LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : G.Moréas (Page 24 of 82)

Vacances, animaux et bonne conscience

Il y a quelques jours, la voiture de Mme Bernadette Chirac a heurté un chevreuil sur l’autoroute A20, à une cinquantaine de kilomètres de son château de Bity, à Sarran, en Corrèze. On ne va pas lui en tenir rigueur, d’autant que ce n’est pas elle qui conduisait, mais son « officier de sécurité ». Ce petit fait divers attire l’attention sur l’incidence de nos transhumances estivales sur les animaux sauvages, désorientés par ce va-et-vient incessant, et aussi, hélas ! sur les animaux de compagnie, qui deviennent parfois encombrants.

Photo de Didier Weemaels, prise forêt de Soignes (site Flickr)

Au volant, si vous heurtez un animal en liberté, votre responsabilité n’est évidemment pas engagée. S’il s’agit d’un animal sauvage, vous pouvez même prétendre à une indemnisation du « fonds de garantie ». Pour cela, il faut prendre soin de préserver, à l’attention de l’expert, les traces laissées par le choc (sang, poils…). Mais s’il s’agit d’un animal dont le propriétaire est identifié, c’est vers lui que la compagnie d’assurance ou la justice se tournera.

« Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé », dit le Renard au Petit Prince. C’est un peu ce que nous rappelle l’art. 1385 du code civil (créé par une loi de 1804) : « Le propriétaire d’un animal (…) est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé. »

Cette responsabilité peut d’ailleurs être pénale. Mais, ce que l’on sait moins, c’est que les animaux possèdent eux aussi des droits. La loi les protège des humains.

Ce qui ne va pas sans poser problème, car il n’est pas raisonnable de donner aux bêtes, comme pour les hommes, une véritable identité juridique. Et si la tendance actuelle va vers la personnification de l’animal, il faut se garder de tout anthropomorphisme. Chacun doit rester dans sa peau.

Il existe, depuis 1987, une Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie. La France l’a ratifiée en 2004, avec toutefois une restriction sur un alinéa : la coupe de la queue, qui porte le nom savant de caudectomie. Une intervention chirurgicale qui – chez nous – se pratique encore sur les porcelets et parfois aussi sur les chiens. Pour ces derniers, il y a quelques années, un député avait même proposé que l’on en revienne à la pratique de la coupe des oreilles…

Voyou (photo perso) - Des fois, je lui taillerais bien les oreilles en pointe...

Il faut dire que de la zoolâtrie à la diabolisation, l’histoire nous montre que nos relations à l’animal ne sont pas simples. C’est un domaine où la raison marque souvent le pas. Ainsi, au Moyen Âge, les animaux pouvaient être cités en justice. On dit même qu’au début du siècle précédent, en Suisse, un chien a été jugé coupable de complicité de meurtre et exécuté. Plus près de nous, la Cour de cassation a estimé que les mauvais traitements infligés à un animal étaient en partie de sa faute, en raison de son comportement. Or, il est évident que si l’on donne une responsabilité pénale à une bête, il faut en contrepartie lui donner des droits juridiques. On frôle les fables de La Fontaine… Et, à force de « bons sentiments », on en arrive à des absurdités. En fait, si l’on appliquait le code pénal, cela ne serait déjà pas si mal. Comme l’article 521-1 qui punit de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende le fait d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou  de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé – ou simplement tenu en captivité. Alors que bizarrement, la mise à mort, sans nécessité, n’est punie que de l’amende prévue pour la contravention de 5° classe.

En fait, les infractions qui visent les violences aux animaux n’encombrent pas les tribunaux. Mais les choses évoluent vite. On se souvient qu’en 2009 une jeune femme a été condamnée à 6 mois de prison ferme pour avoir aspergé un chien d’essence avant qu’un gamin y mette le feu. (L’animal, brûlé à 50 % a néanmoins survécu.) Et, en 2007, la Cour de cassation a confirmé que les actes de sodomie effectués par un homme sur son poney étaient des sévices sexuels, entérinant ainsi la condamnation à un an de prison avec sursis. Et comme cette déviance va souvent de pair avec des réseaux zoophiles, en 2010, une proposition de loi a été déposée pour lutter contre la diffusion d’images mettant en scène des animaux.

Volontairement, le code pénal ne parle pas  d’animaux de compagnie. Il va au-delà. Dans la pratique, on peut retenir trois catégories :

L’animal de compagnie – C’est celui qui est détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément (art. 214-6 du code rural).

L’animal domestique – Un arrêté de 2006 fixe la liste « des espèces, races ou variétés domestiques », du moins au sens du code de l’environnement. La définition qu’il en donne est quasi incompréhensible. Pour simplifier on peut dire qu’il s’agit des animaux qui ont fait l’objet d’une sélection par l’homme. On y trouve des mammifères, des oiseaux, des poissons et même des insectes, comme le ver à soie. L’animal de compagnie figure donc dans la liste des animaux domestiques.

Le cheval aussi, tout comme le bœuf, le porc, etc. En 2010, des députés ont déposé une proposition de loi pour que cet équidé soit considéré comme un animal de compagnie. Comme argumentaire, ils défendaient l’idée que de nos jours rien ne différencie un cheval d’un chien, animal qui peut être un outil de travail tout comme un compagnon de loisir. Sauf que les chiens ne finissent pas à l’abattoir… Sur le site de la Fondation Brigitte Bardot, on peut lire que 850 équidés seraient tués chaque jour en France. Mais le Canada reste notre principal fournisseur de viande de cheval. À ma connaissance, cette proposition de loi est restée lettre-morte…

L’animal non domestique – Ce sont toutes les autres espèces. Elles ne font donc l’objet d’aucune protection juridique lorsqu’elles vivent à l’état sauvage (sauf espèces protégées). Pour le code de l’environnement, sont considérées comme espèces animales non domestiques celles qui n’ont pas subi de modifications par sélection de la part de l’homme. La liste est établie par arrêté après avis du Conseil national de la protection de la nature (R-411-1).

Pour revenir à des choses sérieuses, c’est-à-dire l’accident de Mme Chirac, elle n’a heureusement pas été blessée. La préfecture de Corrèze a aussitôt envoyé un véhicule de remplacement et elle a pu poursuivre sa route. Oui, je sais bien, à l’heure de la rigueur, certains vont se poser des questions… Mais dans ce billet dédié aux bêtes et à leurs amis, je me contenterai d’une pensée pour le chevreuil.

