LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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Pétarades autour du cannabis: Qu’en pense la police ?

En 2010, c’est plus de 120 000 personnes qui ont été interpellées pour usage de cannabis. Soit environ une garde à vue sur quatre (hors infractions routières). On peut donc dire que le quart de l’action des services de police et de gendarmerie est consacré aux fumeurs de pétards. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des revendeurs et des trafiquants, ni des autres drogues. Dont les drogues de synthèse, autrement plus dangereuses que le cannabis, et devant lesquelles on semble bien démunis.

L’activité judiciaire d’un commissariat de la banlieue parisienne est consacrée à plus de 40 % à la lutte contre l’usage et le trafic de drogue. Et je suppose que dans les tribunaux, les parquetiers croulent sous les dossiers stups. Pourtant, la consommation et le trafic continuent de progresser. Alors, ce travail est-il utile ?  Hier, on pouvait dire qu’il servait à meubler les statistiques, mais depuis que M. Valls nous a affirmé que la politique du chiffre est derrière nous, on peut s’interroger. J’ai donc posé la question à droite à gauche, dans les commissariats, et la réponse quasi unanime repose sur la connaissance de « la » population. En résumé, la loi qui pénalise l’usage des stupéfiants (un an de prison et 3.750€ d’amende, jusqu’à cinq ans de prison pour certaines professions, comme les policiers) permet d’arrêter et de ficher un maximum de gens, et notamment des jeunes. « C’est le vivier de la délinquance de demain » m’a dit un commissaire. Cela peut paraître cynique, mais c’est le principe même d’un fichier : plus il contient de noms (auteurs, suspects, victimes, plaignants…), plus il est efficace.

Mais il y aussi une raison non avouée. En fait, de nombreuses enquêtes sur le trafic partent du consommateur. C’est le plus facile à détecter. Or, grâce à cette législation très dure, il est possible de faire pression sur lui, voire de négocier. Il ne paraît pas amoral à un enquêteur de fermer les yeux sur le délit que commet un fumeur de joints pour se donner une chance de faire tomber son fournisseur – même si légalement la question se pose. D’ailleurs, c’est probablement cette démarche, conduite à l’extrême, qui a mené un grand flic comme Michel Neyret, a franchir la bande blanche.

Cela fait donc deux bonnes raisons pour que les policiers soient globalement contre la dépénalisation du cannabis. Cela leur enlèverait des moyens d’enquête. Comme ils souhaitent, d’ailleurs, que la simple consommation reste un délit. Alors que l’on pourrait se contenter d’une amende, une infraction au carnet à souches, comme l’a suggéré M. Rebsamen, avant de se faire reprendre par le patron. Mais dans ce cas, pas de garde à vue, pas de perquisition, pas de fichage… Mais en revanche du temps et des moyens dégagés pour s’attaquer aux trafiquants ou à d’autres formes de délinquance.

L’État et la Sécu ont budgété en 2012, 1.5 milliard d’euros pour lutter contre la drogue, mais personne n’a osé faire les vrais totaux : police, justice, prison, mesures de soins ou de surveillance médicale, etc. À quelle somme arriverait-on ? À mettre en balance avec les 22 et quelques millions d’euros récupérés par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) en 2011, sur la revente des cessions des biens confisqués lors des procédures pénales.

À une époque où l’on compte le moindre sou, tout cela est-il bien raisonnable ? Avec le résultat que l’on connaît : des jeunes de plus en plus accros et qui se marginalisent en se mettant hors la loi. La société française est tellement recroquevillée sur ce sujet qu’elle s’interdit même de prendre en considération le potentiel thérapeutique du cannabis, alors que les opiacés sont couramment utilisés pour lutter contre la douleur. D’où vient cet autisme qui nous incite à persévérer dans une voie qui de toute évidence mène à un cul-de-sac ?

Jean Cocteau disait qu’au lieu de l’interdire, il faudrait rendre l’opium inoffensif. Se faire du bien sans se faire mal (mais ce n’est pas dans notre culture). Le cannabis n’est sans doute pas inoffensif, loin s’en faut, mais c’est une drogue sans mystère. Et chacun a sa propre opinion. Et un ensemble d’opinions, ça fait un électorat. D’où cette polémique à la veille des élections, puis, dans quelques jours, le soufflé va retomber. Pourtant, M. Vaillant a  raison, cela mérite un vrai débat – objectif.  Car il n’y a pas de dogme dans ce domaine, et il est temps d’arrêter le gâchis.

Contrôles d’identité : Est-ce l’angélisme qui sonne ?

L’annonce du Premier ministre sur la délivrance d’un « reçu » lors d’un contrôle d’identité a fait ricaner dans les commissariats. Faut dire, qu’en dehors de toute sensibilité politique, on les attend un peu au tournant, les gens de gauche. On se demande quelle sera leur première boulette. Ici, on a un bel exemple d’une idée simple, généreuse, et en décalage sérieux par rapport aux réalités. Eh oui ! Le chemin est long du bureau au terrain. Mais, comme durant la campagne présidentielle M. Hollande a sans cesse parlé de concertation, on peut supposer que cette mesure ne sera pas prise de manière autocratique. Comme cela a souvent été le cas ces dernières années. Il n’y a pas le feu au lac. On prend l’avis des gens qui savent et surtout celui des gens qui font, et puis, pourquoi pas ! on commence par une expérimentation dans un secteur type, comme le suggère le délégué national d’un syndicat majoritaire.

Mais avant tout, il ne serait peut-être pas inutile de s’interroger sur le but des contrôles d’identité. On trouve en partie la réponse dans l’article 78-2 du code de procédure pénale. Un article un peu flou.

Quels sont les critères de base qui autorisent policiers et gendarmes à contrôler l’identité d’une personne ?

  • –      Elle est suspectée d’avoir commis une infraction ;
  • –      Elle est suspectée de se préparer à commettre un crime ou un délit ;
  • –      Elle est susceptible de fournir des renseignements utiles sur une enquête pour un crime ou un délit ;
  • –      Elle fait l’objet d’une recherche judiciaire ;
  • –      Cas particuliers (espace Schengen, trains…).

