LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Actualité (Page 42 of 71)

Les vigiles ont-ils un droit d'arrestation ?

Après la mort d’un jeune homme interpellé à la suite d’un larcin dans un Carrefour de Lyon, on peut s’interroger sur les pouvoirs dont disposent les vigiles de ces grands magasins.

À la différence des policiers, gendarmes ou autres personnes nommément désignées, les vigiles ne sont ni dépositaires de l’autorité publique brassard-securite_mondedutravail.jpgni chargés d’une mission de service public. Ils ne peuvent intervenir – comme tout citoyen – que selon les termes de l’article 73 du Code de procédure pénale : « Dans le cas d’un crime ou d’un délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche ».

Toutefois, si l’auteur de l’infraction flagrante ne se laisse pas maîtriser, qu’il se rebelle, on ne peut considérer qu’il s’agit d’un acte de rébellion, tel que défini par l’article 433-6 du Code pénal. Raison pour laquelle, dans la pratique, les vigiles se contentent le plus souvent de relever l’identité du suspect ou lui demandent d’attendre l’arrivée des policiers ou des gendarmes. Mais s’il veut s’en aller ? Peuvent-ils utiliser la force ? Eh bien, le Code n’a pas véritablement tranché, se contentant d’indiquer que, dans l’éventualité où des mesures coercitives sont nécessaires, ces mesures doivent être  « proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ». C’est donc le juge qui se prononcera par la suite, et au cas par cas.

Dans le magasin de Lyon, il semble que les caméras de surveillance aient surpris l’homme en train de chaparder des bouteilles de bière. Il était donc l’auteur quasi certain d’un vol (ce que les juristes appellent la théorie de l’apparence), délit puni d’une peine de prison. Le juge devra estimer si les violences utilisées étaient nécessaires et si elles n’étaient pas disproportionnées au regard du préjudice. Ici, la question est vite tranchée, surtout si l’on en croit les déclarations du procureur de la République. De toute façon, entre le vol de quelques canettes de bière et la vie d’un homme…

Mais il faut bien reconnaître que le métier de vigile ne doit pas être facile tous les jours et qu’ils n’ont à l’évidence aucune formation sérieuse pour gérer ce genre de situation. Il n’en est pas de même des policiers – ce qui n’empêche pas, d’ailleurs, de terribles bavures. Comme la mort le mois dernier de Mohamed Boukrourou. Cet homme, qui avait des problèmes arrestation_exercice2_g-moreas.1262333757.jpgcardiaques, aurait succombé par suffocation peu après son arrestation.

Alors, peut-être ne serait-il pas inopportun de rappeler que la cage thoracique d’un homme maintenue contre une surface dure ne peut supporter une compression supérieure à quelques secondes – et faire réviser à certains policiers les techniques d’interpellation ! Et sans arrêt rabâcher qu’une fois privé de liberté, même le plus récalcitrant des suspects, ne doit plus être considéré comme un individu dangereux, mais au contraire comme une personne vulnérable (au sens juridique), et, qu’à ce titre, il doit être protégé par ceux-là même qui l’ont arrêté.

Le flic qui passe ainsi, quasi instantanément, d’un état offensif à un état de protecteur, s’appelle un pro. 

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HADOPI : On verra ça après les élections…   a été lu 3.548 fois en 4 jours et a suscité 25 commentaires, certains assez techniques, et la plupart défavorables à cette nouvelle loi.

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Bonne année à tous !

HADOPI : On verra ça après les élections…

Alors que de jeunes militants de l’UMP se seraient fait prendre la main dans le sac à malice du petit pirate, avec la musique de leur clip, et que le décret portant nomination des membres de la Commission HADOPI vient d’être enqueteur_sillon38.jpgadopté, c’est la CNIL qui joue les trouble-fêtes, refusant notamment de donner son avis sur le fichier des internautes.

Or son avis, qu’il soit positif ou négatif, est indispensable. Il est certain que le gouvernement va trouver le moyen de contourner la difficulté, mais ce sont des mois de retard pour cette loi, votée et revotée dans l’urgence. Un couac de plus, mais cette fois, certains se demandent si cela n’arrange pas les petites affaires de nos dirigeants. Car HADOPI est impopulaire, et à la veille d’élections importantes…

Mais une fois tout en place, il est probable qu’après ces péripéties législatives, on entre dans un autre domaine : celui du droit. Et apparemment, ce n’est pas très clair non plus. Car le dispositif de lutte contre le piratage est basé sur l’identité numérique, dont la qualification juridique, à ce jour, reste encore à définir.

L’adresse Internet Protocole, dite adresse IP, est-elle l’identifiant d’une machine, un peu comme la plaque d’immatriculation d’une voiture, ou celui d’une personne, comme le numéro de Sécu ?

Les décisions de justice prises à ce jour sont assez ambiguës.

En 2007, par deux fois, la Cour d’appel de Paris a estimé que l’adresse IP n’était pas une donnée à caractère personnel, revenant ainsi sur la doctrine et la jurisprudence. En janvier 2009, la Cour de cassation lui a donné raison, mais en se basant sur des particularités liées aux affaires visées, notamment l’absence d’une surveillance automatisée des internautes, laissant le doute planer sur la définition de l’adresse IP.

Ces décisions prennent à contre-pied les CNIL européennes, qui, elles, estiment que  « toute information relative à une personne physique identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification… » constitue une donnée à caractère personnel. C’est également l’avis du Tribunal de grande instance de Paris, dans une décision récente.