Police : le retour de la pucelle ?

Parmi les ballons d’essai lâchés par M. Valls pour rapprocher la police de la population figurent le « contrôle » des contrôles d’identité, le bannissement du tutoiement et la réapparition du matricule sur l’uniforme. Le matricule, c’est le numéro d’identification attribué à chaque fonctionnaire de police et qui le suit sa carrière durant. Autrefois, les gardiens de la paix le portaient sur un écusson accroché à la boutonnière : la pucelle.

Pucelle de la Préfecture de police (site Amicale Police Patrimoine)

Il y a plusieurs origines possibles à ce nom, toutes militaires. Ma préférée : les jeunes recrues devaient ouvrir la boutonnière pour y glisser l’attache. Il fallait donc la dépuceler. Lors de la création de la police nationale, en 1966 (les mots « police nationale » ont été utilisés une première fois sous Vichy), la pucelle a survécu. Pour la police parisienne, elle a seulement changé de côté, elle est passée de gauche à droite (mais on peut intervertir, hein !).

L’air de rien, un matricule visible pourrait être considéré comme un premier pas vers un rapprochement des policiers et de la population. Soudain, derrière l’uniforme, il y a quelqu’un. Alors que depuis près de 30 ans, la tendance est inverse. On s’est efforcé de « déshumaniser » la fonction et de la couper du reste de la société. Peut-être le relent d’une vieille crainte : voir les forces de sécurité se ranger du côté du peuple !

En 1984, dans le cadre du plan de modernisation de la police voulu par Pierre Joxe, il a été décidé de changer les uniformes. Le traditionnel képi a disparu, remplacé par la casquette plate. Et la pucelle aussi, remplacée par rien du tout. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un caprice du couturier Balmain (qui a créé la tenue) ou d’une décision politique. Pourtant, on peut dire que si M. Joxe a laissé son empreinte Place Beauvau, il a également été le premier ministre de l’Intérieur à fermer la police au monde extérieur, interdisant, par exemple, toute communication avec la presse. Un élagage peut-être nécessaire : trop de têtes dépassaient.

En 1995, Jean-Louis Debré remplace Charles Pasqua à l’Intérieur et les inspecteurs de police deviennent des officiers. Et la police nationale devient la « petite muette ».

En 2004, Nicolas Sarkozy, décide de changer la tenue pour la rendre plus fonctionnelle. Disons que le policier devient plus martial (et à mon avis moins élégant). Cette fois, les uniformes sont griffés Balenciaga. Mais toujours pas de retour de la pucelle : elle semble définitivement condamnée puisque le nouvel habit ne comporte pas de poche sur la poitrine, donc pas de boutonnière.

Et pourtant, aujourd’hui, l’idée est de nouveau dans l’air. Et pas seulement en France.

Ainsi, l’année dernière, en Belgique, à la suite de violences infligées à une jeune « indignée », un collectif d’avocats a demandé au ministre de l’Intérieur que tout agent en uniforme ou en civil soit rendu identifiable par la présence d’un numéro matricule. Et, récemment, le sénateur Gérard Deprez a déposé une proposition de loi en ce sens (dans ce pays, il existe déjà un texte, mais il n’est pas appliqué). En résumé, il souhaite que les policiers en tenue portent de manière visible leur numéro matricule personnel et que ceux qui agissent en civil le portent sur leur brassard. Il base d’ailleurs son argumentaire sur un arrêt du 11 octobre 2011, rendu par la CEDH (M. Deprez a été député européen durant 25 ans). La Cour s’est penchée sur le cas d’un citoyen bulgare qui a été victime de coups et blessures infligés par des policiers cagoulés. Elle a condamné la Bulgarie pour violation de l’article 3 de la Convention. En deux mots, il aurait fallu que les policiers portent un signe distinctif qui, tout en préservant leur anonymat, permette de les identifier.

Policier masqué (Revue Police Pro)

Au Québec, le Code de déontologie oblige les forces de l’ordre à porter un moyen d’identification. Or, ces derniers jours, des photos ont fait le buzz sur le Net. Elles montraient des policiers qui avaient collé des rubans adhésifs sur leur casque antiémeute, dont l’un cachait le numéro d’identification. Le Service de police de la ville de Montréal (SVPM) a diligenté une enquête, tout en faisant preuve de circonspection. Il semblerait, d’après le SVPM, que les manifestants étudiants prennent un malin plaisir à submerger le service des enquêtes internes de plaintes pas toujours justifiées. Une crainte exprimée par les policiers français si les contrôles d’identité devaient donner lieu à un récépissé.

Chez nous, le code de déontologie ne parle pas de l’identification des policiers. Et, à ma connaissance, rien ne les oblige à communiquer leur matricule – si ce n’est sur un P-V. Mais les syndicats ne semblent pas opposés à la réapparition de la pucelle.

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Sur le même sujet, un « lien contextuel » sur Le Monde : Manuel Valls sceptique sur les récépissés. Et, sur ce blog, Contrôles d’identité : Est-ce l’angélisme qui sonne ?


Cette affaire bizarre des douaniers de Roissy

Sept douaniers ont été mis en examen pour vol en bande organisée, blanchiment et association de malfaiteurs. Ils ont été pris la main dans le sac alors qu’ils subtilisaient de l’argent liquide dans des bagages qu’ils étaient censés contrôler. « Grâce à leurs techniques professionnelles, nous dit Mme Sylvie Moisson, procureur à Bobigny, ils repéraient des valises susceptibles d’appartenir à des trafiquants et de contenir de grosses sommes d’argent… ». À ce jour, 5,5 millions d’euros auraient déjà été saisis par les enquêteurs de l’Office des stups (OCRTIS).

Euh !…

Je dois avouer que l’on a du mal à comprendre. Ainsi, grâce à leur flair, nos douaniers seraient capables de repérer les valises contenant la recette des narcotrafiquants ! On se demande alors comment il peut y avoir encore de la drogue qui passe nos frontières… Ce n’est pas très sérieux. Et même s’il est classe de protéger la réputation de la douane, il ne faut quand même pas nous prendre pour des imbéciles.  Derrière ces arrestations, quasiment en flag, on ne peut s’empêcher d’imaginer l’existence d’une véritable organisation criminelle. Et nous, simples spectateurs de l’actualité, on se demande si cet argent n’était pas plutôt une rétribution pour services rendus. Car il y a une sacrée différence entre subtiliser de l’argent dans des bagages et participer activement à un trafic international de stupéfiants.

