LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 11 of 25)

Affaire Achoui : les indics en question

Au troisième jour du procès des agresseurs de Karim Achoui, le commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre s’est défendu bec et ongles des accusations portées contre lui. Il a nié toute implication dans la tentative d’assassinat dont a été victime l’ancien avocat, en 2007. Par sa carrière, ce commissaire a gagné qu’on l’écoute. Et il faut avouer que l’idée d’un complot fomenté par la police judiciaire pour éliminer un avocat au talent trop dérangeant ne tient guère la route. Même si le scénario ne manque pas d’originalité…

Stéphane Lapeyre a permis l’identification et l’arrestation des accusés qui doivent répondre de tentative d’assassinat ou de complicité, en désignant, comme tireur présumé, l’un de ses anciens indics, Ruddy Terranova. Continue reading

Pas de RIF, pour les disparues de Perpignan

Les recherches dans l’intérêt des familles (RIF) ont été supprimées il y a quelques mois. Une banale circulaire du 26 avril 2013 a mis fin à un système vieux de près d’un siècle. Pourtant, si la coutume avait résisté aux ans, c’est peut-être qu’elle avait son utilité. La prise en charge de la détresse d’une personne, désorientée par la disparition d’un proche, n’est-elle pas un devoir de service public ? Même si l’on ne peut pas faire grand-chose… Non, nous dit la circulaire ministérielle, il faut « orienter les demandeurs vers les réseaux sociaux sur l’Internet qui offrent d’intéressantes possibilités ». On pourrait presque lire en filigrane : dé… brouillez-vous ! Continue reading

L’arrestation de l’extrémiste norvégien montre les limites d’une enquête proactive

Kristian Vikernes, présenté par le ministre de l’Intérieur comme étant « susceptible de préparer un acte terroriste d’envergure », a été relâché à l’issue de sa garde à vue. Et l’emballement médiatique sur ce « néonazi sataniste et meurtrier de l’un de ses amis » n’a pas mis longtemps à retomber. Peut-on en déduire que Manuel Valls a volontairement grossi l’affaire ? Ou qu’il a été mal informé ? Ou que la DCRI s’est plantée ?

Lors de son jugement en 1994 (capture d’écran)

En fait, même si l’on est en droit de s’étonner que les enquêtes de police judiciaire se traitent autant dans les salles de rédaction que dans les bureaux cotonneux des magistrats, cette arrestation préventive met en exergue une question importante – maîtresse depuis l’affaire Merah : faut-il prendre le risque d’agir trop tôt pour ne pas intervenir trop tard ?

Nous sommes ici dans le flou d’investigations et de surveillances d’individus que l’on suppose capables du pire mais qui ne sont pas passés à l’action. C’est la définition même de l’enquête proactive. Par opposition à l’enquête réactive, qui, elle, résulte d’un crime ou d’un délit bien réel.

Dans la vie de tous les jours, les contrôles d’identité, par exemple, sont souvent proactifs : ils sont destinés à éviter une infraction ou un trouble à l’ordre public. Tandis que les policiers qui viennent sur les lieux d’un cambriolage sont eux « réactifs » à une infraction consommée. Plus de 60 % des enquêtes sont proactives.

L’enquête proactive a deux casquettes : l’une police, l’autre justice. Les policiers, qu’ils soient de la DCRI ou de la PJ peuvent démarrer des surveillances et des investigations sur des individus qu’ils pensent susceptibles de fomenter un mauvais coup. Cela depuis la nuit des temps. C’est l’abc de la lutte contre la criminalité organisée. C’était même l’une des missions confiée aux brigades mobiles par Georges Clemenceau. Les enquêteurs ne disposent alors d’aucun pouvoir particulier, si ce n’est éventuellement l’utilisation d’écoutes administratives. S’ils vont au-delà, c’est à leurs risques et périls. Comme ce fut le cas pour les enquêteurs de la BRB, empêtrés dans une procédure pour justifier une balise GPS placée « au cas ou » sous un véhicule suspect, deux jours avant la fusillade de Villiers-sur-Marne, le 20 mai 2010. Comment envisager alors que cette « pêche à la ligne » se terminerait par une fusillade et la mort d’une jeune policière municipale ! C’est pourtant cette initiative qui a permis l’identification des auteurs présumés, dont le fumeux Redouane Faïd. Car le principe veut que les éléments de ces « surveillances » de police ne figurent pas dans la procédure. C’est un travail hors justice. Toutefois, les enquêteurs peuvent à tout moment franchir le pas et rédiger un procès-verbal. Auquel cas, ils passent de l’enquête d’initiative à l’enquête préliminaire, dont les règles sont fixées par le code de procédure pénale. Ils doivent alors en rendre compte au procureur de la République. Même s’il s’agit toujours d’une enquête proactive, la différence est de taille : les policiers perdent leur liberté d’agir ou de ne pas agir.

Kristian Vikernes était dans le collimateur de la DCRI depuis pas mal de temps, probablement depuis son arrivée en France, en 2010. Vu le profil du personnage, une surveillance normale pour un service de renseignements, et qui peut s’éterniser. D’autant que le terrorisme n’est pas nécessairement violent. En droit français, il peut prendre d’autres formes (terrorisme écologique, cyberterrorisme…). Il ne se traduit donc pas nécessairement par une atteinte à l’intégrité physique. Et dans ce cas, il n’y a pas urgence à intervenir.

Mais lorsque sa compagne a acheté plusieurs carabines, la DCRI s’est fait peur et elle a refilé la patate chaude à la section antiterroriste du parquet de Paris. Plaçant du même coup son action sous la responsabilité d’un magistrat. Qu’est-ce qu’ils me disent, ceux-là ? Un loup solitaire en Corrèze… Avec le profil de Breivik ! Le procureur ne pouvait guère prendre une autre décision que celle d’intervenir. Pas question de jeter la pierre à l’un ou à l’autre, on peut simplement regretter qu’aujourd’hui, dans toutes les administrations et au plus haut niveau de l’État, c’est le principe de précaution qui génère l’action.

