LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : G.Moréas (Page 23 of 82)

Manuel Valls, de l’Intérieur

Il est sur tous les fronts. Certains le considèrent comme « l’effaceur », celui qui va faire oublier la gauche bisounours ; tandis que d’autres n’apprécient guère ses postures sarkoziennes. Dans la maison poulaga, il a été accueilli avec circonspection. Au début, on en a même souri, lorsqu’il est apparu dans son joli costume blanc. Il avait l’air tellement jeune qu’il a fallu cliquer sur Wikipédia pour s’apercevoir qu’il atteignait la cinquantaine.

C’était un moment important. Si les fonctionnaires ont l’habitude de voir tourner les ministres, les changements de majorité sont plus rares dans une carrière. Et dans la police cela se traduit souvent par un virage à 180°. Aussi, Place Beauvau, radio-gouttière allait bon train : bouleversements, chasse aux sorcières… Non, rien ! Quelques mutations de personnages politiquement trop voyants. Et même le staff réuni autour de lui n’était pas un réel indicateur de la politique du nouveau ministre. Des gens rassurants, plutôt proches de la retraite.

Lorsqu’il est arrivé, Manuel Valls avait dans sa musette les zones de sécurité prioritaires – l’un des 60 engagements du candidat Hollande. Une mesure « de bureau » qu’au moins une demi-douzaine de ministres ont dû vouloir mettre en place avant lui. Des noms différents, mais le même objectif : concentrer davantage de moyens dans des zones fortement criminogènes. Ça n’a jamais fonctionné. Mais dans la police l’obsolescence n’existe pas. Comme l’ampoule centenaire de Livermore, les idées – même mauvaises – ne s’éteignent jamais. On se souvient peut-être que sous le gouvernement Bérégovoy (Mitterrand II), Bernard Tapie avait été nommé ministre de la Ville pour s’occuper des « quartiers difficiles ». Il y a 20 ans. Alors aujourd’hui, en pleine période de disette… Mais mercredi dernier, devant les grands chefs de la police et de la gendarmerie, notre ministre a déjà pris ses distances : Les ZSP « ne sauraient résumer la politique de sécurité que j’entends mettre en œuvre », a-t-il déclaré.

On l’attendait au tournant sur le récépissé lors des contrôles d’identité : une mesure d’application difficile qui agace fortement les policiers. En fait, ce récépissé ne figure pas dans les propositions écrites présidentielles. On en avait juste parlé pour éviter les contrôles au faciès – qui eux y figurent. Ce maudit mot dit, mais non écrit, est devenu le marqueur de l’autorité du nouveau ministre. Il s’est laissé convaincre assez facilement de l’infaisabilité de la chose, et il a planté là le Premier ministre qui, lui, en avait fait une mesure symbolique.

Couac !

Bon, on peut dire que la diplomatie n’est pas la qualité première de M. Valls. On l’a bien vu en mai dernier, lors de la passation de pouvoirs entre l’ancien et le nouveau. On aurait pu envisager, par exemple, la délivrance d’un récépissé pour les contrôles d’identité approfondis… Et tout le monde aurait été content. Mais en jouant cette carte, il a passé l’épreuve « d’admissibilité » et, l’air de rien, Manuel Valls est devenu le premier flic de France. Pour l’instant, il est adopté. « On dirait du Sarko première période », comme l’écrit le journaliste du Monde Laurent Borredon, qui rapporte les propos d’un haut responsable de la police. Pour mémoire, l’état de grâce de Nicolas Sarkozy, en dehors de ses aficionados, n’a pas duré longtemps…

Il faut dire que le nouveau locataire de Beauvau est porté par les circonstances. Les événements d’Amiens et de Marseille – et leur médiatisation – ont fait grimper l’insécurité de plusieurs crans dans l’échelle des préoccupations des Français. +12 points depuis les élections présidentielles, d’après un sondage publié sur Atlantico.

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En fait les premières décisions prises à chaud concernent Marseille. Et là, Manuel Valls a montré son tempérament. À la différence de ses prédécesseurs qui ont surtout brassé du vent, en nommant un préfet de police placé directement sous ses ordres, il se campe au premier rang. Un énarque dirait sans doute que c’est une erreur de commandement, qu’il faut toujours mettre des fusibles entre la décision et l’application, mais, dans la police et la gendarmerie, on aime bien les gens qui prennent leurs patins.

N’empêche que l’idée d’installer un chef de la police et de la gendarmerie dans le département des Bouches-du-Rhône en laisse plus d’un sceptique. Cela nécessite de chambouler complètement la pyramide de la hiérarchie. Autrement dit, il faut revoir l’organisation des différentes directions, et notamment celle de la PJ. Au passage, Christiane Taubira peut-elle accepter qu’une autorité administrative glisse son nez dans les procédures judiciaires, comme cela peut se passer à Paris ? Même si l’ancien préfet de police s’en défendait. Dans son livre (11 propositions chocs pour rétablir la sécurité, aux éditions Fayard) le député Jean-Jacques Urvoas, l’un des aspirants au fauteuil, envisageait de donner au maire de Paris les mêmes pouvoirs de police que les autres maires. La police parisienne, disait-il « doit être placée sous le commandement d’un directeur régional soumis au préfet territorialement compétent, comme dans le reste du pays, et ce dernier doit redevenir le principal interlocuteur des élus. » Pourtant, on dit que c’est lui qui a soufflé cette idée d’un préfet de police marseillais copié-collé sur celui de Paris. « En créant le concept de métropole et de patron unique, on met de la cohésion dans une cité où il y a beaucoup trop de mouvements », dit-il dans Le Télégramme. Comme quoi il faut savoir s’adapter aux circonstances… Mais il est probable que le préfet de police de Marseille n’aura jamais les prérogatives de celui de la capitale.

Il est bien trop tôt pour comparer Manuel Valls à ses prédécesseurs, ni même à Nicolas Sarkozy. Je crois d’ailleurs que c’est son contraire. Alors que ce dernier était impulsif, parfois malavisé dans ses décisions, mais capable d’en changer, M. Valls semble se montrer à l’écoute. Mais il sera probablement inflexible une fois la décision prise.

On l’imagine proche de ses troupes mais en même temps sans concession. Son refus de participer au « gouvernement d’ouverture » de Nicolas Sarkozy situe bien le personnage. Certains policiers, notamment ceux qui ont manifesté contre la décision d’un juge lors de la campagne présidentielle, ont dû avoir les oreilles qui sifflent en entendant la petite phrase prononcée vendredi dernier devant la garde des Sceaux : « Je ne tolérerai pas les mises en cause des décisions de justice ».  Une menace à peine subliminale.