Ça floute ! Et l’on peut s’attendre ordinateur-tousse_lebulletin-des-agriculteurs.jpgencore à de beaux débats. On voit bien l’enjeu : si l’adresse IP est une donnée personnelle, elle est supervisée par la CNIL. Dans le cas contraire, comment l’utiliser pour identifier et sanctionner les internautes ?

En 1978, en son article premier, la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, énonçait : « L’informatique doit être au service de chaque citoyen […] Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ».

Et trente ans plus tard…

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Le Père Noël sera-t-il décoré par Sarkozy ? a été lu 1.251 fois en 2 jours et a suscité 7 commentaires.

Le Père Noël sera-t-il décoré par Sarkozy ?

Tout comme les cheminots du RER, le vieil homme à barbe blanche aura-t-il montré sang-froid et professionnalisme en pilotant son traîneau surchargé et en distribuant aux enfants – grands et petits – les joujoux qu’ils espèrent ? pere-noel-en-gav.jpgAu deuxième apéro entre amis, on se disait, que ce chauffard qui avait glissé sur une plaque de verglas avec plus d’un gramme d’alcool dans le sang méritait bien de passer les fêtes de fin d’année sur la paille humide des cachots…

Surtout, après que Bécassine (le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de Catherine) nous ait raconté sa folle journée à la gare d’Austerlitz. Elle devait prendre le train pour La Souterraine. Bon, nous déjà, on n’y a pas cru. Vous pensez, un bled qui s’appelle souterraine ! Eh ben si, y paraît que c’est dans la Creuse. Et que pour aller dans la Creuse, même si c’est moins branché que London, c’est pire galère. Un monde fou dans cette gare aux courants d’air ! Une foule, le nez en l’air, à attendre que les mots magiques apparaissent sur le tableau d’affichage. Et des agents SNCF complètement débordés, tentant de rassurer les gens, mais incapables de leur donner la moindre information. Bon finalement pour La Souterraine, lui a dit un employé, vous aurez probablement un train dans 3 ou 4 heures. Mais, à Orléans, y paraît que ça coince. Il faudra attendre une correspondance. Alors, Bécassine, elle a fait ses comptes. Son train prévu pour 12h56, risquait de partir vers 16-17 heures. Une heure pour aller à Orléans, disons une heure d’attente, puis au minimum deux heures de trajet. Dame, à La Souterraine, y a pas de TGV ! Avec un peu de chance, elle arriverait juste avant le Père Noël, et au pire, elle le croiserait sur le départ – la hotte vide. Alors, elle a craqué. Faut dire qu’elle sortait de quinze jours de galère dans le RER A… Elle a harponné un contrôleur, lequel d’un geste las et résigné lui a mis un coup de tampon sur ses billets, « Vous pourrez vous faire rembourser », lui a-t-il dit.

Et c’est comme ça que Bécassine s’est retrouvée avec nous en train (si l’on peut dire) de prendre son troisième apéro. Tout ça à cause d’un mec qu’avait bu un coup de trop !

Bon, c’est vrai qu’il aurait pris des petites choses en plus. Mais lorsqu’on voit qu’un sportif de renom a été contrôlé positif pour avoir bécoté une fille qui aurait sniffé un peu de coke ! On s’interroge ! Ce chauffard, il aurait pas embrassé une pochtronne, par hasard !

Et dans l’ambiance siroteuse de cette soirée de fête, y en a forcément un qu’a dit : « Mais au fait, pourquoi il a été placé en détention provisoire ? »

Eh ben, je lui ai cloué son bec, à ce prétentieux. Ce n’est pas pour des raisons politiques, comme le prétend son avocat, non, il a été mis au placard pour éviter qu’il ne récidive.

Et lorsqu’un autre a surenchéri en pere-noel_clipartcom.jpgdemandant à la ronde quelle a été l’action d’éclat des cheminots pour mériter « la médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement », là, j’ai bien compris qu’il voulait nous entraîner dans une discussion politique. Alors, j’ai décidé qu’on avait assez bu.

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Un journaliste digne de ce nom ne donne pas ses sources a été lu 1.527 fois en 3 jours et a suscité 10 commentaires.

« Un journaliste digne de ce nom ne donne pas ses sources »

… avait déclaré Nicolas Sarkozy, en janvier 2008, lors de sa première conférence de presse à l’Élysée. Il aura fallu attendre deux ans, mais depuis hier, c’est fait : la loi sur la liberté de la presse, vieille de 128 ans, va être modifiée en ce sens, art.2 : « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information poster-1112-de-lexpostion-sur-la-liberte-dexpression-du-ce.1261469628.jpg ».

Tout n’est pas rose. Il peut toutefois être porté atteinte à ce secret, nous dit le texte, dans le cas d’un « impératif prépondérant d’intérêt public ». Quelques mots qui feront sans doute grincer des dents, car les termes sont assez flous, et certains ne manqueront pas d’y voir les pires intentions. Il est assez rare, c’est vrai, que nos élus montrent tant de circonspection… Pourtant, cette restriction ne semble pas anormale, d’autant que « cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources ».

Le législateur estime même que le simple fait de « chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui […] peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources » est contraire à la loi.

Autrement dit, si je comprends bien, pas question de farfouiller dans son téléphone portable, ou celui d’un ami ou d’un proche, pour tenter d’y découvrir ses informateurs.

