LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Affaires criminelles (Page 3 of 12)

Lorsque le droit sert le criminel

C’était un mercredi, il y a une quarantaine d’années. En fin d’après-midi, trois individus armés font irruption au Crédit Agricole de Villefort, en Lozère, et s’emparent d’une somme d’environ 50 000 francs avant de prendre la fuite à bord d’un véhicule volé le matin même, une DS Citroën de couleur vert foncé. Dans leur fuite, sur une petite route de campagne, ils croisent une estafette de gendarmerie. À bord, deux jeunes gendarmes qui terminent une patrouille de routine. Les deux véhiculent se frôlent. Les gendarmes continuent leur route. Mais un peu plus loin, un homme leur signale que ce véhicule a percuté le sien, sans même s’arrêter. Il leur donne le numéro minéralogique. Les gendarmes cherchent un point haut dans la campagne, tant pour obtenir une meilleure liaison radio, afin d’identifier le véhicule, que pour surveiller les alentours. C’est alors que la DS surgit et stoppe, pare-chocs collé à l’estafette. Deux hommes à bord. Au volant Pierre Conty. Les choses vont très vite. Il descend, un pistolet-mitrailleur à la hanche : la première rafale atteint le gendarme Dany Luczak. Six balles lui déchirent le ventre. Pendant ce temps, le passager, Stéphane Viaux-Péccat, passe le buste par la vitre ouverte et tire à l’aide d’un fusil à canon scié. Le second gendarme, Henri Klinz se dissimule comme il peut. Mais Conty a contourné l’estafette et lui arrive dans le dos. Il appuie sur la détente et, miracle ! la septième balle explose dans la chambre. Henri Klinz ne l’apprendra que plus tard, à l’issue de l’expertise de l’arme. Pour l’heure, il lève les mains haut vers le ciel. « Le pistolet-mitrailleur toujours à la hanche, il me braquait. », raconte le survivant, dans son livre-enquête, Mon témoignage sur l’affaire Pierre Conty, le tueur fou de l’Ardèche (Éditions Mareuil, 2017). Tout en s’éloignant, Conty ordonne à son complice de le « descendre ». Celui-ci fait alors un choix inattendu : « Casse-toi », lui murmure-t-il en lui désignant le ravin tout proche. « J’ai sauté dans le bas-côté, raconte Henri Klinz, glissant sur une dizaine de mètres entre les châtaigniers où je me suis couché. » Puis Viaux-Péccat a tiré dans sa direction, mais beaucoup trop haut, sans risque de l’atteindre.

Dans la fuite des malfaiteurs, deux autres personnes seront abattues par Conty. Froidement. Sans raison. Continue reading

Affaire Grégory : une mère de famille devant le tribunal pour enfants

Finalement, Murielle Bolle est sortie de prison. Les arguments de Jean-Jacques Bosc, le procureur général de Dijon, qui avait demandé son maintien en détention « pour les nécessités de l’enquête et l’efficacité des actes à venir », n’ont pas été convaincants.

Cette requête était assez incompréhensible dans la mesure où les contraintes du contrôle judiciaire sont justement faites pour éviter ce genre de situations. Trop souvent, la justice ferme les yeux sur l’article 137 du code de procédure pénale qui rappelle que si une personne mise en examen et présumée innocente peut être mise en détention, ce n’est qu’à titre exceptionnel. La pratique montre qu’on est loin du compte. Mais dans le cas présent, il est quand même difficile de penser que les suspects vont détruire des preuves d’une affaire passée au tamis depuis plus de trente ans, ou qu’elles vont soudain se rendre coupables d’une « concertation frauduleuse », comme il est dit à l’article 147 du code de procédure pénale.

On a l’impression que les mesures d’isolement imposées aux trois personnes actuellement mises en examen sont plutôt destinées à les éloigner de la curiosité des médias.  Chat échaudé…

Il faut bien reconnaître que l’on voit rarement autant de précautions pour préserver le secret de l’instruction… Mais si l’on veut se faire une idée de la tournure prise par l’enquête, il faut comparer la qualification retenue par la justice. On est passé de l’assassinat (meurtre avec préméditation) à enlèvement suivi de mort. Une infraction tout aussi grave puisque la victime est un enfant : réclusion criminelle à perpétuité.

Quelques années plus tôt, avant 1981, c’était l’article 355 du code pénal qui aurait été applicable. Il se terminait ainsi : « L’enlèvement emportera la peine de mort s’il a été suivi de la mort du mineur. » Continue reading

Dans l’affaire Grégory, avec le temps le piège des faux souvenirs

Si l’enquête sur l’assassinat de Grégory Villemin s’arrêtait aujourd’hui, elle serait prescrite en 2037. Et tout nouvel acte durant ce délai, même émanant de la partie civile, c’est-à-dire de la famille de la petite victime, ferait courir un nouveau délai de prescription d’une durée de vingt ans.