Dans les rangs de la police, le laxisme de ces derniers temps n’est donc plus de mise. Du coup, on entend moins les râleurs. Sinon, pour l’instant, peu de changements. Ah si, à Paris, il y a eu un arrivage de biscuits pour les gardés à vue

Apostille à l’affaire Merah : récit d’une affaire ratée

Manuel Valls a admis qu’il y avait eu des erreurs au niveau de la DCRI. Pour lui, Merah aurait dû être surveillé au vu de son profil et de ses nombreux déplacements au Moyen-Orient et en Afghanistan. Et les conclusions de l’enquête interne entraîneront à coup sûr des réformes sérieuses de la DCRI. Bien au-delà d’un changement de chef. C’est peut-être même l’ensemble de nos services de renseignements (12 à 15 000 personnes ?) qui pourrait être visé. La récente nomination d’un diplomate à la tête de la Direction du renseignement (DR) de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) donne une idée de la nouvelle ligne.

En Norvège, après les massacres perpétrés par Anders Behring Breivik, une commission gouvernementale a reconnu les erreurs de la police et des services de sécurité, estimant qu’ils auraient pu empêcher ou du moins limiter l’action du meurtrier. Chez nous, on n’en est pas là. Et si les propos du ministre de l’Intérieur laissent augurer une remise en cause des services de renseignements, il ne faut pas fermer les yeux sur les erreurs qui ont suivi, en aval du premier meurtre.

Car pour le moins, il n’y a pas eu symbiose entre la PJ et la DCRI. Il a fallu attendre l’assassinat des deux militaires, à Toulouse, pour que le contact s’établisse entre les deux services. Soit 5 jours après le premier assassinat. C’est seulement alors que l’adresse IP de la mère de Merah est repérée parmi les mails reçus par la première victime. Trop tard. Le massacre à l’école juive a lieu le lendemain. Ce délai de 5 jours est incompréhensible, alors que Mohamed Merah était considéré comme une « menace directe », selon M. Valls. Et qu’un rapport les présentait, lui et son frère, comme des proches d’islamistes radicaux qui avaient développé une filière de recrutement de candidats au djihad.

Ensuite, il y a eu la double saisine. De mémoire de flic, un truc qui n’a jamais fonctionné. Lorsque Mohamed Merah est identifié de façon quasi certaine comme l’auteur des crimes, la Brigade de recherche et d’intervention de Toulouse débarque en catastrophe près de son domicile. Avec des instructions simples : on planque sur toutes les issues et on le serre à la première occasion. Dans ce genre d’opération, en général, on attend que l’individu soit dans sa voiture. C’est là où les risques sont les moindres. Une opération classique pour des flics de l’antigang. J’imagine la tête du commandant qui dirigeait le groupe lorsqu’il s’est fait éconduire par les pontes de la DCRI sous prétexte que le poisson était trop gros pour lui. Il ne pouvait pas savoir que, lors d’une réunion qui s’était tenue un peu avant, les autorités avaient décidé de faire intervenir le RAID. Pourtant, le RAID, comme le GIGN, n’est pas là pour faire le boulot des autres mais pour prendre en charge les situations extrêmes. Lorsque les méthodes traditionnelles ne suffisent pas. Et pendant que les uns parlaient et que les autres fourbissaient leurs armes, il semble bien que personne ne surveillait le domicile de Merah. Du moins pas sérieusement, puisqu’il serait sorti de chez lui, peut-être même par deux fois. Sans que personne ne s’en aperçoive.

L’intention des hommes du RAID est de le surprendre dans son « premier » sommeil. En l’absence de toute surveillance physique ou technique, ils ne savent pas que leur client ne dort pas, puisqu’il vient de rentrer chez lui. Les policiers d’élite, équipés légers, s’approchent à pas de loup de la porte. On les imagine en chaussettes, sur la pointe des pieds… C’est une image, évidemment. Alors qu’ils s’apprêtent à faire exploser la porte, celle-ci s’entrouvre et Merah ouvre le feu. Un policier est sauvé par son gilet pare-balles et l’autre par son bouclier de protection. Les hommes du RAID ripostent à travers la porte avant de se replier.

Machine arrière. Ça doit râler pas mal dans les rangs. Y avait-il une autre méthode ? N’étant pas préfet, je ne me permettrais pas de critiquer. Je me souviens pourtant de cette affaire des environs de Nice, où le chef du GIPN avait refusé de donner l’assaut pour déloger un forcené retranché chez lui avec un fusil de chasse. Trop dangereux, avait-il dit. Pas d’otage, on peut attendre. C’était la sagesse. Mais pas l’avis des autorités. On a fait venir un autre patron. Bilan : deux policiers sérieusement blessés et l’individu est abattu, alors qu’il a tiré ses deux cartouches et que son arme est vide.

Pas simple, d’être flic !

C’est alors qu’à Toulouse, commencent des négociations invraisemblables : une véritable vitrine médiatique pour Merah. Au point qu’il pourra dire, plus tard (via le procureur de la République)  « Je suis fier d’avoir mis la France à genoux ». Et cela dure, dure…, au point que cela devient ridicule. Il y a bien quelqu’un qui a dû lâcher : On passe pour des charlots ! Donc, rebelote pour le RAID. En respectant un impératif présidentiel : le capturer vivant. Il faut savoir que les policiers de ce service s’entraînent régulièrement à des tirs de neutralisation dans des parties non-vitales. Pour eux, tuer un suspect, c’est presque un échec. Il s’agissait donc d’une consigne parfaitement inutile et qui, d’une certaine manière, les a déstabilisés. Et les voilà repartis à l’assaut avec un armement léger. Et de nouveau, ils sont accueillis par un feu nourri. Merah tire depuis sa salle de bain, réfugié dans sa baignoire et protégé par un frigo. Les premières balles ont fait péter les canalisations d’eau. Les fuites rendent la porte de la salle de bain étanche aux gaz. Il faudrait donc creuser un trou pour enfumer la pièce. Pas le temps. Merah jaillit de la salle de bain en tirant tous azimuts. C’est le deuxième groupe, celui de couverture, qui riposte, avec des armes en l’occurrence inadaptées dans un local si minuscule. Mais toujours en visant les jambes. Touché plusieurs fois par des munitions puissantes, mais à faible pouvoir d’arrêt, le forcené claudique vers la fenêtre en visant les hommes situés derrière et ceux qui sont en position, un peu plus loin. L’un d’eux tombe du balcon alors qu’il tente de se dégager et qu’une balle lui a éraflé la carotide. Merah arrose dans tous les sens. Un autre policier est blessé au pied. Finalement, un tireur d’élite enfreint la consigne et lui colle une balle dans la tête. Dans son rapport, en termes diplomatiques, le chef du RAID fait remarquer qu’en « s’interdisant l’utilisation de certaines techniques et de certaines armes alors même que les circonstances l’auraient justifiée », on a mis en danger la vie de ses hommes.

