LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Actualité (Page 44 of 71)

L'homme qui valait 11 millions

Le casse du siècle, en France, a été celui de la Société générale de Nice. C’était en 1976. Avec un préjudice estimé à 50 millions de francs, mais ce butin était en partie constitué de bijoux, de titres, etc. Les voleurs ont dû en tirer, allez, disons 4 ou 5 fois moins. la-grosse-caisse_dvdtoile.jpgD’ailleurs, le cerveau de ce casse, Albert Spaggiari, est mort sans le sou, en 1989.

Donc ici, il y aurait un certain Tony Musulin qui aurait fait main basse sur une montagne de billets de banque ! Et le bougre, nous dit la presse, a calculé son coup de longue date. Au point de simuler le vol de sa Ferrari et de susciter une embrouille avec ses collègues pour faire équipe avec des bleus. Entre temps, il a vidé son compte en banque, il a vidé son appartement, pour finalement vider les lieux… Du travail d’artiste. On pense un peu au poinçonneur du métro, le père Bourdin (Bourvil), dans le film La grosse caisse (surnom donné à la rame qui transporte des fonds), lequel imagine, dans un polar bien ficelé, comment faire main basse sur cette fortune qui tous les jours lui passe sous le nez.

Mais après avoir échafaudé ce coup du siècle, après avoir minutieusement étudié chaque détail, et surtout après l’avoir exécuté sans bavure, on se demande une chose : qu’a-t-il prévu de faire, le convoyeur de fonds, de tout cet argent ?

Personnellement, deux fois dans ma carrière je me suis posé la question. Une fois, à deux pas de la frontière italienne, après avoir récupéré la rançon d’un otage. Bof, même pas l’équivalent d’un million d’euros. Ça ne valait pas le coup ! Une autre fois au cours d’une fusillade dans les rues de Paris. J’étais tout jeune commissaire. Un gars de la BRI, impatient de participer à l’action, m’a confié un sac d’environ un mètre de haut rempli de petites coupures. « Tiens, garde-ça, toi ! » m’a-t-il dit. Alors qu’il ne me connaissait même pas. Combien il pouvait y avoir ? Beaucoup. Beaucoup trop pour moi. Pourtant un moment, j’ai rêvé d’une vie à faire le lézard sous les cocotiers… Tout ça pour dire que la tentation, hein… Moi j‘ai résisté, mais sans mérite : l’argent n’a jamais été mon moteur. C’est sans doute pour ça que je suis resté honnête…

Pour en revenir à notre affaire : Avez-vous déjà essayé de payer vos courses avec un billet de 200 € ? En général la caissière appelle son chef, deux ou trois personnes viennent examiner votre billet dans tous les sens… Tout juste si on ne vous demande pas une pièce d’identité… Quant aux billets de 500, qui circulent assez couramment en Allemagne, peu de Français peuvent se vanter d’en avoir vus. Et de toute manière aucun commerçant ne les accepte. Et si vous en avez un, la seule solution est de le déposer à la banque – qui aussi sec vous dénoncera à TRACFIN.

Est-ce qu’il sait tout ça, Monsieur Musulin ?

Bon, vous me direz, y’a longtemps qu’il a passé la frontière avec ses biffetons. Oui mais voilà, depuis que les paradis fiscaux ont été désignés comme les principaux responsables (avec les traders) de la crise financière, les paradis, c’est l’enfer ! Pas question d’aller déposer ses petits millions chez nos amis suisses. Déjà qu’ils ont Polanski sur les bras, y vont pas en plus se récupérer Musulin…

J’ai lu quelque part qu’un policier aurait déclaré : « Il planque son magot, il se constitue prisonnier, il fait ses trois ans de placard et après, à lui la belle vie ! » voleur_20mai.net.gifEt le recel mon ami ? Un délit continu, sans prescription possible, sauf à rendre l’argent. Mais peut-on être poursuivi pour le recel d’un bien pour le vol duquel on a été condamné ?

Alors là, je donne ma langue au chat. Et puis, je vais vous dire un truc, Musulin, il n’a pas besoin de moi, il a suffisamment de fric pour se payer les services des meilleurs avocats de France.  À moins que ceux-ci refusent d’être payés en espèces !

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Le billet précédent, Police : le compte n’y est pas, a été lu 612 fois en 2 jours et a suscité 19 commentaires.

Police : le compte n'y est pas

Le ministre de l’Intérieur annonce le recrutement de 10.754 policiers et gendarmes. En fait 8.638, si on retire les personnels techniques ou administratifs. Et là-dessus, les journaux titrent sur une hausse des effectifs. Y’a comme qui dirait une erreur de calcul…

chiffres_inconnuLes policiers d’aujourd’hui sont plus diplômés que leurs aînés et bénéficient d’une formation plus longue. Les gardiens et gradés (ceux qui sont le plus souvent au contact du public), font désormais partie du corps d’encadrement et d’application, et certains possèdent des pouvoirs de police judiciaire que les anciens ne pouvaient exercer qu’après avoir atteint le grade d’inspecteur principal (capitaine). Ainsi, alors que les effectifs sont à la baisse, le nombre d’OPJ a augmenté de 25 % en 6 ans.