Quant aux perquisitions dans les entreprises de presse, elles font l’objet de contraintes juridiques plus importantes que par le passé. Le magistrat doit notamment motiver sa décision par écrit et il « veille à ce que les investigations conduites respectent le libre exercice de la profession de journaliste, ne portent pas atteinte au secret des sources] […] et ne constituent pas un obstacle ou n’entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l’information ».  

De plus, le domicile et le véhicule des journalistes bénéficient de la même protection.

Enfin, s’il peut être entendu comme témoin, comme tout le monde, même sous serment le journaliste n’est pas tenu de révéler l’origine de ses informations. Et, un nouvel alinéa à l’art. 100-5 du Code de procédure pénale prévoit qu’ « à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source… »

Ce qui de fait assure aux journalistes la même protection que les avocats, notamment quant au secret des correspondances.

On peut en déduire que la bonne vieille méthode qui consiste depuis la nuit des temps à « planter un zonzon » sur un journaliste pour tenter de savoir d’où il tient ses tuyaux est définitivement révolue.

Vingt-cinq ans après les écoutes de l’Élysée, c’est quand même un progrès, non !

Le mois dernier, après avoir couvert une conférence de presse donnée par des membres encagoulés du Comité régional des vins, des reporters de France 3 et du Midi Libre ont été longuement entendus dans les locaux de la PJ de Montpellier. On imagine que les policiers auraient bien voulu mettre des visages derrière les masques ! Eh bien, cela ne devrait plus se reproduire. En effet, à quoi bon pressurer un journaliste s’il se retranche derrière la loi !

Qu’on ne s’y trompe pas, cette décision nous concerne tous. Car, sans les journalistes d’investigation, pas d’affaire du sang contaminé, pas d’affaire des diamants de Bokassa, pas d’affaire Clearstream, etc.

Par ailleurs, il est intéressant de noter la définition de ce métier donnée par le législateur : « toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public ».

Contrairement à l’administration fiscale, qui en fait un postulat à lapresse-muselee.1261469897.jpg déduction d’impôts (7 500 € sur les revenus) accordée aux gens de presse, il n’y a donc aucune référence à la possession de la carte de presse. Peut-on en déduire que le blogueur pourrait être assimilé à un journaliste ? Entre nous, pour l’instant, je ne pense qu’il existe beaucoup de blogueurs qui puissent se considérer comme des professionnels, mais un jour ou l’autre, la question pourrait bien se poser.

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Quand Julien Dray se fait gronder par le Procureur a été lu 10.346 fois en 2 jours et a suscité 28 commentaires.

Quand Julien Dray se fait gronder par le Procureur

L’auteur présumé d’un délit peut faire l’objet d’un simple « rappel à la loi », c’est ce que nous dit le procureur de la République de Paris. Cette déclaration a dû plonger nombre de juristes dans le fameux petit livre rouge qui ne les quitte jamais – et de tourner frénétiquement les pages… Voyons, gros-minet_segolinover-blog.gifrappel à loi, rappel à la loi… Non, rien dans la table alphabétique. Ah, voilà ! Article 41-1 : « S’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits, le procureur de la République peut […] procéder au rappel auprès de l’auteur des faits des obligations résultant de la loi… » Il peut également « orienter l’auteur des faits vers une structure sanitaire », « demander à l’auteur des faits de régulariser sa situation au regard de la loi », « demander à l’auteur des faits de réparer les dommages », et en cas de non-exécution de l’une de ses décisions, il peut engager des poursuites, sachant que cette procédure suspend la prescription.

Cet article du Code de procédure pénale ne parle pas d’un présumé innocent, ni même d’un présumé coupable, mais, de façon répétitive, de l’auteur des faits.

Et pour ses amis, « l’auteur des faits » est innocent :

– Martine Aubry : « Le Parti socialiste n’a eu de cesse de demander le respect de la présomption d’innocence, et chacun peut mesurer, une fois de plus, les dégâts causés par ceux qui la bafouent ».
– Pour François Hollande, si ces informations sont confirmées, « ce serait une leçon pour tous ceux qui ont blessé la présomption d’innocence ».
– Quant au député-maire Manuel Valls, il se réjouit que son ami soit « rétabli dans son honneur ».
– Jean-Paul Huchon, plus pragmatique, pense aux Régionales, jugeant que Dray peut désormais « s’il le souhaite, reprendre la tête de liste dans l’Essonne ».

Ils sont gentils, mais ils n’ont peut-être pas bien compris le film…

En voici le synopsis : l’année dernière, Julien Dray fait l’objet d’une dénonciation à TRACFIN. À la suite de nombreuses vérifications, cette cellule découvre effectivement des mouvements de fonds suspects sur les comptes de l’intéressé. D’où un rapport envoyé au procureur et – incidemment – à L’Est Républicain.
À la vue de ces éléments troublants, il y a un an, ledit procureur ouvre, non pas une information judiciaire, comme on aurait pu s’y attendre, surtout pour des faits qui concernent un député, mais une enquête préliminaire, pour abus de confiance – délit punissable de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende. Mais, comme « l’accusé » n’a pas accès à son dossier, il ne sait pas exactement sur quoi repose cette accusation. Il est vrai qu’il peut, comme tout le monde, suivre l’avancée de l’enquête dans la presse…

Après un an d’investigations, en toute logique, on s’attendait à un renvoi devant le tribunal correctionnel.
Des magistrats indépendants qui jugent un député sur des éléments concrets, voilà un bel exemple d’une justice démocratique ! Et pour Julien Dray, l’occasion enfin de se défendre publiquement et de démontrer que tout ce cinéma n’était qu’un traficotage pour le détruire politiquement !

