LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Actualité (Page 35 of 71)

Manouches sans le savoir

En 68, après l’expulsion de Cohn-Bendit, les étudiants criaient : « Nous sommes tous des juifs allemands ! » On n’a encore entendu personne revendiquer son appartenance à la communauté des gens du voyage. Mais au fait, que faut-il roulotte_site_les-roulottes-du-pradal.jpgpour être considéré comme un nomade ? J’ai feuilleté le dictionnaire et j’ai trouvé cette définition : personne qui n’a pas de domicile fixe et qui se déplace continuellement.

Et d’un seul coup, le choc ! Plus possible de se dire « ça n’arrive qu’aux autres »… Moi qui ai déjà découvert mon identité nationale chez le garagiste du coin, voilà que je m’aperçois que pendant quatre ans, n’ayant plus de domicile fixe, j’ai fait partie des gens du voyage.

Pour savoir à quelles foudres judiciaires j’avais échappé, pour m’être ainsi mis hors la loi, je suis passé du dico au Code pénal, et notamment à la loi du 3 janvier 1969 « relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile fixe ».

On y dit, en deux mots, que les personnes âgées de plus de seize ans, dépourvues de domicile ou de résidence fixe depuis plus de six mois doivent être munies d’un titre de circulation si elles logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou un autre abri mobile.

Lorsque j’ai vendu mon appart, mes meubles et même mes livres (sniff !) pour m’offrir le bateau dont je rêvais depuis tout môme, j’ignorais ça… Étant du coup sans domicile fixe, et vivant donc dans un « abri mobile », j’étais manouche sans le savoir ! Et à ce titre, n’aurais-je pas dû être en possession de ce fameux livret de circulation à faire viser tous les trois mois ?

Pour obtenir ce titre de circulation, nous dit la loi, il faut être rattaché à une commune. Décision prise par le préfet ou le sous-préfet, après avis motivé du maire. Et, bien entendu, si l’on est étranger, on doit fournir les documents qui justifient sa présence sur le sol français.

Vous me direz, des gens qui vivent sur un bateau, c’est pas foison ! Pourtant, loin de la péniche friquée du quai de Seine, on trouve dans de petits ports fluviaux ou maritimes, voire au mouillage sauvage, dans des criques parfois inaccessibles, des mouille-cul à la carène envasée à jamais. Des marins qui se sont contentés de larguer les amarres avec la société. Des SDF de la mer. Ils ne sont pas à plaindre. D’ailleurs, si vous gagnez leur confiance, et qu’ils acceptent de raconter leur histoire, votre vie vous semble bien terne.

Certes, cette loi sur les gens du voyage ne s’applique pas aux bateliers. Mais un batelier, c’est un  professionnel. Or ceux-là ne sont pas des pros. Ce que confirme d’ailleurs le Code civil (art. 102) en parlant des « personnes vivant à bord d’un bateau de navigation intérieure immatriculé en France ».

C’est aussi ce que doit penser le maire de Lattes, commune près de Montpellier, qui a décidé d’interdire aux « plaisanciers » de Port Ariane d’habiter leur bateau plus de trois mois par an. Et, au passage, d’augmenter les loyers de 30 à 60 %. Et comme ces manouches fluviaux ne veulent pas se laisser faire, et qu’ils se sont regroupés en une sorte de comité de défense, il les menace de saisir le tribunal administratif en vue de les expulser.

lettre-du-maire-de-lattes.JPG

A Lattes, on appelle ça un coup de latte en vache. Il paraît que cet élu fait la même chose pour ceux qui habitent en mobil-home…

Il est comme nos dirigeants : tout le monde dans le rang. Et je veux voir qu’une seule tête, scrogneugneu !

Pour les gens qui vivent en caravane, c’est bien plus simple : obstruction sur la voie publique. Une modeste contravention de 4° classe (art. R 644-2 du Code pénal), et après, on enchaîne : contrôle d’identité, titres de séjour, situation…

Mon bateau.jpgBien sûr, l’amalgame entre les gens du voyage, comme ci ou comme ça, ne tient pas vraiment la route. Mais ils ont en commun une vie de bohème qui nous renvoie une image, vraie ou fausse, d’insouciance, de liberté. Comme un pied de nez à la société. Et je crois que c’est en çà qu’ils sont le plus dérangeants. Mais de là à les mettre à l’index…

D’ailleurs, s’il fallait mettre à l’index tous ceux qui nous dérangent, on n’aurait pas assez de ses deux mains.

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Encore faut-il prouver la légitime défense a été lu 2 540 fois et a suscité 41 commentaires.

Encore faut-il prouver la légitime défense…

L’incompréhension prime à la suite de l’incarcération de ce septuagénaire qui a blessé deux jeunes filles avec son fusil de chasse. Une pétition circule parmi les habitants de Nissan-Lez-Enserune pour soutenir « Papy René », comme l’appellent les internautes.

code-penal_francesoir.jpgLe procureur de la République estime que la légitime défense n’est pas certaine, alors que le citoyen répond : Si des cambrioleurs pénètrent chez moi, j’ai le droit de les tuer.

Et l’air de rien, on soulève un débat vieux comme le droit pénal.

S’il est assez simple de comprendre la légitime défense des personnes (proportionnée à l’attaque, actuelle, etc.), on a plus de mal à assimiler les subtilités qui s’appliquent à la défense des biens. Il faut dire que souvent les deux se combinent : le cambrioleur surpris en flagrant délit ne va-t-il pas devenir violent pour protéger sa fuite ?

