Aujourd’hui, on doit connaître les joueurs sélectionnés pour la Coupe du monde de football, mais d’autres personnages piaffent dans les starting-blocks : ceux qui attendent les jeux en ligne. Même si les choses ont pris un peu de
retard, à cause de Malte, qui ne voit pas d’un bon œil lui échapper les « clandés » qui prospèrent sur son sol, c’est promis juré, avant le premier coup de sifflet de l’arbitre, les jeux seront faits. Juste deux ou trois obstacles juridiques à franchir et l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), délivrera les premières licences. Pour l’instant cela concerne le poker, les paris sportifs et les paris hippiques.
Dans les coulisses, dans le monde de la finance et de la politique, on imagine les pourparlers, les négociations, le donnant, donnant…
Car, même si Charles Pasqua a été blanchi dans l’affaire du casino d’Annemasse, on sait bien que les jeux d’argent et la politique sont inséparables.
Cette masse de billets que génèrent les casinos a toujours suscité convoitises et tentations. Et comme ces entreprises « à part » ont besoin d’autorisations administratives, on imagine les magouilles… En sera-t-il de même avec les jeux virtuels ?
Si aujourd’hui la guerre commerciale est ouverte, en tout cas, la guerre des jeux n’est pas un long fleuve tranquille, loin s’en faut. Voici deux exemples, parmi tant d’autres, l’un, vieux de plusieurs dizaines d’années, l’autre, plus récent.
Dans les années 70, grandes manœuvres pour l’ouverture d’un deuxième casino à Nice, le Ruhl. Le 13° de la Côte d’Azur. Chiffre qui ne portera pas chance à tout le monde. C’est Jean-Dominique Fratoni, dit Jean-Do, qui mène la danse. Le bonhomme est ambigu. Il cultive les relations mais il n’a sans doute pas les épaules pour agir de son propre chef. Derrière, on subodore des hommes puissants…
Jean Bozi, un ancien député UDR, appuie la demande d’agrément. Or Bozi est
également un proche de Marcel Francisci, qui est lui-même un ami d’Alexandre Sanguinetti, lequel roule dans le sillage de Roger Frey. Pour situer les personnages, les années précédentes, alors que le pays est déstabilisé par la fin de « l’Algérie française », Frey est ministre de l’Intérieur et à ses côtés Alexandre Sanguinetti recrute des gros bras dans la pègre pour lutter contre l’OAS. Il est d’ailleurs l’un des fondateurs du SAC (service d’action civique) avec Charles Pasqua et Etienne Léandri, association 1901 destinée à l’origine à soutenir la politique de De Gaulle, et téléguidée en sous-marin par Jacques Foccart.
Pour en revenir au Ruhl, Jacques Médecin, le maire de Nice, n’est pas en reste. Il veut que sa ville supplante Monaco. Il rajoute au pot et accorde même à Fratoni une réduction importante sur le montant des taxes qu’il doit régler à la commune. Tandis que son concurrent, situé à moins de trois cents mètres, Le Palais de la Méditerranée, paie plein pot.
En fait, il n’y a pas la place pour deux casinos à Nice. Rapidement, les hostilités sont ouvertes. Ainsi, en 1975, un mystérieux groupe de joueurs italiens fait pratiquement sauter la banque du Palais dans des circonstances qui n’ont jamais été vraiment élucidées.
Mais Fratoni a beau se démener, la mayonnaise ne prend pas, et malgré le renflouement d’Alain Delon, le Ruhl connaît rapidement de sérieuses difficultés financières.
Raison qui explique la tentative de prendre le contrôle du Palais de la Méditerranée, via les actions détenues par la fille de sa dirigeante, Renée le Roux. On connaît la suite: la disparition d’Agnès Le Roux qui a conduit, plus de trente ans plus tard, son amant, l’avocat Maurice Agnelet, à être condamné à vingt ans de réclusion criminelle – sans pour cela qu’on n’en sache plus sur cette affaire.
À cette époque, derrière chaque casino, on devine l’ombre de Marcel Francisci ou de son concurrent, Baptiste Andréani. Entre les deux, une ribambelle de cadavres.
Mais indiscutablement, c’est Francisi qui porte la couronne. Jusqu’en 1981, où ses ennuis commencent avec le nouveau ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre. Il n’en verra pas le bout. Il est tué dans le parking de son immeuble, à Paris, en janvier 82. Trois balles de 11.43, à bout touchant. Les soupçons des enquêteurs se portent sur ses anciens associés, les frères Zemour. Sans preuve. Mais il semble que d’autres ne s’embarrassent pas de ces détails: Edgard Zemour est abattu l’année suivante, à Miami, en Floride, où il s’est retiré ; et Gilbert Zemour quelques mois plus tard. Deux balles de 357 alors qu’il promenait ses quatre caniches. Et une dernière, pour la route, le canon de l’arme sous le menton.
On peut se dire, bon, tout ça c’est de l’histoire ancienne…
Alors, parlons du cercle Concorde. Cette maison de jeu de la rue Cadet, à Paris, a obtenu une autorisation d’ouverture en novembre 2006, alors qu’à cette époque l’établissement était dans le collimateur des policiers. Ceux-ci enquêtaient (entre autres) sur un flingage qui avait eu lieu quelques mois auparavant à Marseille, à la brasserie des Marronniers. Quatorze balles, trois morts. Lorsque les enquêteurs déterminent qu’un certain Paul Lantieri pourrait être l’un des instigateurs de ce règlement de comptes, finauds, ils font le rapprochement avec le cercle Concorde. Car le bonhomme, qui possède pas mal d’établissements de toutes sortes sur l’Île de Beauté, est également propriétaire du restaurant qui jouxte le cercle de jeux. Il est arrêté en janvier 2007 et mis en examen pour association de malfaiteurs. Bizarrement, il est laissé libre. Dès lors, la PJ ne le lâche plus d’une semelle. Ce qui va permettre aux enquêteurs un sacré coup de filet dans lequel se prendront au passage un banquier suisse, un ancien capitaine de gendarmerie et un vieux de la vieille du milieu marseillais : Roland Cassone.
Pour le folklore, celui-ci est arrêté alors qu’il taille la haie de son jardin, un flingue dans la ceinture et le gilet pare-balles à portée de la main. Un rôle en or pour le regretté Paul Meurisse.
En janvier 2008, l’Express s’interrogeait : « Il reste à comprendre pourquoi Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a autorisé l’ouverture de la maison de jeux avec à sa tête ce sulfureux attelage à l’automne 2006, et pourquoi Michèle Alliot-Marie a renouvelé cette autorisation un an après. Dans les écoutes, l’un des suspects fait allusion à un ancien ministre proche de Charles Pasqua et de Sarkozy ».
Depuis des lustres, la roulette est interdite en région parisienne, pour éviter, disait-on dans le temps, que les ouvriers n’y laissent leur paie. Aujourd’hui, le poker, boosté par des stars du showbiz et soigneusement mis en scène par la télévision, notamment Canal +, a changé la donne. Sa popularité renforce l’attrait des salles de jeux parisiennes. Businessmen et voyous s’en pourlèchent les babines.
Que va-t-il se passer lorsque les jeux en ligne vont s’ouvrir légalement aux Français ?
Pour l’instant, il paraît que le combat est acharné. L’objectif est de figurer à tout prix dans le peloton de tête, quitte à perdre de l’argent au départ. Car les gains espérés sont énormes.
Mais si tous les coups sont permis – on n’en est pas encore aux coups de calibre.
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