Dans le même temps, le corps des officiers, composé en majorité de capitaines et de commandants (84% en 2012, d’après UNSA-Police), s’affirme dans son rôle de commandement et aspire à présent à devenir un corps de direction. C’est d’ailleurs ainsi qu’il est ressenti par la base. L’autre jour, un capitaine de la brigade criminelle me racontait qu’il venait d’accueillir un brigadier-chef dans son groupe et que celui-ci l’avait salué quasi militairement, en le vouvoyant. Le vieux routier de la crim’ a remis vite fait les pendules à l’heure (je résume) : « Ici, mon coco, pas de salut, pas de vouvoiement : on est tous dans le même bateau. »

Et les commissaires me direz-vous ! Leur nombre diminue régulièrement : -16 % en 5 ans. Peu à peu, ils perdent le contact avec le terrain pour se consacrer à des tâches de gestion. Certains y trouvent leur compte et aspirent à des fonctions dans la haute administration, tandis que d’autres, déçus, lorgnent vers des administrations voisines ou vers le secteur privé. Ce corps est probablement en voie d’extinction : 40 postes seraient ouverts en 2010.  Récemment, un responsable syndical des officiers de police s’est d’ailleurs nettement interrogé sur la place des commissaires dans les structures actuelles de la police. Vous imaginez combien cela m’attriste ! Demain, lorsqu’un jeune ouvrira un livre de Simenon, il demandera : C’est quoi, un commissaire ? Et Maigret sera depuis longtemps rangé au musée de la police.

D’ailleurs, si on était allé au bout des choses dans la « militarisation » de la police, les commissaires seraient devenus des généraux, ce qui aurait grosso modo doublé le nombre de généraux en France. On n’aurait pas été très éloigné de l’armée mexicaine, non ! Ces galons, les gendarmes les ont en travers de la gorge. Ils ont gardé de cette intrusion de la fonction publique dans le monde militaire une certaine rancœur, et n’ont jamais adhéré à la moindre équivalence de grade. Doit-on comparer un commandant de police à un commandant de gendarmerie ?…

Cette réforme a probablement été voulue pour rendre les policiers plus dociles, plus disciplinés. Mais non sans opportunité, les syndicats en ont profité pour en tirer un maximum d’avantages. D’où cette aspiration par le haut.

Et aujourd’hui, il faut repeupler la base. Aussi recrute-t-on en marin-shadok_vieillegardehautetfort.jpgmajorité des adjoints de sécurité. Environ 50 % des personnels actifs prévus pour 2010. Quant à la gendarmerie, 70 % des nouveaux arrivants seront des gendarmes adjoints volontaires.

Ces bleus ne seront opérationnels qu’après leur formation, c’est-à-dire au mieux en 2011. Tandis qu’en 2010, calculette en main, il y aura environ 2.000 policiers de moins qu’en 2009.

Alors, il faut s’interroger… Il est sans doute passé le temps où l’on pouvait se permettre de créer de nouveaux services ou imposer de nouvelles contraintes, au fil de l’actualité… En cette période de disette, ne serait-il pas opportun de passer d’une gestion politique de la police, et plus ou moins arithmétique, à une gestion disons plus… pragmatique ?

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Le billet précédent, Tarnac: l’histoire sans fin a été lu 7.330 fois en 3 jours et a suscité 42 commentaires. Avec en toile de fond un véritable débat qui oscille entre la liberté de chacun et la protection de la société.

Tarnac : l'histoire sans fin

Les avocats de Julien Coupat auraient effectué une contre-enquête qui « malmène la version policière et remet en cause le travail effectué par le juge antiterroriste… ». Une note de 7 pages pour « inviter » le juge à instruire à charge et à décharge. Donc, crayons-et-taille-crayon_ecolesac-rouen.pngsous-entendu, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Fichtre, on aimerait en savoir plus ! S’agit-il réellement d’une contre-enquête ? Et si oui, effectuée par qui ? Des détectives privés ? Ou s’agit-il d’un épluchage systématique de la procédure pour en souligner les carences ? Ou tout simplement d’un coup de com’, pour attirer l’attention sur un dossier qui roupille ?

À dire vrai, si les avocats relèvent certaines incohérences dans les procès-verbaux, comme des traces de pneus ou des traces de chaussures qui ne collent pas, cela n’a pas réellement d’importance. Quel que soit le rôle qu’aurait pu tenir tel ou tel suspect, tout le monde a bien compris que cette procédure concernant le sabotage de lignes du TGV ne tient pas la route.

Et le plus rigolo, c’est que ce sont les policiers eux-mêmes qui se sont pris les pieds dans le tapis. Ainsi, Coupat et son amie sont accusés d’actes de sabotage qu’ils n’auraient pas pu commettre puisqu’au moment des faits ils auraient été sous la surveillance des enquêteurs de la DCRI…

Et derechef Me William Bourdon  de demander l’audition des policiers, sachant très bien que la DCRI est placée sous la protection du secret-défense (tiens, encore lui!); et que les policiers chargés de l’antiterrorisme peuvent être autorisés (je ne sais pas si c’est le cas ici) à ne pas mentionner leur identité dans les actes de procédures (loi du 23 janvier 2006).

On va se dire qu’ils sont nuls de chez nul à la DCRI… La peinture de leurs bureaux n’est pas encore sèche qu’ils commettent leur première bévue ! La vérité, c’est que les instructions intempestives du ministre de l’Intérieur de l’époque (MAM), les a obligés à casser une enquête qui n’était pas mûre. « La DCRI surveillait ces individus depuis longtemps », nous dit Bernard Squarcini, le patron de cette direction, dans une interview au Point du 12 mars 2009. « Nous savions ce qu’ils faisaient, avec qui ils étaient en contact – en France et à l’étranger. Assez pour savoir que ce groupe se situait dans les prémices de l’action violente (…) Quand le ministère de l’Intérieur et la justice nous l’ont demandé, nous avons communiqué nos éléments. Ils sont dans le dossier du juge. C’est pourquoi je peux vous dire qu’il n’est pas vide… »

Les avocats sont dans leur rôle en criant haro sur une procédure mal fagotée. Mais ils savent bien que dans cette affaire, le sabotage SNCF n’est que la partie apparente de l’iceberg. Tout tient dans ces mots : association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Un dossier bâti jour après jour durant des mois de surveillances, d’écoutes, etc. Ce qu’on appelle dans le jargon une procédure fourre-tout où les éléments, même les plus anodins, s’imbriquent les uns dans les autres pour former la base de l’infraction : l’élément matériel.

