LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Criminalité organisée (Page 1 of 3)

La lutte contre le narcotrafic face à l’État de droit

Le 29 avril dernier, la loi « pour sortir la France du piège du narcotrafic » a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale. Une large majorité de députés, 396 sur 498, ont voté ce texte. Dans l’opposition (oups !), bon nombre se sont abstenus, seuls les élus LFI et quelques autres l’ont rejeté, estimant que certaines de ses dispositions sont attentatoires aux libertés publiques et aux principes constitutionnels de notre pays.

Ont-ils raison ?

Le Serpent d’Océan, de Huang Yong Ping, dont le squelette apparaît au rythme des marées.

Même si nombre de parlementaires votent les yeux fermés, la question est fondamentale : la montée en puissance du « commerce » de produits stupéfiants peut-elle justifier l’utilisation de méthodes qui, hier encore, n’auraient pas été envisageables ?

  Le dossier-coffre

Ainsi en est-il du dossier-coffre. Il cristallise toutes les interrogations. Rebaptisé « dossier distinct », puis « procès-verbal distinct », il s’agit en fait d’un dossier noir dont le contenu est inaccessible aux avocats des personnes mises en examen ou placées sous le régime de témoin assisté et, éventuellement, aux avocats représentant les victimes. Il découle d’une technique vieille comme le monde qui consiste pour un juge ou pour un flic à anonymiser certains actes en les plaçant dans un dossier « poubelle », c’est-à-dire un dossier destiné à être classé sans suite. Un dossier que personne n’ouvrira jamais. Une combine juridique qui, bien sûr, n’a jamais été appliquée en France. Mais aujourd’hui, alors que les techniques spéciales d’enquête ont pris le pas sur les enquêtes traditionnelles, la demande était forte de cacher aux avocats les moyens techniques utilisés, voire de ne pas faire état des personnes surveillées, dont le seul tort, parfois, est de faire partie de l’environnement d’un suspect.

Lorsque l’on parle de techniques spéciales d’enquête, il faut comprendre l’accès aux courriers et messages électroniques (mail, texto…), ainsi qu’au recueil des données techniques de connexion, l’interception en direct des correspondances, la sonorisation et la surveillance visuelle que ce soit dans un lieu public, privé ou dans un véhicule, ainsi que la captation de toutes les données informatiques. À cette panoplie, il faut ajouter la possibilité de déclencher à distance le micro et la caméra des portables et des ordinateurs à l’insu de leur utilisateur.

Des moyens de surveillance aujourd’hui largement connus des malfaiteurs, même si chacun se cache de les utiliser. En vrai, il s’agit surtout de dissimuler les acrobaties parfois nécessaires lors d’une installation technique – et d’anonymiser les services intervenants, surtout s’il est fait appel à des prestataires extérieurs.

Mais il n’empêche qu’en l’absence de possibilité de contrôle des parties au procès pénal, il est ainsi créé une présomption de légalité sur ces techniques d’investigation. On pourrait se dire qu’il n’est pas anormal de faire confiance à la police et à la justice, pourtant l’affaire Trident, à Marseille, montre qu’en matière de stups, l’espoir de faire un « gros coup », pousse parfois à la stupidité.

Il n’est donc pas interdit de s’interroger sur le professionnalisme des policiers et des magistrats en charge de la lutte antidrogue… Continue reading

Criminalité organisée : changement de pied

Lors de la passation de pouvoir, Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice sortant, a mis en garde son successeur sur une éventuelle mise au placard de « sa » loi sur la justice : « Une trahison de cette loi serait un signal dévastateur », a-t-il lâché avec sa modestie habituelle.

« Je vous ai entendu », a répondu, goguenard, Didier Migaud, le nouveau garde des Sceaux, avec l’air de dire cause toujours. Le seul ministre un peu de gauche de ce gouvernement très à droite a visiblement une conception différente de la justice, avec en première intention la volonté de « renforcer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Y’a de la route à faire, car les citoyens que nous sommes ont perdu depuis longtemps leurs repères dans le dédale des palais de Justice. Même les pros, magistrats, flics, avocats… ne s’y retrouvent plus. Elle sera semée d’embûches, cette putain de route, dont on a pu discerner les premiers obstacles après le fritage avec le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau : la cohabitation s’annonce canon !