Même le législateur, en 1986, s’est montré perplexe.

Lorsque le gouvernement a voulu fondre la légitime défense des personnes avec celle des biens, les députés s’y sont opposés, de crainte des excès qui auraient pu résulter d’une telle loi. En revanche, les sénateurs y étaient favorables. Résultat : un texte de compromis, avec des critères spécifiques à la légitime défense des biens.

Tout d’abord, il doit s’agir de repousser un crime ou un délit flagrant – ce qui exclut les contraventions. Si un type file un coup de pied dans la portière de votre voiture, vous n’êtes pas autorisé à lui péter le nez.

Ensuite, le but est de mettre fin à l’infraction (le plus souvent un vol). Une fois celle-ci terminée, la défense n’est plus légitime. Autrement dit, on ne tire pas sur un cambrioleur qui s’enfuit, ou qui se rend. Enfin, l’article 122-6 du Code pénal parle d’une riposte « strictement nécessaire ». Pour les juges, cela signifie qu’il doit y avoir des sommations, ou pour le moins une sérieuse mise en garde, avant, par exemple, d’utiliser une arme. Et si malgré tout, le voleur refuse de se rendre ou de s’enfuir, alors l’usage de la violence est « autorisé ». Il faut dire que devant un gaillard qui fait front, on a vite fait de passer de la défense de ses biens à celle de sa peau…

C’est en application de ce « principe d’avertissement » que les pièges à feu ne peuvent se justifier que si des pancartes bien lisibles signalent leur présence. C’est un peu le panonceau « Attention chien méchant » de nos villas de banlieue.

De plus, les moyens utilisés doivent être proportionnés à la gravité des faits. Une notion plutôt subjective. Là où un homme dans la force de l’âge peut se contenter d’un bâton, un vieillard devra prendre un fusil… Mais parmi toutes ces subtilités juridiques, il y a une certitude : un homicide volontaire ne peut jamais être considéré comme un acte de défense d’un bien. Quelle que soit la valeur du bien. « Le gardien du Louvres qui tuerait un individu pour l’empêcher de détruire la Joconde ne pourrait donc pas être déclaré irresponsable sur le fondement de l’article 122-5.»*
Autrement dit, s’il y a mort d’homme, celle-ci ne doit pas être voulue, mais la conséquence inattendue d’une accumulation de circonstances. Cette règle interdit de facto l’usage de pièges qui seraient destinés à tuer et non à blesser.

Enfin, sauf dans l’un des deux cas de présomption (intrusion de nuit dans un lieu habité ; vols ou pillages exécutés avec violences), il appartient à la personne poursuivie de démontrer qu’elle a agi en état de légitime défense…

Mais de toute façon, il y aura une enquête.

Il faut noter combien le rôle du policier ou du gendarme est important dans ce type d’affaire. Les constatations sont capitales. Le procès-verbal doit mentionner chaque détail (description des lieux, éclairage, emplacement des protagonistes, endroit où se trouvait l’arme, etc.). Et, lorsque c’est possible, rien ne vaut une reconstitution dans les heures qui suivent.

La plupart du temps, l’opinion publique a du mal à admettre l’enquête, la garde à vue, la mise en examen… Et dans le cas présent la mise en détention. Comme dit le maire de Nissan-Lez-Enserune, on pourrait se contenter d’un contrôle judiciaire…

Dans un sens, il a raison. Mais, outre la crainte d’un trouble de l’ordre public, en laissant René Galinier rentrer chez lui, ne risquait-on pas de donner l’impression que chacun a le droit de se faire justice ?

flic_indecis_lesso.jpgC’est le cauchemar du législateur, ce qui explique sa grande prudence. La crainte que certains ne confondent légitime défense et « permis de tuer ».

*Droit pénal général, de Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, éditions Economica.

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L’autopsie, « dans le respect dû au mort » a été lu 12 313 fois et a suscité 18 commentaires.

Réforme de la GAV : une chance pour les policiers

« Le lobby flicophobe vient de trouver un nouvel allié ! » annonce dans un tract récent Synergie-Officiers. De qui s’agit-il ? De son concurrent (majoritaire), l’UNSA/SNOP, dont le représentant a osé affirmer dans Le Monde que homme-menotte_photo-pero.jpgl’explosion des GAV était une conséquence de la « politique du chiffre ». Et, dans ce brûlot, Synergie fustige « ces pleureuses insincères, qui discréditent (par intérêt ?) toute une profession pour mieux hurler à l’unisson avec les éternels contempteurs de la Maison Police. »

Texto !

Il y a eu la guerre des gangs, la guerre des polices, et aujourd’hui c’est la guerre des syndicats de police.

Bien sûr, chacun a le droit de s’exprimer. Oui, mais lorsqu’on relève dans cette tirade des termes comme « lâcheté atavique » ou « hiérarchie génétiquement couarde », on est en droit d’être inquiet. Car ce sont des officiers de police qui parlent à d’autres officiers de police.

Pourquoi une telle violence verbale ? Uniquement pour défendre la garde à vue ?

extrait-tract-synergie-officiers.JPG

Si c’est le cas, on s’interroge : Pourquoi les policiers défendent-ils avec autant d’acharnement la garde à vue ?