Mais l’identité d’une personne peut également être contrôlée pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens. On parle alors d’un « contrôle administratif ».

Un individu qui tournicote bizarrement autour de voitures en stationnement n’est pas suspect (légalement) de préparer un vol à la roulotte, mais en lui demandant ses papiers, le policier envisage cette possibilité. Il fait de la prévention. Et pour cela, il se fie à son instinct de flic.

Mais je suppose que dans l’esprit de nos nouveaux dirigeants, ce ne sont pas ces situations qui sont visées, mais les contrôles systématiques. Ils sont faits soit pour prévenir un trouble à l’ordre public (contrôle administratif) soit sur réquisition écrite du procureur de la République, en principe « aux fins de recherche et de poursuite d’infractions ». C’est de la PJ-scanner.

Depuis une loi de 2003, toutes les conditions énumérées ci-dessus sont laissées à l’appréciation du policier ou du gendarme. Il suffit qu’il existe « des raisons plausibles de soupçonner que ». Ce sont donc ces quelques mots qui encourageraient les contrôles au faciès (entre nous, c’était la même chose avant, sauf que ce n’était pas écrit). Il est aussi malhonnête de les nier que de les généraliser. Et en disant ça, on pense à la couleur de la peau. Mais il y a bien d’autres détails qui peuvent attirer l’attention du policier : le comportement, l’accoutrement, l’âge et surtout cette réaction instinctive qui trahit soit un sentiment de culpabilité soit, tout simplement, la crainte d’être contrôlé. C’est ce petit truc que guettent les douaniers lorsque les voyageurs ont récupéré leurs bagages, et qu’ils se dirigent vers la sortie de l’aérogare. Personnellement, je passe rarement la douane sans être fouillé. Lorsque je voyage en groupe, on organise des paris. Et je gagne souvent. C’est le délit de sale gueule.

Alors, le reçu est-il la solution ? Il va ralentir les contrôles, il va obliger à relever l’identité de la personne contrôlée et, comme le fonctionnaire va engager sa responsabilité, il se montrera plus pointilleux. En contrepartie une personne pourra exhiber son reçu si elle subit un deuxième contrôle. Mais comme elle aura déjà été interpellée et qu’il faudra bien comparer son identité avec celle figurant sur le reçu, on ne voit pas trop l’avantage… Mais je dois être de mauvaise foi.

Pour mémoire, toute personne doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité (78-1 du CPP). Seuls la carte nationale d’identité et le passeport électronique permettent de certifier de son identité. Mais comme ni l’un ni l’autre ne sont obligatoires, il est possible de présenter d’autres documents. Dans le doute (ce qui est rare) ou en l’absence de toute justification, un contrôle plus approfondi peut-être envisagé avec une rétention qui ne peut excéder 4 heures.

Lors du vote de la loi de 2003, dite Sarkozy II, haro de l’opposition ! Pour la gauche, ce texte allait favoriser les contrôles au faciès. Le Conseil constitutionnel a été saisi. Celui-ci a gentiment botté en touche, rappelant qu’il appartenait au législateur de faire la part des choses entre les libertés individuelles garanties par la Constitution et la nécessité de sauvegarder l’ordre public. Or, dans une quinzaine de jours, la gauche pourrait reprendre la main. En bonne logique, on peut donc penser que les parlementaires vont se pencher sur le code de procédure pénale pour lui donner un petit coup de jeune. Et qu’ils ne se limiteront pas à un modeste reçu… Peut-être un badge « J’ai été contrôlé ! »… Je plaisante.

Mais le problème est presque derrière nous : la technologie RFID ainsi que la reconnaissance faciale via les caméras de vidéosurveillance et le nouveau fichier TAJ (traitement d’antécédents judiciaires) qui remplace le STIC et le JUDEX (décret du 4 mai 2012) vont rendre quasi inutiles les contrôles physiques. Nous serons bientôt contrôlés sans même nous en apercevoir.

Elle est pas belle la vie de demain !

Michel Neyret va-t-il sortir de prison ?

Demain mardi, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris doit se prononcer sur les requêtes en nullité déposées par les avocats du commissaire Neyret (et des autres policiers) dans l’affaire qui a saboulé la PJ de Lyon. Quelle sera sa réponse ? Une récente décision de la Cour de cassation donne peut-être une première indication.

Cela fait maintenant plus de sept mois que Michel Neyret est incarcéré. Ce qui le situe grosso modo dans la moyenne nationale des gens aujourd’hui emprisonnés sans avoir été jugés.

Pour mémoire, il est mis en examen pour une kyrielle de crimes et de délits. Comme souvent, les magistrats ont balayé large pour, à l’arrivée, probablement ne retenir que certaines infractions.

Parmi les points litigieux relevés par les avocats figure la transcription d’écoutes téléphoniques effectuées dans le cadre d’une information judiciaire pour des faits qui n’ont rien à voir avec ceux qui sont reprochés au policier lyonnais. Le point de départ du dossier.

Or, en mars dernier, la Cour de cassation s’est prononcée sur un cas qui présente pas mal de points communs. Une écoute téléphonique dans une affaire de stups laisse supposer qu’un avocat s’apprête à monnayer des informations à des suspects. Délit puni de 3 à 5 ans de prison (art. 434-7-2 du CP). Les policiers montent une planque et surprennent le contact. Ce qui renforce les doutes. Le procureur est alors avisé et décide d’ouvrir une information judiciaire. L’avocat de l’avocat invoque la nullité. Pour lui, la découverte du délit reproché à son client (violation du secret de l’instruction) était fortuite et n’avait rien à voir avec l’enquête d’origine sur des trafiquants de drogue. Donc, ni les policiers ni le juge ne pouvaient enquêter d’office. Mais il n’a pas été suivi par la chambre criminelle qui, dans sa décision du 27 mars 2012, a rejeté le pourvoi : « Les officiers de police judiciaire qui, à l’occasion de l’exécution d’une commission rogatoire, acquièrent la connaissance de faits nouveaux, peuvent, avant toute communication au juge d’instruction des procès-verbaux qui les constatent, effectuer d’urgence, en vertu des pouvoirs propres qu’ils tiennent de la loi, les vérifications sommaires qui s’imposent pour en apprécier la vraisemblance, pourvu qu’elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l’action publique. » Et il en est de même pour le juge d’instruction. En clair, ils peuvent prendre les mesures nécessaires pour confirmer ou infirmer les faits, sans toutefois utiliser des moyens attentatoires aux libertés individuelles. Pas question, par exemple, de placer une écoute judiciaire.