Dupond-Moretti a également insisté sur un projet de projet de loi qui lui tient à cœur concernant une refonte de la lutte contre la criminalité organisée : « Vous trouverez le texte sur votre bureau », a-t-il dit à Didier Migaud, sans intention j’en suis sûr d’en faire un épigone.

Il faut dire que la maquette est ambitieuse. Elle résulte d’une consultation de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale – du moins ceux qui dépendent du ministère de la Justice. Au centre de cette approche se trouve la création d’un parquet national anticriminalité organisée, le PNACO, dont la première intention serait la lutte contre le narcotrafic et toute la criminalité que ce trafic traîne dans son sillage, notamment le blanchiment d’argent. Or, pour blanchir de l’argent sale, il faut se livrer à des manigances financières : la corruption, le trafic d’influence, la fraude fiscale en bande organisée, etc.  Autant d’infractions qui sont le pré carré du PNF, le parquet national financier, ce qui promet de belles bagarres si le préprojet va à son terme.

L’évasion du narcotrafiquant Mohamed Amra, au cours de laquelle deux agents de la pénitentiaire ont été tués, a probablement été un détonateur. Cette évasion à main armée, qui a été rendue possible en raison de l’absence de communication entre les magistrats, est apparue comme un constat d’échec : celui d’une justice éparpillée face à des gangs structurés et friqués. En aparté, à ce jour, le fugitif n’a pas été retrouvé – ou, dans l’hypothèse où il aurait été non pas libéré, mais kidnappé par un clan adverse, on ne sait pas s’il est encore en vie.

Dans les mesures qui sont proposées dans ce texte, il faut retenir la création d’un « véritable statut de repenti » inspiré du modèle italien, la législation actuelle « étant trop restrictive et donc peu efficace ». Leur protection étant assurée par un « changement d’état civil officiel et définitif ».

La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…

Ces mesures seraient financées par les confiscations d’avoir criminel, lesquelles sont facilitées par une loi adoptée en juin 2024. Eh oui, il faut de l’argent ! La Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR, dite commission des repentis, fonctionne aujourd’hui avec un budget inférieur à 800 000 €. Opérationnelle depuis une dizaine d’années, elle ne protégerait qu’une quarantaine de personnes, alors que l’Italie en compte plus de mille ainsi que les membres de leur famille.

Cette loi, nous dit l’AGRASC, élargit l’éventail des biens pouvant être saisis et étend leur affectation avant jugement à de nouveaux bénéficiaires : administration pénitentiaire, établissements publics sous tutelle de la Justice et victimes.  Autant de mesures qui doivent augmenter le montant financier des saisies, dont, au passage, une partie est reversée au budget de l’État (près de 176 millions d’euros en 2023). Continue reading

L’officier de police judiciaire victime collatérale du flingage de la PJ ?

En tirant un trait sur la PJ de province, Gérald Darmanin a cédé aux doléances d’une poignée de godillâtes en mal d’une érection neuronique qui ne vient pas. Car on ne peut imaginer qu’un dirigeant politique de son envergure ait pris la décision de casser un outil qui ne marchait pas si mal uniquement pour avoir sous la main le personnel nécessaire à la sécurité des JO…

Esquisse du logo de la PJ par le peintre Raymond Moretti

Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs reconnu implicitement sa boulette, c’est du moins l’avis de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ), en admettant à demi-mot l’importance d’un travail de fonds pour lutter contre la narco-mafia ou la mocro-mafia, il a même utilisé des termes que je croyais obsolètes en parlant de « la lutte contre le grand banditisme ». Mais en prenant des bouts de phrases ici ou là, on fait dire n’importe quoi à n’importe qui. En fait, la priorité du ministre de l’Intérieur se tient dans l’action présente, celle qui se voit, comme le montrent d’ailleurs les opérations « place nette » de ces derniers jours. Il est pour une police de « voie publique ».