Je crois que la réponse se trouve dans une succession d’erreurs, tant de la part de la hiérarchie que de la magistrature. On leur a fait croire que la GAV était un pouvoir qui leur appartenait. Qu’ils avaient le droit de priver quelqu’un de sa liberté sans avoir à se justifier.

Pourtant, on comprend bien qu’il s’agit là d’une décision grave, qui devrait être mûrement réfléchie et réservée aux cas extrêmes – surtout dans les conditions matérielles que l’on connaît. Alors qu’aujourd’hui, c’est la routine : on met en garde à vue et l’on réfléchit après.

Donc, en censurant la GAV, ces policiers ont l’impression d’un désaveu, on jette le doute sur leur probité. C’est un peu comme si on les désarmait de crainte qu’ils ne se montrent dangereux.

Pourtant, cette mesure ne se justifie que pour la raison simple qu’on n’a trouvé à ce jour aucune autre pratique pour assurer une enquête de police judiciaire. C’est donc un pis aller.

C’est le gouvernement de Vichy qui a réglementé la GAV. Sous couvert d’empêcher les évasions, il a organisé la privation de liberté, avec fouilles à corps, cellules aménagés, etc. À la Libération, malgré les réserves formulées par les commissaires de police et même par le ministre de l’Intérieur, cette mesure a perduré.

La GAV, telle qu’on la pratique aujourd’hui, a été officialisée par le Code de procédure pénale, en 1958. Et depuis, contrairement à ce que l’on pense, son évolution a toujours été dans le sens d’une augmentation des droits de la personne (formalisme procédural, information d’un proche, médecin, avocat…). Droits qui n’ont aucun rapport avec l’enquête et qui découlent uniquement de la privation de liberté.

Alors, pourquoi, en quelques années, est-elle devenue… insupportable ?

Ce n’est pas la mesure qui est en cause, mais la manière dont elle est appliquée.

Les policiers qui rouscaillent après le Conseil constitutionnel ne voient pas plus loin que le bout de leurs menottes. Ils vivent dans le passé. Cette réforme qui doit intervenir est au contraire l’événement que peut permettre de dépoussiérer la procédure et de faire évoluer leur métier. Le principe de base du judo : si tu me pousses, je te tire. Au lieu de balancer des injures, ils devraient faire jaillir des idées, des propositions. Si l’avocat participe à la GAV, par exemple, plutôt que d’en faire un ennemi, pourquoi ne pas en faire une sorte de collaborateur ? Ne pourrait-il pas rédiger lui-même les actes qui visent à la protection des droits de la personne et des droits de la défense ? flics_blog-jipad.jpgPrévenir un proche, chercher un médecin, trouver les médicaments, autant de démarches qu’il pourrait prendre à sa charge. Après tout, le gardé à vue est son client, non ! Et le secret de l’enquête ? diront certains. Tout comme le policier, l’avocat est tenu au secret professionnel. De plus, de par sa présence, il va « cautionner » les actes, les auditions, les aveux qui, du coup, prendront un caractère quasi irréfragable (en droit privé, le contreseing de l’avocat fait l’objet d’un projet de loi).
Il deviendrait alors possible de simplifier le formalisme procédural, et se contenter d’enregistrements sonores ou vidéos. Moins de papiers à rédiger, donc, plus de temps pour les investigations. Donc, des enquêteurs moins statiques, plus efficaces.

Autrement dit, si demain l’avocat est présent lors de la GAV, il faut le responsabiliser – et le faire travailler.

Mais toucher uniquement à la GAV serait une erreur. Il est nécessaire d’aller plus loin, d’en profiter pour revoir les procédures de l’enquête préliminaire et de flagrant délit. Et alors, les officiers de police judiciaire ne pouvant plus être soupçonnés d’en abuser, sans doute pourront-ils  se voir octroyer plus de prérogatives, plus de responsabilités, plus de pouvoirs, comme cela se passe dans d’autres pays.

(Le dessin provient du blog de Jipad.)
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Le crime de sang, ce truc d’un autre âge a été lu 22 865 fois et a suscité 113 commentaires. D’autres, outranciers, ont été supprimés. Et pour répondre à je ne sais plus qui, je n’ai jamais eu le plaisir de travailler aux archives, ni de conduire la voiture du directeur.

Le crime de sang, ce truc d’un autre âge

Au moment où le président Sarkozy déclare la guerre aux criminels, on apprend que le nombre d’homicides volontaires est en nette diminution : 682, l’année dernière, en France métropolitaine. Soit à peu près un crime de sang pour cent mille habitants… en âge de tuer. Ce qui nous place parmi les pays les plus vertueux (les États-unis font cinq fois moins bien).

film-scream3_site_allocine.jpgLes deux tiers de ces meurtres sont dits passionnels, et, dans les  trois quarts des cas, l’assassin est un proche de sa victime.

Quant aux crimes crapuleux, nous dit cette note confidentielle (?) de la direction centrale de la police judiciaire, ceux qui sont directement corrélés à un vol ou une tentative de vol, ceux dont on a le plus peur, ils sont en diminution de près de 45% en sept ans. Il y en aurait eu 27, l’année dernière.

On peut donc en déduire, c’est le miracle des statistiques, que le risque de se faire occire par un voyou est quasi nul.