Mais la simple retranscription d’une écoute téléphonique – comme c’est le cas dans l’affaire Neyret – est-elle une mesure attentatoire aux libertés individuelles, comme le soutenait le conseil de l’avocat mis en cause ? Nenni a répondu la chambre criminelle. Il s’agit bien là d’un acte sommaire destiné à apprécier la vraisemblance du renseignement obtenu.

Et pas question d’ergoter sur la violation du secret professionnel : un avocat ne peut pas s’abriter derrière lorsqu’il commet une infraction.

Dans l’affaire Neyret, les faits sont similaires. Les policiers parisiens enquêtent sur un trafic de stups et surprennent des dialogues téléphoniques dans lesquels il apparaît que le commissaire lyonnais pourrait se livrer à des magouilles avec des truands. Ils retranscrivent ces conversations et en informent le juge d’instruction. Qui lui-même en informe le procureur. Comme ces conversations n’ont rien à voir avec l’enquête menée par le juge et les policiers, les avocats estiment que l’on ne peut retenir ces éléments qui sont antérieurs à l’ouverture de l’information judiciaire. Sauf que la décision de la cour de cassation va dans l’autre sens.

Mais le point le plus litigieux du dossier reste sans doute le problème de la compétence territoriale. Pour éviter les fuites, le procureur de Paris a décidé de ne pas transmettre l’information à son collègue de Lyon, comme il aurait dû le faire. Il a préféré ouvrir une information judiciaire sur Paris. Alors qu’en principe, pour déterminer qui est compétent, on retient le lieu de l’infraction, le domicile de l’une des personnes soupçonnées ou le lieu de l’arrestation. Si la plus haute juridiction pénale estime que la décision du procureur répond à une saine mesure d’administration judiciaire, elle n’est susceptible d’aucun recours. Et le pourvoi sera rejeté. Sinon, c’est l’intégralité de la procédure qui pourrait être annulée.

Quelle que soit la réponse de la Cour de cassation, il est probable que Michel Neyret sorte bientôt de prison. Quant aux autres policiers également mis en cause, ils ont tous réintégré la police judiciaire.

Médailles en chocolat dans la police

En principe, l’ordre national du Mérite, récompense des services rendus à la Nation. On peut donc se demander ce qui légitime la nomination dans cet Ordre de deux responsables syndicaux de la police réputés proches de l’ancienne majorité présidentielle. Juste avant le départ de Nicolas Sarkozy. Comme le soulignent d’autres syndicalistes, cela ne peut être que pour services rendus – mais pas à la Nation.

Alors même que durant la campagne électorale le président-candidat accusait les syndicats de s’être « fourvoyés en politique », Patrice Ribeiro, responsable de Synergie Officiers et Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint d’Alliance, étaient décorés par le pouvoir sortant.

Pas de faux semblants, on sait bien que l’attribution de ces distinctions honorifiques répond le plus souvent à des motivations politiques, ou vient parfois récompenser des gens qui ont exercé des responsabilités au service de la société. Oui mais, lorsque le récipiendaire est un syndicaliste, on touche là à un symbole. Et ça ne passe pas. Cette droite qui attribue son échec électoral en partie à la presse, dont Le Monde, devrait se repasser en boucle les déclarations de deux journalistes politiques, Françoise Fressoz et Marie-Êve Malouines qui, en 2009 ont refusé la Légion d’honneur. Sans doute une question… d’honneur, justement. Même si d’autres journalistes (la liste est longue) voient les choses différemment.

Mais, en dehors de ces syndicalistes, les médailles qui viennent d’être distribuées à Toulouse posent encore plus d’interrogations. Notamment en ce qui concerne deux fonctionnaires de la DCRI, pour le ruban rouge, et un commandant de police de l’antenne locale, pour le ruban bleu. Ces policiers étaient-ils, comme cela se murmure, les officiers traitants de Mohamed Merah, ceux qui n’ont rien vu venir ? Je ne sais pas. Et si je le savais, la loi m’interdirait d’en parler. En tout cas, ces récompenses attribuées à quelques-uns, pour une affaire qui est loin d’être une réussite, ne font que renforcer le mystère. Et les questions s’accumulent. Elles ont sans doute des réponses, toutes simples, mais on aimerait les connaître. Lorsque sept personnes sont assassinées, dont trois enfants, le secret-défense ne peut pas exister.

Aux quatre coins de France, ces dernières semaines, des dizaines de policiers ont reçu une décoration. Pour Cédric Pappatico, tué lors d’une intervention sur un cambriolage, près de Chambéry, c’était hélas à titre posthume. Pour d’autres, ils sont nombreux, on leur a épinglé au revers de la tenue la Médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement. Certains pour des faits déjà anciens, comme ce brigadier de Roubaix, distingué pour avoir sorti du feu une mère et sa fille en… 2009. Pour la plupart d’entre eux, ce n’est que du bronze, mais de cette médaille-là, ils peuvent être fiers – eux !

La police désenchantée

Alors que l’ancienne majorité présidentielle a fait bonne figure devant la défaite électorale, certains policiers ont du mal à passer la main. Cependant, l’aspect indéniablement politique des manifestations de ces derniers jours ne doit pas masquer la réalité : l’ensemble du corps est  inquiet. Beaucoup craignent une grande lessive.