Donc, une affaire loupée de A à Z. Pourquoi ce désastre ? Il faut surtout se poser la question de savoir s’il est normal que le ministre de l’Intérieur dirige une opération de police judiciaire. Avec dans son ombre un procureur qui tente de sauver la face. Les policiers et les magistrats ont donc baissé la tête. Aucun n’a eu le courage de dire non.

Après l’affaire Neyret, comment gérer les indics ?

Plusieurs grosses pointures de la police sont venues soutenir Michel Neyret devant le conseil de discipline. Il serait un peu léger de n’y voir que du copinage. Car les ennuis judiciaires et administratifs de ce grand professionnel de la lutte contre le banditisme vont plus loin que son cas personnel et risquent de modifier en profondeur le fonctionnement même de la police judiciaire.

Bien sûr, on peut estimer que les méthodes anciennes ont vécu. Mais dans ce cas, par quoi les remplace-t-on ? Les techniques et la science ? La police technique et scientifique prend effectivement de plus en plus d’importance dans les enquêtes, au point parfois de juguler les enquêteurs. La découverte de cette petite fille prostrée sous deux cadavres, dans la BMW découverte criblée de balles, près du lac d’Annecy, en est la démonstration par l’absurde. On gèle une scène de crime – donc l’enquête – en attendant l’arrivée des techniciens. Durant huit heures ! Et si l’enfant avait été blessée ? Cela fait penser à cette mauvaise blague d’école (de police) : Que devez-vous faire en premier en présence d’un pendu ?… Couper la corde, au cas où il ne serait pas mort. On peut d’ailleurs s’étonner que les gendarmes aient fait venir leurs propres techniciens de l’Institut de recherche criminelle, basé dans la banlieue parisienne, alors que le siège de la Sous-direction des services techniques et scientifiques de la police nationale se trouve en périphérie de Lyon. Alors, police-gendarmerie, même rivalité que par le passé… On murmure d’ailleurs Place Beauvau que les deux services pourraient être regroupés au sein d’une nouvelle direction autonome. Cette « autonomie » fait bondir la PJ. La police technique et scientifique doit rester un outil à la disposition des enquêteurs, a rappelé non sans raison l’un de ses patrons.

Personne ne nie l’avancée considérable que représentent la science et les techniques modernes dans la recherche de preuves et d’indices, mais c’est toujours après le crime ou le délit. Or en matière de lutte contre le banditisme, pour être efficace, il faut intervenir en amont.

La police ADN ne marche pas à Marseille.

Bien sûr, on peut planter des écoutes sur les téléphones portables, glisser des balises sous les voitures des suspects, pressurer les dizaines de fichiers, ou pianoter frénétiquement sur les claviers d’ordinateurs, mais… où est le contact humain ?

Autrefois, il y avait autant de règlements de comptes que maintenant et la plupart des enquêtes, comme aujourd’hui, n’aboutissaient pas – mais on savait. On savait pourquoi et par qui. On maîtrisait la structure des bandes et il était même possible de prévoir le nom des prochaines victimes. À défaut de pouvoir empêcher ou réprimer un flingage, on en comprenait les raisons. Cette connaissance du milieu n’existe plus. Or, si l’on veut mettre un frein aux agissements de ces bandes qui gangrènent la région marseillaise, la police a besoin de tuyaux – donc d’indics. Depuis toujours, le système fonctionne ainsi. Même si les flics savent qu’ils jouent avec le feu.

Mais comment « noyauter » ces bandes qui vivent plus ou moins en autarcie ? Eh bien, comme il est impossible d’entrer par la porte, il faut passer par la fenêtre. Car ces jeunots du banditisme ont vieilli. Et peu à peu, ils sont en train de devenir des grands – avec tout ce que cela comporte. Et notamment le désir d’élargir leur environnement, voire de s’en éloigner, afin de mieux profiter de leur bien si mal acquis. Et pour cela, ils ont besoin de complices, des individus tout aussi douteux, mais moins dangereux et surtout beaucoup moins méfiants. Des escrocs, des faiseurs, des enjoliveurs, comme on les appelle (comme ceux que fréquentait Michel Neyret) qui vivent en périphérie du banditisme et qui, pour les enquêteurs, présentent l’avantage d’être visibles. C’est par eux que l’on peut avancer et cerner une équipe de truands. Ensuite, c’est du travail de PJ, presque la routine : surveillances et procédure. Il n’est même pas nécessaire de les prendre la main dans le sac. L’époque du flag est révolue et le code pénal est suffisamment riche pour bâtir un dossier béton pour association de malfaiteurs en emboîtant entre eux des faits qui, à l’unité, ne pèseraient pas lourd devant un juge.

Donc, si l’on veut lutter contre ce néo-banditisme, pas besoin de nouvelles lois, pas besoin de CRS ni de militaires, il faut des moyens de surveillance, de bons procéduriers et… des indics. Pas de ceux que l’on enregistre à la direction centrale et que l’on rétribue avec une poignée de figues (contre reçu, s’il vous plaît). Non, des gens qui sont presque des amis, ou qui peuvent le devenir, et auxquels il n’est pas interdit de rendre de petits services.

Cela nécessite de faire confiance aux policiers. La confiance ! Encore un mot « à l’ancienne ».

 

 

Marseille : vous avez dit guerre des gangs ?

Marseille est-elle à feu et à sang ? Non, a répondu le préfet délégué Alain Gardère sur l’antenne de RTL, c’est plutôt « une ville paisible ». Les habitants de l’agglomération ne seront sans doute pas tous d’accord, mais il est vrai que ce focus permanent sur la cité phocéenne donne une vision tronquée de la réalité.

Coupure de presse du 1er septembre 1989

En fait, on pourrait dire « rien de nouveau » : cela fait plus de 30 ans que Marseille est au hit-parade des règlements de comptes. Ainsi, en 1982, 67 affaires de ce type ont été recensées sur l’ensemble du territoire, dont plus du tiers sur le seul ressort du service de police judiciaire de Marseille (15 homicides et 15 tentatives d’homicide). En décembre 1985, Le Figaro, qui a fait deux pages sur le sujet hier, me citait : « L’explosion de la violence dans les rangs du grand banditisme est un phénomène indéniable ». Une remarque sans aucun intérêt, que je reprends uniquement pour montrer que l’histoire du banditisme bégaie. Et moi aussi. Mais je ne suis pas le seul : on retrouve à peu près les mêmes mots dans la presse de ces derniers jours.

Alors, pour Marseille, l’année 2012 sera-t-elle pire que 1982 ? On s’en approche. Mais on n’est pas dans un match de foot, et il est un peu ridicule de compter les morts. Il est plus positif de tenter de comprendre.

