LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 7 of 25)

Dans l’affaire Grégory, avec le temps le piège des faux souvenirs

Si l’enquête sur l’assassinat de Grégory Villemin s’arrêtait aujourd’hui, elle serait prescrite en 2037. Et tout nouvel acte durant ce délai, même émanant de la partie civile, c’est-à-dire de la famille de la petite victime, ferait courir un nouveau délai de prescription d’une durée de vingt ans.

C’est ce qu’il ressort de la nouvelle loi sur la prescription pénale du 27 février 2017. Auparavant, le délai de prescription en matière criminelle était de dix ans, mais dans les faits, cela ne change pas grand-chose, car certains dossiers semblent ne jamais se prescrire, comme la mort du ministre Robert Boulin (1979) ou l’attentat antisémite de la rue des Rosiers (1982).

Mais l’affaire Grégory est d’une autre dimension. Je le dis avec respect pour la famille, mais pour les gendarmes comme pour les magistrats, c’est devenu un challenge. C’est plus avec un esprit de revanche que de justice, comme le dit le juge Lambert dans sa lettre posthume, que ceux qui ont failli il y a trente ans, ou plutôt leurs successeurs, ont rouvert le dossier.

On nous a dit alors qu’un mystérieux logiciel avait analysé des milliers de procès-verbaux Continue reading

Le droit au silence : parlons-en !

Lors du dernier rebondissement de l’enquête sur l’assassinat du petit Grégory, le procureur général de Dijon a déclaré que les époux Jacob, l’oncle et la tante de l’enfant, avaient fait usage de leur « droit au silence ». Une expression reprise par la presse, le plus souvent sans plus d’explication, ce qui a amené nombre de gens à se demander comment cela était possible.

D’après un dessin de Gotlib dans « Trucs-en-vrac »

Autrement dit, dans une affaire aussi grave, comment admettre que des suspects, placés en garde à vue, refusent de répondre aux enquêteurs ! Une question que l’on s’était déjà posée face au mutisme de Salah Abdeslam, actuellement en détention provisoire dans le cadre de l’information judiciaire sur les attentats du 13 novembre 2015.

Il est vrai que l’on peut tout aussi bien inverser ce type d’interrogation : comment obliger quelqu’un à parler ?

En France, si la torture n’est plus de mise, du moins depuis la fin du conflit algérien, le code de procédure pénale ne reconnaît le droit au silence que depuis la loi du 15 juin 2000, une réforme capitale portée par Élisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, qui renforce la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Même si à l’époque les mauvaises langues ont parlé d’une loi rose bonbon, la première femme à avoir été nommée à la tête d’un ministère régalien a ainsi marqué son passage. En effet, qu’on le veuille ou non, cette loi du gouvernement Jospin a été un pas vers une justice plus respectueuse de l’être humain, auteur ou victime.

Inutile de dire que les syndicats de police sont partis vent debout contre cette réforme. Comment obtenir des aveux d’un suspect si on doit lui dire qu’il a « le droit de ne pas répondre aux questions » ont-ils fait valoir ! Continue reading

Le dernier tour de piste de Carlos

Ces jours-ci, Ilitch Ramirez Sanchez cabotine devant la presse alors qu’il est jugé pour un attentat à la grenade qui a fait deux morts et 34 blessés. Malgré les rides et son visage rondouillard, le bonhomme n’a pas changé : il n’a jamais eu aucun respect pour la vie humaine. Celui qui a terrorisé la France, il y a de cela plusieurs dizaines d’années, ressemble aujourd’hui à un clown qui ne fait rire personne.

Le personnage est apparu au grand jour en 1975, après avoir tué froidement trois hommes, dont deux policiers, et en avoir blessé gravement un autre.

C’était le vendredi 27 juin 1975. Au 13 de la rue des Saussaies, le siège de la DST, l’ambiance est décontractée. Certains se préparent à partir en vacances, d’autres, en week-end. Il y a même un pot pour fêter l’événement et pour marquer le départ à la retraite d’un fonctionnaire de la division B2, celle en charge du terrorisme international. Mais dans la cour, dans les locaux de garde à vue, il y a un certain Michel Wahab Moukharbal, dit Chiquitin, un Libanais de 25 ans que la division de surveillance avait pris en filature depuis sa descente d’avion, à Orly, deux semaines plus tôt.

Une filature qui les avait conduits dans une rue étroite derrière la Sorbonne. Devant l’immeuble du n° 9 de la rue Toullier. Là, un homme attendait. Contact. C’est Carlos – mais personne ne le connaît.

C’est ainsi que cette adresse a été enregistrée par les enquêteurs de la DST Continue reading

Prescription pénale : la patate cachée derrière l'infraction cachée

patateLe temps qui passe doit-il estomper un crime ou un délit au point que son auteur ne sera jamais poursuivi ? À cette question, le système juridique français répond oui. C’est le droit à l’oubli. La prescription extinctive de l’action publique. Cette mansuétude trouve son fondement dans le fait qu’au bout d’un certain temps, il ne serait pas souhaitable de raviver le souvenir d’une infraction. Pour des raisons de tranquillité publique, diront les ingénus, mais en réalité pour masquer la défaillance de la société.