Depuis dix ans, Nicolas Sarkozy a marqué les flics à la culotte, et il ne sera pas facile de se défaire de son fantôme. Pour reprendre le flambeau sans trop de bobos, le nouveau ministre de l’Intérieur devra donc faire preuve à la fois de doigté et de fermeté. Car ce que les flics attendent aujourd’hui, c’est une feuille de route précise.

En attendant, ces manifestations à répétition donnent une bien mauvaise image de la profession. D’autant que le prétexte n’est pas bon. Il manque de dignité. Si l’on peut comprendre la réaction des policiers lorsque l’un des leurs est tué ou blessé, l’affaire de Noisy-le-Sec est bien différente : un homme est mort, et ce n’était pas le flic. Quelles que soient les circonstances de ce drame, et même si les juges concluent finalement à la légitime défense, il n’en demeure pas moins que la victime est dans l’autre camp.

Cela ne justifie certainement pas cette revendication insensée sur la présomption de légitime défense. Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler que si les policiers ont le droit de porter une arme, même lorsqu’ils ne sont pas en service, ce n’est pas pour se défendre, contrairement à ce que l’on entend ici ou là, mais avant tout pour assurer leur mission : défendre la sécurité et les biens des  honnêtes gens – qui eux n’ont pas le droit d’être armés. Et à cette supériorité factuelle sur le commun des mortels, certains voudraient ajouter l’immunité judiciaire… Quel symbole ont-ils donc d’une police républicaine !

Il ne faut pas confondre cette revendication jusqu’au-boutiste avec celle qui concerne la présomption d’innocence. Car là, effectivement, les policiers sont mal lotis. Souvent, lorsque l’un d’eux est mis en examen – donc, comme tout justiciable, présumé innocent – il est suspendu de ses fonctions. Il s’agit d’une décision administrative qui s’apparente bien à une sentence. En général, le fonctionnaire continue à percevoir son traitement de base, ce qui pour un policier représente grosso modo la moitié de son salaire habituel. Vous me direz, être payé pour ne pas travailler, ce n’est pas si inconfortable… Sauf que souvent, le montant des revenus est insuffisant pour faire vivre une famille, et que le statut de la fonction publique interdit d’exercer un autre emploi. Pire encore si, finalement, à l’issue de son affaire (quelques mois, quelques années…) il est révoqué, l’administration peut lui demander de rembourser les sommes qu’il a perçues durant le temps où il était suspendu.

Lorsqu’un policier fait l’objet d’une enquête judiciaire liée à l’exercice de sa profession, il serait simple et raisonnable de le muter dans un service sédentaire ou de le détacher provisoirement dans une autre administration. Et la sanction disciplinaire viendrait, éventuellement, après la décision judiciaire. Le policier ne serait donc pas puni avant d’avoir été jugé coupable et la société ne paierait pas un fonctionnaire à ne rien faire. Gagnant-gagnant.

Et puisqu’on parle là de poursuites judiciaires inhérentes à la fonction, la moindre des choses serait que le ministère de l’Intérieur prenne à sa charge les frais d’avocat. Car, même si la responsabilité pénale du policier est avérée, le crime ou le délit éventuel est bien une conséquence de son activité professionnelle.

En attendant, lorsque le nouveau ministre va débarquer Place Beauvau, il va trouver d’un côté une gendarmerie en ordre de marche, avec des propositions sérieuses, et de l’autre une police complètement déglinguée, engluée dans des revendications qui partent dans tous les sens. Et même si certains syndicats ont tenté de recadrer les récents mouvements de mécontentement, en y ajoutant de réelles revendications, comme la fin de la politique du chiffre et de la fonte des effectifs, on a nettement l’impression d’être dans le brouillard.

Lorsqu’on demande aux anciens quels sont les ministres de l’Intérieur qui ont marqué leur époque, deux noms émergent toujours : Pasqua et Joxe. Le premier était proche des policiers, le second a réorganisé la maison. Je me demande s’il en sera de même de Nicolas Sarkozy, lui qui a fait de la police son train électrique.

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Remerciement à Jean-Michel Sicot, photographe de presse, pour ces images tirées de l’un de ses reportages lors des dernières manifs.

La police s'invite dans la campagne présidentielle

Il n’y a pas si longtemps, le mari qui surprenait son épouse avec son amant dans le lit conjugal avait « le droit » d’abattre les deux. On appelait ça un « crime excusable ». L’ancien code pénal comptait d’autres perles du même genre qui permettaient de prendre une vie sans risquer une sanction. Au fil des ans, elles ont disparu. Mais les cas où la légitime défense est présumée acquise, eux, n’ont guère varié. Il y en a deux :

Donc, lorsque M. Sarkozy parle de présomption de légitime défense, que veut-il dire ? Qu’il faut ajouter un 3° alinéa à cet article, genre : la légitime défense est présumée si celui qui accomplit l’acte est un policier ? – Ce n’est pas très sérieux.

L’article 122-6 s’impose au juge. À lui, éventuellement, de démontrer le contraire. Dans les autres cas, c’est différent. La légitime défense n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Et il s’agit d’un fait justificatif, pas d’une excuse.

Dans l’affaire de Noisy-le-Sec, comme il n’y a pas eu riposte, le magistrat doit répondre à la question suivante : le policier était-il menacé ou pas ? Il faut noter toutefois que la jurisprudence fait jouer depuis longtemps la « présomption de légitime défense » en faveur des policiers. Ainsi, pour les juges, en général, le moindre geste d’un individu qui tient une arme face à un représentant de l’ordre est interprété comme une menace.

En revanche, si ce policier a tiré sur le suspect alors qu’il prenait la fuite, il s’agit bien d’un meurtre. Au juge de vérifier les deux thèses. Cela s’appelle la justice. D’après Me Daniel Merchat, l’avocat du policier mis en examen, il faut lui laisser le temps de se faire une opinion dans un dossier qu’il aurait découvert au dernier moment. À le lire, une procédure d‘ailleurs bien mal ficelée (c’est un ancien commissaire de police) !