Une telle procédure appliquée à une équipe de braqueurs, pour prendre un exemple simple, consisterait à effectuer des surveillances quotidiennes pour démontrer que les individus se connaissent, qu’ils se fréquentent régulièrement, qu’ils se réunissent avant chaque coup, ou pour préparer un coup, qu’ils se trouvaient dans le secteur où a été perpétré le hold-up, etc. Et si possible on attend l’embellie, le jour où l’un d’eux va commettre une boulette pour intervenir – sur l’initiative du chef sur le terrain – et pas à la demande d’un quelconque paperassier.

Mais il s’agit ici d’actes concrets, en l’occurrence de braquages. Peut-on appliquer la qualification d’association de malfaiteurs  à des gens qu’on suspecte d’avoir l’intention de…

Je ne crois pas. Entre la préparation caractérisée d’un crime ou d’un délit, telle que prévue par le Code pénal, et la simple intention, il y a un fossé. Cette équipe de Tarnac était placée sous surveillance par prévention, dans l’hypothèse où ses membres auraient eu l’intention de préparer des actes terroristes.

lapin-pays-des-merveilles.gifEt surtout pas pour faire un coup médiatique. « Les services de renseignement, nous dit M. Squarcini, sont au centre opérationnel d’une immense gare où tous les trains doivent arriver à l’heure. Quand tout marche bien, on n’en parle pas ».

Eh bien cette fois, sabotage de caténaires ou pas, les trains ne sont pas arrivés à l’heure. Et cette histoire, on n’a pas fini d’en parler.

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Le billet précédent,  Garde à vue : il ne suffit pas de repeindre les murs ! a été lu 1.124 fois en 3 jours. Il a donné lieu à 20 commentaires, plutôt techniques, dans lesquels on revient sur la fouille à corps et les problèmes de sécurité.

Garde à vue : Il ne suffit pas de repeindre les murs !

C’est grosso modo ce que nous dit le contrôleur général des lieux de privation de liberté* après une descente dans un commissariat. Déjà, dans son rapport de l’année dernière, il pointait du doigt les cellules de garde à vue (et aussi de dégrisement) qui sont, disait-il, les declaration-droits-homme_dessin-de-serguei-pour-la-france.giflieux les plus médiocres des locaux administratifs les plus médiocres : généralement mal aérés, chauds l’été et froids l’hiver, avec des sanitaires à la turque qui fonctionnent mal ou pas du tout, et auxquels on n’a accès qu’en quémandant l’autorisation. Pas de point d’eau pour faire sa toilette, des sièges en pierre ou de bois, des couchages la plupart du temps non appropriés, pas de couverture, ou des couvertures sales, etc.

Quand je pense que des gens s’apitoient devant les chiots dans les cages des animaleries…

À tel point que les fonctionnaires affectés à la surveillance des locaux de garde à vue ont souvent honte. Ils ne se bousculent pas pour assurer ce job. On prend les jeunes, ce qui n’est peut-être pas le meilleur moyen de les motiver, ou alors les laissés pour compte. Au mieux on effectue un roulement.

De plus, ces cellules sont parfois éloignées des lieux d’audition, qui eux-mêmes ne sont pas toujours adaptés. Il est souvent difficile de trouver un local vacant où le gardé à vue pourra parler en toute confidentialité avec son avocat.

Quant à la visite médicale, cela pose tant de problèmes aux médecins qu’un groupe de travail s’est récemment réuni, sous l’égide du ministère de la Justice, pour rédiger un petit guide du médecin dans la garde à vue.

Il y est dit, par exemple, que le medecins-et-gav.jpgpraticien doit pouvoir disposer d’une pièce salubre correctement éclairée et adaptée à l’examen – et refuser de le faire dans la cellule de détention. Sauf circonstances particulières, l’examen doit être pratiqué sur une personne libre de toute entrave. La confidentialité et la pudeur doivent être respectées.

Le nombre de gardes à vue explose. Avec les excès que l’on connaît, comme récemment cette femme qui tentait (d’après la presse) de revendre sur Internet des tickets de cantine non utilisés. Et alors que sans répit on pousse aux chiffres policiers et gendarmes, rien n’est fait pour assurer aux suspects un minimum de dignité et de respect.

Ceux qui nous gouvernent feraient bien de redescendre sur terre et de jeter un œil dans la cage aux fauves.

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*Créé par une loi du 30 octobre 2007, ce mystérieux personnage est chargé de s’assurer que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté sont respectés. Il est nommé (par le président de la République) pour 6 ans, non renouvelable, et ne peut être destitué. Il est assisté de contrôleurs qu’il recrute en raison de leurs compétences (mais à ce jour, il ne semble pas qu’il y ait parmi ses membres d’anciens prisonniers). Il peut visiter tout lieu où des personnes sont privées de liberté par décision d’une autorité publique, et même les établissements où des patients souffrant de troubles mentaux sont hospitalisés sans leur consentement. Il informe les autorités responsables du résultat de ses contrôles et peut les rendre publics.
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Le billet précédent (et son annexe), Boulin : une affaire toute simple, a été lu 6.941 fois en 2 jours et a suscité 33 commentaires. Parmi ceux qui ont pris la peine d’exprimer leur opinion, beaucoup sont persuadés de l’assassinat de Robert Boulin. Je me demande ce qu’en pensent mes amis de la PJ de Versailles, du moins ceux qui ont réellement participé à l’enquête…

Boulin : toujours des questions

Pour faire suite au billet précédent et pour répondre à certaines questions, je me permets d’en poser d’autres :

– Pourquoi aurait-on assassiné Robert Boulin ? Parce qu’il était Premier ministrable ?