Le 10 avril 2024, au Sénat, devant la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, il n’a pas dit autre chose : « On ne peut attendre d’avoir toutes les preuves… – C’est sûr que si l’on veut l’enquête absolument parfaite sur tout le réseau, les gens peuvent attendre extrêmement longtemps. – Moi mon travail, chacun son travail, moi mon travail, c’est qu’il n’y ait pas de points de deal. L’excuse de dire qu’il faut absolument des enquêtes parfaites pour ne pas faire de voie publique… c’est justement ça qui fait l’inefficacité publique que le Français moyen voit dans la rue… »

Tête du tigre qui a vraisemblablement servi de modèle pour le dessin du logo de la PJ

Lors de cette audition, lorsqu’il a été question des enquêtes au long cours, Darmanin a taclé la justice, qu’il considère comme trop rigide, faisant notamment allusion au commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre, ancien n° 2 de l’Office des stups, condamné en décembre dernier à 3 ans de prison avec sursis pour complicité de trafic de drogue dans le cadre d’une livraison de cocaïne surveillée. Le garde des Sceaux est resté coi. Éric Dupond-Moretti s’est-il une seule fois frotté au ministre de l’Intérieur ? S’il a obtenu des moyens supplémentaires pour la justice, on l’entend rarement défendre l’institution, alors qu’il est à la charnière de la séparation des pouvoirs. En fait, quand il parle, on a toujours l’impression qu’il est sur la défensive, comme s’il ne se sentait pas à sa place. Aussi, en l’absence de feuilles de route, désorientés par la disparition des services de police judiciaire provinciaux de la police nationale, les magistrats en charge d’enquêtes criminelles se tournent désormais vers les services de police judiciaire de la gendarmerie nationale, lesquels restent fortement structurés, même si la hiérarchie militaire ne présente pas toujours la souplesse nécessaire aux investigations criminelles. Souvent, l’enquête presse-bouton ne suffit pas, pas plus qu’une escouade de militaires.

Dans l’enquête sur la disparition de Delphine Jubillar, en décembre 2020, aucun service de police n’aurait pu mettre autant d’hommes sur le terrain. La semaine dernière encore, c’est une soixantaine de personnels militaires : actifs, réservistes, équipes cynophiles… qui ont repris des fouilles à proximité de la maison de la jeune femme. Y aurait-il des éléments nouveaux ? se sont demandé les journalistes. Ils ont du mal à obtenir une réponse, d’autant que le parquet général a changé de patron et son successeur, Nicolas Jacquet, a la réputation d’être prudent avec les médias, pour bien les connaître, puisqu’il est le doyen du pôle communication judiciaire de l’école nationale de la magistrature.

D’après La Dépêche, il s’agirait de refermer une porte en procédure après les affabulations d’une voyante qui, en 2022, « avait eu des visions de Delphine Jubillar séquestrée dans le vide sanitaire d’un corps de ferme ». Mais sacrebleu, qui a eu l’idée de recueillir sur procès-verbal les propos d’une illuminée en mal de pub !

Lorsqu’une enquête se fait au grand jour, les témoignages les plus farfelus sont pléthore. Pas facile de faire le tri. Les deux juges en charge du dossier en savent quelque chose, puisqu’ils ont été invités à revoir leur copie par la chambre d’instruction de la cour d’appel, alors qu’ils croyaient leur dossier bouclé. Oups !

Il semble donc que les dés soient jetés, les gendarmes sortent vainqueurs de la guéguerre police judiciaire – gendarmerie judiciaire. D’ailleurs, sur le site du ministère de l’Intérieur, les services de PJ ont disparu. Même le logo créé par le peintre Raymond Moretti est en train de s’effacer. De l’ancienne DCPJ, il ne reste que les services centraux, regroupés au sein d’une direction nationale – et non plus centrale – dont le seul rôle est d’animer la filière judiciaire et qui, de fait, n’a aucun pouvoir sur les policiers de province. Alors que les vieux péjistes quittent en masse une « maison » qui n’existe plus, même le recrutement lui échappe. Comment vont donc travailler les enquêteurs des offices centraux, s’ils ne peuvent s’appuyer sur des collègues implantés au-delà de l’Île-de-France ? En se coupant de la base, la PJ devient élitiste.