Le directeur général des douanes, M. Jérôme Fournel, a bien senti la patate en mettant immédiatement en branle l’Inspection des services et en tenant des propos, dans Le Figaro, qu’on aimerait parfois entendre dans la police : « Si les soupçons se confirment (…) il s’agira ensuite de faire un retour d’expérience pour comprendre d’où sont venues les éventuelles failles… »

Les « ripouseries » sont rares chez les douaniers : 27 révocations ces huit dernières années, la plupart pour de petites choses. La douane est d’ailleurs reconnue pour être à la pointe de la lutte contre le trafic de stupéfiants. C’est l’une de ses priorités. Grâce à sa position clé aux points névralgiques du territoire et à son réseau d’informateurs, elle est à l’origine de deux tiers des saisies effectuées en France. Car si en 2004 la loi a permis de rémunérer officiellement les indics de police, pour la douane, ce système existe depuis longtemps. Il est bien difficile de connaître la part des « aviseurs » dans les affaires de douane (au-delà de 3 100 €, il faut l’accord du DG), mais, dans un rapport du Sénat qui date de 2003, il était dit que le montant annuel qui leur était versé était « probablement de plusieurs millions d’euros par an ».

On compte environ 18 000 douaniers. Ils dépendent du ministre du budget. Dans le temps, des policiers étaient détachés auprès d’eux pour assurer certaines missions, mais aujourd’hui, il existe des « officiers de douane judiciaire ». Ils disposent des mêmes pouvoirs que les OPJ de la police ou de la gendarmerie mais uniquement dans certains domaines (art. 28-1 du CPP). Pas en matière de trafic de stupéfiants, sauf exceptions (al. 8). Lorsque les douaniers découvrent une plaquette de shit dans une valise, c’est la police qui dresse la procédure pénale, alors qu’eux vont gérer l’aspect financier.

Entre celui qui ferme les yeux sur la bouteille de Scotch et l’autre qui pinaille à la cigarette près, on a tous une histoire à raconter sur le gabelou de service, mais là, l’image risque d’en prendre un sérieux coup. Il y a encore une dizaine d’années, le produit des amendes et confiscations obtenu par les douanes était plus opaque qu’aujourd’hui. Le trésor public n’en récupérait que 40 %, le reste servait au fonctionnement de l’institution. À l’époque, il n’était pas inhabituel pour les policiers d’appeler la douane lors d’une saisie de drogue, d’armes, ou autres. Et nous nous partagions la prime. Comme dans cette affaire où nous avions récupéré un semi-remorque plein de flacons de parfums en provenance d’une boutique hors-taxe d’un aéroport. Leur propriétaire cherchait à les revendre en douce. Les douaniers ont saisi la marchandise et nous, la semaine suivante, nous croulions sous les parfums… Ce n’était pas illégal, mais c’était quand même limite.

Que voulez-vous, il y a des métiers où il est bien difficile de rester vertueux.

Saisies pénales : pour que le crime ne paie pas

Hier, François-Marie Banier a demandé la mainlevée sur des contrats d’assurance-vie saisis par la justice, contrats souscrits à son profit par Mme Bettencourt. Pfft ! 75 millions d’euros. 5.500 années de travail pour un smicard. Une requête juridiquement intéressante. D’autant que le juge Gentil vient juste de finir l’inventaire de ses œuvres d’art entassées dans son immeuble du VI° arrondissement. Comme une épée de Damoclès qu’il agiterait au-dessus de la cache au trésor ! Dans un autre dossier politiquement sensible, le juge Van Ruymbeke a ordonné la vente du yacht de l’homme d’affaires Ziad Takieddine, mis en examen dans l’affaire de Karachi.

Qu’est-ce qui leur prend à ces magistrats ! En deux mots, ils utilisent les moyens exceptionnels mis à leur disposition par la loi du 9 juillet 2010, qui a créé un nouveau droit des saisies pénales. L’objectif de ce texte est de priver les délinquants de leur patrimoine dès lors que celui-ci semble provenir d’une activité criminelle en gelant leurs biens dès le début de l’enquête. Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, a soutenu cette loi pour lutter contre la criminalité organisée, notamment le trafic de drogue. Je me demande ce qu’il en pense aujourd’hui, alors que les juges l’utilisent – aussi – pour des affaires politico-judiciaires…

Tous les biens confiscables selon l’article 131-21 du code pénal peuvent être saisis. Mais, alors que cet article vise une peine complémentaire prononcée en plus d’une condamnation, il s’agit ici de mesures préventives. Elles concernent un simple suspect, autrement dit un « présumé innocent ». Avec un principe fort : tout ce qui est confiscable est saisissable. Pierre Dac aurait dit, « et son contraire ». Pour faire simple, tous les crimes et la plupart des délits punis d’une peine d’emprisonnement peuvent être concernés (pas les délits de presse). Et cela, soit sur décision du juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur (flag, préli) ; soit par la seule volonté du juge d’instruction lorsqu’une information judiciaire est ouverte. Que ces biens appartiennent à une personne physique ou morale, qu’ils soient corporels (argent, actions, immeubles…) ou incorporels, comme une créance sur un droit futur (assurance vie, droits d’auteurs, brevets…). À noter que la loi de 2010 permet également à l’OPJ de saisir directement les biens lorsqu’ils sont liés à l’infraction.

Cet argent, ces voitures, ces immeubles, etc., peuvent n’avoir qu’un rapport indirect avec le crime ou le délit. Il suffit de démontrer qu’ils ont été acquis grâce à l’infraction. Dans plusieurs cas, la loi va même plus loin. Elle le présume. Il appartient alors au suspect de prouver le contraire. Si les poursuites engagées concernent le délit de non-justification de ressources, c’est l’ensemble du patrimoine qui peut ainsi être confisqué.

Pour cela, la justice et les enquêteurs disposent de deux outils la PIAC et l’AGRASC. (Oui, pas terrible comme sigles, mais dans l’administration, surtout à l’Intérieur, on a appris à se méfier des acronymes trop facilement mémorisables.)