Après avoir lancé le ballon de la présomption de légitime défense, certains réclament à présent que les policiers aient les mêmes droits (?) que les gendarmes. Or, si ceux-ci peuvent faire usage de leur arme en certaines circonstances, autres que la légitime défense, c’est en tant que militaires et en vertu d’un texte basé sur des considérations du siècle passé. Peu à peu, d’ailleurs, la Cour de cassation restreint cette possibilité. Ainsi, dans l’affaire de Draguignan, où un gendarme avait tué un homme qui s’enfuyait, elle a cassé la décision de non-lieu. Le gendarme est passé devant une Cour d’assises, et il a néanmoins été acquitté. C’est aussi ça la justice : des magistrats de haut rang désavoués par un jury populaire. Toutefois, lors d’une arrestation classique, comme c’était le cas à Noisy-le-Sec, le gendarme doit lui aussi se plier aux règles de la légitime défense. On peut donc dire que cette revendication ne tient pas plus la route que la précédente.

Les policiers ont-ils le droit de manifester ? – Dans les années 70 (majorité de droite), alors que des syndicalistes manifestent leur mécontentement, leur défilé est ovationné par des ouvriers en grève. Le gouvernement y voit le signe précurseur d’un élan de solidarité entre travailleurs et policiers en colère. Résultat : plusieurs responsables syndicaux sont sanctionnés.

En 1983 (majorité de gauche), lors d’un banal contrôle d’identité, deux gardiens de la paix sont tués et un troisième grièvement blessé. Après la cérémonie à leur mémoire, un cortège défile sous les fenêtres de la Chancellerie en réclamant l’abandon d’un projet de loi sur la sécurité alors en cours de discussion : Le préfet de police démissionne, le directeur général de la police est remercié, huit policiers sont sanctionnés et deux représentants syndicaux révoqués pour « participation à un acte collectif contraire à l’ordre public ».

En avril 2012, sur l’avenue des Champs-Élysées, la vitrine de Paris, des policiers en civil ou en tenue manifestent contre la justice au rythme des gyrophares et des sirènes sous les caméras d’une chaîne de télé bien informée : le président de la République et le ministre de l’Intérieur les soutiennent dans leur action.

À se demander si le bateau a encore un capitaine… Décidément, cette campagne présidentielle n’en finit pas.

Un petit mot pour ceux qui ne peuvent pas voter

Le jour des élections, il y a ceux qui votent, ceux qui ne veulent pas et ceux qui ne peuvent pas voter. Si les sondages prévoient un taux d’abstentions record, on ne connaît pas le nombre de personnes qui sont privées de leur droit électoral. Combien sont-ils ces « incapables », ceux à qui le juge a retiré le droit d’être un citoyen comme un autre ? Ou pour qui le droit de vote ressemble à un parcours du combattant.

Les condamnés – Les personnes condamnées peuvent être privées de tout ou partie de leurs droits civiques, civils ou de famille (art. 131-26 du CP) pour une période qui peut atteindre dix ans pour un crime et cinq ans pour un délit. En fait, pour celles qui sont condamnées à une peine de prison ferme, le délai est plus long. Car, si l’interdiction s’applique dès la condamnation, le délai, lui, ne commence à courir qu’au jour de la libération (art. 131-29 du CP). Un délinquant condamné à cinq ans d’interdiction et qui passe deux ans derrière les barreaux ne pourra donc pas voter pendant sept ans.

Cela dit, avant une loi de 1994, la perte des droits civiques était à vie pour les crimes et de dix ans pour les délits. Et les juges n’avaient pas à se prononcer : la mesure était automatique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il s’agit d’une peine complémentaire que la juridiction de jugement peut prononcer en plus de la condamnation principale. Il existe des exceptions pour certaines infractions, comme le manquement au devoir de probité, la corruption, le détournement d’un bien… L’incapacité électorale est alors automatique. Cela concerne plutôt les fonctionnaires, les élus, etc.

Pourtant, dans la pratique, l’interdiction du droit de vote est prononcée de façon quasi systématique en matière criminelle et dans les affaires correctionnelles d’une certaine gravité. L’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne vise pas les mineurs.

C’est l’INSEE qui gère le fichier des électeurs. Cet organisme est donc destinataire de l’extrait de casier judiciaire où figure cette condamnation et l’enregistre dans la liste des « interdits ». Toute personne qui passerait outre à une incapacité prévue par la loi en se faisant inscrire sur une liste électorale risquerait un an de prison et 15 000 € d’amende.

Retour vers le passé – Bizarrement, une personne condamnée avant la loi de 1994, pourrait très bien aujourd’hui être encore privée de vote. Tandis qu’une autre, condamnée plus tard pour des faits identiques, pourra glisser son bulletin dans l’urne en toute légalité. Alors que toutes deux sont à jour avec la société.

Et si l’on remonte dans le temps, c’était pire. Après la Révolution, celui qui était condamné à « la peine de la dégradation civique » était conduit en place publique, placé sous carcan, et exposé au regard du peuple. À cette époque, après un bref passage au « suffrage universel masculin » (seuls les hommes de plus de 21 ans pouvaient voter), on est vite revenu à un suffrage réservé aux « citoyens actifs ». En gros, seuls ceux qui payaient des impôts avaient le droit de vote. Tandis que les autres, les « citoyens passifs », ne pouvaient pas s’exprimer. Du moins par les urnes.

Ce terme de « citoyen passif » devrait faire réfléchir les abstentionnistes.

Les détenus – Lorsqu’ils n’ont pas perdu leurs droits civiques, ils peuvent voter en prison. C’est évidemment le cas pour tous ceux qui sont en attente de jugement. Plus du quart de la population carcérale. Les prisonniers peuvent demander à être inscrits sur les listes électorales de la commune où est implanté l’établissement pénitentiaire. Dans ce cas, il leur est délivré un extrait du registre des écrous qui vaut justificatif de domicile. Mais pour voter par procuration, ils doivent ensuite trouver un proche qui réside dans la commune où ils effectuent leur peine. Ce qui n’est pas toujours évident.

Ils peuvent aussi demander une permission de sortie. Enfin, pas tous. Ceux qui sont en détention provisoire ne bénéficient pas de cette mesure. Cela ne concerne que certains condamnés, en fonction de leur peine. Il ne s’agit pas d’un droit. La décision revient à l’administration judiciaire.