Il y a trente ans, les truands étaient plus âgés, plus structurés qu’aujourd’hui. La plupart étaient issus des milieux pauvres, mais dès qu’ils le pouvaient, ils s’en échappaient pour les beaux quartiers. Ils avaient alors pignon sur rue : bars, salles de jeux, sociétés en tous genres… Il était donc plus facile de les surveiller. C’était un milieu que la police pouvait pénétrer, même si quelques poulets s’y sont brûlé les ailes. Comme aujourd’hui, les clans éliminaient la concurrence ou ceux qui leur « avaient manqué », ou les jeunots qui venaient marcher sur leurs plates-bandes. Une bonne partie de ces meurtres ne rentraient d’ailleurs pas dans les statistiques pour la bonne raison que l’on ne retrouvait pas toujours les corps.

À l’époque, les voyous ne se servaient pas de la mythique Kalachnikov. Non, les truands préféraient le pistolet 11,43 ou encore le fusil à pompe, sans doute impressionnés par la puissance de feu (exagérée) de Steve Mac Queen dans le film Guet-apens. À la question d’un sénateur qui interpellait le ministre de l’Intérieur sur l’augmentation du nombre de saisies de kalaches (+113% en un an), Manuel Valls a répondu (JO du 30 août 2012) que le nombre d’armes de guerre récupérées par les services de police et de gendarmerie, toutes catégories confondues, était passé de 90 en 2010 à 165 en 2011. Il ne donnait pas de chiffres pour l’AK 47, mais estimait que « cet armement reste difficile à acquérir et peu répandu ». A-t-il raison ? Oui, car si l’on s’en tient au département des Bouches-du-Rhône, sur 265 armes d’épaule saisies en 2011, il n’y avait que 22 Kalachnikov (8 en 2010). Sur un total de 534 armes récupérées durant l’année (près de 4000 au plan national). Pour la petite histoire, on estime à environ cent millions le nombre de kalaches qui circulent sur la planète. Comme quoi, il faut se méfier des pourcentages – et surtout de l’effet loupe des médias.

Lors de sa réponse au sénateur, le ministre de l’Intérieur a également rappelé que « les travaux réglementaires de mise en application de la loi [du 6 mars 2012] sur le contrôle des armes font l’objet de la plus grande attention ». C’est le moins que l’on puisse dire, car, de mémoire, la proposition de loi remonte au mois d’avril 2010. En réalité, cela n’a guère d’importance : les voyous se soucient peu de la loi. Et même la justice réagit parfois bizarrement dans son application. Ainsi, il n’y a pas longtemps, un homme a été trouvé en possession d’un AK 47, d’un fusil à pompe et d’un pistolet 9 mm : les enquêteurs ont dû insister lourdement pour que le délinquant soit présenté à un juge. Il n’a d’ailleurs pas été incarcéré, mais placé sous contrôle judiciaire. Cette mansuétude, même si elle s’appuie sur de bonnes raisons juridiques, n’est certainement pas un bon message. C’est même peut-être un mauvais service rendu à l’intéressé.

Une quinzaine de règlements de comptes depuis le début de l’année, cela vaut-il la peine d’envoyer l’armée ? La sénatrice socialiste Samia Ghali a sans doute cédé à son exaspération, car la réponse se trouve dans notre constitution. Pour que l’armée dispose de pouvoirs de police, il faut que le Conseil des ministres et le Président de la République décrètent l’état de siège. Ce qui n’a jamais été fait sous la Ve République. La réponse de Manuel Valls a été d’une grande limpidité : « Il n’y a pas d’ennemi intérieur ». Autrement dit, les policiers ne font pas la guerre aux délinquants. Un langage que l’on n’avait pas entendu depuis longtemps.

Steve Mac Queen dans le film Guet-apens (capture d'écran)

Alors, si on n’envoie pas l’armée, on fait quoi ? Il faut d’abord s’interroger sur l’enjeu de ces règlements de comptes entre voyous : la concurrence pour le trafic de stups, l’exemplarité et l’argent. Tout cet argent liquide qu’il faut sortir de sa planque pour le blanchir. Ce qui entraîne, on s’en doute, pas mal de tentations. Et dans ce drôle de monde, les arnaques se paient cash. Le petit blanchissage, via des restos, des cafés, des pizzas…, c’est sans doute là le talon d’Achille de ces truands qui savent faire parler la poudre mais qui ne l’ont pas inventée. Il semble de bon augure que Pierre Moscovici participe au comité interministériel « sur Marseille » qui doit se réunir le 6 septembre autour du Premier ministre. Le ministre des Finances a sans doute un rôle important à jouer. Mais il ne sera pas facile d’inciter les agents du fisc à repérer ceux qui paient trop d’impôts. C’est contre-nature.

Et puisque l’on sait que les produits stupéfiants sont en grande partie responsables de ces règlements de comptes, quitte à passer aux yeux de Mme Ghali pour un « pseudo-gaucho-intello-bobo », je reste persuadé qu’il faut sécher le problème à la base. Et je ne vois pas le mal que l’on se fait à y réfléchir. D’autant que nous sommes nombreux, sans doute, à nous demander comment on peut installer des « salles de consommation à moindre risque » pour les drogues injectables (d’une certaine manière, on dépénalise) et refuser systématiquement toute avancée pour la drogue la plus consommée en France : le cannabis.

L’histoire sans fin de la sécurité

La gauche peut-elle innover en matière de sécurité ? En tout cas, elle reste divisée. Mais la droite serait mal venue de critiquer, car le bilan de cette dernière décennie n’est pas des plus brillants. Si on aligne les différentes décisions les unes derrière les autres, c’est comme une litanie. Les mêmes mots, les mêmes ficelles que l’on nous ressort à chaque changement de gouvernement, voire de ministre de l’Intérieur.

Et pour quel résultat…

 « La France a peur ! » C’est par cette phrase que le 18 février 1976 Roger Gicquel ouvre le journal de la première chaîne de télévision. Il parle de l’assassinat de Philippe Bertrand, un garçon de huit ans, enlevé à la sortie de l’école et tué par son ravisseur, Patrick Henry. Une affaire sordide comme il s’en produit hélas de temps à autre. Mais cette phrase va bien au-delà. Elle joue comme un déclencheur. C’est peut-être ce qui amène le premier ministre, Raymond Barre, à désigner un Comité d’études pour trouver des solutions à la criminalité violente.

L’ilotage ! C’est l’une des mesures phares du rapport pondu par ce comité (présidé par Alain Peyrefitte) intitulé pompeusement « Réponses à la violence ». Et, parmi les autres mesures préconisées, on trouve le redéploiement des forces de sécurité dans « les zones nouvelles d’urbanisation » et l’amélioration des relations entre la police et les citoyens.

Comme le début d’une rengaine.