La PIAC, c’est la Plate-forme d’identification des avoirs criminels. Cette unité a été créée en 2007 au sein de la DCPJ. Elle est rattachée à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dirigé par le commissaire divisionnaire Jean-Marc Souvira. (Également auteur de romans policiers. Son dernier livre : Le vent t’emportera, au Fleuve Noir.) La PIAC comprend à parité des policiers et des gendarmes, ainsi que des fonctionnaires d’autres administrations (douanes, impôts…). Elle est dirigée par un commandant de police. Sa mission première est d’effectuer des enquêtes patrimoniales soit à la demande des magistrats ou d’autres services de police ou de gendarmerie, soit d’initiative. Elle recoupe également les informations relatives aux avoirs criminels saisis. Ces chiffres alimentent une base de données nationale et permettent l’élaboration du TACA (Total des avoirs criminels appréhendés). Conçu initialement pour lutter contre le blanchiment, ce service est de plus en plus sollicité. En gros, toutes les infractions dont l’objectif est le profit – ce qui doit être souvent le cas. La PIAC est également chargée de l’entraide internationale en complément de la coopération classique via EUROPOL ou INTERPOL. À la suite de la décision européenne de créer des unités de dépistage et d’identification des avoirs criminels au sein de chaque État membre, elle a été désignée comme « Bureau des avoirs pour la France ».

La gendarmerie nationale n’est pas en reste. Dès les années 1980, elle a formé des militaires aux arcanes de la finance souterraine pour les affecter dans les sections et brigades de recherche départementales. Aujourd’hui, il existe une formation à trois niveaux : un stage « enquêteur patrimonial », une licence professionnelle et un master II (lutte contre la criminalité organisée dans ses dimensions économiques et financières à l’échelle européenne), proposé par l’université de Strasbourg. Elle revendique 1000 spécialistes. Depuis 2006, la gendarmerie a saisi des biens « criminels » pour environ 340 millions d’euros. Une partie de ces fonds sert à alimenter le « fonds concours drogues » géré par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie). La gendarmerie en récupère chaque année environ 25 % pour renforcer son action dans ce domaine. Des véhicules et du matériel saisis peuvent également être « empruntés » pour assurer certaines missions.

Mais pour gérer tous ces biens, il fallait un autre outil. La loi de 2010 a donc mis sur pied l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), dont l’activité a démarré en février 2011. Il s’agit d’un établissement public placé sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget avec à sa tête une magistrate de l’ordre judiciaire, Mme Élisabeth Pelsez. L’agence gère l’ensemble des biens confisqués (argent, comptes bancaires, immeubles…)  et, une fois le jugement rendu, en assure la vente, la destruction ou la restitution. Le produit de la vente sert si besoin à indemniser les victimes et à payer les créances et les amendes. Le solde est reversé au budget de l’État, sauf en matière de stupéfiants où, là encore, il alimente la MILDT. J’ai cru comprendre qu’une partie de la recette servait à couvrir les frais de fonctionnement de l’agence, mais je n’en suis pas sûr.

Cet organisme procède également à la vente – avant jugement – des biens saisis, suivant la décision des magistrats. Si le propriétaire est acquitté ou bénéficie d’une relaxe ou d’un non-lieu, l’argent tiré de la transaction lui est alors restitué. C’est donc l’AGRASC qui devrait vendre le bateau de M. Takieddine. À quel prix, doit-il se demander ?

Dans son premier bilan, l’AGRASC fait état de 8 000 affaires traitées avec un encours sur son compte de la Caisse des dépôts de 204 millions d’euros. Une somme placée à 1 %. Un bilan encourageant selon certains, mitigé selon d’autres. En fait, pour être rentable (car là on ne parle plus justice mais business) l’agence devrait se limiter aux grosses affaires. Or, il semble bien qu’elle croule sous les petites. 66 % des sommes confisquées sont inférieures à 1.000 €. Et les 714 véhicules saisis durant la période concernée représentaient une valeur insuffisante pour couvrir les frais d’immobilisation. Il a fallu payer un prestataire pour les détruire. Dans ce souci de rentabilité, on réfléchit à simplifier encore la procédure et à sensibiliser les magistrats et les OPJ pour qu’ils placent la barre plus haut. Les infractions les plus lucratives sont le blanchiment, l’escroquerie et l’abus de confiance. Alors que les stupéfiants, qui représentent 63 % des affaires n’ont rapporté que 13% du budget. M. Hortefeux doit se retourner dans son placard.

Le gros succès de cette loi de 2010 est la facilité qu’elle apporte dans la saisie d’immeubles. Ainsi, depuis le début de cette année, un immeuble est saisi chaque jour en France.

Il est amusant de constater que l’on applique aujourd’hui l’une des recommandations de Cesar Beccaria, considéré comme le fondateur du droit pénal moderne, qui, dans Des délits et des peines, écrivait : « La perte des biens est une peine plus grande que celle du bannissement ». C’était en 1763. Il est vrai qu’il trouvait également barbare la peine de mort et la torture et recommandait de prévenir le crime plutôt que de le réprimer.

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Sources : documentation officielle, documentation personnelle, presse et dossier Les nouvelles saisies pénales dans la revue Dalloz (AJ Pénal mars 2012).

Pétarades autour du cannabis: Qu’en pense la police ?

En 2010, c’est plus de 120 000 personnes qui ont été interpellées pour usage de cannabis. Soit environ une garde à vue sur quatre (hors infractions routières). On peut donc dire que le quart de l’action des services de police et de gendarmerie est consacré aux fumeurs de pétards. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des revendeurs et des trafiquants, ni des autres drogues. Dont les drogues de synthèse, autrement plus dangereuses que le cannabis, et devant lesquelles on semble bien démunis.

L’activité judiciaire d’un commissariat de la banlieue parisienne est consacrée à plus de 40 % à la lutte contre l’usage et le trafic de drogue. Et je suppose que dans les tribunaux, les parquetiers croulent sous les dossiers stups. Pourtant, la consommation et le trafic continuent de progresser. Alors, ce travail est-il utile ?  Hier, on pouvait dire qu’il servait à meubler les statistiques, mais depuis que M. Valls nous a affirmé que la politique du chiffre est derrière nous, on peut s’interroger. J’ai donc posé la question à droite à gauche, dans les commissariats, et la réponse quasi unanime repose sur la connaissance de « la » population. En résumé, la loi qui pénalise l’usage des stupéfiants (un an de prison et 3.750€ d’amende, jusqu’à cinq ans de prison pour certaines professions, comme les policiers) permet d’arrêter et de ficher un maximum de gens, et notamment des jeunes. « C’est le vivier de la délinquance de demain » m’a dit un commissaire. Cela peut paraître cynique, mais c’est le principe même d’un fichier : plus il contient de noms (auteurs, suspects, victimes, plaignants…), plus il est efficace.