Extrait de la circulaire du ministère de la Justice du 1er février 2012

Ceux qui n’ont plus toute leur tête – En France, environ 800 000 personnes font l’objet d’une protection juridique. Un chiffre sans cesse en augmentation. La mise sous tutelle est la forme la plus lourde de cette mesure. Certains parlent alors de « mort civile ». Pourtant, ce n’est plus fatalement la mort civique, car, depuis la réforme de 2009, la règle est inversée : le droit de vote est la norme pour les gens sous tutelle, sauf si le juge en décide autrement.

On peut évidemment s’interroger sur la liberté de choix de certaines personnes dépendantes. Question qui se pose d’ailleurs parfois pour celles qui sont en soins intensifs. Une étude faite aux États-Unis a montré que ce sont souvent les accompagnateurs qui décident si une personne assistée doit voter ou non. Pour celles qui pourraient être mentalement déficientes, un outil d’évaluation a même été mis au point pour juger de leur capacité de compréhension et de décision. Mais il est probablement contraire à la loi visant à interdire toute forme de discrimination.

Pourtant, la Convention de l’ONU, relative aux droits des personnes handicapées, garantit à tous les citoyens les mêmes droits civiques – avec ou sans handicap. En fait, 4 ou 5 États de par le monde respectent cette convention en ce qui concerne le droit de vote des personnes qui souffrent d’un handicap mental.

Le droit de voter – Il n’est pas donné à tous, le droit de voter librement. Dans certains pays, c’est même un luxe. Et chez nous, la suppression du droit de vote est une sanction pénale. Pourtant, sur le site du Monde, le 17 avril, le philosophe Michel Onfray nous explique pourquoi « on peut ne pas voter ou voter blanc ». Je ne me permettrai pas de le contredire. D’ailleurs, je n’ai pas tout compris. Pourtant, même si cette campagne électorale est trop longue, trop médiocre, trop ras-des-pâquerettes, je me dis que c’est un moment unique où pointent un peu d’espoir, de rêve… Un moment rare où l’on a l’impression de faire partie de la même communauté, et alors, on n’est plus tout à fait un « citoyen passif ».

Justice : le poids des « petits pois »

À la différence de 2007, la sécurité n’est pas au centre de cette campagne présidentielle. Et c’est sans doute une bonne chose. Car l’insécurité, c’est un peu comme une maladie : il faut se soigner, mais c’est encore mieux de ne pas l’attraper. Toutefois, chaque candidat propose ses remèdes.

Quelques mois après les élections de 2007, Nicolas Sarkozy avait traité les magistrats de petits pois : « même couleur, même gabarit, même absence de saveur ». Ce qui n’était gentil pour personne, même pour les petits pois. Deux ans plus tard, une commission de réflexion présidée par Philippe Léger se penchait sur la réforme du Code pénal et de la procédure pénale. Hélas, la volonté politique de supprimer le juge d’instruction devait occulter son travail. C’est donc en catastrophe, devant le risque de voir des centaines de procédures invalidées que, l’année dernière, la loi réformant la garde à vue a été adoptée. Avec des résultats mitigés. Un premier coup de canif vient d’ailleurs de supprimer un article du code de procédure pénale (le 706-88-2), jugé anticonstitutionnel, qui empêchait le libre choix de son avocat par un individu entendu dans une affaire liée au terrorisme.

Dalloz Actualité a tenté de placer le sujet au cœur du débat politique en décortiquant les déclarations de chacun des candidats. C’est assez technique, mais en se limitant aux grandes lignes et aux principaux candidats, on peut se faire une idée du chemin qui pourrait être suivi dans les cinq prochaines années.

L’indépendance de la justice – Il faut d’abord noter (et se réjouir) du consensus qui se dégage pour renforcer l’indépendance de la justice. Mais chacun voit les choses à sa manière. Ainsi, les deux François souhaitent que les procureurs soient nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, mais M. Hollande veut aussi que les membres du CSM soient désignés différemment, de manière moins politique.  Pour Nicolas Sarkozy, pas de proposition, puisqu’il a déjà fait un premier pas (modification de la Constitution de 2008 et la loi organique de 2010) vers une plus grande autonomie du CSM, même si, pour ses détracteurs, le compte n’y est pas. Quant à Eva Joly, elle souhaite que le CSM statue comme conseil de discipline et qu’il soit le garant de l’indépendance des magistrats du siège et du parquet. Marine Le Pen va plus loin. Pour elle, les membres du parquet doivent être inamovibles et les magistrats, un peu comme les militaires, ne devraient pouvoir ni se syndiquer ni s’engager politiquement.

L’indépendance des procureurs – Dans sa lettre aux Français, Nicolas Sarkozy nous dit clairement que le parquet doit être dirigé par une autorité politique élue démocratiquement, car « le rôle du parquet est de défendre la société ». Le programme du PS revendique l’indépendance de la justice mais ne parle pas de l’indépendance des procureurs. Toutefois, l’intervention politique serait limitée aux seules directives générales. Autrement dit, les instructions individuelles rétablies en 2002 seraient de nouveau impossibles. De plus, la durée des enquêtes préliminaires serait limitée. Pour éviter, comme dans l’affaire Bettencourt, que le procureur retarde la saisie d’un juge d’instruction. Le plus important dans ce programme, me semble-t-il, concerne le juge des libertés et de la détention. Il deviendrait un véritable juge des libertés (plus classe !), aux pouvoirs élargis pour mieux contrôler toutes mesures qui touchent aux libertés individuelles. Mais, alors que l’échéance se rapproche, on est bien loin des grandes idées, de celles qui font rêver…