La vraie histoire du logo de la PJ

Pour l’ANPJ, ce nouvel organigramme favorise la criminalité organisée : « La focalisation de l’action publique sur la petite délinquance pousse à l’absorption des petits groupes criminels par de plus grosses organisations mieux structurées et plus résilientes… »

Alors, l’investigation sur la criminalité organisée va-t-elle rester en rade ? « On n’est pas totalement… dénué d’esprit », a répondu Gérald Darmanin, avec un sourire en coin, devant les sénateurs-enquêteurs. Il a décidé de charger la DGSI des enquêtes proactives sur le narcotrafic, sous le sceau du secret défense, à l’abri du regard inquisiteur des magistrats.

Tout cela est bien compliqué, d’autant que le terme « officier de police judiciaire » ne facilite pas les choses. Il n’est pas toujours aisé de faire la différence entre un service de police judiciaire et une activité de police judiciaire. D’ailleurs, pour ne pas utiliser le mot « police », les douanes ont opté pour le terme officier judiciaire des douanes (OJD) et le fisc pour officier fiscal judiciaire (OFJ). À quand l’OGJ ? Officier de gendarmerie judiciaire, ça sonne bien, non !

 

Extrait de la vidéo de l’audition de Gérald Darmanin par le Sénat (durée : 1 mn.)

Cyberattaques : faut-il payer la rançon ?

L’hôpital de Corbeil-Essonnes a refusé de payer la rançon demandée par les hackers qui, dans la nuit du 20 août, ont fomenté une cyberattaque bloquant son système informatique. On parle d’une somme de dix millions de dollars. L’établissement hospitalier avait-il les moyens de réunir une telle somme ? Il semble que la question ne se soit pas posée, puisque la direction du complexe de santé a opposé aux malfaiteurs la même détermination – celle de ne pas céder – lorsque ceux-ci ont ramené leurs exigences à un ou deux millions. Si les choses se sont déroulées ainsi, cela vaut un coup de chapeau ! Cependant, une question titille : que se serait-il passé si l’hôpital s’était prémuni de ce risque en souscrivant une assurance ?

On trouve la réponse dans le projet de loi du ministre de l’Intérieur actuellement en discussion au Sénat, puisque celui-ci prévoit, en cas de cyberattaque, de pérenniser le paiement d’une rançon en insérant un nouvel article dans le code des assurances. Si ce texte est adopté, les assureurs pourront donc payer la rançon demandée par les hackers sous réserve que l’entreprise ait déposé une plainte dans les 48 heures.

Gérald Darmanin serait-il prêt à baisser culotte ?

Il sera intéressant de scruter la réponse du législateur, car depuis les années soixante-dix, alors que les rapts crapuleux étaient fréquents, la position des autorités a été claire : on ne paie pas de rançon ! Et la police œuvrait pour convaincre les proches de l’otage de ne pas céder au chantage à la vie. Même si ça ne marchait pas à tous les coups, comme lors de l’enlèvement par Jacques Mesrine d’Henri Lelièvre, le milliardaire de la Sarthe, en 1979.

Lorsque les enlèvements crapuleux ont fait place à des enlèvements plus ou moins terroristes, la question s’est de nouveau posée et la règle a été assouplie : on paie, mais on ne le dit pas. Même s’il apparaît difficile de le démontrer, la France a souvent fait le dos rond. On comprend bien que la libération de tel ou tel otage ne peut être que le résultat d’une négociation. En 2014, le président Obama s’en était d’ailleurs indigné : « François Hollande dit que son pays ne paie pas de rançons aux terroristes alors qu’en réalité, il le fait ! »  Ce qui revient à admettre, malgré les coups de menton politiques, que l’on finance le terrorisme.

Or, l’article 421-2-2 du code pénal incrimine non seulement le financement d’une entreprise terroriste, mais également le seul fait de gérer des fonds, des valeurs ou des biens dans ce but. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies vont d’ailleurs dans le même sens.