– S’il s’agit d’un assassinat organisé avec tant de minutie pour faire croire à un suicide, alors pourquoi dans 50 cm d’eau ?

– Et pourquoi l’aurait-on frappé sur le visage ?

– Et pourquoi ne pas envisager un instant que cet homme, cassé, ait choisi de se donner la mort ? Il revient dans un endroit pour lui chargé de souvenirs. Il fait le point sur sa vie, professionnelle et privée ; et sur ses erreurs. Il hésite à passer à l’acte. Mais peut-il renoncer après avoir annoncé son intention d’en finir… Il erre dans les bois. Puis il avale du Valium et dans un état plus ou moins comateux, il se dirige vers l’étang. Il tombe, se blesse, il se relève, il retombe, mais cette fois dans 50 cm d’eau. Et il se noie. On le retrouve quelques heures plus tard et on tire son corps sur la berge – sur le dos.

– Et pourquoi certaines invraisemblances ne seraient-elles pas le résultat d’une intervention après coup, juste pour « faire le ménage », et s’assurer que ce ministre suicidaire n’avait pas allumé une bombe avant de s’en aller ?

– Et pourquoi ceux qui sont persuadés d’être en présence d’un meurtre camouflé en suicide ne se posent jamais la question inverse ?

Boulin : une affaire toute simple

Longtemps, j’ai cru que Pierre Bérégovoy avait été assassiné et que Robert Boulin, lui, s’était volontairement donné la mort. Deux ministres, l’un de droite l’autre de gauche, décédés dans de mystérieuses circonstances à 14 ans d’intervalle.

croisee-chemins_libuwoca.gifRécemment, d’anciens policiers alors chargés de la sécurité de Bérégovoy, m’ont convaincu qu’il s’était bel et bien tiré une balle dans la tête. Et qu’on pouvait au pire regretter un certain relâchement des consignes de sécurité et surtout de ne pas avoir pris conscience de son état dépressif.

En revanche, je n’ai pas changé d’avis sur la mort de Boulin. Après la découverte de son corps, dans un étang de la forêt de Rambouillet, le suicide s’est imposé d’entrée de jeu. Cela se passe le mardi 30 octobre 1979, vers 8 heures. Il y a juste 30 ans. L’homme est étendu dans 50 cm d’eau. Sa voiture est à proximité. Le procureur saisit le SRPJ de Versailles – ce qui n’a rien d’exceptionnel, car à cette époque, en Île-de-France, c’était souvent le cas. Les anciens s’en souviennent, le leitmotiv des patrons de la PJ était : on prend tout. Au grand dam des gendarmes qui voyaient d’un mauvais œil cette boulimie frustrante.

Donc collaboration en demi-teinte.

Lorsque les péjistes arrivent sur place, on est loin d’une scène de crime « figée », comme on voit à la télé. Les lieux ont été pas mal « barbouillés ». Faut dire que c’est pas tous les jours qu’on découvre le corps sans vie d’un ministre ! Pour une grande partie, les suspicions qui vont suivre tournicotent d’ailleurs sur les heures qui ont précédé le début des investigations. Que s’est-il réellement passé dans cette nuit du lundi au mardi ? Car il semble aujourd’hui acquis que le corps a été découvert plus tôt, peut-être au cours de la nuit – et probablement pas de façon fortuite, puisque la famille de la victime avait tiré la sonnette d’alarme dès la veille au soir en découvrant un morceau de papier plus ou moins déchiré dans lequel Boulin mentionnait son intention de se noyer « dans l’étang de la forêt de Rambouillet, où j’aimais faire du cheval » (source Investigation, passion de Derogy et Pontaut, chez Fayard).

Et le suicide paraissait tellement vraisemblable que l’autopsie a été des plus light, à la demande des proches selon certains, à la demande du Parquet selon d’autres. La procédure peut paraître bizarre, mais elle n’était pas exceptionnelle vu la personnalité de la victime. J’ai vu la même chose pour des stars du showbiz. Conclusion des deux médecins légistes de Paris : mort par noyade.

Si l’on ajoute à ça le mot adressé par le ministre à ses proches et les lettres envoyées à plusieurs de ses amis ainsi qu’à quelques journaux, on comprend que les enquêteurs aient conclu à un suicide. Maxime Delsol, le policier attaché à la sécurité de Boulin, s’exprime dans Sud Ouest au sujet de ces correspondances : « J’en ai reçu une, elle ne laisse aucun doute sur ses intentions. Il était déprimé depuis plusieurs mois. Il y avait l’affaire des terrains de Ramatuelle, mais il y avait aussi ce qui se tramait dans son propre camp… »

Plus on avançait, plus la motivation était évidente : Boulin s’était laissé emberlificoter par un escroc de talent. Et il savait qu’il ne s’en relèverait pas.