Les justiciables – Dans un pays financièrement exsangue, l’une des questions tourne autour de l’aide juridictionnelle. Comment donner à chacun le moyen de se défendre ? Cela ne concerne pas que les voleurs ou les assassins. Tous, un jour ou l’autre, nous pourrions être soupçonnés d’avoir de près ou de loin participé à l’une des 10 249 infractions répertoriées dans les différents textes qui régissent notre vie de tous les jours. Et même un homme aussi puissant que DSK a avoué devant la caméra de TF1 que, pris dans le tourbillon d’une enquête judiciaire, il avait eu peur. Du côté de François Hollande, on s’oriente vers une justice de proximité et le développement des Maisons de justice et du droit, ou une poussée vers la justice numérique. Avec, tout comme M. Bayrou, la volonté de renforcer la médiation, la conciliation et la recherche d’un nouveau moyen de financement. Mais personne ne parle de taxes supplémentaires. Des mots tabous dans une campagne électorale. Eva Joly est la seule, je crois (c’est plus flou, chez les socialistes), à annoncer une mesure souhaitée par beaucoup de Français : la possibilité d’agir en justice de manière groupée, la class action. Quant au candidat sortant, il veut simplifier le langage juridique pour une meilleure compréhension du droit. Je dois avouer qu’à la lecture du décret du Premier ministre sur les avocats (billet précédent), on est en droit d’être perplexe.

Les victimes – Là, le plus tranchant, c’est M. Sarkozy. Il veut accorder aux victimes le droit de faire appel des décisions des cours d’assises et des tribunaux correctionnels. Une victime pourrait même s’opposer à la demande de libération de son agresseur si elle se sent menacée.

Quels moyens pour la justice ? – Pour Nicolas Sarkozy, il s’agit de poursuivre le programme de construction de nouvelles prisons (6 000 de plus durant son quinquennat) afin d’atteindre 80 000 places en 2017 (environ 57 000 aujourd’hui pour plus de 65 000 détenus). Et il est question d’une nouvelle loi de financement de la justice. François Hollande, lui aussi, parle gros sous. Il souhaite remettre à niveau le budget de la justice et ouvrir de nouveaux postes pour rattraper notre retard par rapport aux autres pays européens. Jean-Luc Mélenchon le rejoint sur les effectifs, par son projet de création d’emplois publics. Marine Le Pen, elle, veut revaloriser le budget à 8.5 milliards d’euros sur le quinquennat. Avec un objectif : 20 magistrats pour cent mille habitants – et la création de 40 000 places de prison. Quant à Eva Joly, elle veut traquer la délinquance financière (c’est son dada), la délinquance environnementale et le crime organisé.

Y a du pain sur la planche – Aujourd’hui, la France compte 12 juges pour cent mille habitants. Le budget de la justice est entre 0.18 et 0.19 % du PIB. Alors que pour nos voisins, il est de plus du double (0.38 % pour l’Allemagne, 0.43 % pour l’Espagne…, et 0.52% pour la Pologne). Ce qui nous classe au 37° rang européen –  sur 43.

Et la police dans tout ça ? Euh !… Je n’ai pas trouvé de quoi faire un billet. Mais je vais chercher.

Moi aussi, je veux être avocat !

C’est la seule profession où autant de gens peuvent entrer par la petite porte. Ce décret du 3 avril 2012 de François Fillon, qui donne aux politiques l’accès aux barreaux de France, ressemble fort à un sauve-qui-peut. Mais il ne fait que renforcer une évidence : n’importe qui, ou presque, peut devenir avocat. Le plus difficile, en fait, est de s’y retrouver dans l’emméli-mélo des textes qui donnent à chacun ou chacune le droit de porter la robe. Ainsi, en se penchant sur le décret du 27 novembre 1991, revisité ces derniers jours, on comprend bien que le 3° alinéa de l’article 93 devient le 6° ; le 4°, le 7° ; le 5°, le 8°. Et qu’au dernier alinéa, les mots « et 3° » sont remplacés par les mots « 3°, 4°, 5° et 6° ». Pour tout renseignement complémentaire, prière de cliquer sur Legifrance.gouv. Et si vous ne comprenez pas, vous ne pouvez pas devenir avocat.

Pour l’étudiant, rien de changé. Il faut au minimum une maîtrise en droit (Master 1), pour présenter l’examen d’entrée à une école d’avocats. Mais la plupart des candidats ont plus. La formation est de 18 mois. Ensuite, le postulant passe l’examen pour obtenir le CAPA (certificat d’aptitude à la profession d’avocat). S’il réussit, il prête serment*… Une fois son certificat de fin de stage en poche, il va pouvoir enfin exercer librement le métier qu’il a choisi. Cela lui aura pris entre 6 et 8 ans. Et coûté pas mal d’argent.

8 ans, c’est justement la durée de l’expérience professionnelle demandée aux ministres, aux députés, aux sénateurs, ou à leurs collaborateurs pour accéder directement à la profession. Tout en gagnant pas mal d’argent.

Mais il ne faut pas être de parti pris : les passerelles existent depuis longtemps. Simplement, on en rajoute une couche. En fait, pour en bénéficier, deux hypothèses : diplôme ou pas. Pour un certain nombre de personnes ayant exercé des fonctions en rapport avec le droit, la condition de diplôme n’est pas indispensable. Pour d’autres, le diplôme est nécessaire mais ils accèdent directement à la profession. Toutefois, c’est une nouveauté, le décret 2012 prévoit « un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle ». Sans doute pour mieux faire passer la pilule.

Les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A qui ont exercé des activités juridiques pendant 8 ans au moins peuvent également demander à être avocat.

Cela m’a donné des idées ! En fait, c’est un article du Monde qui a été le déclencheur. Avec son talent habituel, Pascale Robert-Diard y dresse un portrait de Pierre Joxe, devenu avocat pour conseiller les jeunes en froid avec la justice. Ce qui a quand même plus de panache, pour un ancien ministre, que de défendre les intérêts d’une vieillissante héritière.

Donc, moi aussi, j’veux être avocat.