Pour obtenir la libération d’un otage, les autorités sont donc face à un problème contradictoire : financer des organisations terroristes ou ne pas assumer la protection que doit chaque pays à ses ressortissants – le « droit à la vie » tel qu’il est défini par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Mais en est-il de même si l’otage est un système informatique ? Continue reading

Le commissaire François Thierry sera-t-il jugé par une cour d’assises ?

Dans son réquisitoire rendu le 4 juillet dernier, « que Le Monde a pu consulter », le procureur de la République de Lyon réclame le renvoi devant la cour d’assises de l’ancien chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), pour faux en écriture publique.

Le faux en écriture publique, dans une procédure pénale, est un fait parfois soulevé par les avocats pour décrédibiliser l’enquête d’un OPJ ; il est rarement retenu. Dans le cas de François Thierry, les choses se compliquent, car ce faux serait la conséquence d’une « fausse garde à vue ». Ou le contraire.

On est là dans les méandres de la procédure pénale : pour faire tenir une infraction qui n’existe pas, on se rabat sur une autre infraction. Et on shake !

Que reproche-t-on au commissaire ? En 2012, il aurait raconté des bobards au juge des libertés et de la détention (JLD) de Nancy pour extraire de cellule son indicateur, un certain Sofiane Hambli, dit La Chimère, et, sous couvert d’une enquête imaginaire, il l’aurait placé en garde à vue. Une garde à vue qui aurait été prolongée à deux ou trois reprises par ce magistrat à la demande pressante de deux procureures parisiennes.

Durant cette garde à vue, le bonhomme aurait été hébergé dans un hôtel de Nanterre, à proximité du siège de l’Office des stups, d’où il aurait coordonné une livraison de plusieurs tonnes de cannabis sur la côte andalouse, à destination de notre beau pays. C’est l’opération Myrmidon (Marmiton, pour les initiés) : une « livraison surveillée » (LS), menée dans les limites (extrêmes) du code de procédure pénale.

Ces faits ont été dénoncés en 2017 par un certain Hubert Avoine, 56 ans, indic professionnel, recruté, non pas par le Bureau des légendes, mais par le Bureau des sources, un service rattaché au SIAT (service interministériel d’assistance technique), à l’époque où le commissaire Thierry en était le patron. C’est à la demande de ce policier, devenu chef de l’OCRTIS, qu’Avoine aurait participé à cette opération saugrenue. (Sur ce blog : La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…)

On imagine la scène : par une nuit sans lune, sous un ciel sans étoiles, une dizaine d’hommes cagoulés, policiers et trafiquants à tu et à toi, entourent de mystérieuses embarcations échouées sur la plage d’Estepona et déchargent des dizaines, des centaines de ballots de cannabis qu’ils entreposent dans une maison louée pour la circonstance avant qu’ils ne soient acheminés vers la France par des « go fast »…

On ne sait pas ce qu’ont touché les autres, mais, pour cette « mission », Avoine a pris du blé Continue reading

Le « beau mec » vous salue bien !

Lucien Aimé-Blanc allait avoir 85 ans. Il vient de mourir, probablement fatigué de vivre sans Martine, sa compagne, disparue il y a peu. Lulu, comme ses collègues l’appelaient affectueusement, a été le flic de PJ le plus emblématique et le plus controversé des générations précédentes ; mais il ne laissait jamais personne indifférent.

Il était de ces personnages qui prennent toute la lumière.

Commissaire-adjoint de la Ville de Paris au début des années soixante, François Le Mouël en fait son second, en 1968, pour diriger la brigade antigang qui, au 36 Quai des Orfèvres, vient de remplacer la section de recherche et d’intervention. Par la suite, Lucien le suivra de l’autre côté de la Seine, au 127 Faubourg-Saint-Honoré, siège de l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants). C’est l’époque de la French Connection. Après le coup de sang du président Nixon, l’objectif premier est le démantèlement de l’organisation mafieuse qui, depuis la cité phocéenne, alimente les États-Unis en héroïne. En 1976, durant quelques mois, Aimé-Blanc deviendra responsable de la section stups au SRPJ de Marseille, sa ville natale. Ses relations de confiance avec le juge Pierre Michel (assassiné en 1981) renforceront l’efficacité du système police-justice.