Mais il y aussi une raison non avouée. En fait, de nombreuses enquêtes sur le trafic partent du consommateur. C’est le plus facile à détecter. Or, grâce à cette législation très dure, il est possible de faire pression sur lui, voire de négocier. Il ne paraît pas amoral à un enquêteur de fermer les yeux sur le délit que commet un fumeur de joints pour se donner une chance de faire tomber son fournisseur – même si légalement la question se pose. D’ailleurs, c’est probablement cette démarche, conduite à l’extrême, qui a mené un grand flic comme Michel Neyret, a franchir la bande blanche.

Cela fait donc deux bonnes raisons pour que les policiers soient globalement contre la dépénalisation du cannabis. Cela leur enlèverait des moyens d’enquête. Comme ils souhaitent, d’ailleurs, que la simple consommation reste un délit. Alors que l’on pourrait se contenter d’une amende, une infraction au carnet à souches, comme l’a suggéré M. Rebsamen, avant de se faire reprendre par le patron. Mais dans ce cas, pas de garde à vue, pas de perquisition, pas de fichage… Mais en revanche du temps et des moyens dégagés pour s’attaquer aux trafiquants ou à d’autres formes de délinquance.

L’État et la Sécu ont budgété en 2012, 1.5 milliard d’euros pour lutter contre la drogue, mais personne n’a osé faire les vrais totaux : police, justice, prison, mesures de soins ou de surveillance médicale, etc. À quelle somme arriverait-on ? À mettre en balance avec les 22 et quelques millions d’euros récupérés par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) en 2011, sur la revente des cessions des biens confisqués lors des procédures pénales.

À une époque où l’on compte le moindre sou, tout cela est-il bien raisonnable ? Avec le résultat que l’on connaît : des jeunes de plus en plus accros et qui se marginalisent en se mettant hors la loi. La société française est tellement recroquevillée sur ce sujet qu’elle s’interdit même de prendre en considération le potentiel thérapeutique du cannabis, alors que les opiacés sont couramment utilisés pour lutter contre la douleur. D’où vient cet autisme qui nous incite à persévérer dans une voie qui de toute évidence mène à un cul-de-sac ?

Jean Cocteau disait qu’au lieu de l’interdire, il faudrait rendre l’opium inoffensif. Se faire du bien sans se faire mal (mais ce n’est pas dans notre culture). Le cannabis n’est sans doute pas inoffensif, loin s’en faut, mais c’est une drogue sans mystère. Et chacun a sa propre opinion. Et un ensemble d’opinions, ça fait un électorat. D’où cette polémique à la veille des élections, puis, dans quelques jours, le soufflé va retomber. Pourtant, M. Vaillant a  raison, cela mérite un vrai débat – objectif.  Car il n’y a pas de dogme dans ce domaine, et il est temps d’arrêter le gâchis.

Contrôles d’identité : Est-ce l’angélisme qui sonne ?

L’annonce du Premier ministre sur la délivrance d’un « reçu » lors d’un contrôle d’identité a fait ricaner dans les commissariats. Faut dire, qu’en dehors de toute sensibilité politique, on les attend un peu au tournant, les gens de gauche. On se demande quelle sera leur première boulette. Ici, on a un bel exemple d’une idée simple, généreuse, et en décalage sérieux par rapport aux réalités. Eh oui ! Le chemin est long du bureau au terrain. Mais, comme durant la campagne présidentielle M. Hollande a sans cesse parlé de concertation, on peut supposer que cette mesure ne sera pas prise de manière autocratique. Comme cela a souvent été le cas ces dernières années. Il n’y a pas le feu au lac. On prend l’avis des gens qui savent et surtout celui des gens qui font, et puis, pourquoi pas ! on commence par une expérimentation dans un secteur type, comme le suggère le délégué national d’un syndicat majoritaire.

Mais avant tout, il ne serait peut-être pas inutile de s’interroger sur le but des contrôles d’identité. On trouve en partie la réponse dans l’article 78-2 du code de procédure pénale. Un article un peu flou.

Quels sont les critères de base qui autorisent policiers et gendarmes à contrôler l’identité d’une personne ?

  • –      Elle est suspectée d’avoir commis une infraction ;
  • –      Elle est suspectée de se préparer à commettre un crime ou un délit ;
  • –      Elle est susceptible de fournir des renseignements utiles sur une enquête pour un crime ou un délit ;
  • –      Elle fait l’objet d’une recherche judiciaire ;
  • –      Cas particuliers (espace Schengen, trains…).

Mais l’identité d’une personne peut également être contrôlée pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens. On parle alors d’un « contrôle administratif ».

Un individu qui tournicote bizarrement autour de voitures en stationnement n’est pas suspect (légalement) de préparer un vol à la roulotte, mais en lui demandant ses papiers, le policier envisage cette possibilité. Il fait de la prévention. Et pour cela, il se fie à son instinct de flic.

Mais je suppose que dans l’esprit de nos nouveaux dirigeants, ce ne sont pas ces situations qui sont visées, mais les contrôles systématiques. Ils sont faits soit pour prévenir un trouble à l’ordre public (contrôle administratif) soit sur réquisition écrite du procureur de la République, en principe « aux fins de recherche et de poursuite d’infractions ». C’est de la PJ-scanner.

Depuis une loi de 2003, toutes les conditions énumérées ci-dessus sont laissées à l’appréciation du policier ou du gendarme. Il suffit qu’il existe « des raisons plausibles de soupçonner que ». Ce sont donc ces quelques mots qui encourageraient les contrôles au faciès (entre nous, c’était la même chose avant, sauf que ce n’était pas écrit). Il est aussi malhonnête de les nier que de les généraliser. Et en disant ça, on pense à la couleur de la peau. Mais il y a bien d’autres détails qui peuvent attirer l’attention du policier : le comportement, l’accoutrement, l’âge et surtout cette réaction instinctive qui trahit soit un sentiment de culpabilité soit, tout simplement, la crainte d’être contrôlé. C’est ce petit truc que guettent les douaniers lorsque les voyageurs ont récupéré leurs bagages, et qu’ils se dirigent vers la sortie de l’aérogare. Personnellement, je passe rarement la douane sans être fouillé. Lorsque je voyage en groupe, on organise des paris. Et je gagne souvent. C’est le délit de sale gueule.