Dans la police, l’époque du flag est révolue. Il est d’ailleurs inenvisageable en matière de terrorisme violent, et inutile, car il existe à présent des « infractions obstacles » qui permettent d’intervenir avant le moindre préjudice. En effet, pour éviter le pire, on peut opérer dès que les suspects se préparent en vue de commettre un crime ou un délit. Une arrestation proactive ! Peu importe qu’ils aient ou non l’intention de passer à l’action. Leur comportement suffit. L’infraction n’est pas constituée par un « commencement d’exécution », comme pour la tentative, mais par la simple matérialisation de la pensée criminelle. À la limite du délit d’intention. Une limite déjà franchie par certains pays, comme l’Italie.

La planque d’Action directe dans le Loiret (21 février 1987 – capture d’écran)

Que voulez-vous, il faut vivre avec son temps ! Au risque d’y perdre son âme, le droit pénal moderne est comme notre société, à la recherche d’efficacité. La conception romantique du délinquant politique n’est plus de mise. On imagine mal François Hollande faire adopter une loi d’amnistie pour absoudre des terroristes, comme l’a fait François Mitterrand, en 1981, pour des membres d’Action directe. Six ans plus tard, ils étaient de nouveau arrêtés à Vitry-aux-Loges (Loiret).

Peu à peu notre société glisse donc vers la répression des comportements à risque. Ce que démontre parfaitement l’arrestation de Kristian Vikernes : ses allures de néonazi ont fait peser sur lui la suspicion, alors qu’il n’est probablement que le « Canada Dry » du terrorisme. C’est du moins l’impression que l’on ressent après l’interpellation et la libération de ce Corrézien d’adoption. À moins, évidemment, que les enquêteurs de la DCRI ne cachent quelques mystérieux secrets dans leur sac à malices.

Bernard Tapie face à une enquête patrimoniale

 « On ne peut pas accepter des décisions comme ça », clame-t-il avec sa fougue habituelle. Les magistrats se seraient concertés pour lui « piquer ses biens » et toute cette procédure n’aurait d’autre but que de le descendre en flammes. « Je ne savais pas qu’on vivait dans un pays où l’on peut exécuter des gens avant d’avoir été jugés. » Pour lui, c’est la seule raison de cette enquête ouverte pour escroquerie en bande organisée. Pourtant, la loi du 9 juillet 2010 qui a donné aux juges et aux procureurs la possibilité de saisir les biens lors de l’enquête ou de l’information judiciaire ne vise pas que la criminalité organisée, mais toutes les infractions dont le but recherché est le profit. Et pour cela, les magistrats ont besoin d’un bilan de fortune, une sorte d’inventaire qui vient de plus en plus souvent se joindre au dossier judiciaire : l’enquête patrimoniale.

C’est l’une des missions de base de la PIAC (plate-forme d’identification des avoirs criminels). Créée en 2005, pour répondre à un besoin, à l’initiative du chef de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), la PIAC a été officialisée le 15 mai 2007. C’est un service de police judiciaire à compétence nationale, dirigé par un commandant de police, composé de policiers, de gendarmes et de fonctionnaires relevant d’autres administrations (impôts, douanes…).

À l’époque, la loi n’autorisait la confiscation des biens avant jugement que dans quelques cas précis, notamment par mesure de sûreté (armes, produits nocifs…) ou s’ils étaient directement liés à l’infraction. Même si certains juges pugnaces allaient bien au-delà. La loi de 2010 a changé la donne en instituant un principe de base : tous les biens confiscables sont saisissables.

Autrement dit, tout ce qui pourrait être récupéré après le jugement peut être saisi avant le jugement. Quitte à procéder à une restitution en cas de non-lieu ou d’acquittement.

Les biens concernés sont donc les mêmes que ceux visés à l’article 131-21 du CP qui prévoit la peine complémentaire de confiscation. Une sanction qui peut être prononcée à l’égard de l’auteur de n’importe quelle infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an (sauf délit de presse). Et lorsqu’il s’agit d’un délit punissable d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, pratiquement tous les biens sont saisissables, qu’ils soient ou non matériels, sauf à pouvoir en justifier expressément l’origine. La confiscation peut même être générale pour les crimes les plus graves. On parle alors de saisie patrimoniale.

Le préalable à ces saisies est donc l’enquête patrimoniale. Elle est destinée à identifier et à localiser, en France comme à l’étranger, les biens mobiliers ou immobiliers qui composent le patrimoine d’une personne condamnée ou d’un suspect. Rien de plus simple pour un individu lambda, mais dès que l’on s’attaque à un « gros poisson », les écrans et les intermédiaires se multiplient. Les enquêteurs doivent donc connaître toutes les ficelles du monde underground de la finance.

Comme toujours dans une enquête de police, tout commence par la consultation des fichiers. Les fichiers de police et de gendarmerie, mais également, par voie de réquisition, les administrations, les banques, les assureurs, le cadastre, le bureau de conservation des hypothèques, etc. Il est évident que l’interrogation des différents fichiers fiscaux (revenus déclarés, comptes bancaires, coffres-forts, immeubles, participation dans des sociétés, etc.) est le béaba de l’enquête patrimoniale. Celle-ci s’étend le plus souvent aux proches de la personne soupçonnée.

Les documents recueillis lors des perquisitions sont également une source de renseignements. Les officiers de police judiciaire doivent désormais se livrer à un « calcul patrimonial » lors des perquisitions et des scellés. En garde à vue, il est même possible de réserver un temps d’audition pour inviter la personne à s’expliquer sur ses biens.

À la finale, la PIAC dressera une fiche d’identification patrimoniale (FIP) qui pourra être exploitée par le magistrat.

Mais l’identification des biens va au-delà des frontières. Une loi-cadre de 2006 (dite initiative suédoise) prévoit l’échange direct d’informations entre les services répressifs au niveau européen. En cas d’urgence, cela peut ne prendre que quelques heures. Et il existe, depuis 2007, dans presque tous les États de l’U-E, une unité nationale de dépistage et d’identification des avoirs criminels. D’une manière plus large, le réseau CARIN (Camden Asset Recovery Inter-agency Network) permet des échanges opérationnels et juridiques entre une soixantaine de pays.

Monsieur et Madame Tapie détiennent de nombreux biens à l’étranger. Les magistrats instructeurs en possèdent donc la liste et, s’ils l’estiment opportun, ils ont la possibilité de faire appel à l’entraide judiciaire internationale pour en obtenir la saisie, ou même délivrer directement un « certificat de gel de biens », conformément à l’article 695-9-1 du CPP. La raison voudrait qu’ils se limitent à la somme en litige (278 millions d’euros) et aux acquisitions effectuées après l’encaissement de cette somme, en juillet 2008. Cependant, comme l’intéressé est mis en examen pour escroquerie en bande organisée (dix ans de prison), rien ne les empêche d’élargir leurs exigences et de demander la justification de l’origine de l’ensemble de son patrimoine.