Mais Lucien Aimé-Blanc prendra réellement son envol à partir de janvier 1977, lorsqu’il reviendra au « 127 », comme chef de l’OCRB (Office central pour la répression du banditisme). Assisté du commissaire Charles Pellegrini et d’une poignée d’inspecteurs aux épaules solides, son service sera de toutes les affaires de grand banditisme des années suivantes. On peut dire qu’il fera son domaine personnel de la traque de Jacques Mesrine, remuant tous ses indics pour détecter un bout de piste. Et il en trouvera un qui, indirectement, et après des semaines d’investigations et de surveillances, va lui permettre de localiser la planque de l’ennemi public n°1. Mais Mesrine est devenu un enjeu politique et le directeur central, Maurice Bouvier, coincé entre l’estime qu’il porte à son collaborateur et la crainte d’un dérapage, préfère jouer la prudence : il organise une réunion à laquelle participent entre autres le commissaire Robert Broussard et le procureur de la République de Paris. C’est ainsi que, pour la première fois, j’entends un magistrat affirmer que les policiers se trouvent en état de légitime défense permanent au vu de la dangerosité d’un individu – autrement dit, vous avez le droit de tirer à vue !

C’est exactement ce qui arrivera : le 2 novembre 1979, Jacques Mesrine est criblé de balles au volant de sa voiture. Continue reading

Fin du procès Pastor : le droit, à la virgule près

Dans le procès Pastor, la cour d’assises des Bouches-du-Rhône va bientôt rendre son verdict. Pourtant, malgré les comptes rendus détaillés des chroniqueurs judiciaires, l’affaire reste encore bien mystérieuse. Mais, quel que soit le degré de culpabilité reconnu aux accusés, il restera un sentiment de dégoût devant un double assassinat fomenté sur l’argent. Tant d’argent que c’en est indécent.

La diffusion de l’enregistrement des aveux de Wojciech Janowski obtenus lors de sa garde à vue a été l’élément clé des débats. Et il est fort probable que les propos tenus devant l’OPJ, par celui qui est considéré comme l’instigateur de ces crimes, influeront directement sur la décision des jurés et de la cour.

Pascal Guichard, le président de la Cour d’assises, a surpris tout son monde en décidant de diffuser cette vidéo, après que Wojciech Janowski ait dénoncé avec véhémence les conditions inhospitalières de son séjour prolongé dans les locaux de la PJ niçoise. D’après Pascale Robert-Diard, qui suit le procès pour Le Monde, à l’issue de la projection, son avocat, Me Dupond-Moretti, aurait quitté la salle d’audience sans un regard pour son client.

Mais au fait, le président de la cour d’assises avait-il le droit de diffuser cet enregistrement ? Personne ne semble s’être posé la question. Vous me direz, c’est juste un point de droit, mais il pourrait peser sur l’avenir judiciaire de l’accusé.

 

Hélène Pastor, Monégasque à la tête d’une succession immobilière colossale, et son chauffeur Mohamed Darwich, ont tous deux été mortellement blessés, par des plombs de chasse, le 6 mai 2014, devant l’hôpital l’Archet à Nice. Les caméras de vidéosurveillance montrent que le guet-apens est le fait de deux hommes dont l’un est armé d’un fusil de chasse à canons superposés et crosse sciée.

L’enquête est confiée à l’antenne de PJ de Nice.

En vieux routier de la lutte antiterroriste, le commissaire divisionnaire Continue reading

La BRI de Nice a 40 ans

Quelques-uns ne sont plus là, les autres ont des cheveux blancs, mais il y a 40 ans, ils étaient pleins de fougue ces flics venus des quatre coins de France pour mettre sur pied la brigade antigang de Nice. Et pourtant, ils ont été accueillis à reculons : le poil à gratter dans un système qui ronronnait.