C’est un jeune juge de Caen qui avait mis le feu aux poudres. Depuis, ce magistrat a montré que lorsqu’il tenait un os, il ne le lâchait pas… Il s’agit de Renaud Van Ruymbeke.
L’ange noir de Boulin, c’est Henri Tournet. Ce dernier avait acquis, dans des conditions disons… discutables, 35 hectares de terrain, sur la presqu’île de Ramatuelle, près de Saint-Tropez, afin d’y construire 26 villas. Une opération immobilière qui devait se montrer juteuse. Mais encore fallait-il obtenir les permis de construire ! Et pour cela, il compte sur son ami de toujours. Mais comme les choses traînent en longueur, il décide finalement de revendre ce terrain sans plus attendre, en s’engageant à le rendre constructible. Au passage, petite étourderie, il le vend deux fois. Les premiers acquéreurs, des Normands, portent plainte, et il est inculpé pour faux en écriture publique. Pour se dédouaner, il met en cause Robert Boulin. Il lui aurait offert 2 hectares de garrigue. En fait il lui a vendu pour 40.000 francs (une bouchée de pain) – somme qu’il affirme ensuite lui avoir intégralement remboursée. Petite particularité, cette parcelle a, semble-t-il, été la première pour laquelle un permis de construire a été délivré (il y en a eu deux autres par la suite).  Le juge fouine dans les comptes bancaires du ministre du travail, et bingo ! il découvre la trace d’un encaissement de 40.000 francs. Boulin se défend. Il affirme qu’il s’agit là d’une donation de sa mère… Complicité de faux en écriture publique, trafic d’influence, etc., si les faits sont démontrés, c’est un procès public qui se profile à l’horizon. La prison, le déshonneur… C’est sans doute le langage que doit lui tenir Van Ruymbeke qui pousse un peu son avantage. Il fera d’ailleurs par la suite l’objet d’une enquête exceptionnelle du Conseil supérieur de la magistrature – dont il sortira blanchi.

Le Canard enchaîné fait sa Une. Minute en rajoute une couche. Et durant la semaine qui précède la mort de Boulin, l’info est reprise par tous les médias.

Autant d’éléments pour expliquer un geste de désespoir… D’ailleurs, dans l’entourage du ministre, le consensus est total sur la thèse du suicide. À tel point que l’année suivante, Bertrand Boulin, le fils, écrit un livre dans lequel il s’en explique, Ma vérité sur mon père, éd.  Stock2.

Ce n’est que bien plus tard que la famille se laisse convaincre que Robert Boulin a été assassiné.

Depuis, bien des gens ont repris l’enquête. Je me garderai bien de leur emboîter le pas. Je voulais juste dans ce billet tenter de décrire la situation au moment des faits et relater les circonstances de l’enquête.

Aujourd’hui, on nous fait un rapprochement avec l’assassinat, 3 ans plus tôt, de Jean de Broglie, on nous parle du SAC, de Pasqua (il est vraiment dans tous les coups), de la CIA, du Mossad… Là, je dois avouer que je donne ma langue au chat.

On nous explique aussi toutes les boulin_rue89.jpgbizarreries, toutes les invraisemblances de l’enquête. Certaines retiennent l’attention, d’autres peuvent trouver une explication tout aussi logique que la contre-explication.

On nous dit que le corps est arrivé à la morgue tout nu…
Pour éviter que des pièces à conviction ne se perdent (ce qui s’était produit par le passé), les victimes étaient systématiquement dévêtues sur place (ce qui permet en plus un rapide examen clinique) et les effets placés sous scellé provisoire.

On nous dit que les traces de lividité cadavérique (hypostase) auraient dû se trouver sur le devant du corps alors qu’elles étaient sur l’arrière, ce qui démontrerait que le cadavre a été déplacé…
Les légistes fixent l’heure du décès à la veille vers 20 heures, soit environ 12 heures avant la découverte du corps. Or les lividités apparaissent généralement au bout de 3 heures et si le cadavre est déplacé après, mais avant la douzième heure, les traces s’ajoutent les unes aux autres. On dit qu’elles sont mixtes. Donc le corps devrait porter des traces devant et derrière… Mais peut-on se fier à l’avis des légistes sur l’heure de la mort (souvent difficile à déterminer) alors qu’on refuse leurs conclusions sur les causes de la mort ?
À chacun de bâtir son hypothèse…

On nous dit qu’on ne peut pas se noyer dans 50 cm d’eau…
Je connais un exemple qui prouve le contraire. Un homme d’un certain âge marche au bord de la plage, les pieds dans l’eau, comme lui avait sans doute recommandé son médecin. Il fait un malaise et tombe tête la première. Si des passants ne l’avaient pas tiré de là, il se serait noyé.

Etcetera.

Mais s’il faut admettre comme réelles ces révélations fracassantes, nous, on se dit que le système est complètement pourri. Des dizaines et des dizaines de policiers et de gendarmes, des magistrats de tous grades, des médecins légistes…, ainsi que le directeur central de la PJ, le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice, et tous les membres de leur cabinet, ont volontairement couvert l’assassinat d’un homme politique…

robert-boulin_monsieur-biographie.jpgQuand même.

Et personnellement, je trouve qu’un ministre qui met fin à ses jours pour éviter l’opprobre, ça ne manque pas de panache.

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Le billet précédent, Affaire Kalinka : et maintenant ? a été lu 1.783 fois en 3 jours et a suscité 15 commentaires.

Affaire Kalinka : et maintenant ?

L’enlèvement rocambolesque du docteur Krombach, afin de le livrer à la justice française, risque de provoquer un certain chambard derrière les portes capitonnées du ministère de la place Vendôme. Cet épisode musclé pointe du doigt un certain justice_jecritiquetoutover-blog.jpgdysfonctionnement. En tout cas ce contumax, puisque condamné par contumace à 15 ans de réclusion criminelle, est aujourd’hui sur le territoire national, et l’on attend de voir comment les autorités vont se dépatouiller de cette histoire pour que justice soit enfin rendue.