Alors, le reçu est-il la solution ? Il va ralentir les contrôles, il va obliger à relever l’identité de la personne contrôlée et, comme le fonctionnaire va engager sa responsabilité, il se montrera plus pointilleux. En contrepartie une personne pourra exhiber son reçu si elle subit un deuxième contrôle. Mais comme elle aura déjà été interpellée et qu’il faudra bien comparer son identité avec celle figurant sur le reçu, on ne voit pas trop l’avantage… Mais je dois être de mauvaise foi.

Pour mémoire, toute personne doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité (78-1 du CPP). Seuls la carte nationale d’identité et le passeport électronique permettent de certifier de son identité. Mais comme ni l’un ni l’autre ne sont obligatoires, il est possible de présenter d’autres documents. Dans le doute (ce qui est rare) ou en l’absence de toute justification, un contrôle plus approfondi peut-être envisagé avec une rétention qui ne peut excéder 4 heures.

Lors du vote de la loi de 2003, dite Sarkozy II, haro de l’opposition ! Pour la gauche, ce texte allait favoriser les contrôles au faciès. Le Conseil constitutionnel a été saisi. Celui-ci a gentiment botté en touche, rappelant qu’il appartenait au législateur de faire la part des choses entre les libertés individuelles garanties par la Constitution et la nécessité de sauvegarder l’ordre public. Or, dans une quinzaine de jours, la gauche pourrait reprendre la main. En bonne logique, on peut donc penser que les parlementaires vont se pencher sur le code de procédure pénale pour lui donner un petit coup de jeune. Et qu’ils ne se limiteront pas à un modeste reçu… Peut-être un badge « J’ai été contrôlé ! »… Je plaisante.

Mais le problème est presque derrière nous : la technologie RFID ainsi que la reconnaissance faciale via les caméras de vidéosurveillance et le nouveau fichier TAJ (traitement d’antécédents judiciaires) qui remplace le STIC et le JUDEX (décret du 4 mai 2012) vont rendre quasi inutiles les contrôles physiques. Nous serons bientôt contrôlés sans même nous en apercevoir.

Elle est pas belle la vie de demain !

Le livre des armes dans la police

Même s’ils préfèrent ne pas en parler, les policiers entretiennent souvent une relation particulière avec leur arme. Pour Dominique Noël, commandant de police, la question ne se pose pas : c’est un passionné, un collectionneur, un technicien et… un fin tireur qui a gagné par deux fois le prestigieux challenge national de la PJ en équipe. Cet instructeur de tir vient de sortir un livre bourré de photos et d’illustrations qui nous retrace la petite histoire des armes dans la police.

On y découvre ainsi qu’à leur création, les brigades mobiles de Clemenceau, comptent une seule arme pour sept hommes, le fameux revolver d’ordonnance modèle 1892, qui avait la particularité de ne pas faire de fumée. Un revolver écolo, en quelque sorte. Il faudra attendre les exploits criminels de la bande à Bonnot, en 1911, pour que chaque « mobilard » soit doté d’une arme individuelle. Du moins sur le papier, car les finances ne suivent pas. Ainsi, en 1921, il est mentionné dans un rapport que « la situation budgétaire actuelle ne peut malheureusement permettre de couvrir les dépenses très élevées qu’entraînerait l’acquisition des revolvers et des cartouches nécessaires pour armer l’effectif total des brigades… » En fait, les crédits permettent tout au plus l’achat de 2 ou 3 revolvers par brigade. D’où cette idée de génie du ministre de l’Intérieur (qu’en ces temps de disette revenue, je permets de souffler à M. Valls), il propose aux policiers d’acheter leur arme et leurs munitions. Et beaucoup sont d’accord. Ainsi, sur les 22 policiers que compte la brigade de Montpellier, 14 se portent acquéreurs d’un revolver et de 600 cartouches. Ce manque de moyens n’a d’ailleurs pas empêché les brigades du Tigre d’avoir des succès retentissants. Et Paris n’est guère mieux loti.  En 1912, seulement 250 inspecteurs sont équipés de pistolets automatiques. Le fameux Browning 1900, de calibre 7,65, que le catalogue Manu décrit comme « élégant, d’une bonne prise en main avec un pointage naturel, son chien automatiquement réarmé à chaque coup lui valant des départs très doux… Il permet un tir très rapide et soutenu grâce à son alimentation par chargeurs… ». L’ancêtre des pistolets d’aujourd’hui. Une invention de l’américain John Moses Browning. Pourra-t-on  l’acquérir librement en application de la loi du 6 mars 2012 qui va faciliter la vie aux collectionneurs ? Deux conditions pour qu’une arme soit considérée comme une arme de collection : une fabrication avant 1900 et un calibre déclassé – ce qui n’est pas le cas du 7,65. Mais de toutes façons, sauf erreur de ma part, le décret d’application n’est pas paru.

Dans ce livre, Les armes de la police nationale de l’Ancien Régime à nos jours (Histoire et Collections), on découvre l’évolution de l’armement en fonction des problèmes de sécurité liés aux différentes périodes. Rien de nouveau. La plus grande partie de l’ouvrage est néanmoins consacrée aux armes modernes, létales ou non. Et, bien sûr, le fameux pistolet SIG SP 2022 (2022, c’est sa date de péremption, un peu comme les yaourts), y tient la vedette. Mais à la lecture, en s’approchant de notre époque, on voit que les choses s’accélèrent et qu’il existe aujourd’hui une véritable prospection dans ce domaine, comme une quête impossible : l’arme capable de sauver une vie sans en prendre une.

Dominique Noël est aujourd’hui réserviste. Il est directeur technique d’un club de tir privé et instructeur-chef du Centre de tir de Paris et de la police nationale, le stand Foch, comme on l’appelle, dirigé depuis très longtemps par Raymond Sasia. Lequel a préfacé son livre. Pour mémoire, cet ancien gorille du général de Gaulle a profondément modifié l’entraînement des policiers, notamment avec sa méthode (parfois controversée) du tir rapide. Des milliers de flics ont été marqués par la répétition à plus soif des séances de « sortie d’arme », la fameuse « prière », sur le pas de tir.