Le 28 septembre 1978, un arrêté publié au J.O. porte « création d’une antenne de l’office central pour la répression du banditisme à Nice ». La BRI « Nice-Côte d’Azur » (appellation non contrôlée) est née d’un entretien plutôt caustique dans le cabinet du ministre de l’Intérieur. Après une série de règlements de comptes, le casse de la Société Générale, en 1976 ; et la disparition, l’année suivante, d’Agnès Le Roux la fille de la patronne du casino du Palais de la Méditerranée, Christian Bonnet interpelle Maurice Bouvier : « Le Président s’inquiète de la situation à Nice… Que comptez-vous faire, M. le directeur central ? ». Pris de court, Bouvier mastique sa pipe avant de rétorquer : « Justement, j’envisageais de créer une brigade antigang. » Ne jamais rester sec, c’est l’essence d’un patron !

Une partie de l’équipe de la BRI de Nice (1979)

Il faut avouer que Giscard d’Estaing n’avait pas tort de s’inquiéter : en matière de grand banditisme, les années 1970 étaient particulièrement chaudes, et pas uniquement dans le sud-est de la France…

Après le démantèlement de la French Connection, le Milieu se cherche de nouveaux chefs. Pour mieux se faire entendre, les Zampa, Imbert, Vanverberghe et autres, utilisent des arguments de plomb. La PJ, comme au stand de tir, se contente de monter aux résultats. Et tandis qu’à Paris, les frères Zemour fêtent la faillite annoncée du gang des Siciliens, après la mort brutale de Jean-Claude Vella, dit Petites-pattes, et de Marcel Gauthier, révolvérisé à Nice ; qu’à Lyon la police panse ses plaies après une affaire de corruption où se mêlent banditisme et politique, et que la justice se perd en conjectures sur les raisons de l’assassinat du juge François Renaud, des réseaux mafieux s’implantent sur la Côte d’Azur et font de Nice la plaque tournante du blanchiment de l’argent du crime. Le fric attire les voyous comme un tue-mouches. Continue reading

L'affaire Empain par le trou de la serrure, acte IV : Rien ne sera plus comme avant

Après sa libération, le baron Empain pensait être accueilli un peu comme un naufragé que l’on serre fort dans ses bras, à son premier pas sur la terre ferme. Ce fut exactement le contraire. L’amour de sa femme s’était évaporé au fil des révélations sur sa vie privée et, au sein de son entreprise, on était déjà passé à autre chose : après 63 jours de captivité, le baron Édouard-Jean Empain n’existait plus. Après avoir été séquestré, mutilé, martyrisé, comment admettre que son monde a tourné la page !… Plus d’un aurait craqué.

Empain est parti aux États-Unis, sac au dos. Une sorte de voyage initiatique. Une initiation à la vie. L’histoire ne dit pas s’il a fait un crochet par Vegas, mais c’est probable, car, après sa libération, sa réaction primaire a été : on m’a enlevé parce que j’avais du fric, je vais tout claquer.

 

« Au lieu de me parler d’amour, on m’a mis sous le nez ma vie privée »

Six mois plus tard, Édouard-Jean Empain est de retour. Il donne une conférence de presse pour montrer qu’il existe toujours et qu’il compte bien reprendre la présidence de son groupe. Il se veut consensuel, mais le pli de la bouche est amer. Il félicite René Engen, l’homme qu’il a tiré de « sa » verrerie, dix ans plus tôt, pour en faire son directeur général, et qui, durant son absence, a su maintenir le groupe à flot. Mais en même temps, il déclare qu’on a voulu l’écarter, lui, le trublion de l’establishment. Il remercie la police de l’avoir sauvé, « mais ce qu’elle a trouvé dans mes tiroirs, il n’était pas utile d’en faire part à ma famille ».

Pour reprendre le collier, il cherche à dédramatiser, mais à l’évidence, il n’arrive pas à passer l’éponge. Les autres non plus. Les portes se ferment. Ses relations avec René Engen se détériorent. Son refus de payer la rançon est comme un cactus entre les deux hommes, même si Engen se défend, affirmant qu’il lui a probablement sauvé la vie.