La saisie est devenue la nouvelle arme des juges d’instruction. Une arme d’une efficacité redoutable, parfaitement adaptée à la lutte contre la criminalité organisée et qui trouve son assise sur l’enquête patrimoniale. Mais est-elle toujours justifiée ? Il ne faudrait pas que cela devienne une sanction et que le justiciable ait l’impression d’être condamné avant d’être jugé, comme le dit Bernard Tapie. La liberté de disposer de ses propres biens constitue en effet l’un des attributs les plus importants du droit de propriété.

Sur un autre plan, ce droit de propriété ne serait-il pas menacé par l’application de cette pratique à un délit aussi mal défini que la fraude fiscale ? En effet, la peine encourue dans la loi actuellement en discussion va jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Un individu soupçonné de fraude fiscale pourra donc se voir privé de tout ou partie de ses biens, en attendant d’être jugé.

Riches ou pauvres, nous n’aimons pas trop que l’on furète dans notre vie. Ce ne sont pas les sénateurs qui diront le contraire, eux qui viennent de rejeter le projet de loi sur la transparence. L’un d’entre eux a même déclaré que la publication de leur patrimoine serait une « atteinte au droit à la vie privée ». Pas mieux ! doit se dire Bernard Tapie.

 

La lutte contre le terrorisme passe-t-elle par les armes ou par le droit ?

En ce mois de mai 2013, les parlementaires se sont penchés sur deux rapports concernant les services de renseignement français. Le premier concerne l’encadrement juridique de leur action, tandis que le second analyse leur fonctionnement « dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés ». Et comme les deux portent la griffe du député Jean-Jacques Urvoas, on retrouve un peu de l’un dans l’autre. À la lecture de ces documents, au demeurant fort intéressants (que l’on peut trouver ici et ici), il reste une question en suspens : Faut-il accorder aux agents qui luttent contre le terrorisme des pouvoirs extra-judiciaires ?

Conférence de Jean-Jacques Urvoas

De quoi s’agit-il ? De donner à des policiers des pouvoirs de police administrative équivalents à ceux qu’ils détiennent dans le cadre d’une enquête judiciaire : surveillance, captation d’images, de sons, géolocalisation, intrusion occulte dans un domicile, une voiture… Tout cela sur des personnes qui n’ont commis aucun crime, aucun délit. De simples suspects.

Quels sont les services concernés ?

Les principaux acteurs du renseignement français sont au nombre de six, mais trois seulement ont un rôle important dans la lutte contre le terrorisme :

La DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), autrefois surnommée La Piscine en raison de la proximité de ses bureaux avec la piscine des Tourelles, est chargée du renseignement et de l’action à l’extérieur des frontières. Sous sa forme actuelle, ce service a été créé en 1982. Il a remplacé le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), lequel a été rattaché au ministère de la Défense en 1966, après l’affaire Ben Barka. La DGSE n’a aucune relation avec la Justice.

Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est rattaché au ministère des Finances. Ce service a été créé en 1990 pour lutter contre le blanchiment d’argent. Dix ans plus tard, il a vu ses compétences élargies à la lutte contre le financement du terrorisme, et, en 2007, il a rejoint la communauté du renseignement.  Il y a deux ans, une cellule spécifique a été créée pour mieux détecter le financement du terrorisme. Un travail de fourmi. C’est un service d’enquêtes administratives.

La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) a été créée en 2008 en mariant la DST (Direction de la surveillance du territoire) et une grande partie de la DCRG (Direction centrale des renseignements généraux). Particularité française, c’est à la fois un service secret et un service de police judiciaire.

C’est cette double casquette qui pose problème, car, comme tout service secret, une partie de son activité est clandestine, voire entachée d’illégalité. En revanche, dès qu’un OPJ de la DCRI rédige un procès-verbal, il doit respecter scrupuleusement la loi et il agit alors sous le contrôle d’un magistrat. Or, les informations recueillies en tant « qu’agent secret » ne peuvent figurer dans une procédure, sauf à se livrer à des acrobaties qui aboutissent souvent à des dossiers bancales et à mettre les magistrats dans l’embarras (l’affaire de Tarnac en est un bon exemple). Ainsi, le juge anti-terroriste Marc Trévidic n’hésite pas à déclarer devant les parlementaires : « J’ai moi-même été amené à faire des choses qui ne sont pas légales, car il n’est pas possible de faire autrement… ».

Source : rapport de la Commission d’enquête C.Cavard/JJ.Urvoas

Alors, pour pallier cette difficulté, le député Urvoas, qui est aussi le président de la Commission des lois, propose de faire adopter une loi qui aurait l’avantage de rendre les choses illégales légales.

Aucun risque de dérapage, nous assure-t-il, car aujourd’hui l’État ne peut se soustraire aux juridictions administratives ou à l’acuité des médias. Lire dans un rapport parlementaire que les journalistes sont là pour assurer le contrôle de l’État est assez surprenant…

Yves Bertrand, l’ancien directeur des RG, qui vient de mourir, déclarait l’année dernière à Médiapart (cité par Wikipédia) en parlant de la création de la DCRI  « On ne fusionne pas un service dont la vocation est avant tout judiciaire et opérationnelle, comme la DST, avec un service d’information, comme les RG (…) sinon pour créer une  » police politique  » ». Je ne suis pas loin de partager son avis. En tout cas, si le rapport parlementaire sur « le nouveau cadre juridique pour les activités du renseignement » est suivi d’effet, on prend le risque de s’en approcher un peu plus.

Vous me direz, il faut bien se donner les moyens de lutter contre le terrorisme !

Comment lutter contre le terrorisme ? – En fait il y a deux méthodes pour combattre ce fléau. Soit on estime qu’il s’agit d’une guerre, et alors le terroriste est un ennemi qu’il faut éliminer à tout prix. Dans ce cas, la Justice devient un obstacle. C’est la voie choisie par les États-Unis. Pour les autorités de ce pays, on se trouve en présence d’un conflit d’un nouveau genre, sans uniforme et sans patrie, et l’on peut par conséquent s’affranchir de toutes les conventions internationales. – Mais ceux qui font le sale boulot ne sont pas des policiers.