Que nenni ! Le procureur en a décidé autrement. Il estime aujourd’hui, je suppose en son âme et conscience, que Julien Dray est coupable, mais qu’il n’y a pas lieu de le poursuivre pour un mouvement de fonds suspect qui a été ramené de 351 027 € à 78 350 €. Une somme relativement modeste, nous dit-on, c’est-à-dire environ cinq ans des revenus d’un smicard…

Cette décision du procureur, rapportée par Le Monde « sous réserve que la Chancellerie le suive dans son raisonnement » ne serait pas définitive. Il est vrai qu’aujourd’hui, on ne sait pas ce qu’en pense la Garde des Sceaux. On ne sait pas non plus ce qu’en pense l’intéressé. Est-il satisfait de cette mesure, boulet_aquagora.gifgénéralement réservée aux ados pour éviter qu’une bêtise de jeunesse ne devienne un boulet dans leur vie d’adulte ?

Julien Dray peut-il faire appel de cette décision et demander à être jugé comme tout un chacun ? À dire vrai, je l’ignore – mais en a-t-il l’intention ?

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Les nouveaux détecteurs de mensonges a été lu 16.416 fois en 3 jours et a suscité 28 commentaires.

Les nouveaux détecteurs de mensonges

L’interrogatoire de papa est-il mort ? Alors que la culture de l’aveu est sans cesse remise en cause, se dirige-t-on au contraire vers un aveu scientifique, quasi irréfragable ? Va-t-on lire nos pensées à livre ouvert, cerveau_droit_gauche_encyclopedie-atypique-incomplete.1261050123.jpgcomme l’envisagent les partisans des neurosciences, qui souhaitent adapter l’imagerie médicale aux besoins de la justice ? C’est probable. Il va falloir se faire une raison, demain, aux empreintes digitales, aux empreintes génétiques, il faudra ajouter les « empreintes cérébrales ». Ainsi, il en sera fini de nos souvenirs et de notre vécu, de ces petits riens qui font notre mystère, notre personnalité, car notre cerveau, lui, ne saurait mentir.

Ce n’est pas une projection futuriste, mais un avenir, tout proche, sur lequel se penchent non seulement les scientifiques, mais aussi les décideurs, et bien sûr les affairistes.

Le Centre d’analyse stratégique, organisme rattaché au Premier ministre, qui a pour mission, comme chacun le sait, « d’éclairer le Gouvernement dans la définition et la mise en œuvre de ses orientations stratégiques en matière économique, sociale, environnementale ou culturelle », a organisé un séminaire regroupant des chercheurs, des médecins, des magistrats… Dans sa note de veille de décembre 2009, qui fait le point sur cette technique, il est utilisé le terme « neuroloi » (traduction du néologisme anglo-saxon « neurolaw »), qui serait le mot générique pour désigner l’ensemble des travaux touchant aux neurosciences (pharmacologie, neuropsychologie et imagerie cérébrale). Il s’agit, nous dit-on en résumé, d’utiliser la science pour mieux évaluer la véracité des propos tenus par une personne mise en examen et de débattre des perspectives éthiques et légales qui doivent accompagner cette utilisation.

Ce n’est pas de la science-fiction. Plusieurs pays ont déjà recours à ces méthodes pour vérifier les dires d’un suspect ou évaluer sa responsabilité. Aux Etats-Unis, un nouveau détecteur de mensonges a fait son apparition. « Un appareil issu des laboratoires de neurologie américains qui sonde les pensées (…) en analysant le fonctionnement des neurones », nous dit Gilbert Charles, dans L’Express. Deux sociétés américaines commercialisent cette technologie, qui, d’après le dirigeant de l’une d’elles, serait fiable à 95 %.

À l’heure actuelle, il semble toutefois que deux techniques s’affrontent. L’une basée sur l’électroencéphalogramme (l’empreinte cérébrale), et l’autre, sur l’imagerie médicale, les IRM. La première serait acceptée dans certains états américains comme une preuve scientifique, au même titre que les empreintes digitales ou génétiques. Tandis que la seconde, basée sur les techniques de pointe d’imagerie, serait la méthode de demain.

On est loin des polygraphes des années 1920, les fameux détecteurs de mensonges, que l’on pouvait paraît-il tromper, ou qui ne faisaient pas de différence entre un trouble dû au stress, un oubli ou une dissimulation volontaire.

En Inde, l’année dernière, et pour la première fois, une femme a été condamnée pour meurtre sur la base de cette nouvelle technologie. Elle aurait empoisonné son fiancé en tartinant son hamburger avec de l’arsenic.  Et n’aurait pas réagi à la phrase « J’ai acheté de l’arsenic ». J’espère qu’il y avait d’autres preuves dans le dossier… En attendant, elle clame toujours son innocence.

Il semble que pour arriver à faire parler les machines, on ait découpé le cerveau en zones d’activités, un peu comme, à une autre époque, on avait décrété que les bosses du crâne correspondaient à certaines tendances fortes de la personnalité d’un individu. Comme science, la phrénologie a vécu, qu’en sera-t-il des neurosciences et de la neuroloi ?

les-revelations-du-visage.jpg

Les sénateurs se sont également intéressés à la question. En mars 2008, ils ont organisé l’audition publique de spécialistes sur le thème « Exploration du cerveau, neurosciences :  avancées scientifiques et enjeux éthiques ». Les propos sont complexes et la lecture du compte-rendu d’audience n’est pas aisée, mais tout le monde semble d’accord pour reconnaître l’existence d’un codage de l’activité cérébrale. La question étant de savoir s’il faut utiliser les IRM à des fins judiciaires. Et dans ce cas, s’interroge non sans humour le scientifique Hervé Chneiweiss, « qui passera le test ? l’accusé, les membres du jury, le juge, les témoins, les policiers ? »

Après tout, il a raison : tout le monde peut mentir.