Vous me direz, il suffit de ne pas avoir de chance…

Le taux d’élucidation est de 87%. « Les sections de recherches de gendarmerie et les brigades criminelles de la PJ n’ont plus à rougir face aux exploits de leurs distingués homologues de Scotland Yard », nous dit Christophe Cornevin, dans Le Figaro. Et il donne l’avis d’un policier : « Le risque de se faire confondre dans les jours ou les semaines suivantes est tellement fort que nombre de criminels en puissance ne suivent pas leur dessein jusqu’au bout. »

S’il est vrai que les résultats des enquêteurs sont époustouflants, la dissuasion n’a pourtant pas grand-chose à voir dans cette baisse des crimes de sang.

Il s’agit plutôt d’une évolution de la société. La « pacification des moeurs », comme le dit Laurent Mucchielli, dans Rue89. Pour ce directeur de recherche au CNRS, spécialisé dans les violences et la délinquance, cette baisse est une constante depuis le Moyen-âge : « La période contemporaine est assurément l’une des moins meurtrières depuis le début du XIXe siècle, comme le suggère la statistique juridique disponible depuis 1825. »

Alors, pourquoi ce sentiment d’insécurité ? Certes on ne craint pas que la mort, on redoute les vols, les violences, etc. Mais la peur, la vraie, la peur viscérale, dans quoi trouve-t-elle sa source ?

Il existe vraisemblablement deux raisons.

D’abord, la criminalité se concentre toujours sur des zones géographiques ou sociologiques à un moment donné. Il y a donc un effet de focalisation.

Ensuite, la dramatisation qui est faite de chaque événement déforme notre perception et altère notre jugement. L’année dernière, dans un autre domaine, celui de la santé, cette fausse pandémie de grippe est un exemple concret de ce catastrophisme d’État. 4eme-cie_13eme-bataillon-chasseurs-alpins_dailymotion.JPGCe qu’on pourrait appeler la politique de l’affolement.

Mais n’en déplaise aux adeptes du droit négatif, la France n’est pas malade, la France n’est pas en guerre, sauf en Afghanistan, et il y fait encore bon vivre.

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La balade des gens du voyage a été lu 2 043 fois et a suscité 16 commentaires.

La balade des gens du voyage

Brice Hortefeux a admis qu’il fallait encourager les communes de plus de 5 000 habitants à aménager des aires d’accueil pour les gens du voyage – en invitant celles de gauche à « balayer devant leur porte ». Une petite phrase qui a dû faire sursauter le maire socialiste de Conflans-Sainte-Honorine.

litho-manara-strada.pgEn effet, pour tenter de respecter cette loi de 1990,  retoquée en 2000, qui enquiquine tout le monde, il  y a quelques mois, plusieurs villes de l’ouest parisien ont décidé de se regrouper. Mais comme aucune d’entre elles n’avait envie de voir des caravanes s’installer trop près, elles ont eu une idée de génie : on va acheter un terrain qui leur sera réservé !

Elles ont jeté leur dévolu sur un endroit idyllique, situé près de l’Étang du Corra, au nord de la forêt de Saint-Germain-en-Laye – et près de l’usine d’épuration Seine-Aval, la deuxième plus grande station d’épuration au monde, derrière celle de Chicago, d’après Wikipédia.

Un Club Med pour Manouches, quoi !

station-depuration-seine-laval_cpdpdebatpublic.jpg

Mais ce terrain présente un énorme inconvénient (?) : il est très éloigné de ces villes (une quinzaine de kilomètres de Saint-Germain-en-Laye, par exemple), ce qui pose évidemment un sérieux problème pour la scolarisation des enfants du voyage.
Qu’à cela ne tienne, puisqu’il est situé à deux kilomètres du centre-ville de Conflans-Sainte-Honorine…  Après tout, c’est bien l’ancien maire de cette ville, Michel Rocard, qui était Premier ministre, en 1990, lorsque cette loi a vu le jour !

Certes, mais le maire actuel, Philippe Esnol, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Il dénonce une manœuvre de declaration-du-maire-de-conflans.JPGses collègues pour se défausser de leurs obligations sur sa commune. D’autant qu’il existe déjà sur le territoire de celle-ci un point d’accueil, propre, surveillé, et à ma connaissance sans problème pour les Conflanais. Les enfants qui y résident sont d’ailleurs scolarisés, comme il est de règle dans notre pays.

Il faut dire que la capitale de la Batellerie n’a pas la cote auprès de la majorité actuelle… Ainsi le prolongement de l’autoroute A 104, qui bute sur quelques milliards d’euros, coupe carrément la ville en deux. Une autoroute qui passera tout près de plusieurs écoles, un CES, un stade et un centre aéré.

Comme dirait, Chantal Jouanno, la secrétaire d’État à l’écologie, la pollution dans les écoles et les crèches est « une question de santé publique »…

Mais c’est sans doute la rançon à payer pour cette ville qui a engendré un Michel Rocard (on dit qu’il ne s’en souvient plus) et un Jean-Paul Huchon, cet empêcheur de tourner en rond autour de Paris.

Cette ballade (avec deux l, cette fois) est comme un refrain sans fin : le terrain convoité par ces six ou sept communes de l’arrondissement de Saint-Germain-en-Laye appartient à la ville de Paris, et Bertrand Delanoë a tranché : il n’est pas à vendre.

(Le dessin tiré du  film de Federico Fellini, La Strada, est de Milo Manara.)