Soit on considère les terroristes comme des criminels et on les combat par le code pénal. C’est la méthode européenne. Pour nous, Français, cette démarche est conforme à notre passé qui veut que l’on ne déclare pas la guerre à des hommes mais seulement à des États et que l’on ne condamne pas a priori un mouvement, mais uniquement ceux qui, à l’intérieur de ce mouvement, se livrent à des actes criminels. Et cependant, il faut bien reconnaître que la menace islamiste remet les pendules à l’heure, car l’action d’un juge ne sera jamais suffisante.

Pourtant, il n’y a pas d’alternative : le terroriste est un ennemi ou un justiciable. Et se cacher derrière une loi pour effectuer des opérations hors la loi relève du clair-obscur. Dans les services techniques de la DST où j’ai œuvré durant plusieurs années, il y avait des fonctionnaires qui posaient des micros, d’autres ouvraient les serrures, d’autres le courrier… Chacun savait qu’il faisait une chose illégale, mais c’était pour la bonne cause, du moins le croyait-on (le contre-exemple étant la pose de micros dans les locaux du Canard Enchaîné). Si ces actes avaient été couverts par une loi, ils n’auraient eu que l’apparence de la légalité. Ce que le professeur Massimo Donini, de l’Université de Modène, qualifie de « droit pénal de l’ennemi », et qu’il ne considère en aucun cas comme un droit légitime. Il faut prendre garde de ne pas glisser de l’État de droit à l’État de police, ajoute-t-il dans la Revue de science criminelle 2009.

À ce jour, on peut dire que les deux méthodes sont plutôt inefficaces. Mais la méthode américaine présente au moins l’avantage de bien séparer le terrorisme des autres activités criminelles. Alors que chez nous, il y a fréquemment confusion des genres et les décisions prises pour lutter contre le terrorisme s’appliquent souvent à des infractions de droit commun. Et, à l’arrivée, nos libertés individuelles sont de plus en plus écornées, au point aujourd’hui de pouvoir condamner quelqu’un non pas pour un crime ou une tentative de crime, mais pour une simple intention criminelle.

Chérie, tu peux arrêter l’aspirateur ! Je suis en train de lire Urvoas dans le texte.. et le bruit m’empêche de me concentrer.

Il n’existe sans doute aucune solution satisfaisante, mais notre exigence de sécurité ne doit pas nous inciter à faire n’importe quoi. Il faut faire le moins mal possible. Il existe bien l’article 15 de la Convention européenne de droits de l’homme qui prévoit des dérogations à certains grands principes. Et notre Constitution, elle, renforce sérieusement les pouvoirs de police administrative lorsque l’état d’urgence est décrété. Alors, il y a peut-être quelque chose à envisager en se rapportant à ces textes… Une sorte d’état d’urgence au coup par coup : pour un temps déterminé et pour des faits précis, il serait accordé des pouvoirs exceptionnels à des services de police spécialement désignés… Et leur action serait contrôlée a posteriori. Mais finalement c’est peut-être ça que préconise M. Urvoas.

Allez, je vais relire les 360 pages de ses deux rapports…

Meurtre de Léa : le droit jusqu’à l’absurde

Le jeune homme qui a avoué avoir violé et tué Léa, à Montpellier, une nuit de la Saint-Sylvestre, sera-t-il un jour jugé ? En tout cas, si, malgré les arguties juridiques, il doit rendre compte de ses actes devant un jury d’assises, son procès sera bardé d’incertitudes. Mais pas sûr qu’il ait lieu. On le saura le 18 mai prochain.

Pourtant, pour Thomas Meindl, le juge qui a instruit l’enquête, les faits ne font guère de doutes. Rarement une affaire criminelle n’aura été aussi carrée. Du moins dans les actes – car sur le plan juridique, on patauge dans la semoule. Aussi, il y a une quinzaine de jours, il a refermé son dossier en ordonnant la mise en accusation du dénommé Seureau Gérald, 26 ans, pour avoir dans la nuit du 31 décembre 2010 donné volontairement la mort à Léa. Crime accompagné de plusieurs viols caractérisés.

Mais l’avocat du (futur ?) accusé ne l’entend pas de cette oreille. Il a fait appel de cette décision et demande à la chambre d’instruction de constater l’insuffisance de charges, en tenant compte du fait que les aveux de son client ne sont pas conformes au droit : absence d’avocat lors des auditions et droit de garder le silence. Pour lui, avec ce qu’il reste dans le dossier, il pourrait tout au plus être poursuivi pour des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

On imagine la consternation de la famille de la victime. Et ce sentiment de révolte, cet écœurement, contre une justice qui ne ferait pas justice.

Et pourtant, dans cette affaire, les enquêteurs, les magistrats, tout le monde a fait son job. Aucune erreur.

Enfin si. On peut quand même reprocher aux policiers de ne pas avoir prévu que quelques mois après ce crime, les députés allaient adopter une loi pour réformer la garde à vue. Un truc qu’on n’apprend pas encore dans les écoles de police : prévoir le futur.

Donc, en ce 1er janvier 2011, Gérald Seureau a reconnu ses crimes, après avoir – comme c’était la règle à l’époque – simplement consulté son avocat. Et, 3 mois plus tard, nos élus pondent un texte plus conforme au droit européen applicable en principe au 1er juin 2011. Toutefois, pour éviter l’annulation des procédures en cours, on déroge et l’on applique les grandes lignes dans l’urgence. Et urgence il y a, puisqu’au lendemain de cette loi, la Cour de cassation estime en deux mots que toutes les gardes à vue antérieures sont entachées de nullité. Une tempête judiciaire. Heureusement, il y a dans le code de procédure pénale un petit article, le 173-1, qui fixe la durée de l’appel à 6 mois après la mise en examen. Ouf ! On limite la casse.

Mais pour le meurtre de Léa, on est en plein dedans.

Durant sa garde à vue, Gérald Seureau fait des aveux circonstanciés. Et comme c’était à craindre, en juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse annule tous les procès-verbaux d’auditions ainsi que les enregistrements audiovisuels afférents et certaines investigations connexes.