En tout cas, il est amusant de constater qu’à l’heure où tout un chacun s’évertue à claironner que la culture de l’aveu a vécu, on s’ingénie à mettre sur pied des techniques qui feront de l’aveu non dit et non écrit, une preuve formelle.

Et si l’on peut espérer limiter ainsi le nombre d’erreurs judiciaires, on ne peut que s’en réjouir. La crainte, évidemment, c’est que notre société ne s’enfonce un peu plus dans le délit d’intention : si la machine confirme que vous voulez zigouiller votre patron, allez, au trou !

De nos jours, les enquêteurs demandent toujours plus à la police technique et scientifique, c’est souvent un avantage, mais n’est-ce pas un peu au détriment de recherches plus traditionnelles ?

Et parfois, je me demande à quoi vont ressembler les policiers de demain…

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Tarnac : la marmite du diable a été lu 2.263 fois en 3 jours et a suscité 26 commentaires. Pour ceux qui en souhaitent plus, je me permets de citer ce tout petit livre (7 €), au titre impossible : La terrorisation démocratique, par Claude Guillon, aux éditions Libertalia. Un autre son de cloche.
En ce qui concerne la gare Saint-Lazare, dont il a été question dans un billet précédent, les choses se sont arrangées, avec des annonces régulières pour expliquer aux passagers que la présence des policiers et des agents SNCF est uniquement destinée à mieux canaliser la foule et à éviter les bousculades. Du coup, les choses se déroulent dans une bien meilleure ambiance que le premier jour de grève. Et même les policiers sont souriants. Comme quoi, quelques mots et un sourire, ça change tout !

Tarnac : la marmite du diable

Julien Coupat va-t-il devenir le Cohn-Bendit de ce siècle ? En tout cas, il est sur la bonne voie. À trop vouloir démontrer qu’il existe en France une menace terroriste liée à l’ultra-gauche, aux autonomistes, ou à affiche-mai-68.jpgje ne sais quoi, le gouvernement s’est empêtré dans une affaire politico-judiciaire dont il risque bien de faire les frais. Et tandis que la Cour d’appel doit statuer vendredi prochain sur une demande de levée de leur contrôle judiciaire, les « terroristes » de Tarnac ont tenu, il y a quelques jours, une tribune dans Le Monde, annonçant leur intention d’y mettre fin d’office.

Une façon de reprendre l’initiative dans une partie d’échecs dont l’enjeu à ce jour n’est pas encore parfaitement connu.

En effet, comment, sauf à se « déjuger », comment les juges pourraient-ils accepter ce mouvement de révolte contre leur décision de placement sous contrôle judiciaire ? Néanmoins, la réaction est plutôt molle. « Si ces obligations n’étaient pas respectées, a déclaré un procureur, le parquet en tirera toutes les conséquences ». Or, c’est déjà le cas, puisque le seul fait, pour les dix personnes mises en examen, de s’être réunies et concertées pour rédiger ce manifeste est, en soi, un manquement aux obligations imposées. Vendredi dernier, devant la Cour d’appel, le parquet s’est contenté de demander le maintien en l’état du contrôle judiciaire.

C’était pourtant au tour de la justice d’avancer un pion.

Il y a comme un flottement. Aussi, lorsqu’on entend l’avocat de la « bande à Coupat » déclarer que le dossier est vide, qu’il n’y a aucun élément concret, en deux mots, qu’ils sont innocents du crime dont on les accuse, on aurait tendance à le croire.

Pourtant c’est faux. Ils sont bien coupables – même s’ils n’ont rien fait. Pour la justice, ils sont coupables d’avoir probablement eu l’intention de faire. Sans entrer dans le détail des textes, c’est grosso modo (mais j’exagère) ce qui résulte des lois qui répriment l’association de malfaiteurs appliquées à la lutte contre le terrorisme.

La législation actuelle trouve son origine dans les vagues d’attentats des années 85-86 et 95-96 (loi du 9 septembre 1986, renforcée en 1996). Après le 11-Septembre, bien que la France n’ait connu aucune action terroriste, le dispositif n’a eu de cesse d’être complété (loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 ; loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 ; loi relative à la lutte contre le terrorisme du 23 janvier 2006 ; loi du 1er décembre 2008, qui prolonge la loi précédente jusqu’en 2012). Et j’en oublie probablement.

Mais comme on n’a pas défini le terrorisme, l’application de ces textes ne peut être que subjective. Dans un autre contexte, Julien Coupat et sa compagne auraient au plus été inquiétés pour tentative de dégradation de biens publics.

En fait, on mélange tout. Faute de règles bien définies sur le terrorisme, on applique des textes qui font référence à d’autres textes et auxquels s’ajoutent sans cesse des modifications de circonstance et de nombreux dispositifs dérogatoires qui mêlent la prévention à la répression. D’où cet embrouillamini de lois et de règlements – la marmite du diable, comme on pourrait l’appeler. « Le chaos des lois est tel, de nos jours, énonce Julien Coupat, que l’on fait bien de ne pas trop chercher à les faire respecter. » Mais il exagère, lui aussi.