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Le trust, niche fiscale des milliardaires a été lu 25 361 fois et a suscité 52 commentaires. Les trois billets du mois de juillet les plus lus sont : Liliane et les quarante voleurs (74 049), Un flic qui se mouille (59 048) et Petite fable d’un 14-Juillet de flics (29 981).

Le trust, niche fiscale des milliardaires

Tout est bon pour grappiller quelques petits millions d’euros sur le dos du fisc, comme nous le montre l’affaire Bettencourt. Mais dans le catalogue des combines et entourloupes (paradis fiscaux, placements offshore, fondations…) on n’a pas mentionné la martingale à la mode : le trust.

niche-fiscale_site_partenaire-europeen.jpgLe trust n’est ni une personne physique ni une société ni quoi que ce soit. C’est une entité, une réalité abstraite. Un acte par lequel une personne confie ses biens à une autre personne, afin que celle-ci les gère au profit d’une troisième personne, avant de les remettre à une quatrième personne – celle qui, à l’expiration du trust, empoche la mise. Tout cela sous le contrôle éventuel d’un  cinquième larron appelé le « protector ».

Je sais je sais, on n’y comprend rien. Mais c’est exprès. D’autant que cela peut encore se compliquer lorsqu’il y a réunion de plusieurs candidats trusteurs.

Quel avantage, me direz-vous. Eh bien, le principal avantage, c’est que les biens mis en trust n’apparaissent plus dans le patrimoine de leur propriétaire. Puisque juridiquement, il s’en est défait au profit du trust – jusqu’au jour où il les récupérera, lui ou ses héritiers.

Un bon truc le trust, non !

Vous pensez bien que l’administration fiscale s’est intéressée depuis longtemps à ce petit bijou du droit anglo-saxon. Mais elle s’y est plus ou moins cassé les dents. Ainsi, le Tribunal de grande instance de Nanterre a jugé qu’un résident français ne pouvait pas être assujetti à l’ISF pour des revenus provenant d’un trust créé aux USA. Et, en 2007, la Cour de cassation a enfoncé le clou dans un arrêt qui souligne l’intérêt fiscal d’un trust ouvert à l’étranger.

« Il peut donc être utilisé pour planifier une succession, préparer sa retraite, financer une association caritative… ou simplement organiser une séparation temporaire. Ainsi, Sylvio Berlusconi a mis dans un trust ses participations dans des chaînes de télévision italiennes pendant son mandat de Premier ministre », lit-on, dans Money Week. Et de citer l’exemple d’un résident américain, de nationalité française, décédé en France en 1995, dont les héritiers (français) ont encaissé la succession sans verser le moindre centime au fisc. Car le défunt n’étant plus légalement propriétaire des biens, il s’agissait non d’un héritage mais d’une mutation à titre gratuit.

Pour ne pas être en reste, en 2007, la France a créé son propre trust, mais réservé uniquement aux entreprises : la fiducie.

L’article 2011 du Code civil nous en donne cette définition, alambiquée à plaisir : «La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires.»

Bon !

Il s’agissait, a-t-on dit à l’époque, de freiner les délocalisations. Pourtant, l’année dernière, la fiducie s’est ouverte aux personnes physiques.

Pour faire simple, aujourd’hui, beep-beep_site_allo-cine.jpgpour un droit fixe de 125€, chacun peut créer sa fiducie. Encore faut-il avoir quelque chose à mettre dedans. On imagine les avantages sur l’ISF ou les droits de succession… Mais je suis peut-être mauvaise langue : la loi est trop récente pour avoir la moindre idée de ses imbrications fiscales.

En attendant, si Mme Bettencourt avait glissé son île dans un trust de droit anglo-saxon, qui lui est aussi vieux que le monde, les as de la brigade financière auraient pu chercher longtemps à qui elle appartenait, car elle n’aurait appartenu à personne.

Alors pourquoi ses gestionnaires de fortune n’ont-ils pas utilisé ce stratagème ? Je me garderai bien de répéter l’opinion de l’avocat fiscaliste qui a fait l’effort de m’initier à ces techniques…

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Un flic qui se mouille a été lu 56 181 fois et a suscité 62 réactions. Comme le commentaire d’Olivier P., qui se trouvait près du lac Daumesnil, a été malencontreusement effacé, on peut le retrouver ici. Sa vision des événements est moins lyrique que la mienne.

Un flic qui se mouille

Il y a quelques jours, une équipe de la BAC remarque un Trafic Renault qui circule à vive allure. Les policiers tentent de l’arrêter, mais le véhicule accélère, au risque de les percuter, et s’engage sur le boulevard périphérique de l’est parisien. Après un gymkhana plongeon.jpg de quelques minutes, le fourgon s’encastre dans le rail central. Le conducteur s’en extrait, traverse le périph et s’enfuit en courant.

Situation pas facile à gérer. Il faut à la fois éviter que cet accident ne provoque un carambolage et rattraper le fautif. Lequel, au bout de quelques centaines de mètres, stoppe un cycliste d’un coup de poing au visage et s’empare de son vélo. La poursuite pourrait se terminer là. Mais l’un des policiers, Jérôme, arrête un autre cycliste et (sans coup de poing) réquisitionne son engin. Et le voilà dans la roue du fugitif… Lequel peu à peu perd du terrain.