Néanmoins, le dossier n’est pas vide. Il existe contre lui de nombreux témoignages et des éléments matériels : sa gourmette retrouvée sur les lieux du crime, ses vêtements tâchés du sang de la victime, saisis à son domicile, et surtout des traces de sperme, identifié comme étant le sien, prélevées en plusieurs endroits sur le corps de la jeune fille.

Mais aujourd’hui, Gérald Seureau, ne se souvient plus de rien. Tout au plus reconnaît-il un flirt avec Léa et quelques coups sans conséquences qu’il lui aurait administrés.

Alors, peut-il s’en sortir comme ça ?

On peut résumer les premières heures de l’enquête de la manière suivante :

Vers 21 heures, le père de Léa vient signaler au commissariat la disparition de sa fille. Il est accompagné de Seureau, la dernière personne à lui avoir parlé. Les policiers enregistrent son témoignage, mais, lorsqu’il retire un gant pour signer son P-V, ils constatent l’existence d’ecchymoses sur sa main. On peut penser qu’ils le pressent de questions. Il y a peut-être quelque part une jeune fille à sauver ! Dans le même temps, un témoin déclare que, lorsqu’il a aperçu le jeune homme vers 14 heures, il a remarqué qu’il avait des griffures sur les avant-bras, que son tee-shirt était déchiré et que son pantalon portait une large tache de sang.

Spontanément, Gérald Seureau avoue alors qu’il a abandonné Léa dans un parc, sans trop savoir dans quel état elle se trouvait. Et il accepte de conduire les enquêteurs sur place. Sur ses indications, ceux-ci découvrent le corps dénudé et sans vie de la jeune fille. Lors de l’autopsie, les médecins légistes noteront de nombreuses blessures et des lésions en plusieurs endroits consécutives à des pénétrations sexuelles.

Entre ces événements et les éléments matériels subsistants après l’écrémage de la Cour d’appel, il reste probablement suffisamment d’éléments pour convaincre les jurés d’une Cour d’assises. Mais qu’en dit le droit, ou plutôt la jurisprudence ?

« Quand bien même des aveux auraient été recueillis au cours d’une garde à vue s’étant déroulée dans des conditions irrégulières, il reste possible à la juridiction de jugement de prononcer une déclaration de culpabilité dès lors que cette déclaration se fonde sur des éléments autres que ces aveux » (Xavier Salvat, avocat général à la Cour de cassation – Revue de science criminelle 2013). Mais encore faut-il que ces « éléments autres » n’aient aucun lien avec les aveux obtenus hors de la présence de l’avocat, a décrété la Cour de Strasbourg en 2012. En fait, pour résumer, en cas de jugement et de condamnation, il appartiendrait probablement à la plus haute juridiction pénale, voire à la Cour de Strasbourg, de vérifier que cette condamnation a été faite sans tenir compte des zones de l’enquête invalidées.

Un long parcours judiciaire.

Karine Bonhoure, la maman de Léa, crie son indignation : « Le procès, initialement prévu au début de l’année 2012, n’a toujours pas eu lieu. Je me trouve aujourd’hui confrontée, pour la quatrième fois, à un recours de la défense… » Face aux techniciens du droit, elle n’a que sa douleur. Seuls les élus locaux l’appuient. Dans la mairie de Mauguio, près de Montpellier, un livre de soutien a été ouvert. Et, le 15 mai à 18 heures 30, une réunion silencieuse est prévue à Montpellier, Toulouse et Paris.

À qui devons nous ce pataquès ? Je vous laisse juge. En tout cas, si Gérald Seureau évitait le procès, ou s’il devait être acquitté aux seuls bénéfices de règles de procédure pénale, je me demande si la famille de Léa ne pourrait pas attaquer la France devant la Cour européenne pour déni de justice.

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Sur son blog,  Maître Éolas voit les choses de façon différente : De l’absurde jusqu’au droit.

J’ai l’AD-haine

Il y a une dizaine de jours, à Marseille, deux frères jumeaux âgés de 25 ans ont été mis en examen et écroués pour une série de viols et d’agressions sexuelles. Ils ont été confondus par leur ADN. Mais lequel des deux est le coupable ? Une question à laquelle la police scientifique ne peut répondre. Et qui pourrait cependant devenir de moins en moins exceptionnelle, puisque le nombre de jumeaux ne cesse d’augmenter. En une quarantaine d’années, il a presque doublé en France – même s’ils ne sont pas tous monozygotes. Les techniques actuelles de la police scientifique ne sont pas assez fines pour prendre en compte ces cas particuliers. Pour faire la distinction entre les deux hommes, il faudrait faire appel à un labo privé et la facture pourrait monter à plusieurs centaines de milliers d’euros. Comme le dit Simoneduchmole sur Twitter, le bon vieux bottin coûtait quand même moins cher…

Extrait du livre « Notre ADN et nous », aux éditions Vuibert

Les journalistes ont relaté cette affaire sans étonnement (la presse serait-elle blasée ?), comme si l’on pouvait mettre deux suspects à l’ombre sous le prétexte que l’un est forcément coupable. Il existe bien sûr d’autres charges contre eux, sinon le juge d’instruction aurait une bizarre conception de la justice.

Pourtant, dès que l’on parle d’ADN, les excès ne sont pas rares, tant du côté de la police, de la gendarmerie que de la justice. Ainsi, lorsqu’un magistrat décide de passer tous les mâles d’un village breton au tamis pour tenter d’identifier un incendiaire, ne dépasse-t-il pas les bornes ?

Ce n’est probablement pas l’avis de la Chancellerie, puisque dans l’enquête sur le viol et le meurtre d’une collégienne anglaise, Caroline Dickinson, en 1996, le juge chargé du dossier qui avait refusé d’effectuer un test systématique a été remplacé par son collègue Van Ruymbeke, qui, lui, ne fait pas dans la dentelle. Si la pêche au filet n’a pas permis d’identifier le meurtrier, l’assassin a néanmoins été démasqué par ses gènes – mais grâce à une enquête des plus traditionnelles.

Le coton-tige n’a rien d’une baguette magique ! Bien sûr, je n’ai pas la haine de l’ADN (je n’ai pas résisté à ce titre), c’est un formidable atout pour découvrir les criminels, mais il faut prendre garde de ne pas tomber dans l’excès de confiance. La police scientifique ne doit pas engourdir « les petites cellules grises » chères à Hercule Poirot. Ainsi, ce mégot que l’on jette (à tort) dans le caniveau pourrait très bien se retrouver sur la scène d’un crime. Et l’on aura beau crier son innocence, sans alibi béton, on risque fort de passer quelques jours de vacances dans un hôtel Taubira.