Les maires montent au créneau – En 1983, la gauche est au pouvoir depuis deux ans et la police n’a pas encore retrouvé son régime de croisière. Les maires remettent à Pierre Mauroy, alors Premier ministre, un rapport intitulé « Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité ». Ils réclament des mesures pour lutter contre l’insécurité. C’est ainsi que prend forme le Conseil national de prévention de la délinquance. Mulhouse est choisie comme ville test pour mettre en place un plan de prévention. Dix ans plus tard, le président de ce Conseil, Gilbert Bonnemaison, déplorera que la France se soit engagée « dans des démarches complètement sécuritaires ». La prévention n’a jamais eu sa chance. C’est pourtant l’une des trois branches de la police de proximité. Les deux autres étant la répression et l’information.

La régionalisation des services de police – C’est l’une des premières annonces du nouveau tandem de la place Beauvau, Charles Pasqua et Robert Pandraud. On est en 1986, c’est la première cohabitation.

L’ilotage : le retour – La mesure est dans le panier de Pierre Joxe, lorsqu’il rejoint l’Intérieur pour la seconde fois, après la réélection de François Mitterrand, en 1988. Il crée également l’Institut des hautes études de la sécurité. Dans les années qui suivent, les ministres se succèdent, le dernier avant la deuxième cohabitation est Paul Quilès. Il propose un plan d’action immédiate pour la sécurité. Mais, pas le temps. C’est la deuxième cohabitation. Charles Pasqua reprend les rênes avec dans sa besace un plan pluriannuel de modernisation de la police et une volonté de remobiliser les forces de l’ordre.

Les brigades anticriminalitées – La première a vu le jour à Paris, en 1993. Environ deux cents policiers qui tournaient la nuit dans la capitale et qui pouvaient à tout moment être regroupés pour faire face à un événement imprévu. En 1996, les BAC de jour sont mises en place sur l’ensemble du territoire. C’est un peu le fer de lance de la Sécurité publique.

Un juge place Beauvau – En 1995, après 14 ans de règne, Mitterrand s’efface et laisse la place à Jacques Chirac. Jean-Louis Debré, ancien juge d’instruction, devient ministre de l’Intérieur. Il installe le Haut Conseil de la déontologie de la police nationale et met en place les premières sûretés départementales.

L’époque des « petits sauvageons » – Acte manqué pour Chirac qui, deux ans après son élection, dissout l’Assemblée nationale. Jean-Pierre Chevènement devient ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Lionel Jospin. Il prêche pour « des villes sûres pour des citoyens libres ». Avec la mise en place, en 1997, des premiers contrats locaux de sécurité. Parallèlement, un Conseil de sécurité intérieure est créé, placé sous la houlette du Premier ministre, pour mieux assurer l’impulsion de la politique de sécurité intérieure. À compter de 2002, il sera présidé par le Chef de l’État.

L’année suivante, Jean-Pierre Chevènement veut mettre un terme aux violences urbaines. Il fustige ces « petits sauvageons qui vivent dans le virtuel » et annonce le redéploiement de 3000 policiers et gendarmes dans 26 départements sensibles en vue de supprimer les « zones de non-droit ». Il se prononce pour la suspension des prestations familiales afin de responsabiliser les parents de mineurs délinquants. Aussitôt contredit par le Premier ministre. Cette année-là, on discutaille pour l’installation d’une police de proximité afin d’assurer une présence effective et rassurante dans les quartiers sensibles. Et, d’une seule voix, le gouvernement parle d’une politique de prévention « rénovée ».

La police de proximité – Le 26 avril 1999, le ministère de l’Intérieur publie la liste de 59 sites expérimentaux de police de proximité. En décembre, Lionel Jospin qualifie l’insécurité « d’inégalité sociale » et annonce un recrutement exceptionnel de 1000 policiers supplémentaires.

Pas de sheriffs dans la police – Au mois d’août 2000, Jean-Pierre Chevènement rend son tablier et laisse la place à Daniel Vaillant. Alors que le Premier ministre s’est déclaré hostile à la « municipalisation » de la police, des personnalités de droite proposent de placer le maire au centre du dispositif de sécurité de proximité. Daniel Vaillant refuse de voir se développer les polices municipales. L’année suivante, le Premier ministre enfonce le clou : « Sheriffiser la police, ce n’est pas la tradition républicaine de l’État en France ».

Chirac savonne la planche – Dans son allocution télévisée du 14 juillet 2001, Jacques Chirac insiste sur les problèmes de sécurité. On sent bien que c’est sur ce terrain qu’il va croiser le fer en vue de sa réélection. Plus tard, assumant sa défaite, Lionel Jospin dira : « Sur la question de l’insécurité, j’ai péché par naïveté… ».

Les policiers manifestent – Le 16 octobre 2001, deux policiers sont tués par un multirécidiviste, dans le Val-de-Marne. Quelques jours plus tard, plusieurs milliers d’entre eux manifestent dans toute la France. Le Premier ministre évoque la dramatique erreur d’appréciation des juges… Les policiers mettent en cause la loi sur la présomption d’innocence. Le député Julien Dray est chargé d’évaluer le texte.

 « L’impunité zéro » – Tandis que Lionel Jospin déplore une « récupération politique » de l’insécurité, Jacques Chirac prône l’impunité zéro. En vieux routier de la politique, il a enfourché le bon cheval : un sondage montre que l’insécurité est la préoccupation majeure des Français. Il est réélu le 5 mai 2002. Nicolas Sarkozy devient ministre de l’Intérieur. À l’ordre du jour, renforcement des moyens pour la justice et les forces de l’ordre, renforcement de la sécurité dans les transports d’Île-de-France et création du Conseil de sécurité qui a pour tâche d’assurer l’impulsion de la sécurité intérieure, de la coordonner et de l’évaluer.

Les Groupes d’intervention régionaux – Dans les jours qui suivent, une circulaire interministérielle donne naissance aux GIR. Il s’agit en fait d’entités, pourvues d’une cellule de permanents, rattachées à la PJ ou à la gendarmerie. Les GIR regroupent l’action de policiers, de gendarmes, de douaniers, d’agents des impôts et même d’agents de l’URSSAF. Leur objectif premier vise à lutter contre l’économie souterraine générée par le trafic de drogue au niveau d’une cité ou d’un quartier. Ces bandes de petits trafiquants étant souvent les premiers à mettre le feu aux poudres.

Le Flash-Ball – Alors que Daniel Vaillant, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, avait répondu au mécontentement des policiers en les dotant de gilets pare-balles, Nicolas Sarkozy arme les policiers de « proximité » de Flash-Ball. Un peu comme Don Quichotte, il est parti en guerre contre la délinquance. Pour « la France des oubliés », comme il dit.