On imagine… L’homme se retourne, la chaleur est écrasante, il sue à grosses gouttes, il n’en peut plus, et ce flic qui se rapproche encore et encore… Alors, il abandonne sa bicyclette et plonge dans le lac Daumesnil. Ni une ni deux, Jérôme se débarrasse de son gilet pare-balles et de son arme et il plonge à son tour. Quelques instants plus tard, ses collègues récupèrent son équipement et se précipitent vers une barque.

C’est la fin de l’après-midi. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de touristes autour du lac du bois de Vincennes, mais en tout cas, ils auront quelque chose à raconter en rentrant chez eux : un policier qui crawle derrière un fuyard, tandis que  d’autres rament vivement dans leur direction…

Uns scène qui rend complètement ringards les rodéos à l’américaine, généralement filmés depuis l’hélicoptère d’une chaîne télé.

Finalement, les deux hommes prennent pied sur l’îlot central. Ils se retrouvent face-à-face, trempés, extenués. L’homme glisse la main vers sa poche, mais il n’a même plus la force de sortir le long tournevis qu’il porte sur lui. À moins, comme un sportif fair-play, qu’il ne reconnaisse sa défaite…

Le bilan est sans appel. L’homme, âgé de 24 ans, a un STIC long comme un dimanche de permanence, il était au volant d’un véhicule volé muni de fausses plaques d’immatriculation à l’intérieur duquel il y avait une cagoule, une sorte de masse pouvant servir de bélier, du ruban adhésif, et différentes petites bricoles.  Il est l’auteur avéré de sept ou huit infractions, et notamment d’avoir mis en danger la vie d’autrui. Des faits qu’il ne nie d’ailleurs pas.

Ce qu’il refuse de dire, c’est ce qu’il comptait faire. Probablement un braquage, ou un saucissonnage, va savoir !

À l’issue de sa garde à vue, le procureur l’a laissé en liberté en demandant aux policiers de poursuivre les investigations en enquête préliminaire. Ce qui, je le suppose, a dû entraîner quelques réflexions dans les vestiaires de la BAC, du genre : La pêche  a été bonne, mais le poisson n’était pas assez gros… On se demande pour qui et pour quoi on se mouille ! Une préli, comme pour Bettencourt… Etc.

Non, non, Jérôme n’a pas été inquiété non plus. L’administration ne lui a pas cherché des noises pour avoir pris le risque de faire rouiller ses menottes ou pour avoir plongé dans un endroit interdit à la baignade. Au contraire, il a été chaudement félicité par ses amis et par sa patronne.

Et comme après dix ans de voie publique en région parisienne, il aspire à une vie un peu plus… familiale, je suis sûr que celle-ci va appuyer sa demande de mutation dans un commissariat d’une ville de province.

coup-de-chapeau_site_e-memoirecom.1280049552.jpgLa course-poursuite, sirène hurlante, gyrophare rageur, c’est le petit coup d’adrénaline que chacun rêve de s’offrir. Même si cela pose question. Mais pour courir derrière un fuyard à la force du mollet, il y a déjà moins de volontaires. Quant à se transformer en triathlonien… Je ne l’avais jamais vu.

Chapeau, M’sieur Jérôme !

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Bettencourt : Les écoutes peuvent-elles servir de preuve ? a été lu  1.902 fois et a suscité 24 commentaires.

Bettencourt : Les écoutes peuvent-elles servir de preuve ?

Toute la procédure visant l’entourage de la milliardaire, et au passage celui d’un ministre, est basée sur des enregistrements effectués clandestinement. Or, « ces enregistrements constituent d’abord des délits dont celui d’atteinte à l’intimité de la vie privée qui seront poursuivis », déclare le procureur Philippe Courroye dans une interview au Figaro.

espionnage_espion_on_line.jpgFichtre ! Peut-on bâtir une procédure qui vise à déterminer l’existence d’un ou plusieurs délits en utilisant le fruit d’un ou plusieurs délits ? D’autant qu’il ajoute : « Ces pratiques illégales sont une très grave entorse au principe de la loyauté de la preuve. »

Si le procureur chargé des poursuites se pose des questions,  on est en droit de s’en poser également.

Qu’en dit l’antisèche des juristes, autrement dit la jurisprudence ?

Dans une affaire qui opposait un employeur à son salarié, la Cour d’appel d’Agen a jugé que les enregistrements téléphoniques et la retranscription de SMS étaient des procédés déloyaux. Mais, en 2007, la Cour de cassation a estimé que seules les écoutes téléphoniques étaient déloyales, pas  les SMS, car « l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ».

Mais, ce qui est vrai au civil l’est-il au pénal ? Non, car l’article 427 du Code de procédure pénale, nous dit Me Benoît Denis, sur son blog, mentionne que « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve ».

Il semble donc admis que les parties à un procès pénal puissent utiliser ce genre de procédés. Ce qui n’empêche pas, parallèlement, des poursuites pour avoir porté atteinte « à l’intimité de la vie privée d’autrui », délit puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende.

En revanche, les policiers, eux, ne peuvent utiliser les écoutes que lorsqu’elles sont ordonnées par un juge, même si la loi Perben II a écorné ce principe pour la criminalité organisée. Je me souviens de la mésaventure de ce commissaire, dans les années 80, qui avait branché un magnétophone sur son propre téléphone dans l’affaire dite des « fausses grâces médicales de Marseille ». Non seulement la procédure a été cassée, mais il a été poursuivi pour avoir procédé à des écoutes illégales.