Les faits
Kalinka n’a que 15 ans lorsqu’elle meurt. Nous sommes le 10 juillet 1982, à Lindau, en Bavière, à 350 km de la frontière française. Lors de l’autopsie pratiquée deux jours plus tard, le médecin légiste mentionne des traces de sang et d’un liquide blanchâtre (?) sur les parties génitales. Et ça s’arrête là. Pas de prélèvements, pas d’analyses.
Le légiste s’étonne toutefois de l’état du corps de la jeune fille, et de la nature du produit que le docteur Dieter Krombach, son beau-père, dit lui avoir administré pour tenter de la ranimer.
Les organes génitaux de la victime sont prélevés, probablement pour un examen ultérieur, lequel ne sera hélas jamais effectué : le scellé a été égaré.
Cause du décès : inconnu.
Dossier classé.

Un premier élément troublant
La presse se fait l’écho de cette affaire et les parents de la première femme de Krombach font le rapprochement avec le décès de leur propre fille, décédée elle aussi à la suite d’une injection effectuée par ce médecin.
Ils déposent une plainte.
Sans suite.

L’enquête en France
André Bamberski, le père de Kalinka, n’en reste pas là. Il dépose une plainte en France, et en 1985, le corps de la jeune fille est exhumé. Les médecins français concluent à une mort consécutive à une injection intraveineuse d’un produit à base de cobalt et de fer.

Après une instruction qui dure et qui dure, en 1991, le docteur Krombach est inculpé d’assassinat par un juge d’instruction parisien.

Le jugement
Il faudra attendre quatre ans de plus pour que la Cour d’assises se réunisse. En l’absence de l’accusé, son président applique alors la procédure de contumace. Il retient les charges de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner et rend une ordonnance de prise de corps, puis prononce une condamnation à une peine de 15 ans de réclusion criminelle.

L’exécution du jugement
Krombach saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celle-ci ne juge pas sur le fond mais uniquement sur la procédure française de contumace. Et elle la déclare non-conforme au principe fondamental d’un procès équitable qui veut que tout accusé, qu’il soit ou non présent à son procès, ait le droit d’avoir un avocat, même commis d’office. Ainsi que le droit de faire appel de toute décision de justice (à l’époque, l’appel n’existait pas en matière criminelle – et la procédure de contumace n’autorisait pas le pourvoi en cassation).

Étrangeté du droit, la France est condamnée à verser 100.000 francs au docteur qui est lui-même condamné par la France à une peine de réclusion criminelle…

Cette décision de la CEDH va amener la loi du 9 mars 2004 (Perben II) qui substitue la procédure de défaut criminel à celle du jugement par contumace. Dorénavant, un avocat peut représenter l’accusé absent. Et si ce dernier est condamné à une peine privative de liberté, la Cour décerne un mandat d’arrêt contre lui.

Mais le père de la victime ne lâche pas prise. Il veut justice. Il harcèle les magistrats et va même jusqu’à déposer une plainte contre certains d’entre eux. Finalement, en 2003, la France transmet le dossier aux autorités allemandes. La justice allemande refuse de poursuivre, estimant d’après le site, Justice pour Kalinka, qu’il n’y a pas lieu de mettre en accusation Dieter Krombach.

Il est vraisemblable que les Allemands aient pris cette décision en application du principe non bis in idem : pas deux fois pour la même chose. Autrement dit, on ne peut poursuivre une personne andre-bamberski_lepost.jpgdéjà condamnée (même par contumace) pour les mêmes faits dans un autre État membre de l’U-E.

Finalement, en 2004, la France délivre un mandat d’arrêt européen contre le docteur Krombach. C’est en effet à partir de cette année-là que les demandes d’extradition reçues par les États membres de l’U-E doivent s’appliquer dans leur plénitude. L’Allemagne refuse l’extradition.

On peut noter ici que cette décision semble en contradiction avec la précédente : on ne peut à la fois reconnaître la valeur du jugement par contumace et en même temps refuser une extradition conforme aux accords européens.

Et maintenant ?
On a l’impression que par le passé, la justice française n’a pas mis beaucoup d’ardeur pour récupérer un ressortissant européen accusé d’un crime… Aujourd’hui, elle est au pied du mur. Et l’on ne comprendrait pas que ce sulfureux docteur Krombach échappe à la sentence d’un jury populaire ! Mais à la suite de son enlèvement, le parquet de Kempten, en Bavière, a ouvert une enquête pour séquestration et coups et blessures. Et le suspect principal, du moins en tant qu’instigateur, est évidemment André Bamberski. Et l’on risque fort d’arriver à cette situation incongrue où, l’Allemagne, après avoir refusé d’exécuter un mandat d’arrêt européen, réclame de la France l’extradition de Monsieur Bamberski.

Affaire à suivre…

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Le billet précédent, Affaire Maddie : un flic sur la paille, a été lu 2.452 fois en 2 jours. Il a suscité 26 commentaires, dont certains me reprochent de critiquer le comportement de Gonçalo Amaral. Ce n’est pas tout à fait vrai. J’apprécie son courage : défendre sa conviction d’enquêteur au point de démissionner… Et lorsque je l’ai rencontré, ses arguments m’ont en grande partie convaincu. Mais d’un côté ou de l’autre, j’ai du mal à admettre qu’on fasse du fric sur le dos d’une petite fille, probablement aujourd’hui décédée.

Affaire Maddie : un flic sur la paille

Au moment où l’on nous dit que l’enquête sur la mort du petit Grégory pourrait bien sortir du placard, au fin fond de la péninsule ibérique, le commissaire Amaral voit la porte (du placard) se refermer sur lui. Quel rapport me direz-vous entre ces deux affaires si ce n’est que la teeshorst-madeleine-pour-7-livres.jpgvictime est un enfant ? Essentiel : un ratage dès le départ. Pour la disparition de la petite Maddie, au bout de quelques semaines, le directeur d’enquête a été écarté : il devenait embarrassant. Et aujourd’hui, il a bien des soucis. Il s’est confronté à trop fort pour lui, le petit flic portugais, et le voilà sur la paille. Les ténors du barreau le traînent en justice. Il doit faire front. Car les parents de Madeleine McCann n’ont pas accepté la thèse de son livre : mort accidentelle de l’enfant et dissimulation de son corps pour faire croire à un enlèvement. Ce qu’on peut d’ailleurs comprendre, même si les arguments de l’enquêteur tiennent solidement la route.