En tout cas, je partage son opinion : « Ce livre, outre l’aspect technique agrémenté d’une impressionnante iconographie, aborde l’histoire de la police à travers les siècles et apporte ainsi une richesse insoupçonnée qui devrait connaître un réel succès auprès des policiers, collectionneurs et historiens.  »

Je dois dire que ce qui m’a le plus étonné, lorsque j’ai rencontré Dominique Noël, ce n’est pas sa connaissance des armes ou des méthodes d’intervention, mais son émotion contenue lorsqu’il parle du Budukan de Deuil-la-Barre, dans le Val-d’Oise. Cela fait bientôt 30 ans qu’il y enseigne le jiu-jitsu, essentiellement à des ados, et leur comportement, lorsqu’ils montent sur le tatami, est bien loin des clichés habituels. « Un club hyper sympa, dit-il avec une petite flamme dans les yeux, où les pratiquants respectent les principes énoncés dans le code des arts martiaux (salut, respect, etc.). Un vrai bonheur ! »

Le jiu-jitsu comme arme non létale, ce n’est pas mal non plus.

Michel Neyret va-t-il sortir de prison ?

Demain mardi, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris doit se prononcer sur les requêtes en nullité déposées par les avocats du commissaire Neyret (et des autres policiers) dans l’affaire qui a saboulé la PJ de Lyon. Quelle sera sa réponse ? Une récente décision de la Cour de cassation donne peut-être une première indication.

Cela fait maintenant plus de sept mois que Michel Neyret est incarcéré. Ce qui le situe grosso modo dans la moyenne nationale des gens aujourd’hui emprisonnés sans avoir été jugés.

Pour mémoire, il est mis en examen pour une kyrielle de crimes et de délits. Comme souvent, les magistrats ont balayé large pour, à l’arrivée, probablement ne retenir que certaines infractions.

Parmi les points litigieux relevés par les avocats figure la transcription d’écoutes téléphoniques effectuées dans le cadre d’une information judiciaire pour des faits qui n’ont rien à voir avec ceux qui sont reprochés au policier lyonnais. Le point de départ du dossier.

Or, en mars dernier, la Cour de cassation s’est prononcée sur un cas qui présente pas mal de points communs. Une écoute téléphonique dans une affaire de stups laisse supposer qu’un avocat s’apprête à monnayer des informations à des suspects. Délit puni de 3 à 5 ans de prison (art. 434-7-2 du CP). Les policiers montent une planque et surprennent le contact. Ce qui renforce les doutes. Le procureur est alors avisé et décide d’ouvrir une information judiciaire. L’avocat de l’avocat invoque la nullité. Pour lui, la découverte du délit reproché à son client (violation du secret de l’instruction) était fortuite et n’avait rien à voir avec l’enquête d’origine sur des trafiquants de drogue. Donc, ni les policiers ni le juge ne pouvaient enquêter d’office. Mais il n’a pas été suivi par la chambre criminelle qui, dans sa décision du 27 mars 2012, a rejeté le pourvoi : « Les officiers de police judiciaire qui, à l’occasion de l’exécution d’une commission rogatoire, acquièrent la connaissance de faits nouveaux, peuvent, avant toute communication au juge d’instruction des procès-verbaux qui les constatent, effectuer d’urgence, en vertu des pouvoirs propres qu’ils tiennent de la loi, les vérifications sommaires qui s’imposent pour en apprécier la vraisemblance, pourvu qu’elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l’action publique. » Et il en est de même pour le juge d’instruction. En clair, ils peuvent prendre les mesures nécessaires pour confirmer ou infirmer les faits, sans toutefois utiliser des moyens attentatoires aux libertés individuelles. Pas question, par exemple, de placer une écoute judiciaire.

Mais la simple retranscription d’une écoute téléphonique – comme c’est le cas dans l’affaire Neyret – est-elle une mesure attentatoire aux libertés individuelles, comme le soutenait le conseil de l’avocat mis en cause ? Nenni a répondu la chambre criminelle. Il s’agit bien là d’un acte sommaire destiné à apprécier la vraisemblance du renseignement obtenu.

Et pas question d’ergoter sur la violation du secret professionnel : un avocat ne peut pas s’abriter derrière lorsqu’il commet une infraction.

Dans l’affaire Neyret, les faits sont similaires. Les policiers parisiens enquêtent sur un trafic de stups et surprennent des dialogues téléphoniques dans lesquels il apparaît que le commissaire lyonnais pourrait se livrer à des magouilles avec des truands. Ils retranscrivent ces conversations et en informent le juge d’instruction. Qui lui-même en informe le procureur. Comme ces conversations n’ont rien à voir avec l’enquête menée par le juge et les policiers, les avocats estiment que l’on ne peut retenir ces éléments qui sont antérieurs à l’ouverture de l’information judiciaire. Sauf que la décision de la cour de cassation va dans l’autre sens.

Mais le point le plus litigieux du dossier reste sans doute le problème de la compétence territoriale. Pour éviter les fuites, le procureur de Paris a décidé de ne pas transmettre l’information à son collègue de Lyon, comme il aurait dû le faire. Il a préféré ouvrir une information judiciaire sur Paris. Alors qu’en principe, pour déterminer qui est compétent, on retient le lieu de l’infraction, le domicile de l’une des personnes soupçonnées ou le lieu de l’arrestation. Si la plus haute juridiction pénale estime que la décision du procureur répond à une saine mesure d’administration judiciaire, elle n’est susceptible d’aucun recours. Et le pourvoi sera rejeté. Sinon, c’est l’intégralité de la procédure qui pourrait être annulée.

Quelle que soit la réponse de la Cour de cassation, il est probable que Michel Neyret sorte bientôt de prison. Quant aux autres policiers également mis en cause, ils ont tous réintégré la police judiciaire.

Médailles en chocolat dans la police

En principe, l’ordre national du Mérite, récompense des services rendus à la Nation. On peut donc se demander ce qui légitime la nomination dans cet Ordre de deux responsables syndicaux de la police réputés proches de l’ancienne majorité présidentielle. Juste avant le départ de Nicolas Sarkozy. Comme le soulignent d’autres syndicalistes, cela ne peut être que pour services rendus – mais pas à la Nation.

Alors même que durant la campagne électorale le président-candidat accusait les syndicats de s’être « fourvoyés en politique », Patrice Ribeiro, responsable de Synergie Officiers et Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint d’Alliance, étaient décorés par le pouvoir sortant.