C’est ce qu’il ressort de la nouvelle loi sur la prescription pénale du 27 février 2017. Auparavant, le délai de prescription en matière criminelle était de dix ans, mais dans les faits, cela ne change pas grand-chose, car certains dossiers semblent ne jamais se prescrire, comme la mort du ministre Robert Boulin (1979) ou l’attentat antisémite de la rue des Rosiers (1982).

Mais l’affaire Grégory est d’une autre dimension. Je le dis avec respect pour la famille, mais pour les gendarmes comme pour les magistrats, c’est devenu un challenge. C’est plus avec un esprit de revanche que de justice, comme le dit le juge Lambert dans sa lettre posthume, que ceux qui ont failli il y a trente ans, ou plutôt leurs successeurs, ont rouvert le dossier.

On nous a dit alors qu’un mystérieux logiciel avait analysé des milliers de procès-verbaux Continue reading

Le droit au silence : parlons-en !

Lors du dernier rebondissement de l’enquête sur l’assassinat du petit Grégory, le procureur général de Dijon a déclaré que les époux Jacob, l’oncle et la tante de l’enfant, avaient fait usage de leur « droit au silence ». Une expression reprise par la presse, le plus souvent sans plus d’explication, ce qui a amené nombre de gens à se demander comment cela était possible.

D’après un dessin de Gotlib dans « Trucs-en-vrac »

Autrement dit, dans une affaire aussi grave, comment admettre que des suspects, placés en garde à vue, refusent de répondre aux enquêteurs ! Une question que l’on s’était déjà posée face au mutisme de Salah Abdeslam, actuellement en détention provisoire dans le cadre de l’information judiciaire sur les attentats du 13 novembre 2015.

Il est vrai que l’on peut tout aussi bien inverser ce type d’interrogation : comment obliger quelqu’un à parler ?

En France, si la torture n’est plus de mise, du moins depuis la fin du conflit algérien, le code de procédure pénale ne reconnaît le droit au silence que depuis la loi du 15 juin 2000, une réforme capitale portée par Élisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, qui renforce la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Même si à l’époque les mauvaises langues ont parlé d’une loi rose bonbon, la première femme à avoir été nommée à la tête d’un ministère régalien a ainsi marqué son passage. En effet, qu’on le veuille ou non, cette loi du gouvernement Jospin a été un pas vers une justice plus respectueuse de l’être humain, auteur ou victime.

Inutile de dire que les syndicats de police sont partis vent debout contre cette réforme. Comment obtenir des aveux d’un suspect si on doit lui dire qu’il a « le droit de ne pas répondre aux questions » ont-ils fait valoir ! Continue reading

Le dernier tour de piste de Carlos

Ces jours-ci, Ilitch Ramirez Sanchez cabotine devant la presse alors qu’il est jugé pour un attentat à la grenade qui a fait deux morts et 34 blessés. Malgré les rides et son visage rondouillard, le bonhomme n’a pas changé : il n’a jamais eu aucun respect pour la vie humaine. Celui qui a terrorisé la France, il y a de cela plusieurs dizaines d’années, ressemble aujourd’hui à un clown qui ne fait rire personne.

Le personnage est apparu au grand jour en 1975, après avoir tué froidement trois hommes, dont deux policiers, et en avoir blessé gravement un autre.

C’était le vendredi 27 juin 1975. Au 13 de la rue des Saussaies, le siège de la DST, l’ambiance est décontractée. Certains se préparent à partir en vacances, d’autres, en week-end. Il y a même un pot pour fêter l’événement et pour marquer le départ à la retraite d’un fonctionnaire de la division B2, celle en charge du terrorisme international. Mais dans la cour, dans les locaux de garde à vue, il y a un certain Michel Wahab Moukharbal, dit Chiquitin, un Libanais de 25 ans que la division de surveillance avait pris en filature depuis sa descente d’avion, à Orly, deux semaines plus tôt.

Une filature qui les avait conduits dans une rue étroite derrière la Sorbonne. Devant l’immeuble du n° 9 de la rue Toullier. Là, un homme attendait. Contact. C’est Carlos – mais personne ne le connaît.

C’est ainsi que cette adresse a été enregistrée par les enquêteurs de la DST Continue reading

Des policiers, larme à l’œil, sous le feu des applaudissements… la révolution n’est pas loin

La presse se répète un peu dans l’après 11-Janvier, les politiques mouillent le doigt pour prendre le vent, les analystes nous abreuvent d’idées réductrices et la vie reprend – mais pas comme avant.

Agent CharlieNormal, lorsque près de 4 millions de personnes relèvent la tête pour dire ça suffit, il y a nécessairement un avant et un après.

Pour envisager l’après, il n’est peut-être pas inutile de se souvenir de l’avant…

C’est au début des années 90 qu’apparaît pour la première fois l’expression « sécurité intérieure » dans un texte officiel, un décret qui installe un service destiné à la réflexion et à la recherche créé deux ans plus tôt par Pierre Joxe : l’Institut des hautes études de sécurité intérieure.