Comme ils l’ont fait antérieurement pour plusieurs journaux britanniques, ils exigent une réparation qui donne le tournis : 1.2 million de dommages et intérêts. Pour se défendre, l’ancien policier a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire.

Il y a trois jours, dans un communiqué de presse, Gonçalo Amaral a dénoncé la censure dont fait l’objet son livre (un best-seller traduit en 5 langues) et l’adaptation filmée qui en a été tirée. Dans ce texte, il estime être victime d’une grave atteinte à sa liberté d’expression. Le tribunal lui interdit notamment de « citer, commenter ou analyser toute partie du livre ou de la vidéo qui défende la thèse de la mort ou de la dissimulation du corps ». Et d’après mes contacts au Portugal, beaucoup s’étonnent de voir ainsi tire-bouchonner un droit constitutionnel.

On doit rappeler ici qu’en l’absence de plainte (le mot n’est pas tout à fait conforme) des parents de la victime, l’enquête a été « archivée », et que selon la procédure portugaise, le dossier est alors devenu public.

Le livre d’Amaral a été retiré de la vente, et il semble (si ma traduction est bonne) que les exemplaires en langue anglaise n’ont pas eu le temps d’être diffusés. À ce jour, pourtant, il n’est pas interdit en France. En revanche, le débat qui devait se tenir mercredi 23 octobre sur la chaîne W9, dans l’émission Enquêtes criminelles, le magazine des faits divers, a été annulé sans que l’on sache pour quelle raison.

N’ayant moi-même pas les moyens de faire face à une armada d’avocats, je ne ferai pas de commentaires. Mais pour nous, Français, la démarche qui consiste à ouvrir un site commercial* La boutique en ligne de Madeleine (The Madeleine Online Store) nous paraît un peu étrange. On imagine mal des parents faire du 10-affiches-madeleine-pour-175-livres.jpgbizness en vendant des affiches de recherche (1.75 £ les dix), des bracelets, ou des tee-shirts à l’effigie de leur enfant disparu (7 £)… Ce n’est pas vraiment dans notre culture.

Il en va sans doute différemment en Grande-Bretagne…

Pour être tout à fait sincère, autant je trouvais sympathique la réaction de l’ancien policier qui voulait claironner « sa » vérité, autant l’aspect mercantile qui a suivi me dérange.

Finalement, on a l’impression que tout ça c’est une affaire de fric.

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* Voir dans les pages commerciales de Google. Je ne mets pas de lien pour ne pas faire de pub.

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Le billet précédent, Le stress du blogueur, a été lu 7.154 fois en 2 jours, et il a suscité 27 commentaires.

Les policiers ont-ils le droit d'interroger un fichier ?

Alors qu’on parle de nouveau des fichiers de police, dans une affaire récente, les tribunaux se sont penchés sur la légalité de la consultation d’un fichier de police – par des policiers – sans l’autorisation du Procureur. En l’occurrence, il s’agissait d’un banal contrôle routier : empreinte_main.jpgles agents constatent que l’une des serrures du véhicule porte des traces d’effraction. Par radio, ils contactent le fichier national des immatriculations qui confirme que la voiture est signalée volée. Arrestation. Procédure. La routine.

Et voilà-t-il pas que l’avocat du suspect soutient que cette consultation du fichier est illégale car elle ne fait pas mention de l’autorisation du Procureur ! Pire, la Cour d’appel suit ce raisonnement et lui donne raison en appliquant à la lettre les prescriptions de l’article 77-1-1 du Code de procédure pénal, qui dit : l’autorisation du procureur de la République est nécessaire à l’OPJ pour requérir toute personne, tout établissement ou organisme privé ou public, ou toute administration publique, dans le but d’obtenir les documents susceptibles d’intéresser une enquête, « y compris ceux issus d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives ».

La police étant une administration publique, les policiers seraient donc contraints de demander l’accord du Proc pour consulter leurs propres fichiers…

Qu’on se rassure, dans un arrêt du 15 septembre 2009, la chambre criminelle de la Cour de cassation a corrigé le tir. En fait, elle a biaisé, estimant que l’aval du magistrat n’était pas nécessaire pour solliciter une information et que la personne interrogée était parfaitement libre de lui répondre. Un échange de bonnes manières, quoi !

Il est quand même amusant de constater que les fichiers de police ne peuvent être consultés « légalement » par les policiers qu’en s’appuyant sur une argumentation aussi fragile…

On comprend bien que le législateur s’est un peu fourvoyé en rédigeant cet article 77-1-1. Il donne en fait le pouvoir à tout OPJ de consulter n’importe quel fichier, qu’il soit administratif ou privé. Cela va de la sécu à votre opérateur téléphonique en passant par votre magasin habituel ou votre employeur. Et il est impossible d’opposer un refus lié par exemple à la protection du secret professionnel, sauf pour certaines professions (avocats, médecins, presse…) où le consentement est nécessaire.

Cela dit, et pour en revenir aux deux nouvelles « bases de données » annoncées par le ministre de l’Intérieur, celle qui concerne la réalisation « d’enquêtes administratives liées à la sécurité publique » est assez inattendue. On peut penser qu’il s’agit là d’un premier pas vers la reconnaissance officielle de certaines activités privées (agents de surveillance, enquêteurs privés, etc.).

Il faut dire que la sécurité est devenu un enjeu économique bien réel, avec à la clé 1.500.000 emplois en Europe.