Comme le dit en résumé le commissaire Cécile Moral, du service régional d’Identité judiciaire de Paris, dans la revue PPrama, le rôle de l’Identité judiciaire consiste à remettre des éléments aux enquêteurs, à eux d’en faire bon usage. Et tant pis pour les séries télé.

Chez nous, le législateur a tenté de placer des garde-fous en limitant l’utilisation du fichier national (FNAEG) à la simple comparaison. Un peu comme pour les empreintes digitales. Un seul marqueur est archivé : celui qui correspond au sexe. Toutefois, les prélèvements sont soigneusement conservés. L’enregistrement des traces est effectué pour les condamnés et les mis en cause pour les crimes et les délits énumérés à l’article 706-55 du Code de procédure pénale. Si l’ADN d’un simple suspect peut être prélevé pour réaliser un rapprochement, la formulation ne doit pas être introduite dans la base de données. Si l’on revient un instant sur l’affaire de l’incendiaire du Morbihan, les habitants de Larmor-Baden sont-ils tous des suspects ? La réponse est non. Les enquêteurs doivent donc obtenir leur consentement pour effectuer un prélèvement salivaire. Et – à mon avis – si l’un d’eux refuse, la sanction de l’article 706-56 du CPP (1 an de prison et 15 000 € d’amende) ne s’applique pas. On peut en discuter à l’infini, mais cela ne vaut pas le coup, puisque ledit réfractaire deviendrait illico un suspect. Il serait donc tenu de se soumettre. Et la boucle serait bouclée.

Faut-il s’inquiéter de l’archivage de notre ADN ? Je crois que oui. D’abord, parce que l’on touche à notre moi profond et surtout, parce qu’on est à l’aube d’un gigantesque marché industriel. « L’accroissement massif de la quantité d’information disponible sur l’ADN humain est l’émergence d’une nouvelle industrie basée sur l’exploitation de ces données », écrit le professeur Colin Masters dans son livre Notre ADN et nous (Ed. Vuibert). Par simple rapprochement d’idées, on se souvient que lors de la discussion de la dernière loi sur la sécurité (Loppsi 2, en 2011), M Hortefeux avait envisagé de créer un fonds alimenté par les compagnies d’assurance  pour assurer le financement du FNAEG. J’ai comme l’impression que notre patrimoine génétique excite bien des convoitises. Cela va bien au-delà d’un simple fichier de police.

Allez, ceux qui se plaignent du flicage de notre société n’ont encore rien vu !

Le journaliste scientifique Pierre Barthélémy, sur son blog, Passeur de sciences, nous raconte qu’une artiste new-yorkaise, en partant de quelques mégots et d’un chewing-gum récupérés au hasard dans la rue, a réussi à reconstituer le visage de leurs propriétaires respectifs. L’anecdote est exagérée. On ne peut évidemment pas (pas encore) reconstituer un visage à partir d’un prélèvement ADN. Mais il est possible d’établir des éléments distinctifs : l’origine ethnique, le sexe, la couleur de la peau, des yeux, des cheveux… Autant d’éléments qui peuvent venir compléter des témoignages visuels pour dresser un portrait-robot pas très éloigné d’une photographie. Et demain, le résultat pourra être introduit dans l’informatique d’un système de vidéosurveillance pour une détection quasi automatique.

L’imbroglio des meurtres de l’Essonne

Il y a quelques jours, l’avocat de Yoni Palmier a déposé une plainte contre X pour violation du secret de l’instruction. Yoni Palmier, c’est l’individu soupçonné d’être l’auteur des quatre meurtres commis dans l’Essonne, entre novembre 2011 et avril 2012. Or en juillet dernier, il a reçu une lettre de l’une de ses connaissances qui s’accuse de deux de ces meurtres et affirme avoir commandité les deux autres. L’information avait été tenue secrète. Mais récemment, elle est parue dans la presse, ajoutant encore un peu de mystère à une enquête criminelle particulièrement tortueuse. Une enquête où chaque nouvel élément semble vouloir contredire le précédent.

Le 27 novembre 2011, Nathalie Davids, une jeune femme de 35 ans, laborantine à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, est retrouvée  agonisante dans le parking de son immeuble, à Juvisy-sur-Orge, dans l’Essonne. Elle a reçu sept balles de calibre 7.65 mm, dont une dans la tête. L’assassin a probablement vidé son chargeur. On peut donc penser à un tir de panique ou d’acharnement. La victime décède à l’hôpital sans avoir repris connaissance. L’enquête menée par la police judiciaire de Versailles (service compétent sur la grande couronne parisienne) progresse rapidement. Dans la semaine qui suit, un homme est arrêté. Il s’agit de Michel Courtois. Amoureux éconduit, il harcelait Nathalie au téléphone. Lors de sa garde à vue, il reconnaît les faits. «J’ai fait tout ça par amour », dira-t-il lors de son audition.  Après avoir emprunté une moto à des copains de bar, il aurait suivi une voiture pour s’introduire dans le parking, en prenant soin de placer un bout de scotch sur la cellule électrique de la porte pour assurer sa retraite. Ensuite, il se serait dissimulé, attendant le retour de sa maîtresse. Un véritable guet-apens. Donc, un assassinat. D’une manière plus ambigüe, d’après Le Monde, il aurait déclaré : « Je pense que c’est moi qui ai tué Nathalie, parce que tous les éléments qui sont à charge contre moi tendent à prouver que je suis l’auteur de l’assassinat ». Une phrase que l’on sent bien dans la bouche d’un policier mais qu’il est difficile d’envisager dans celle d’un suspect… Le seul élément matériel contre lui provient de l’analyse de vêtements et d’un sac sur lesquels des traces de poudre auraient été découvertes. Une contre-analyse n’a cependant pas permis de trancher quant à l’origine de ces traces.