La sécurité, première des libertés – En juin, le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, promet les moyens nécessaires pour lutter contre l’insécurité et, place Beauvau, on parle de la culture du résultat et de la nécessité d’alléger la loi sur la présomption d’innocence. Le programme sécuritaire du nouveau gouvernement est contenu dans la LOPSI du 29 août 2002. (En 2011, il y aura un deuxième P, pour « performance ». On sent tout de suite la différence.) Celle de 2002 porte un beau titre : « La sécurité, première des libertés » : création de 13 500 emplois dans la police et la gendarmerie, renforcement des pouvoirs des forces de l’ordre, création de nouveaux délits, comme le racolage passif, l’occupation de terrain par des gens du voyage, les attroupements dans les halls d’immeuble, la mendicité, etc.

La notation des préfets – Nicolas Sarkozy annonce qu’il publiera chaque mois la liste des 5 meilleurs et 5 plus mauvais départements sur le plan de la sécurité. Et, pour donner du baume au cœur aux préfets, il promet que 3500 CRS et gendarmes seront affectés à la sécurité publique.

On barricade les écoles – Xavier Darcos, ministre délégué à l’enseignement, souhaite équiper les établissements scolaires placés dans des zones sensibles de clôtures, portails, vidéo, etc. Il veut également permettre l’intervention des forces de l’ordre.

Vers la fin de la police de proximité – En février 2003, à Toulouse, Nicolas Sarkozy estime que la police de proximité est inutile si elle privilégie la prévention. Toutefois, quelques jours plus tard, rétropédalage. Pas question de la supprimer. Il est vrai qu’il faut d’abord trouver une solution de remplacement.

Le plan Vigipirate – En mai 2003, la tension monte d’un cran. Jean-Pierre Raffarin décide de porter le plan Vigipirate au niveau d’alerte orange.  Sauf erreur, il est aujourd’hui au niveau rouge. Il a même été écarlate en région Midi-Pyrénées, en Aude et en Lot-et-Garonne, le temps de l’affaire Merah.

Les chantiers prioritaires – Ils sont au nombre de six. C’est le plan de bataille du nouveau ministre de l’Intérieur, Dominique de Villepin. Mais Jacques Chirac le pousse aux fesses. En novembre, il appelle le gouvernement à aller plus loin. Il souhaite par exemple la création d’établissements pour « accueillir » les auteurs de crimes les plus graves, après leur sortie de prison. Et il veut également renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière. Dominique de Villepin fixe la barre à 20 000 expulsions pour 2005. Mais cette année-là, il rejoint l’Hôtel Matignon et Nicolas Sarkozy retrouve ses pantoufles place Beauvau.

Les émeutes de 2005 – Alors qu’au mois de mars, d’après un sondage, la sécurité ne venait plus qu’au 9° rang de la préoccupation des Français, patatras ! en novembre les banlieues explosent. Signe évident d’un affolement des autorités, le président Chirac décrète l’état d’urgence. Une mesure jusqu’alors appliquée uniquement lors de la guerre d’Algérie. Ces désordres favoriseront sans doute Nicolas Sarkozy dans sa course à la présidence.

Les UTEQ – En 2008, Michèle Alliot-Marie annonce l’expérimentation de nouvelles unités destinées aux quartiers sensibles, les UTEQ. Avec pour objectif la lutte contre le trafic de stups et le rétablissement d’un lien de confiance entre la police et la population.

Les compagnies de sécurisation – Une vieille idée parisienne qui revient à la surface : en septembre 2008 la première sécu est installée à Bobigny. Elle a pour mission de lutter contre la petite et la moyenne délinquance et contre les violences urbaines.

Une pause pour réfléchir…  En octobre, la ministre annonce la création d’un Conseil économique et scientifique de sécurité, chargé de réfléchir aux « enjeux globaux » de la sécurité et de définir « quel niveau de sécurité mettre en place et dans quelles conditions économiques et techniques ».

La Place Vendôme en effervescence – Rachida Dati est sur tous les fronts. Les lois répressives pleuvent. Concernant les jeunes délinquants, elle annonce son intention de diminuer l’âge de la responsabilité pénale avec la possibilité d’une condamnation à la prison dès l’âge de 12 ans. François Fillon s’y oppose.

Protéger les Français – C’est le discours répété du président de la République. À Orléans, il annonce qu’en 2009, toute l’action du gouvernement « sera tendue vers cet objectif ». Il débloque cent millions d’euros pour la police et la gendarmerie.

Les référents – MAM veut consolider les liens entre la police et la population pour mieux lutter contre les vols à main armée dont le nombre ne cesse de croître. Outre la vidéosurveillance, elle préconise des contrôles fixes et itinérants dans les quartiers les plus touchés et une « coopération de terrain » via la mise en place de policiers et de gendarmes référents.

Les violences en bandes – C’est le nouveau cheval de bataille du président Sarkozy. En mars 2009, il annonce 16 mesures nouvelles pour combattre ce phénomène. Et quelques mois plus tard, en réaction à des faits divers, il tance ses ministres en leur rappelant les objectifs essentiels de la politique de sécurité : « La lutte contre les bandes et les violences urbaines, la lutte contre les violences à l’école, la répression des trafics criminels, en particulier le trafic de drogue ». Dans le même temps, Martine Aubry sort un « livre noir » qui dresse un bilan des « atteintes aux libertés publiques ».

Les brigades spéciales de terrain – C’est Brice Hortefeux qui lance le projet, en 2010. Il s’agit de créer des unités dont la mission est de mettre fin à la délinquance tout en rétablissant un lien avec la population. La première BST est installée en Seine-Saint-Denis.

Les patrouilleurs – En 2011, Claude Guéant préfère les patrouilleurs. Pour faire simple, il s’agit de policiers dont la mission est de déambuler dans une rue, dans un quartier.  Il s’agit par leur présence de rassurer les gens et de nouer le contact (avec la population). En 1976, on appelait ça l’ilotage.

La LOPPSI de 2011 – La loi d’orientation et de programmation pour la performance sur la sécurité prévoit de nouvelles mesures pour permettre aux forces de l’ordre de « s’adapter avec le maximum de réactivité possible aux évolutions de la délinquance ». Malgré la promesse d’une enveloppe financière cinq fois plus élevée qu’en 2009, l’ouverture sur la sécurité privée et sur les polices municipales est presque un aveu d’échec.

Le sentiment d’insécurité – Après des années de pression, les Français sont redescendus sur terre. Dans un sondage du mois de mars, 8% seulement déclaraient que la question pèserait dans leur vote à l’élection présidentielle. Contre 14% pour les impôts et les taxes. Et 36% pour le pouvoir d’achat et le chômage.