Pas de faux semblants, on sait bien que l’attribution de ces distinctions honorifiques répond le plus souvent à des motivations politiques, ou vient parfois récompenser des gens qui ont exercé des responsabilités au service de la société. Oui mais, lorsque le récipiendaire est un syndicaliste, on touche là à un symbole. Et ça ne passe pas. Cette droite qui attribue son échec électoral en partie à la presse, dont Le Monde, devrait se repasser en boucle les déclarations de deux journalistes politiques, Françoise Fressoz et Marie-Êve Malouines qui, en 2009 ont refusé la Légion d’honneur. Sans doute une question… d’honneur, justement. Même si d’autres journalistes (la liste est longue) voient les choses différemment.

Mais, en dehors de ces syndicalistes, les médailles qui viennent d’être distribuées à Toulouse posent encore plus d’interrogations. Notamment en ce qui concerne deux fonctionnaires de la DCRI, pour le ruban rouge, et un commandant de police de l’antenne locale, pour le ruban bleu. Ces policiers étaient-ils, comme cela se murmure, les officiers traitants de Mohamed Merah, ceux qui n’ont rien vu venir ? Je ne sais pas. Et si je le savais, la loi m’interdirait d’en parler. En tout cas, ces récompenses attribuées à quelques-uns, pour une affaire qui est loin d’être une réussite, ne font que renforcer le mystère. Et les questions s’accumulent. Elles ont sans doute des réponses, toutes simples, mais on aimerait les connaître. Lorsque sept personnes sont assassinées, dont trois enfants, le secret-défense ne peut pas exister.

Aux quatre coins de France, ces dernières semaines, des dizaines de policiers ont reçu une décoration. Pour Cédric Pappatico, tué lors d’une intervention sur un cambriolage, près de Chambéry, c’était hélas à titre posthume. Pour d’autres, ils sont nombreux, on leur a épinglé au revers de la tenue la Médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement. Certains pour des faits déjà anciens, comme ce brigadier de Roubaix, distingué pour avoir sorti du feu une mère et sa fille en… 2009. Pour la plupart d’entre eux, ce n’est que du bronze, mais de cette médaille-là, ils peuvent être fiers – eux !

La police désenchantée

Alors que l’ancienne majorité présidentielle a fait bonne figure devant la défaite électorale, certains policiers ont du mal à passer la main. Cependant, l’aspect indéniablement politique des manifestations de ces derniers jours ne doit pas masquer la réalité : l’ensemble du corps est  inquiet. Beaucoup craignent une grande lessive.

Depuis dix ans, Nicolas Sarkozy a marqué les flics à la culotte, et il ne sera pas facile de se défaire de son fantôme. Pour reprendre le flambeau sans trop de bobos, le nouveau ministre de l’Intérieur devra donc faire preuve à la fois de doigté et de fermeté. Car ce que les flics attendent aujourd’hui, c’est une feuille de route précise.

En attendant, ces manifestations à répétition donnent une bien mauvaise image de la profession. D’autant que le prétexte n’est pas bon. Il manque de dignité. Si l’on peut comprendre la réaction des policiers lorsque l’un des leurs est tué ou blessé, l’affaire de Noisy-le-Sec est bien différente : un homme est mort, et ce n’était pas le flic. Quelles que soient les circonstances de ce drame, et même si les juges concluent finalement à la légitime défense, il n’en demeure pas moins que la victime est dans l’autre camp.

Cela ne justifie certainement pas cette revendication insensée sur la présomption de légitime défense. Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler que si les policiers ont le droit de porter une arme, même lorsqu’ils ne sont pas en service, ce n’est pas pour se défendre, contrairement à ce que l’on entend ici ou là, mais avant tout pour assurer leur mission : défendre la sécurité et les biens des  honnêtes gens – qui eux n’ont pas le droit d’être armés. Et à cette supériorité factuelle sur le commun des mortels, certains voudraient ajouter l’immunité judiciaire… Quel symbole ont-ils donc d’une police républicaine !

Il ne faut pas confondre cette revendication jusqu’au-boutiste avec celle qui concerne la présomption d’innocence. Car là, effectivement, les policiers sont mal lotis. Souvent, lorsque l’un d’eux est mis en examen – donc, comme tout justiciable, présumé innocent – il est suspendu de ses fonctions. Il s’agit d’une décision administrative qui s’apparente bien à une sentence. En général, le fonctionnaire continue à percevoir son traitement de base, ce qui pour un policier représente grosso modo la moitié de son salaire habituel. Vous me direz, être payé pour ne pas travailler, ce n’est pas si inconfortable… Sauf que souvent, le montant des revenus est insuffisant pour faire vivre une famille, et que le statut de la fonction publique interdit d’exercer un autre emploi. Pire encore si, finalement, à l’issue de son affaire (quelques mois, quelques années…) il est révoqué, l’administration peut lui demander de rembourser les sommes qu’il a perçues durant le temps où il était suspendu.

Lorsqu’un policier fait l’objet d’une enquête judiciaire liée à l’exercice de sa profession, il serait simple et raisonnable de le muter dans un service sédentaire ou de le détacher provisoirement dans une autre administration. Et la sanction disciplinaire viendrait, éventuellement, après la décision judiciaire. Le policier ne serait donc pas puni avant d’avoir été jugé coupable et la société ne paierait pas un fonctionnaire à ne rien faire. Gagnant-gagnant.

Et puisqu’on parle là de poursuites judiciaires inhérentes à la fonction, la moindre des choses serait que le ministère de l’Intérieur prenne à sa charge les frais d’avocat. Car, même si la responsabilité pénale du policier est avérée, le crime ou le délit éventuel est bien une conséquence de son activité professionnelle.

En attendant, lorsque le nouveau ministre va débarquer Place Beauvau, il va trouver d’un côté une gendarmerie en ordre de marche, avec des propositions sérieuses, et de l’autre une police complètement déglinguée, engluée dans des revendications qui partent dans tous les sens. Et même si certains syndicats ont tenté de recadrer les récents mouvements de mécontentement, en y ajoutant de réelles revendications, comme la fin de la politique du chiffre et de la fonte des effectifs, on a nettement l’impression d’être dans le brouillard.

Lorsqu’on demande aux anciens quels sont les ministres de l’Intérieur qui ont marqué leur époque, deux noms émergent toujours : Pasqua et Joxe. Le premier était proche des policiers, le second a réorganisé la maison. Je me demande s’il en sera de même de Nicolas Sarkozy, lui qui a fait de la police son train électrique.

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Remerciement à Jean-Michel Sicot, photographe de presse, pour ces images tirées de l’un de ses reportages lors des dernières manifs.

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