La presse a présenté Michel Courtois, âgé de 46 ans, comme un homme un peu « simplet ». Pourtant, sur cette vidéo de TF 1, il est bien loin de l’image que l’on a donnée de lui. Il dit qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive… De fait, rapidement, il s’est rétracté, disant avoir subi des pressions policières. Son avocat, Me Yassine Bouzrou, va plus loin. Il estime que les aveux lui ont été « extorqués ». Ce qui n’est pas l’avis de sa consœur, Me Sarah Valduriez, qui assistait Michel Courtois durant la garde à vue. Elle a déclaré au JDD : « J’étais avec lui lors de toutes les auditions. Les policiers ont toujours été très respectueux (…)  Il a avoué en ma présence, je lui ai même demandé s’il savait ce qu’il faisait. De toute façon, tout a été filmé. » Voilà de quoi convaincre les OPJ encore récalcitrants de l’utilité de l’avocat durant la garde à vue…

En tout cas, pour le meurtre suivant, le 22 février 2012, Michel Courtois a un alibi : il est derrière les barreaux. Cette fois, c’est le voisin de Nathalie Davids qui est visé, Jean-Yves Bonnerue, un cadre technique de 52 ans. Il est abattu dans ce même parking alors qu’il est penché sur le coffre de sa voiture. Une balle dans la tête. Même calibre. C’est lui le premier qui avait découvert Nathalie baignant dans son sang et qui avait appelé les secours. C’est d’ailleurs lors de son audition que les enquêteurs ont appris l’existence de Michel Courtois. D’une certaine manière, il les a mis sur la piste.

De toute évidence, ces deux meurtres sont liés. D’autant, on l’apprendra par la suite, qu’ils ont été perpétrés avec la même arme : un pistolet automatique de calibre 7.65.

Un mois plus tard, le 17 mars, à Ris-Orangis, c’est un retraité de 80 ans qui est tué d’une balle dans la nuque dans le hall de son immeuble. Puis, le 5 avril, à Grigny, c’est le tour d’une mère de famille de 48 ans. Elle n’est pas agressée, juste trois balles dans la tête, alors qu’elle pénètre, elle aussi, dans le hall de son immeuble.

Rien ne relie ces deux crimes aux précédents, si ce n’est le rayon d’action et l’arme utilisée.

La PJ de Versailles met le turbo, d’autant que l’affaire Merah a traumatisé la France entière. Une centaine d’enquêteurs sont sur le coup. Le 6 avril, les policiers lancent un appel à témoins pour retrouver une moto de marque Suzuki de couleur bleue et blanche sur laquelle le meurtrier aurait pris la fuite, après avoir tiré sur cette femme, à Grigny. Ce sont des jeunes de la cité qui ont rapporté la chose aux policiers. Et les motos, ils connaissent suffisamment pour fournir des détails précis. Les magasins spécialisés du département sont visités un à un, le fichier des cartes grises est passé au crible… Le propriétaire de l’engin est finalement retrouvé. Il est inconnu des services de police. Mais, à l’adresse indiquée sur le document, vit Yoni Palmier. Et son profil colle bien à l’enquête. Les planques commencent. Il s’agit de ne pas lui donner l’alerte et d’éviter le scénario de Toulouse.

Huit jours plus tard, il est cueilli en douceur alors qu’il sort du domicile de ses parents. Dans son box, on retrouve la moto. C’est un homme de bientôt 34 ans, né dans le Val-d’Oise, de parents antillais. Il a déjà été condamné pour violences et plusieurs fois pour le délit de port d’arme de 6° catégorie. Officiellement, il subsiste grâce à « diverses allocations », comme dit la procureure d’Évry, mais son train de vie ne correspond pas. C’est en recoupant ses déclarations que les policiers sont amenés à perquisitionner dans un lieu où il a autrefois vécu, et dans lequel ils vont découvrir, dans une poubelle, une douille percutée qui provient de l’arme des crimes. Devant cet élément probant, Yoni Palmier accepte de mener les enquêteurs dans un second box, à Draveil, où sont dissimulées plusieurs armes, dont le fameux PA 7.65. Il déclare que la moto et les armes appartiendraient à un homme dont il ne connaît pas l’identité, probablement celui qui aujourd’hui revendique les meurtres. Mais existe-t-il ?

Yoni Palmier nie donc les faits. Il aurait été manipulé par ce mystérieux personnage. Mais pourquoi ces meurtres ? Quel pourrait être le mobile ? On parle d’actes « d’opportunité ». Ainsi, dans l’hypothèse où Yoni Palmier serait bien le coupable, le meurtre de Jean-Yves Bonnerue aurait été fortuit. Il serait venu sur les lieux, là où Nathalie Davids a été tuée, simplement parce qu’il connaissait l’endroit pour y avoir loué autrefois des emplacements de parking. Et il aurait tiré sur cet homme qui déchargeait ses courses, sans aucune raison. Cela ne tient pas la route. Quant aux deux autres crimes, cela pourrait être une sorte de plagiat de l’affaire Merah.

Autant d’extrapolations qui laissent dubitatif… Ce qui surprend, c’est le modus operandi du premier meurtre par rapport aux suivants. Nathalie Davids est tombée sous les balles d’un tueur compulsif tandis que les autres victimes ont été froidement exécutées.

À ce jour, les enquêteurs n’ont pas trouvé de liens entre Yoni Palmier et Michel Courtois. Lorsque l’avocat de ce dernier a demandé sa remise en liberté, en faisant valoir que deux assassins pour le même meurtre, c’était un de trop, le procureur s’y est opposé ; et la Cour d’appel de Paris lui a donné raison. Mais, bizarrement, quinze jours plus tard, le 11 juin, les deux juges d’instruction en charge de l’affaire ont accédé à sa demande. Comme si le dossier s’était enrichi d’un élément nouveau.

On l’espère. En attendant, quatre personnes ont été tuées avec la même arme. Apparemment, il n’existe aucun mobile, aucune raison, et pour le premier meurtre, deux suspects sont mis en examen. L’un est en prison, l’autre en liberté. Deux hommes qui ne se connaissent pas. Et, quelque part dans la nature, un autre individu a revendiqué ces crimes.

Manuel Valls, de l’Intérieur

Il est sur tous les fronts. Certains le considèrent comme « l’effaceur », celui qui va faire oublier la gauche bisounours ; tandis que d’autres n’apprécient guère ses postures sarkoziennes. Dans la maison poulaga, il a été accueilli avec circonspection. Au début, on en a même souri, lorsqu’il est apparu dans son joli costume blanc. Il avait l’air tellement jeune qu’il a fallu cliquer sur Wikipédia pour s’apercevoir qu’il atteignait la cinquantaine.