Sa vie ! C’est une question qui doit vibrionner dans la tête du baron : une fois la rançon versée, ses ravisseurs l’auraient-ils éliminé ? Ce n’est pas sûr. Il ne représentait pas un danger pour eux dans la mesure où il n’a jamais vu leur visage et, sans le concours (involontaire) d’Alain Caillol et celui de la DST, les policiers n’auraient même pas pu retrouver la villa où il était séquestré.

Il s’en est sorti vivant, mais c’est un homme cassé. Continue reading

L’affaire Empain par le trou de la serrure, acte II : Flingage sur l’autoroute du soleil

Le PDG d’un groupe industriel qui pèse 22 milliards de francs a vraisemblablement un agenda chargé. Mais le 23 janvier 1978, à 10 h 30, tout s’arrête pour Édouard-Jean Empain. Ce qui était important ne l’est plus, lorsqu’il se retrouve couché au fond de sa propre voiture, une cagoule sur la tête. À ce moment-là, il est persuadé qu’il part pour son dernier voyage. Il en reviendra, mais il ne s’en relèvera pas.

Il est conduit dans une maison en ruines, du moins sous sa cagoule l’imagine-t-il, sans eau, sans électricité. En guise de bienvenue, on lui dit : On va vous couper un doigt. Et en fait, il a tellement cru que sa dernière heure était arrivée, que ces mots pourtant terribles le rassurent. « Tout ce qui n’est pas pire est mieux que le pire », se plaît-il à dire. Il est placé sous une tente, des chaînes aux poignets, aux chevilles et au cou, comme les bagnards, dans les livres de notre jeunesse.

Il va rester là un mois, sans aucune hygiène, avec des repas de misère et l’obligation d’enfiler sa cagoule dès que quelqu’un approche. « Si tu nous vois, t’es mort ! »

Cette cagoule, il la portera jusqu’au dernier moment, lors de sa libération. Ce soir-là, 63 jours plus tard, ses ravisseurs le déposent sur un coin de trottoir. « T’es libre ! » Il n’y croit pas. Pourtant, il entend la voiture s’éloigner. Non sans crainte, il soulève sa cagoule : « Je me dis, on va entendre boum, boum ! Et c’est fini. » Rien. C’est la première chose interdite qu’il ose faire depuis deux mois (Faites entrer l’accusé, 2005).

Mais revenons en arrière…

Un bout de doigt

Dès le lendemain de son kidnapping, un bref coup de fil parvient au siège de l’entreprise : « Les instructions sont dans la consigne 595 de la gare de Lyon. » C’est Jean-Jacques Bierry, l’ami le plus proche d’Empain, qui se rend sur place. Il est accompagné d’un policier, tandis que d’autres surveillent les alentours. Les ravisseurs exigent une rançon extravagante : 80 millions de francs. Leur revendication est accompagnée d’un petit flacon contenant la phalange d’un doigt. Le policier, se fiant à son expérience, se veut rassurant : « Vous savez, ils ont sans doute coupé le doigt d’un cadavre pour vous impressionner. Il n’y a aucune raison que ce soit lui. » Mais il ne convainc pas son interlocuteur : « J’ai vu tout de suite que c’était lui, il se rongeait les ongles », dira-t-il plus tard, en privé.

Pour les enquêteurs de la brigade criminelle, c’est la première fois qu’un otage est mutilé avant même le début des négociations.

Cette rapidité des ravisseurs à se manifester et cette preuve incontestable, coupent l’herbe sous les pieds des farfelus qui tentent de prendre l’affaire à leur compte, comme les Noyaux armés pour l’autonomie populaire (NAPAP), qui, sinon, auraient pu être crédibles, surtout après l’enlèvement et l’assassinat de Hanns Martin Schleyer, le patron des patrons, l’année précédente, en Allemagne.

Les flics sont dans le vent

Les enquêteurs se trouvent dans cette situation étrange où, malgré la demande de rançon, ils ne parviennent pas à dresser un profil des ravisseurs – et certains d’entre eux, dubitatifs, doutent même de l’authenticité de ce kidnapping hors norme. Continue reading

« Older posts

© 2025 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