Et maintenant ? Les têtes ont changé mais les problèmes demeurent. Après les événements d’Amiens, François Hollande a promis de mettre en œuvre tous les moyens de l’État pour lutter contre les violences. Quant à Manuel Valls, il planche sur la mise en place de nouvelles « zones de sécurité prioritaire ». Mais il a dit aussi, lors d’une interview, qu’il fallait avant tout s’attaquer aux causes. Or les violences urbaines sont souvent liées au trafic de drogue. Et, partout de par le monde, la lutte contre ce fléau a échoué. « C’est un peu comme si on était sur un vélo d’appartement ; on pédale, on pédale, mais le problème demeure », a dit Juan Manuel Santos, le chef d’État colombien. Il y a peut-être là un véritable sujet de réflexion…

Il est également intéressant de savoir que François Lamy, le ministre délégué à la Ville, a porte ouverte place Beauvau, car la police ne peut pas tout. Elle agit un peu comme un antalgique, elle calme le mal mais elle ne le supprime pas.

Plus de biscuits en garde à vue

Le nombre de gardes à vue a diminué, mais le respect de la dignité humaine n’est toujours pas au rendez-vous. Loin s’en faut. Non pas du fait des policiers ou des gendarmes, mais en raison des conditions matérielles réservées aux suspects. Autrement dit, les caisses du ministère de l’Intérieur sont vides.

Et, sans argent, la nouvelle politique de sécurité voulue par Manuel Valls a-t-elle une chance de réussir ?

Dans les commissariats parisiens, par exemple, depuis plusieurs semaines, il n’y a plus de biscuits pour le petit déjeuner. Vous me direz, des biscuits… Pourquoi pas des croissants pendant qu’on y est ! Sauf que les deux biscuits du matin constituaient l’unique pitance des gardés à vue. Même pas un café. Il leur reste la briquette de jus d’orange, du genre de celle que l’on donne aux enfants, en moins bon. Et avec ça, les gaillards doivent tenir jusqu’au repas du midi : une barquette à choisir entre deux plats. Il paraît que le poulet-riz a la faveur du public. Comme quoi ils ne sont pas rancuniers les taulards d’un jour, puisqu’ils aiment le poulet. Si on ne pratique pas en France la torture infamante, avec ce régime hypocalorique, on n’est pas loin de « la tortore affamante ».

Mouais, je sais… Et pour me faire hara-kiri, je pourrais ajouter qu’il ne reste plus aux suspects qu’à manger le morceau.

Et la nuit, ils peuvent rêvasser dans leur couverture cradoque. Le plus souvent allongés par terre, car les matelas sont bizarrement d’une taille qui correspond rarement aux bancs de GAV. Quant à la douche, il ne faut guère y compter. Si elle existe, la plupart du temps, il n’y a pas de serviettes de toilette. Comme disait un commissaire : z’on qu’à prendre du PQ. Sauf qu’il n’y en pas toujours. Il suffit que le livreur passe en l’absence du préposé au ménage, pour que la semaine se déroule sans. Et chaque fonctionnaire de planquer son petit rouleau perso dans son caisson. De toute façon, même s’il y a des douches, même s’il y avait des serviettes, il n’y aurait pas assez de personnel pour accompagner les gardés à vue aux sanitaires.

Donc, tout est pour le mieux.

Un autre exemple de la paupérisation de la police : on manque de cartouches pour les Taser ! Cela se passe dans le Haut-Rhin. C’est un syndicat qui a tiré la sonnette d’alarme : le directeur de la sécurité publique serait prêt à retirer les Taser X26 de la circulation. Heureusement, le préfet pour l’administration de la police a finalement entrouvert son escarcelle : 10 cartouches auraient été livrées.

D’ici qu’on ressorte les bâtons blancs !

Je ne dis pas ça pour me moquer, mais en lisant les instructions du ministre de l’Intérieur sur la mise en place des quinze premières ZSP (zones de sécurité prioritaires), je ne pouvais m’empêcher de me demander où diable il allait trouver les moyens de sa politique… J’ai cru comprendre qu’une partie du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) serait mobilisée. Plus de 50 millions d’euros pour 2012. Rappelons que ce fonds sert à financer en priorité la prévention de la délinquance des jeunes, et, pour plus de la moitié de l’enveloppe, la vidéoprotection. Le plan-caméra si cher au gouvernement Sarkozy-Fillon (et si cher aux contribuables), vivrait-il ses derniers jours ?

La zone de sécurité prioritaire, c’est un peu le contre-pied de la police de proximité du gouvernement Jospin. Dans sa récente circulaire aux préfets, le ministre de l’Intérieur explique qu’il s’agit de s’attaquer « aux causes » et de « lutter en profondeur contre les formes les plus ancrées de la délinquance ».

Donc, pas question de jouer au foot avec les jeunes. Mais au contraire d’unir les forces de plusieurs ministères pour être le plus opérationnel possible en se concentrant sur certains objectifs : l’économie souterraine, le trafic de stupéfiants et d’armes, les violences, les cambriolages, les regroupements dans les parties communes d’immeubles, les nuisances sur la voie publique, les incivilités, etc. Et pour être encore plus pointu, il faudra sélectionner au maxi quatre cibles par zone. Tandis que les collectivités territoriales s’intéresseraient plutôt à la prévention et à la « proximité ». Probablement des missions dévolues aux polices municipales.

Pour cette première année d’activité, il n’y aura ni effectif supplémentaire ni nouvelle implantation immobilière. On peut donc s’attendre à un certain remue-ménage dans les services. Peut-être même un remodelage des structures existantes, « l’occasion d’une redéfinition de certaines unités, notamment celles affectées à la recherche du renseignement ou à la lutte contre la criminalité de voie publique », déclare M. Valls. Entre les lignes, on pourrait penser à un retour des RG et peut-être à la fin des BAC.

Comme l’écrit dans son blog Émilie Thérouin (adjointe au maire, chargée de la sécurité à Amiens), désormais, le préfet reprend la main. Et cela semble une bonne chose. Des services comme la DCRI ont montré les limites d’une centralisation à outrance. On serait donc sur le bon chemin. À condition toutefois que la justice soit au diapason. Ce qui pour l’instant reste à démontrer. Car s’il est question du procureur de la République dans la lettre du ministre aux préfets, c’est au conditionnel. Ce magistrat pourra « s’il le souhaite » assurer la codirection de la cellule opérationnelle. Y aurait-il mésentente entre la place Beauvau et la place Vendôme ?

Réussir une telle réforme sans y mettre un sou, c’est un véritable challenge. Croisons les doigts. Pourtant, il y a une chose qui n’aurait rien coûté. Un vocabulaire plus tolérant.  Je trouve que « zone » cela fait zonard, donc marginal. J’aurais préféré que l’on parle d’espaces de sécurité prioritaire. Mais ce ne sont que des mots.