C’était un moment important. Si les fonctionnaires ont l’habitude de voir tourner les ministres, les changements de majorité sont plus rares dans une carrière. Et dans la police cela se traduit souvent par un virage à 180°. Aussi, Place Beauvau, radio-gouttière allait bon train : bouleversements, chasse aux sorcières… Non, rien ! Quelques mutations de personnages politiquement trop voyants. Et même le staff réuni autour de lui n’était pas un réel indicateur de la politique du nouveau ministre. Des gens rassurants, plutôt proches de la retraite.

Lorsqu’il est arrivé, Manuel Valls avait dans sa musette les zones de sécurité prioritaires – l’un des 60 engagements du candidat Hollande. Une mesure « de bureau » qu’au moins une demi-douzaine de ministres ont dû vouloir mettre en place avant lui. Des noms différents, mais le même objectif : concentrer davantage de moyens dans des zones fortement criminogènes. Ça n’a jamais fonctionné. Mais dans la police l’obsolescence n’existe pas. Comme l’ampoule centenaire de Livermore, les idées – même mauvaises – ne s’éteignent jamais. On se souvient peut-être que sous le gouvernement Bérégovoy (Mitterrand II), Bernard Tapie avait été nommé ministre de la Ville pour s’occuper des « quartiers difficiles ». Il y a 20 ans. Alors aujourd’hui, en pleine période de disette… Mais mercredi dernier, devant les grands chefs de la police et de la gendarmerie, notre ministre a déjà pris ses distances : Les ZSP « ne sauraient résumer la politique de sécurité que j’entends mettre en œuvre », a-t-il déclaré.

On l’attendait au tournant sur le récépissé lors des contrôles d’identité : une mesure d’application difficile qui agace fortement les policiers. En fait, ce récépissé ne figure pas dans les propositions écrites présidentielles. On en avait juste parlé pour éviter les contrôles au faciès – qui eux y figurent. Ce maudit mot dit, mais non écrit, est devenu le marqueur de l’autorité du nouveau ministre. Il s’est laissé convaincre assez facilement de l’infaisabilité de la chose, et il a planté là le Premier ministre qui, lui, en avait fait une mesure symbolique.

Couac !

Bon, on peut dire que la diplomatie n’est pas la qualité première de M. Valls. On l’a bien vu en mai dernier, lors de la passation de pouvoirs entre l’ancien et le nouveau. On aurait pu envisager, par exemple, la délivrance d’un récépissé pour les contrôles d’identité approfondis… Et tout le monde aurait été content. Mais en jouant cette carte, il a passé l’épreuve « d’admissibilité » et, l’air de rien, Manuel Valls est devenu le premier flic de France. Pour l’instant, il est adopté. « On dirait du Sarko première période », comme l’écrit le journaliste du Monde Laurent Borredon, qui rapporte les propos d’un haut responsable de la police. Pour mémoire, l’état de grâce de Nicolas Sarkozy, en dehors de ses aficionados, n’a pas duré longtemps…

Il faut dire que le nouveau locataire de Beauvau est porté par les circonstances. Les événements d’Amiens et de Marseille – et leur médiatisation – ont fait grimper l’insécurité de plusieurs crans dans l’échelle des préoccupations des Français. +12 points depuis les élections présidentielles, d’après un sondage publié sur Atlantico.

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En fait les premières décisions prises à chaud concernent Marseille. Et là, Manuel Valls a montré son tempérament. À la différence de ses prédécesseurs qui ont surtout brassé du vent, en nommant un préfet de police placé directement sous ses ordres, il se campe au premier rang. Un énarque dirait sans doute que c’est une erreur de commandement, qu’il faut toujours mettre des fusibles entre la décision et l’application, mais, dans la police et la gendarmerie, on aime bien les gens qui prennent leurs patins.

N’empêche que l’idée d’installer un chef de la police et de la gendarmerie dans le département des Bouches-du-Rhône en laisse plus d’un sceptique. Cela nécessite de chambouler complètement la pyramide de la hiérarchie. Autrement dit, il faut revoir l’organisation des différentes directions, et notamment celle de la PJ. Au passage, Christiane Taubira peut-elle accepter qu’une autorité administrative glisse son nez dans les procédures judiciaires, comme cela peut se passer à Paris ? Même si l’ancien préfet de police s’en défendait. Dans son livre (11 propositions chocs pour rétablir la sécurité, aux éditions Fayard) le député Jean-Jacques Urvoas, l’un des aspirants au fauteuil, envisageait de donner au maire de Paris les mêmes pouvoirs de police que les autres maires. La police parisienne, disait-il « doit être placée sous le commandement d’un directeur régional soumis au préfet territorialement compétent, comme dans le reste du pays, et ce dernier doit redevenir le principal interlocuteur des élus. » Pourtant, on dit que c’est lui qui a soufflé cette idée d’un préfet de police marseillais copié-collé sur celui de Paris. « En créant le concept de métropole et de patron unique, on met de la cohésion dans une cité où il y a beaucoup trop de mouvements », dit-il dans Le Télégramme. Comme quoi il faut savoir s’adapter aux circonstances… Mais il est probable que le préfet de police de Marseille n’aura jamais les prérogatives de celui de la capitale.

Il est bien trop tôt pour comparer Manuel Valls à ses prédécesseurs, ni même à Nicolas Sarkozy. Je crois d’ailleurs que c’est son contraire. Alors que ce dernier était impulsif, parfois malavisé dans ses décisions, mais capable d’en changer, M. Valls semble se montrer à l’écoute. Mais il sera probablement inflexible une fois la décision prise.

On l’imagine proche de ses troupes mais en même temps sans concession. Son refus de participer au « gouvernement d’ouverture » de Nicolas Sarkozy situe bien le personnage. Certains policiers, notamment ceux qui ont manifesté contre la décision d’un juge lors de la campagne présidentielle, ont dû avoir les oreilles qui sifflent en entendant la petite phrase prononcée vendredi dernier devant la garde des Sceaux : « Je ne tolérerai pas les mises en cause des décisions de justice ».  Une menace à peine subliminale.

Dans les rangs de la police, le laxisme de ces derniers temps n’est donc plus de mise. Du coup, on entend moins les râleurs. Sinon, pour l’instant, peu de changements. Ah si, à Paris, il y a eu un arrivage de biscuits pour les gardés à vue

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