Avec les résultats suivants :

Pour la prévention, un renforcement considérable du pouvoir de l’administration sur notre vie de tous les jours : contrôle de nos déplacements et de nos communications, et possibilité d’accéder à un grand nombre de fichiers.

Pour la répression, un accroissement important des procédures dérogatoires, lesquelles aboutissent à des pouvoirs d’enquête sans cesse accrus. On en est aujourd’hui à un stade surprenant où l’exception devient la règle. Autrement dit, pour ne pas avoir voulu séparer formellement le terrorisme des crimes et des délits de droit commun, on a pris le risque d’un amalgame en faveur des procédures d’exception.  Ce que certains juristes définissent comme « un transfert de légitimité de l’antiterrorisme ».

Ainsi, pour lutter contre une menace virtuelle, on nous entraîne peu à peu dans une logique de prévention à tout prix, qui, par les restrictions qu’elle fait peser sur nos droits et nos libertés, nous ramène des siècles en arrière. On est un peu dans le même esprit que la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 : On nous fait peur, ensuite on nous protège, donc on veut notre bien.

En rompant publiquement le ban cetautomatix-le-forgeron.gifde leur contrôle judiciaire, les Tarnacois ont fait un véritable pied-de-nez à la Justice. Ils vont ainsi au bout de leur logique en retournant la force du système contre le système.

De cette histoire vaudevillesque, basée sur un quiproquo juridique, police et justice ne sortiront pas grandies. À dire vrai, tout cela est un rien ridicule.  Mais comme on dit, le ridicule ne tue pas – sauf peut-être en politique.

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Gare Saint-Lazare, ce matin a été lu 2.012 fois en 3 jours et a suscité 25 commentaires.

Gare Saint-Lazare, ce matin

Des milliers de banlieusards ont eu la surprise, en débarquant de leur train, d’être canalisés par des cordons de policiers et d’agents de sécurité. Et de les voir ainsi, tête baissée, se hâter entre ces gens en uniformes, ou en civil porteurs d’un brassard, cela m’a glacé le sang. Dans cette séquence de vie, loustal-dans-touriste-de-bananes-de-georges-simenon.jpgil y avait un je ne sais quoi de mortifiant. Et même si on n’a pas vécu cette époque, comment ne pas penser à ces scènes vues tant de fois dans des films :  d’autres trains, d’autres uniformes… « Il ne manque que les chiens », a murmuré une jeune femme. Un homme, un Noir, a tenté de se rebeller : pourquoi était-il obligé de faire un si grand détour pour rejoindre la sortie qui se trouvait à deux pas de lui ? Personne ne lui a donné d’explications. On lui a dit de la fermer, on l’a attrapé par un bras, et on l’a remis dans… le troupeau. « Et on accepte ça », a grommelé ma voisine.

Je crois qu’elle avait honte, tout comme moi, de suivre la foule – sans rien dire.

Oh je sais bien, que cette gare est un cauchemar pour les autorités lors des grèves ou des manifestations ! Et sans doute la solution d’aujourd’hui était-elle préférable à celle du début de l’année, où, pour des raisons de sécurité, elle avait été carrément fermée.

D’ailleurs, même en temps ordinaire, aux heures de pointe, traverser le hall Saint-Lazare ressemble à un gymkhana, raison pour laquelle, sans doute, on a tracé au sol des bandes de différentes couleurs…

Moi, je les ai cherchées, ces bandes, mais au sol, je n’ai vu que des pieds, des centaines de pieds – qui piétinaient. Et, comme je suis d’un naturel optimiste, je veux croire que mes compagnons de voyage, tout comme moi, cherchaient leurs marques. Oui, je veux croire que c’est pour ça, que nous baissions la tête.

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Poker menteur à Bercy a été lu 900 fois en une journée et a suscité 11 commentaires.

Poker menteur à Bercy

C’est donc confirmé par le ministre du budget : les services fiscaux détiennent un listing informatique dérobé au siège de la filiale suisse de la banque anglaise HSBC. D’après la presse, le voleur serait réfugié dans l’arrière-pays niçois sous une fausse identité. Un témoin sous X « administratif », en quelque sorte.

pinocchio_levraidebat.PNGCe cadre de la banque a quitté la Suisse l’année dernière avec dans son ordinateur une liste cryptée de plusieurs milliers de noms de titulaires de « grands comptes ». Il aurait ensuite pris contact avec le fisc français, non pas pour monnayer ces informations, mais par idéalisme.  On a tant blablaté sur les traders, qu’il est bon ici de souligner ce fait : dans le monde de la finance, il existe des idéalistes.

Mais idéaliste ou pas, il est l’auteur d’un vol et de la violation du secret bancaire, ce qui, en Suisse, est un délit. Ce que confirme HSBC, qui reconnaît avoir été victime de « malversations entre la fin 2006 et le début 2007 » mais sur une toute petite échelle (moins de dix noms, tandis que certaines sources parlent de 4 000 noms pour un montant de six milliards d’euros), si petite qu’elle n’a même pas trouvé bon d’en informer ses clients.  

Puisque tout le monde ment dans cette affaire de maquignons (et non pas de Matignon), on est bien obligé d’imaginer la vérité. Voici donc une version des faits entièrement romancée.