Coup de fil au barreau de Paris. Oui, me dit-on, mais il faut une maîtrise. Ce que je n’ai pas. Je n’ai même pas réussi à atteindre l’âge légal de la fin des études primaires, alors… Mais les magistrats, eux, n’ont pas besoin du diplôme ! Oui, mais les commissaires de police ne figurent pas parmi les professions super favorisées, même si, aujourd’hui, le concours d’accès à la profession est l’un des plus difficiles de l’administration. Bonne pâte, mon interlocuteur me tend une perche : Faites valoriser vos acquis professionnels. J’étudie la question. Je planche pendant des heures sur le site de plusieurs universités… Aïe aïe aïe ! C’est aussi difficile à comprendre que le nouveau décret de M. Fillon. Après 48 heures de flottement, j’opte pour la fac de Nanterre. J’attends la réponse.

Bon, je crois que je ne suis pas au bout de mes peines. C’est dommage, j’aurais bien ouvert un cabinet avec Bernard Squarcini. On aurait pu se partager les gardes à vue.

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* Voici la parcours d’un jeune avocat (après correction suite aux commentaires de Avo et de François | le 09 avril 2012 à 11 h 08 min) : Master 1 (le plus souvent Master 2) + IEJ + Examen d’entrée + 18 mois de formation théorique et pratique en 3 modules : stage étranger ou projet pédagogique, études théoriques, stage pratique en cabinet. Prestation de serment après avoir réussi au CAPA. Ce qui fait au minimum Bac+6.

RAID : Tentative de débriefing

Christian Prouteau, le créateur du GIGN, critique l’opération du RAID. Robert Broussard, créateur de la Brigade anti-commando et initiateur du RAID, critique Prouteau. Tandis que l’ancien patron de l’Unité d’intervention de la police israélienne, Alik Ron, déclare sans ambages : « Toute l’opération ressemble à une démonstration de stupidité ».

Alors qui faut-il croire ?

Prouteau a raison sur un point : Il fallait tendre une souricière. Autrement dit organiser une planque et « sauter » Mohamed Merah au moment où il sortait de chez lui. Les risques n’étaient pas nuls, mais les chances de succès étaient importantes. Broussard, d’ailleurs, ne le reprend pas sur ce point. Il serait bien en peine, puisque c’est la technique que lui-même avait privilégiée pour arrêter Mesrine. Vous me direz, le résultat est le même dans les deux cas. Oui, mais pour Mesrine, aucun policier n’a été blessé.

Donc, c’est une première erreur. Ce n’est pas celle du RAID mais des autorités de l’État qui drivaient l’opération. Le problème, évidemment, c’est que cela pouvait prendre du temps. Mais probablement moins de 30 heures.

Donc, on a préféré la grosse artillerie. Avec ordre d’intervention en pleine nuit, après accord du juge des libertés et de la détention (Art.706-89 du CPP). Eva Joly n’a pas tort de dire qu’on agissait dans le cadre d’une opération de police judiciaire. L’autorité opérationnelle du ministre de l’Intérieur devait donc s’effacer devant celle des magistrats.

Mais ne chicanons pas.

Les  hommes du RAID donnent l’assaut. Peut-être à ce moment-là ont-ils un peu sous-estimé Mohamed Merah. Après tout, un jeune de 23 ans, seul dans un appartement, ils en ont vu d’autres… Ils se font cueillir sèchement. C’est là où survient, me semble-t-il, la plus grosse erreur : on leur enjoint de battre en retraite.

Or, ce qui différencie une opération militaire d’une opération de police, c’est que pour la police (ou la gendarmerie), il ne peut y avoir ni retraite ni reddition. C’est un principe républicain : force doit rester à la loi. On imagine la rage de ces policiers d’élite d’avoir à se replier alors que deux des leurs sont blessés…

On est donc à présent dans la situation où Merah sait qu’il est découvert et cerné. Si l’on se glisse dans sa peau, il a deux possibilités : se rendre ou mourir. Et l’on commence à négocier. Jusqu’à présent, j’avais cru comprendre que la négociation visait à sauver la vie des otages. Mais ici, pas d’otage. En fait, on négocie la vie de l’assassin présumé (fortement) de sept personnes. Normalement, une fois l’opération commencée, on la termine. Certes on fait tout pour éviter de tuer le suspect, mais si on se fait canarder, on riposte. Ça, ce n’est ni de gauche ni de droite, c’est dans la loi.

« Qui attend 30 heures quand il n’y a pas d’otage ? » interroge le policier israélien. Durant ces longues heures de siège, non seulement Merah roule les autorités dans la farine, en leur disant un coup noir un coup blanc, mais il s’organise, il se barricade. Et surtout, il tient la vedette dans tous les médias. Plus grave encore, s’il a des complices, il leur donne le temps de prendre le large et éventuellement de détruire les preuves.

Lorsque le nouvel ordre de donner l’assaut intervient, en haut lieu, on insiste de nouveau : Il faut le capturer vivant. C’est presque une insulte. Les policiers du RAID ne sont pas des tueurs. Au contraire, ils sont formés pour neutraliser les suspects. Et s’ils doivent tirer, ils ont suffisamment d’entraînement et de sang-froid pour viser des parties non vitales. Or, le chef du RAID a, d’après ses dires, doté ses hommes d’armes non létales. Ce qui a dû leur compliquer sérieusement la tâche lorsqu’ils se sont trouvés sous un feu nourri. Ordre ou pas, la réplique a été sévère. Je n’ai pas le souvenir d’une intervention où autant de cartouches aient été tirées dans un si petit espace !

Alors, cette opération est-elle une réussite ? Difficile de dire cela alors que le suspect a été criblé de balles et que cinq policiers ont été blessés. Dans la lettre que le chef du GIGN, le général Thierry Orosco, adresse au chef du RAID, le contrôleur général Amaury de Hautecloque, il conclut en disant : « Je compte sur toi pour nous faire part, au cours d’un débriefing, des enseignements que vous tirerez de cette opération. »

Je voudrais bien être une petite souris…

Mais le plus désastreux, dans cette histoire, c’est la vitrine médiatique que l’on a fournie à Mohamed Merah. Et lorsque l’on entend dire qu’il est mort comme il le souhaitait, les armes à la main, on frissonne. Pour certains extrémistes, ne pourrait-il pas devenir un symbole ?

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