Le principe de la prescription existe depuis la nuit des temps, mais aujourd’hui, cette mesure rencontre une hostilité certaine, probablement en raison de cette mémoire informatique qui a bouleversé notre monde. Une simple recherche sur Google nous ramène des années en arrière ! Et alors que la prescription était là pour ne pas raviver les souvenirs, elle apparaît maintenant comme un instrument de l’injustice.

Aussi, les juges n’hésitent plus à piocher dans le panier aux arguties pour tordre le droit au nom de la justice.

Car une infraction qui ne fait pas l’objet de poursuite peut être considérée comme un dysfonctionnement du système judiciaire : le ministère public n’a pas fait le job. Continue reading

Info trafic… d’influence

Ces temps-ci, plusieurs affaires judiciaires visant le trafic d’influence ont fait la une des journaux, notamment celles qui touchent les hautes sphères de la hiérarchie policière. La dernière en date concerne Bernard Squarcini, l’ancien patron du Renseignement intérieur. On peut toujours en déduire que les flics sont moins honnêtes qu’auparavant ou les juges plus sévères, mais la réalité est tout autre : le marché de la sécurité et du renseignement est devenu un champ de mines – de mines d’or, s’entend !

coup-de-pied_picsou

Extrait du mensuel Super Picsou

Dans les entreprises, notamment les grands groupes, l’espionnage est aujourd’hui une bête noire. Elles sont tenues de se protéger – et accessoirement, mais il ne faut pas le dire, de rendre la pareille à leurs concurrents. On comprend bien que ni le droit ni la morale n’ont de place dans cette guerre underground ou tout est permis sauf de se faire prendre. Ainsi, peu de gens sont au fait des arcanes des énormes marchés militaires que la France a récemment remportés ! Or, dans ce jeu off, les services de l’État ne sont pas innocents, mais ils ne doivent pas apparaître : il leur faut une couverture. Qui est mieux placé qu’un ancien de leurs services ! C’est ainsi que nombre de policiers ou de militaires (pas nécessairement des gendarmes) se lancent dans l’aventure, oubliant parfois qu’ils agissent désormais sans gilet pare-balles.

Et les balles proviennent d’une loi du 4 juillet 1889 qui est issue d’un trafic de décorations. Continue reading

15 ans, l’âge pénal de raison

Plusieurs adolescents d’une quinzaine d’années ont été arrêtés ces derniers jours pour s’être laissés embobiner par des partisans du djihad armé, au point, pour certains, paraît-il, d’être à deux doigts de « passer à l’acte ». Les enquêtes antiterroristes étant secrètes, nous sommes tenus de croire ce que l’on nous raconte, néanmoins, il est difficile de ne pas s’interroger : un délit d’intention peut-il s’appliquer à un enfant ?

La scène médiatique du terrorisme offre une tentation forte de vouloir y jouer un rôle. On en a un bon exemple avec ces ados qui ont « scénarisé » l’alerte bidon dans une église du quartier des Halles de Paris. Comment faire la différence entre l’intention malicieuse et l’intention pernicieuse ? Au lieu de déclarer que l’État se portera partie civile, le ministre de l’Intérieur n’aurait-il pas été plus inspiré de dire que cet événement a été un excellent exercice pour ses services parisiens ! Leur rapidité d’intervention a en effet démontré que l’on peut compter sur eux.

Manuel Valls, lui, a promis des « sanctions exemplaires » contre ces garnements. Euh !…

NOMBRE JEUNES DELINQUANTSLa justice des mineurs est sérieusement encadrée et s’il y a un domaine où les magistrats montrent leur indépendance, c’est bien celui-là. Continue reading

Une Cour de sûreté antiterroriste !

À l’approche des élections présidentielles, les (grands) esprits s’efforcent de nous persuader qu’ils ont trouvé la solution miracle pour lutter contre le terrorisme. Le plus simple, affirment certains, serait de réformer la Constitution, afin de rendre légales des mesures illégales, comme l’enfermement administratif des Français faisant l’objet d’une fiche S (les étrangers, eux, les veinards, étant seulement expulsés). C’est l’avis de notre ancien président Nicolas Sarkozy. Pourquoi pas ! Après tout, François Hollande a bien voulu changer la Constitution pour y inscrire la déchéance de nationalité ! Sarkozy veut également créer une « Cour de sûreté antiterroriste », sur le modèle de l’ancienne Cour de sûreté de l’État et un parquet antiterroriste.

Holà ! Pas question lui répond François Molins, le procureur de Paris, en s’immisçant dans le débat politique. Il y a déjà un procureur national antiterroriste, et c’est moi ! « Depuis, trente ans, dit-il aux journalistes du Monde (3 sept. 2016) la justice antiterroriste fonctionne de manière centralisée et spécialisée. Le dispositif actuel est un gage d’efficacité et de cohérence […] Quant à la cour d’assises spéciale, elle a son propre fonctionnement, sans jury. »

Code et menottesLe procureur de Paris fait référence à une loi qui a effectivement 30 ans – presque jour pour jour, puisque la première loi antiterroriste a été votée le 9 septembre 1986. Continue reading

Salle de shoot : une zone de non-droit pénal ?