Quant au bien-fondé de ces fichiers, je ne sais pas. Ce qui est inquiétant, c’est qu’ils s’ajoutent à une liste déjà longue, avec la tentation, en arrière-fond, de les raccorder les uns aux autres – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

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Le billet précédent, Treiber : le pompon, c’est la forêt de Bombon, a été lu 1.500 fois en 2 jours et a suscité 15 commentaires.

Treiber : le pompon, c'est la forêt de Bombon

Il s’est fait la belle dans un carton, et l’on a souri. Va se faire reprendre, ont dit les cassandres. Et depuis 1 mois 1/2, non seulement il court toujours, mais il trouve le moyen de ridiculiser policiers et gendarmes. C’était le vendredi de la semaine dernière… Les enquêteurs savent qu’il a un rendez-vous avec son amie Blandine, ou du moins qu’il doit venir relever sa boîte aux lettres, en planque-dans-un-arbre_egostracisme.jpgl’occurrence un trou dans un arbre où la jeune femme a déposé un pli, dans l’après-midi. Un arbre avec un cœur gravé dans l’écorce. Les poulagas se frottent les mains. Cette fois, il est marron, le fugitif ! Mais dans la Grande Maison, en haut, on ne veut prendre aucun risque, car plus haut encore, ça commence à tousser : cette histoire a assez duré ! Aussi vers 20 heures, nous dit Jean-Marc Ducos, dans Le Parisien, ce sont les hommes du RAID qui se mettent en place. Rien de moins. Mais pas facile d’établir une souricière dans une forêt, peu de policiers y sont préparés. Même ceux du RAID et j’oserais dire surtout… Entendons-nous bien, j’ai un profond respect pour ces hommes qui sont souvent confrontés à des situations à haut risque, ils ont montré leur valeur. Mais je ne suis pas sûr que les planques fassent partie de leur entraînement quotidien… C’est plutôt le boulot d’une brigade antigang. Enfin, peut-être que je me trompe…  

La réforme du Grand Paris de la police a été trop timorée doivent se dire certains. Ah, si la Préfecture de police avait compétence sur toute l’Île-de-France ! Mais pour l’instant on est sur le ressort de la direction régionale de PJ de Versailles.

À 21 heures, les choses bougent. Fausse alerte ! C’est un couple d’amoureux qui se gare en bordure d’un chemin de terre, en plein milieu du dispositif de surveillance. Leur conversation doit être d’un vif intérêt, car ils y restent environ trois quarts d’heure. On imagine les flics qui attendent la fin de la séance couchés sous les feuilles mortes de la forêt de… – et qui se gèlent les… Et impossible de bouger une oreille !

Enfin, les amoureux s’en vont. Mais quelques minutes plus tard, c’est la pluie qui est au rendez-vous. François Pérain, le procureur d’Auxerre, explique que « les conditions météorologiques étaient épouvantables, [et que] la perturbation a bouleveflagrant_delit.jpgrsé les surveillances ». On suppose qu’il parle de la visibilité, car on a du mal à imaginer des policiers qui refusent de se mouiller.

Vers 22 heures, une ombre apparaît enfin. Puis plus rien. Les caméras n’auraient selon la thèse officielle, rien enregistré. À cause de la pluie ? Quant au procureur, il refuse de confirmer qu’il s’agissait de Treiber : « Une personne s’est approchée dans l’obscurité et a pris la fuite aussitôt », et c’est tout.  En tout cas cette mystérieuse silhouette a eu le temps de relever le courrier. Et le journaliste du Parisien, qui manie la plume avec malice, de conclure son article ainsi : « Aussi incroyable que cela puisse paraître, le fugitif est parvenu à semer les super-policiers super-entraînés et super-équipés ».

C’est une loi relativement récente (2004 et 2005) qui a institué un cadre juridique pour la recherche des personnes en fuite. Elle permet entre autres, à la requête du procureur de la République, d’installer des écoutes, des surveillances techniques, etc.

Avant cette loi, on se débrouillait. Les anciens étaient-ils meilleurs ? Évidemment, non ! Mais ils compensaient le manque de moyens techniques par la fantaisie, l’initiative, le flair peut-être ! Et lorsqu’on loupait une affaire, c’était à l’abri des… caméras.

Aujourd’hui, après le show politique on en arrive à la police-spectacle, au point de voir des images de surveillance dans la presse. On dit que le ministre de l’Intérieur s’est fâché tout rouge (c’est un pléonasme me souffle une voix par-dessus mon épaule). Franchement, il y a de quoi. Et déjà, on a trouvé le responsable : la presse. À tel point qu’un syndicat de journalistes vient de publier un communiqué sous le titre Le Figaro Magazine auxiliaire de la guerre des polices dans lequel il est dit que « l’information s’accommode mal (…) d’une trop grande proximité avec la police ou la justice ».

Et pas de la politique ? assurancetourix-copie.jpg

De cette histoire abracadabrantesque, on peut tirer deux enseignements :

D’abord, il faut arrêter de pressurer les policiers et leur laisser suffisamment la bride sur le cou pour qu’ils puissent travailler à leur main – car ce métier ne vaut que par l’initiative individuelle.

Ensuite, les caméras de surveillance dont on veut truffer le pays ne servent pas à grand-chose.

Et par parenthèse, on peut en conclure qu’à l’époque du téléphone portable et d’Internet, le moyen le plus sûr est encore de communiquer via l’entaille d’un tronc d’arbre. Ce que les espions appelaient autrefois une boîte aux lettres morte.

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Le billet précédent, Récidive : la rétention de sûreté est appliquée en douce, a été lu 2.936 fois en 2 jours et a suscité 15 commentaires.
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