Lorsqu’il arrive à la tête de HSBC Genève, début 2008, Alexandre Zeller, découvre le vol dont sa banque a été victime, un an plus tôt. Pas question pour lui de porter le chapeau. Mais il a d’autres chats à fouetter:  il doit mettre en place un plan de sauvetage pour son entreprise durement secouée par la crise des subprimes. Il lance des enquêteurs privés sur la piste de son employé indélicat. Dans quel but ? Celui de négocier le rachat de ce listing ou celui de le dénoncer à la police ? En tout cas, s’il y a des négociations, elles n’aboutissent pas, car le trader se tourne alors vers le fisc français. Mais ces détectives n’ont peut-être pas montré toute la discrétion voulue, ce qui a mis la puce à l’oreille des gendarmes du coin, là où se cache notre voleur. Lesquels, loin de toutes ces subtilités helvètes, informent le procureur de Nice – qui, comme on le sait, adore mettre les pieds dans le plat.  

Eric de Montgolfier prend donc contact avec la banque genevoise (à moins que ce soit le contraire) laquelle, du bout des lèvres, lui confirme les faits. Du bout des lèvres, mais suffisamment pour qu’il décide d’ouvrir une enquête préliminaire. Pour qui connaît le bonhomme, on peut se dire qu’il n’avait pas besoin de ça. Lorsqu’il tient un os, il ne le lâche. Le nom de Montgolfier est d’ailleurs connu de tout le monde, sauf des gens qui, à la Chancellerie, ont la lourde tâche de préparer le tableau d’avancement. Le magistrat non promu demande donc à ses gendarmes de rendre une petite visite à ce mystérieux Monsieur X, que la presse (pour une raison qui m’a échappé) a surnommé Antoine. Une perquisition fructueuse qui permet aux enquêteurs de mettre la main sur le fameux listing informatique. Mais notre ami Antoine n’est pas trop inquiet. Il est protégé. Il explique qu’il travaille à son décryptage avec les gens de la direction des enquêtes fiscales. Ce que les gendarmes font semblant de découvrir. Car il y aurait comme un petit air de rivalité entre services dans cette affaire… À deux doigts d’une guéguerre des polices.  Ah non, tiens, il n’y a pas de flics dans mon histoire !

J’insiste bien : tout cela est pour de faux, comme disent les enfants.

Voici ce que l’on connaît de cette affaire : les services de M. Woerth protègent un certain Antoine, un trader Franco-Italien, né à Monaco, qui leur aurait remis spontanément, sans aucune rémunération et sans en tirer aucun avantage, un listing volé à son employeur. Document en cours d’exploitation depuis un an par les spécialistes de Bercy et qui a permis au ministre du Budget d’annoncer sur un ton menaçant – et je suppose au grand dam de ses fonctionnaires, inquiets de le voir vendre la mèche – qu’il détenait une liste de 3 000 Français évadés fiscaux.

Ce qui pose évidemment trois questions aux petites gens que nous sommes : l’État, et en l’occurrence les deux ministres, Budget et Finances (et les fonctionnaires de ces ministères), peuvent-ils être considérés comme receleurs d’un document volé ?  Ce document volé peut-il servir de preuve dans le cadre d’une enquête pour fraude fiscale ? Et les autorités françaises vont-elles coopérer avec les autorités suisses qui enquêtent sur ce vol, comme il est de coutume dans une enquête judiciaire ?

Aux dernières nouvelles, la justice smileysvg.pngs’interroge. Elle hésite. Non, non ! Pas pour les deux ministres ni pour la coopération, mais pour savoir si Le Parisien, qui a dévoilé le pot aux roses, doit être poursuivi pour recel de documents volés ou bien pour recel de violation du secret professionnel.  

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Points de vue sur la garde à vue a été lu 1.032 fois en 3 jours et a entraîné un débat très technique. A ceux qui sont intéressés par le sujet, je conseille vivement la lecture des 49 commentaires.

Points de vue sur la garde à vue

Pas une semaine sans qu’on n’en parle, soit pour la dénoncer, soit pour la défendre. Et depuis que le Premier ministre a déclaré qu’il fallait la… « repenser », on peut même dire que c’est devenu une préoccupation au plus haut niveau de l’Etat. Ce n’est pourtant pas une mesure file-dattente_parentheses-atelier.jpgnouvelle, alors pourquoi tout ce remue-ménage autour de la garde à vue ?

On l’a détournée de son objectif pour en faire un outil statistique, nous dit-on. Certes ! Il est d’ailleurs injustifiable qu’une atteinte à l’une de nos libertés essentielles puisse servir à l’avancement d’un fonctionnaire ou au montant de la prime qu’il va encaisser à la fin du mois… La garde à vue alimentaire, c’est de la technocratie à l’état pur. Mais l’explication n’est pas suffisante, car dans les statistiques, les deux colonnes GAV de – de 24 heures et de + de 24 heures, existent depuis très très longtemps.

Non, je crois que la raison est plus profonde. Elle est dans un rapport de force qui s’est peu à peu établi entre le policier et le citoyen. Souvent d’ailleurs, cette mesure est agitée comme une menace – donc comme une sanction. Or, un officier de police judiciaire n’est pas là pour sanctionner, et encore moins pour condamner, mais simplement pour faire respecter la loi et l’ordre public. Ce qui n’est déjà pas si mal. Cette notion de puissance explique sans doute la réaction de certains responsables syndicaux qui n’ont guère apprécié la remarque du chef du gouvernement. Un peu comme s’il avait déclaré vouloir désarmer les policiers.

En fait, de quoi s’agit-il ? De trouver un moyen terme entre le respect de la liberté de chacun, les droits de la défense, et le bon fonctionnement de la police. Et aussi d’éviter les abus d’autorité.

Aujourd’hui chacun y va de son avis.