Cela fait des années que l’on en parle. Lors de sa campagne électorale, François Hollande s’était même dit favorable à une expérimentation, mais cette fois, c’est fait : les deux premières « salles de consommation à moindre risque » (SCMR) vont prochainement ouvrir leur porte. L’une à Paris, l’autre à Strasbourg. Pour mémoire, il en existe déjà plus de 90 de par le monde, dont 70 sur le continent européen. La première a été installée à Berne, en Suisse, il y a juste 30 ans.

Laboratoire clandestin (archives perso)

Laboratoire clandestin (archives perso)

Le code de la santé publique a été modifié pour la circonstance. Il prévoit l’ouverture d’espaces réservés aux usagers de drogues dures « qui souhaitent bénéficier de conseils de réduction de risques » dans l’utilisation du produit dont ils sont dépendants. Les usagers doivent être majeurs et en possession dudit produit. À l’intérieur de l’enceinte de la salle de consommation, ils ne pourront pas faire l’objet de poursuites judiciaires. Ils bénéficient de l’immunité de l’article 122-4 du code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Les professionnels qui interviennent à l’intérieur de la salle de consommation bénéficient de la même protection. À noter toutefois qu’ils ne peuvent pas procéder à l’injection du stupéfiant, un acte qui doit rester volontaire et personnel.

Pour autant, il ne faut pas croire que la SCMR est une zone de non-droit pénal, car, en cas d’accident, il y aura l’ouverture d’une enquête pour recherche des causes de la mort, et, éventuellement, blessures ou homicide involontaires. Continue reading

La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…

À l’approche du procès de Michel Neyret, l’ancien sous-directeur de la PJ de Lyon, et des autres policiers impliqués dans ce dossier, on va évidemment reparler de la gestion des indics. On pourrait croire ce problème derrière nous : la police de papa, c’est fini ! mais il n’en est rien. Dans ce domaine, comme dans d’autres, à tout vouloir borner, on a tellement compliqué les choses que même Vidocq, le roi des indics, y perdrait son latin.

Vidocq 2

Plaque au musée de la police

Alors, entre le tuyau reçu au zinc d’un bistrot et le brouillamini mis en place depuis une dizaine d’années, tentons d’y voir clair. Ce n’est pas gagné !

La loi du 9 mars 2004, dite loi Perben II, prise pour « adapter la justice aux évolutions de la criminalité », est considérée comme le premier pas vers une « officialisation » des sources, qu’elles soient techniques (hors écoutes téléphoniques) ou humaines. Même si, pour le flic de terrain, c’est plutôt la « jurisprudence » Neyret qui a marqué les esprits.

Donc, plus question d’avoir un indic sans en rendre compte à son patron, qui en rendra compte à son patron, qui informera le directeur central de la PJ dont dépend le bureau central des sources (BCS). Lequel est rattaché, comme chacun le sait, au SIAT, c’est-à-dire le Service interministériel d’assistance technique. Ce service, qui a curieusement pris comme logo le négatif du logo de la DCPJ (Clemenceau n’est plus blanc mais noir), a été créé pour être le fer de lance de la loi Perben II. Autrement dit, pour parler comme des agents secrets – qui d’ailleurs n’ont pas de comptes à rendre au BCS -, non seulement, il gère le ROHUM (renseignement d’origine humaine) mais également une partie du ROEM (renseignement d’origine électromagnétique), via les sonorisations et les bidouillages informatiques. Et bientôt, probablement, le ROIM (renseignement d’origine image), qui est pour l’instant plutôt l’apanage des armées, via les nacelles de reconnaissance embarquées, les drones et autres satellites. Il manque à mon énumération les caméras de surveillance, lesquelles, du moins à ma connaissance, ne sont pas reliées à un ordinateur central. Continue reading

Perquise de nuit

Un projet de loi « longuement mûri par la chancellerie », nous dit un communiqué de presse de Matignon, doit consolider la place de l’autorité judiciaire dans la lutte contre le crime organisé et son financement. Mais comme ce projet vise également la lutte antiterroriste et donne de nouveaux moyens au préfet, il faut bien reconnaître que le message est un peu brouillé.

Piles codes 2Quelle est la raison de cette nouvelle loi ? Simple ! Il s’agit de boucler la boucle : 1/ on donne « des moyens sans précédent » aux services chargés de lutter contre le terrorisme – 2/ On donne à la police judiciaire des pouvoirs équivalents – 3/ on pérennise les pouvoirs de police administrative de l’état d’urgence.

Pour faire un nœud à la boucle, et l’on n’en parle plus, je suggère de réactiver un ancien article du code de procédure pénale, l’article 30, qui donnait des pouvoirs de police judiciaire aux préfets.

Ces textes à répétition compliquent tellement la procédure pénale que plus personne n’y comprend rien.

C’est notamment le cas en matière de perquisition. Continue reading

« Older posts Newer posts »

© 2025 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