Mais rapidement la sécurité intérieure va devenir un enjeu politique. Ce qui, dans les années suivantes, conduit à autant de dispositions m’as-tu-vu qu’à des mesures sérieuses. Parmi ces dernières, certaines entraînent de sérieux bouleversements dans les services de l’État Continue reading

Affaire Le Roux : 35 ans d’enquête

Pour la troisième fois, l’ex-avocat Maurice Agnelet passe devant une cour d’assises pour le meurtre de sa maîtresse Agnès Le Roux, riche héritière du Palais de la Méditerranée, à Nice. Un procès qui se déroule à Rennes et qui devrait durer quatre semaines.

« Je me suis souvent demandé par exemple si Dieu régnait sur les chiffres. » (Jeanne Moreau dans La Baie des Anges, 1962)

L’affaire démarre le 22 octobre 1977. Ce jour-là, Madame Renée Le Roux écrit au procureur de Nice pour signaler qu’elle est sans nouvelles de sa fille depuis plusieurs semaines. Personne, ni au parquet ni au commissariat, ne prend la chose au sérieux : Agnès est considérée comme une fugueuse d’habitude et ses relations avec sa mère sont exécrables.

D’autant que quelques mois plus tôt, lors du conseil d’administration pour renouveler le mandat du PDG du Palais, la jeune femme avait voté contre elle. Et Renée Le Roux avait dû laisser la place à son concurrent direct, le sulfureux patron du tout nouveau casino Le Ruhl (voir les différents billets sur ce blog). Continue reading

Garde à vue : cumul et saucissonnage

L’ex-policier municipal suspecté dans l’enquête sur le quadruple meurtre de Chevaline a été blanchi après trois jours de garde à vue. Mais il n’a pas été libéré, enchaînant une nouvelle garde à vue pour une affaire incidente. Une même personne peut-elle ainsi être placée sous contrainte de police plusieurs fois et sans limitation de temps ou existe-t-il des garde-fous pour éviter les abus ?

ChevalineComme souvent, le précepte est fixé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dont les dispositions de l’article 5 § 3 édictent l’obligation de traduire « aussitôt » toute personne détenue devant un magistrat, dans le but de « réduire au minimum le risque d’arbitraire ».

Afin d’éviter toute tentation pour un OPJ ou un magistrat de contourner ce principe soit en fractionnant la garde à vue soit en enchaînant plusieurs gardes à vue pour des faits différents, la Cour de cassation s’est penchée à plusieurs reprises sur ce sujet. Continue reading

Retour sur l’affaire Benitez

Tout le monde s’attendait à un dénouement dans l’enquête sur la tuerie de Chevaline. Ça a fait pschitt ! Les gendarmes n’ont pas réellement progressé. En fait, il leur manque une clé : le mobile. Dans une autre affaire, à Perpignan, la disparition et probablement la mort de Madame Benitez et de sa fille, ce sont les policiers qui n’ont pas brillé. Dans les deux cas, les enquêteurs ont perdu du temps : quelques heures pour les gendarmes à Chevaline, plusieurs jours pour les policiers à Perpignan. Alors, seraient-ils moins bons que par le passé ? Il semble surtout que le poids de « l’administration » soit de plus en plus pesant dans le déroulement des investigations, ce qui bride d’autant l’initiative des hommes de terrain.

L’affaire de Perpignan est un bon exemple…

Le légionnaire Francisco Benitez s’est pendu le 5 août 2013. Si sa mort sonne comme un aveu et ne laisse aucun espoir de retrouver un jour sa femme et sa fille vivantes, elle ne résout en rien l’imbroglio qui entoure leur disparition ni le mystère qui plane autour de cet homme. Alors que la police et la justice ont eu bien du mal à se mettre en mouvement, aujourd’hui, se sont plusieurs groupes d’enquêteurs de la police judiciaire qui travaillent sur ce dossier. Et il pourrait bien réserver des surprises. Continue reading

Vous avez le droit de garder le silence

Abdelhakim Dekhar a revendiqué son « droit au silence ». Même s’il paraît peu vraisemblable que la petite phrase reprise par les médias soit sortie de sa bouche. On a plutôt l’impression du discours militant d’un avocat revendiquant l’accès au dossier.

Extrait de Trucs-en-vrac de Gotlib

Extrait de Trucs-en-vrac de Gotlib

En garde à vue, les personnes soupçonnées d’un crime ou d’un délit ont le droit de se taire. Dommage, il n’existe pas la même chose pour imposer le silence à ces experts et autres criminologues qui, à chaque affaire criminelle, se lancent dans des exposés oraculaires.

La Convention européenne des droits de l’homme considère depuis longtemps que « le droit de se taire lors d’un interrogatoire de police et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination » sont des normes internationales, au cœur d’un procès équitable (aff. Murray/ Royaume-Uni, 1996). Continue reading

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