Le Figaro nous rapporte que Jean-Paul Belmondo envisagerait de déposer une plainte contre les policiers belges à la suite d’écoutes téléphoniques effectuées sur sa compagne, Barbara Gandolfi. Guère de chances d’aboutir, car il s’agit ici d’une enquête judiciaire, mais… les policiers avaient-ils le droit de lui faire écouter certains enregistrements susceptibles de bousculer sa vie privée, alors que ses proches le disent « en état de fragilité » ?

Je parle de droit moral.

Et les journalistes… Ont-ils le droit (tout court) de mettre en ligne ou de retranscrire des enregistrements effectués au domicile de Mme Bettencourt ?

Si l’on se rappelle qu’il y a actuellement une information judiciaire, et plusieurs personnes mises en examen, à la suite de la diffusion en 2008, par Rue89, des images « off de Sarkozy » (les quelques minutes qui précédaient l’intervention du chef de l’État sur France 3), on peut s’interroger.

En Italie, on soupçonne Berlusconi de sombres arrières pensées lorsqu’il veut limiter l’utilisation des écoutes téléphoniques et leur publication dans la presse, mais, « Voulez-vous une société où, demain, n’importe qui s’arrangera pour faire sonoriser le bureau ou le domicile d’un avocat, d’un chef d’entreprise d’un journaliste, d’un magistrat puis rendra publics ces enregistrements ? » s’interroge le procureur Courroye. 

Alors là, la tête me tourne. Je ne sais plus que penser. Je n’aimerais pas que l’on place chez shadok-probleme_e-atlantidecom.1279873236.jpgmoi des micros et que ma vie privée devienne publique. Mais je n’aimerais pas non plus que l’on empêche les journalistes de faire leur travail, car sans eux, finalement, la démocratie serait mollassonne – et la vie bien plus grise.

Cela dit, si lui-même n’y croit pas, on ne voit pas très bien la suite judiciaire que M. Courroye va pouvoir donner à l’affaire Bettencourt…

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Le droit et la police

L’affaire  Bettencourt aura au moins le mérite d’attirer l’attention sur la guéguerre entre certains magistrats, sur le fonctionnement de la justice, et sur celui de la police. Il y a de la passion dans ce dossier, et chacun y va de sa propre interprétation du Code de procédure pénale – moi compris, sans doute. Aussi n’est-il pas inutile dans de telles circonstances d’ouvrir droit-de-la-police.1279609376.jpgun livre comme celui du commissaire principal Hervé Vlamynck : Droit de la police (3e édition – 2010), chez Vuibert, ouvrage qui se situe à mi-chemin entre la théorie et la pratique, et qui est préfacé par l’ancien directeur de la formation de la police nationale, Emile Pérez.

Voici ce qu’il nous dit de l’enquête préliminaire :

« Le pouvoir d’ouvrir une enquête préliminaire et de mener les investigations appartient concurremment à l’officier de police judiciaire, à l’agent de police judiciaire et au procureur de la République (…) Lorsque le parquet donne pour instruction de procéder à une enquête préliminaire, il fixe le délai dans lequel cette enquête doit être effectuée. »

À noter qu’à la différence de l’enquête menée dans le cadre d’une information judiciaire, il n’y a pas ici de délégation de pouvoir. L’enquêteur agit selon les prérogatives de sa fonction.

 « La police judiciaire a la possibilité de mettre directement en œuvre certains pouvoirs coercitifs » (contrôle d’identité, garde à vue, palpation de sécurité, réquisition à manœuvrier et prélèvement génétique).

Pour la garde à vue, le Code impose deux conditions : « La première concerne les nécessités de l’enquête et la deuxième suppose l’existence d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre l’infraction, objet des investigations ». L’OPJ n’a pas à solliciter l’accord de la personne. « Il faut que celle-ci soit à sa disposition (…) Lorsque la personne accepte de l’accompagner, de le suivre ou de déférer à une convocation, (il) peut la placer en garde à vue. »

« Le seul domaine où la personne doit consentir expressément, est celui de la perquisition. »

Si une personne refuse d’accompagner les policiers ou de répondre à une convocation, le procureur de la République peut utiliser des mesures de contrainte (art. 78).

Si une personne refuse une perquisition, c’est le juge des libertés et de la détention qui va intervenir, pour les délits punis d’au moins cinq ans de prison (ce qui, après lecture de l’art. 324-1 du Code pénal, est le cas du blanchiment). Ce même magistrat peut également autoriser l’OPJ à se faire remettre les données des opérateurs de téléphonie, et sans doute (mais ce n’est pas très clair), à procéder à des écoutes téléphoniques. Dans la pratique, l’utilisation d’écoutes administratives, simplifient les choses. Elles ne peuvent cependant être utilisées en procédure.

les-differentes-enquetes.jpg

Quant à la coopération internationale, elle a profondément évolué ces dernières années. Ses différents organes sont aujourd’hui rassemblés au sein d’une plate-forme commune, le SCCOPOL (section centrale de coopération opérationnelle de police), qui est rattachée à la direction centrale de la PJ. Les échanges d’informations sont monnaie courante, avec, pour la Suisse, commission rogatoire ou pas, cette réticence à répondre à des recherches qui concernent une fraude fiscale.

Une enquête effectuée sur délégation d’un juge d’instruction ne donne guère plus de pouvoir à l’OPJ, et certainement beaucoup plus de contraintes. C’était le fil du billet précédent : une plus grande liberté d’enquête pour la police. D’autant qu’à la brigade financière, les rapports de force sont rarement physiques : on y sort plus souvent son stylo que son calibre.

