera privé de télévision ou de téléphone…  La seule question qui se pose est celle des contraintes qui peuvent résulter de la mise en œuvre de ce découplage pour les différents opérateurs… » Autrement dit, le problème technique n’est pas réglé.

Et la conclusion vaut son pesant de cacahuètes : « (…) Il convient que l’abonné soit désormais plus attentif… Bien entendu, lorsque son accès aura été utilisé par fraude, l’abonné ne sera pas tenu pour responsable. Et il pourra faire valoir ses arguments dans le cadre d’un recours devant le juge judiciaire… »

Autrement dit, si on vous coupe Internet, prenez un avocat ! En non-droit, cela s’appelle un retournement de preuve. Et comme pour les infractions routières, il appartiendra à chacun de démontrer qu’il n’est pas coupable…

Bah ! Cela ne me concerne pas ! serait-on tenté de se dire. Certes, mais il y a des chiffres qui font réfléchir. Hadopi enverra automatiquement 10.000 courriels préventifs et 3.000 lettres recommandées ; et coupera Internet à environ un millier d’utilisateurs – chaque jour.

La CNIL est opposée à cette loi. Elle en souligne son imprécision et ses lacunes. Son président Alex Türk constate surtout qu’on laisse aux « plaignants » (les maisons de disques…) la possibilité de qualifier les faits dont ils se disent victimes, puisqu’ils pourront saisir à leur choix l’Hadopi, le juge civil, ou le juge pénal. Il ajoute qu’en l’état, il n’existe pas un juste équilibre entre le respect de la vie privée et le respect des droits d’auteur.

logo.1225726121.jpgLes artistes sont-ils satisfaits de cette loi ? Certains pensent qu’elle est surtout destinée à préserver les finances des maisons de disques et de cinéma. Les majors, comme on dit pudiquement. On peut se demander ce qu’elle leur apporte de plus que la « licence globale », dont le principe avait été voté par le Parlement en 2005, texte retiré en catimini par le ministre de la culture de l’époque, Renaud Donnedieu de Vabres.

Personnellement, je n’ai aucune compétence pour me prononcer sur le bien-fondé de ce texte. J’ai écrit quelques bouquins qui se sont retrouvés, comme la plupart des livres, sur les étagères des bibliothèques municipales. Ça ne rapporte pas un sou, mais c’est flatteur.

D’un trait de plume on transfère l’autorité judiciaire dans le domaine privé. Car c’est bien de ça qu’il s’agit. Une nouvelle forme de société…

4 Comments

  1. JC Blanc

    Merci pour cette synthese.
    Les solutions simples au niveau technique et administratif existent; il suffit de facturer la connexion au volume de donnees transmises pour lesquels l’application et / ou une destination sont reputes fiables.
    Je m’explique; si l’internaute utilise un site reconnu ou une application certifiee par son editeur/fournisseur d’acces comme sure, le traffic genere ne serait pas compte.
    Par exemple, les utilisateurs de skype pour de la video conference, ne seraient pas affectes, tout comme les lecteurs du blog de Mr Moreas.
    En revanche l’internaute fraudeur utilisant une logiciel P2P ne pouvant pas prouver la necessite de son traffic se retrouverais donc contrain de payer son usage.
    On peut imaginer, un seuil minimum avant que l’on facture le volume utilise afin de permetre aux applications plus anciennes et non capable de s’auto signer de ne pas affecter un utilisateur.

  2. Marc Louboutin

    Il y avait, à mon sens, plus urgent sur la délinquance informatique.

    Il me semble que Mme Albanel, conçernant l’édition de livres, pour prendre un domaine sur lequel je travaille étant incompétent dans les autres domaines, devrait sans doute se pencher sur le financement des maisons d’édition et le mode et les modalités de paiement des auteurs.
    Sans doute qu’une petite incursion dans le respect de la législation du travail (mode de rémunération d’une partie du personnel d’édition en droits d’auteur de manière très dérogatoire…) ne serait sans doute pas non plus superflu.

  3. Corinthe

    Et pendant ce temps Google scanne en toute illégalité des livres édités en français et encore commercialisés par leurs éditeurs. D’une manière générale, ce que fait ce gouvernement consiste à ouvrir la chasse aux gens à toutes sortes de milices, lesquelles bénéficient de la loi qu’elles se sont faites voter grâce à leurs copains politiques, et d’une absence de garanties en justice dont leurs victimes ont été dépouillées. Retour au haut moyen âge, caractérisé par un écroulement de la puissance publique et un règlement des affaires par la violence et la guerre.

    Rien sur les copies chinoises qui envahissent le monde, par contre … et pas grand chose sur l’affaiblissement des contrôles sanitaires qui font qu’on bouffe de la mélamine en toute innocence.

    Il y a belle lurette que je n’achète plus rien à ces majors qui produisent de la merde et qui n’ont aucune politique artistique. Qu’elles crèvent de leur propre nullité, qui est la vraie question derrière cette loi stupide : quand on tombe ans le vide, on se racccroche aux branches qu’on peut.

  4. Grins

    Ah je me sens moins seul. Merci Georges pour ce billet qui exprime exactement mon sentiment sur cet enorme derive. Ca depasse nettement le cadre du telechargement illegal en fait. C’est vraiment ça le plus triste.

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