Ainsi, le bâtonnier de Paris organise ce lundi 7 décembre un débat intitulé « POLICE-JUSTICE : Contrôle ou connivence », avec comme objet, la garde à vue : « l’avocat doit être présent tout au long de sa durée et assister aux interrogatoires ».

Un beau programme, mais un rien utopiste. D’abord, même s’il est le porte-parole de 21 000 avocats, le bâtonnier serait bien en peine de mettre sur pied un système de permanence opérationnel.  Et bon nombre de ses confrères ne seraient sans doute pas très chauds. Ensuite, la garde à vue ne se déroule pas obligatoirement dans un local de police. Et parfois, c’est la course contre la montre : les recherches, les perquisitions, les recoupements, les filatures, les interpellations d’autres suspects, etc. Imaginons un instant l’arrestation d’une équipe de braqueurs… Une douzaine de personnes – et douze avocats ? Il faudrait pousser les murs.

Dans Le Monde du 4 décembre 2009, ce sont de hauts magistrats de la Cour de cassation1 qui s’expriment. Ils appellent, eux, à un habeas corpus à la française, afin de garantir à chacun « les droits à la liberté et un procès équitable ». Sous la plume de ces magistrats d’expérience, ce sont des mots qui pèsent lourd. Mais ils ne nous livrent pas la solution.

Quant au commandant de police Philippe Pichon, connu pour avoir dénoncé les irrégularités du fichier STIC, il monte lui aussi au créneau. Plus pragmatique, dans la revue en ligne ACP2 du 7 décembre 2009 (pas de lien, mais ici, au format pdf), il se livre à une analyse réfléchie  de la garde à vue et propose une ouverture qui mérite qu’on s’y attarde : la création d’un statut de « mis en cause assisté », copié sur celui de « témoin assisté », utilisé parfois par le juge d’instruction, à mi-chemin entre le statut de témoin et celui de mis en examen. La garde à vue resterait une initiative de l’OPJ, mais elle serait appliquée uniquement sur une personne contre laquelle il existe des indices graves et concordants. Dans les autres cas, ce serait donc une mesure moins lourde qui s’appliquerait, sauf en cas de déposition, où la garde à vue redeviendrait obligatoire.

Il a cette formule, qui, me semble-t-il, résume assez bien sa démarche : «  En fait, la garde à vue ne devrait intervenir ni trop tôt ni trop tard. Ni trop tôt parce qu’on ne saurait prendre inconsidérément le risque de nuire à la réputation d’une personne en la plaçant en garde à vue, ni trop tard parce que les droits de la défense ne doivent pas être éludés ».

Pas facile à mettre en application… La preuve, c’est que peu ou prou ce système existe déjà. En effet, contrairement à une idée toute faite, la garde à vue n’est en rien obligatoire. « Le mis en cause3 qui accepte d’être entendu librement ne doit pas l’être nécessairement sous le régime de la garde à vue, même au sortir d’une période de dégrisement (Cass. crim. 8 sept. 2004). » Il y a deux cas dans lesquels la garde à vue est obligatoire : le mandat de recherche et l’utilisation de la contrainte.

Si je peux me permettre d’apporter mon grain de sel, et au risque de passer pour un provocateur, je dirais qu’il ne faut rien changer ou presque à la situation actuelle. En effet, pour reprendre l’exemple du témoin assisté, le Code prévoit  (art. 152) que l’OPJ peut procéder à son audition (s’il est d’accord), en présence de son avocat (sauf s’il renonce expressément à ce droit). Alors, pourquoi ne pas généraliser cette pratique à l’enquête préliminaire et à l’enquête de flagrant délit ?

Ainsi, du moins, les droits de la défense seraient sauvegardés sans pour autant chambouler de fond en comble le travail des enquêteurs.

A noter que, paradoxalement, la présence de l’avocat pourrait donner au procès-verbal du policier un poids encore plus fort, ce qui n’est pas nécessairement le but recherché par la défense…

Il resterait ensuite à déterminer les conditions matérielles de la garde à vue, et surtout à éviter les gardes à vue vachardes ou… alimentaires.

Mais c’est un sujet dont on a déjà débattu sur ce blog.

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1) Jean-Pierre Dintilhac, président de chambre honoraire à la Cour de cassation ; Jean Favard, conseiller honoraire à la Cour de cassation et Roland Kessous, avocat général honoraire à la Cour de cassation.
2) Arpenter le Champ Pénal, revue en ligne ACP n° 168, sous la direction de Pierre-Victor Tournier, criminologue, directeur de recherche au CNRS et enseignant en sociodémographie pénale à l’Université de Paris I.
3) Hervé Vlamynck, Droit de la police, Ed. Vuibert.
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Fier d’être flic a été lu 11.400 fois en 3 jours et a suscité 80 commentaires, certains très intéressants, comme le témoignage de Obligatoire, le 04 décembre 2009 à 20:10, d’autres un peu trop enflammés, ce qui a obligé le modérateur du Monde à intervenir. Mais pour conclure sur un ton plus léger, je ne peux m’empêcher de relever la petite pique de François, le 04 décembre 2009 à 18:36, qui a déniché une faute d’orthographe dans la citation de l’article du règlement de la police, dont voici le lien sur Légifrance. Je suis incapable de dire si c’est lui qui a raison ou le signataire de cet arrêté, un certain Nicolas Sarkozy. Je donne ma langue au chat, comme diraient peut-être les correcteurs du Monde, sur leur blog, Langue sauce piquante…
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