Bien entendu, l’information judiciaire malmène moins les droits de la défense, puisque les « mis en examen » ont accès au dossier, mais il s’agit là d’un autre débat. À noter, comme le rappelle Péhène dans son commentaire du billet précédent, que le procureur peut très bien donner aux personnes concernées un accès au dossier, comme cela a été fait pour Julien Dray.

D’ailleurs, qui peut affirmer que le procureur Courroye n’ouvrira pas une information judiciaire à l’issue de l’enquête préliminaire ?

Ce qui serait dans l’ordre des choses.

Et dans ce cas, le magistrat qui serait en charge de l’affaire délivrerait des commissions rogatoires à des policiers – probablement les mêmes hommes et les mêmes femmes, avec au-dessus d’eux la même hiérarchie. Je suis de ceux qui réclament la saisine d’un juge d’instruction dans l’enquête Bettencourt, mais juge ou pas, les « techniciens de surface » seront les mêmes.

Bien sûr, on n’est pas obligé de leur faire confiance, mais pour l’instant, à la brigade financière, ils ont fait un sans-faute.

Attention, au nom de la justice, de ne pas se livrer à un procès d’intention.

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Bettencourt : Les policiers ne sont pas des potiches a été lu 10 434 fois et a suscité 37 commentaires. Le billet ci-dessus tente de répondre aux critiques.

Bettencourt : Les policiers ne sont pas des potiches

Contrairement à une idée toute faite, l’enquête préliminaire est le cadre juridique qui laisse le plus de liberté à un policier ou un gendarme. Car, dans les limites du Code, il peut prendre toutes les plante-carnivore_gif.1279445084.gifinitiatives qui lui semblent nécessaires à la recherche de la vérité. Alors que sur commission rogatoire, ce même enquêteur devra souvent se contenter d’exécuter les instructions du juge.

On le voit bien dans l’affaire Bettencourt… Le procureur a ouvert une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale et, on a envie de dire accessoirement, pour vérifier les conditions d’embauche de l’épouse de M. Woerth. Difficile de faire autrement tant ces deux éléments ressortent des enregistrements clandestins effectués par le majordome. Mais, à la différence du juge, le procureur ne peut limiter les actes de la procédure. Et une fois la machine policière en route, certes il peut la contrôler, mais difficile de l’arrêter. Ainsi, il peut demander que certains actes précis soient exécutés, mais il ne peut en interdire d’autres. Autrement dit, il fixe les grandes lignes, sans plus. Si dans un P-V d’audition, le policier appuie sur la recherche d’un conflit d’intérêt entre l’emploi de Mme Woerth et le poste de ministre du budget de son mari, comme c’est rapporté dans Le Monde du 18 juillet, il ne peut rien y faire. On n’a jamais vu un procureur déchirer un P-V.

En revanche, et c’est là où le bât blesse, il reste maître des poursuites. Il peut, comme dans l’affaire Julien Dray, se contenter d’un simple froncement de sourcil avant de classer le dossier. On comprend bien pourquoi, sur RTL, ce dernier vante les mérites de l’enquête préliminaire…

C’est ce que je tentais d’expliquer à Mme Eva Joly lors du débat sur l’affaire Bettencourt dans l’émission Arrêt sur Images. Inutile de dire que je ne l’ai pas convaincue, ni elle ni Daniel Schneidermann. Est-il si difficile d’admettre que des policiers puissent faire leur boulot honnêtement ?

Ce qui n’empêche pas, dans cette enquête précise, d’ouvrir une information judiciaire. Ne serait-ce que pour couper court aux suspicions d’ingérence de la politique dans la justice. Et pour ne plus être la risée de nos voisins européens.

eva-joly_arret-sur-images.1279445182.JPGPourtant, dans les arguments d’Eva Joly, il y en a un qui fait vraiment mouche : pourquoi le procureur Courroye a-t-il ouvert une enquête pour blanchiment de fraude fiscale ?
Pour qu’il y ait blanchiment, il faut démontrer une fraude fiscale. Or c’est ce même magistrat qui nous expliquait, il y a trois ou quatre semaines, qu’il ne pouvait pas enquêter sur une fraude fiscale sans la plainte de Bercy…

Les choses ont-elles changé ? L’administration a-t-elle déposé plainte contre la milliardaire ? Va-t-elle le faire ? L’héritière de l’héritière va-t-elle mettre la main sur les actions de l’Oréal ? Ce fleuron du CAC 40 risque-t-il de passer dans le giron du SMI (Swiss Market Index) ? L’île d’Arros servira-t-elle de lieu de vacances pour les orphelins de la police ? Les héritiers Bettencourt vont-ils demander des droits pour le tournage du film en préparation Parce que je le vaux bien ? Liliane Bettencourt va-t-elle se retrouver en garde à vue ?

Vous le saurez en lisant la suite de l’enquête dans votre journal préféré.

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Sur le plateau d’Arrêt sur Images, se trouvait également le journaliste Christophe D’Antonio, auteur du livre La Lady & le dandy, chez Jacob-Duvernet
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Petite fable d’un 14-Juillet de flics a été lu 28 858  fois et a suscité 30 commentaires, et quelques mails sympathiques. Merci beaucoup.
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