La police tunisienne en miettes

La Tunisie va mal et la police aussi. C’est du moins ce que me dit un policier tunisien dans un mail envoyé récemment. Depuis le départ de Ben Ali, le pays semble partagé entre l’idéalisme démocratique, né de la Révolution, et claironné par le président provisoire Moncef Marzouki, et une aspiration profonde à l’islam. Et cette ambigüité pèse lourdement dans la musette des policiers.

A priori, dans la rue, ce sont bien les lois islamiques qui prennent le pas sur les lois républicaines. Ainsi, en cette période de ramadan, les forces de sécurité sont souvent à l’œuvre pour fermer les bars et les restaurants, ces endroits ouverts aux « non-jeûneurs ». Mais certains s’interrogent sur la base légale de ces interventions. Et, en l’absence de loi, il semble bien que le ministre de l’Intérieur cède à la pression des « religieux » et notamment à une sorte de congrégation qui il n’y a pas si longtemps, s’appelait encore « Association de la promotion de la vertu et de la prévention du vice ». Il y a quelques jours, lors d’une opération destinée à fermer ces lieux de… perdition situés dans le centre commercial Carrefour, en périphérie de Tunis, mal à l’aise, les policiers ont justifié leur action en invoquant le principe de précaution : éviter que les salafistes ne viennent tout casser. On pourrait donc penser que la police plie devant la milice des extrémistes. Mais en fait, ils ne peuvent guère dire autre chose, les policiers, car en obéissant à un ordre sans base légale, ils se placent eux-mêmes dans l’illégalité. Cette ambigüité dans les instructions de la hiérarchie flirte avec la sensibilité de chacun. Et cela se traduit par des dissonances : une répression violente, le 9 avril, lors des manifestations pour la Fête des martyrs (commémoration de l’année 1938, lorsque les forces coloniales françaises ont tiré sur la foule), alors que quelques semaines plus tôt ces mêmes policiers offraient des fleurs aux manifestants.

Au mois de juin, des heurts violents ont eu lieu entre les forces de l’ordre et des groupes islamistes radicaux qui dénonçaient une exposition de tableaux jugée offensante pour l’islam. L’un d’eux, « Femme au couscous à l’agneau », représentait une femme nue avec en arrière-plan des bonshommes barbus. Bilan : un tribunal incendié, plusieurs postes de police attaqués et des dizaines de policiers blessés. Mais ils n’ont pas tiré à balles réelles contre les manifestants, malgré la déclaration du ministre de l’Intérieur rappelant à ses troupes qu’une loi de 1969 leur en donne le droit en « état d’urgence ». L’état d’urgence perdure en Tunisie. Il a déjà été prolongé cinq fois depuis qu’il a été prononcé, en janvier 2011. En principe, il doit prendre fin dans 48 heures – à moins qu’il ne soit à nouveau prorogé.

La  plupart des syndicats de police se sont montrés satisfaits de cette déclaration de leur ministre. Cependant, jeudi dernier, alors que des manifestants s’en prenaient à la préfecture de Sidi Bouzid, sur le terrain, les forces de l’ordre se sont limitées à des tirs de sommation et à l’utilisation de gaz lacrymogène. Que se serait-il passé dans le cas contraire ? On se souvient en effet que c’est devant cette même préfecture qu’un jeune vendeur de fruits et légumes, Mohamed Bouhazizi, s’était immolé par le feu, marquant symboliquement le point de départ de la Révolution tunisienne et par extension du Printemps arabe. Une place de Paris, dans le 14° arrondissement, porte désormais son nom.

Vu de France, il est bien difficile d’y voir clair dans cet embrouillamini politico-policier. Mais il semble bien que la liberté syndicale des policiers soit en train d’en prendre un sacré coup. Les délégués sont sérieusement mis à mal depuis qu’ils ont osé revendiquer une meilleure protection juridique et une amélioration de leurs moyens d’action afin de pouvoir exercer leur métier « dans les meilleures conditions et dans le respect des valeurs des droits de l’homme dans la Tunisie postrévolutionnaire ». Le Syndicat national des forces de sûreté intérieures exige une rupture nette avec le passé. Il faut que le ministre de tutelle arrête de recycler les symboles de l’ancien régime. Mais, pour l’instant, j’ai l’impression que la seule réforme concerne le changement des uniformes… Il y a quelques jours, ils étaient nombreux à manifester suite à l’arrestation (on ne sait pour quel motif) de leur collègue, Issam Dardouri, secrétaire général de la cellule de l’aéroport international de Tunis-Carthage (il aurait été libéré mardi dernier). Pour les syndicalistes, qui prennent d’énormes risques, la société civile doit aussi se mobiliser et les soutenir dans l’approche d’une police républicaine. « Dans le cas contraire, a déclaré un responsable national, je donne six mois à la police pour revenir à sa qualité d’outil de répression ».

En attendant, les sanctions pleuvent : mutations, révocations, arrestations administratives et judiciaires… Et, à l’opposé, pour les plus souples, promotions surprises. Il y a indéniablement une volonté de contrôler les organisations syndicales pour les empêcher de se pencher sur les dysfonctionnements mis en exergue par la Révolution et sur les errements des fonctionnaires « qui ont contribué à la dictature de l’ancien régime ».

A ma connaissance, il n’y a pas eu de véritable épuration après les répressions sanglantes. Seuls quelques dizaines de cadres auraient été renvoyés.

Et tandis que les forces de l’ordre sont déstabilisées et souvent occupées à des missions de maintien de l’ordre, la criminalité prolifère, l’insécurité s’installe et les touristes fuient le pays. La Tunisie pourra-t-elle attendre les élections prévues pour mars 2013 sans verser dans le chaos ? Et demain, quel sera son profil ? Pour Nicolas Clinchamps, maître de conférences de droit public à Paris 13, le pays est « toujours écartelé entre les deux extrêmes de l’islamisme et du nationalisme ». D’autres vont beaucoup plus loin, comme ce cheikh, al-Khatib al-Idrissi, une référence spirituelle pour les salafistes tunisiens. Lui ne se limite pas à une Tunisie sous charia mais envisage carrément une « nation musulmane » mondiale : l’oumma. Pour lui, ce sont les occidentaux qui ont dressé des frontières entre les musulmans, « mais déjà les dictatures chutent : Tunisie, Égypte, bientôt la Syrie… En même temps, d’autres pays s’affaiblissent, tout comme les États-Unis. Ils vont vers l’effondrement et l’islam en profitera ».

On ne peut être plus clair.

Le Quai des Orfèvres sous l’Occupation

Ce 16 juillet 1942, au petit matin, des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards furent arrêtés à leur domicile et regroupés dans les commissariats avant d’être parqués au Vel’ d’Hiv’. Aujourd’hui, alors que le Président Hollande commémore le 70° anniversaire de cette rafle funeste, il est légitime de s’interroger sur le comportement des policiers et des gendarmes qui ont – sagement – obéi aux ordres. Et notamment à la préfecture de police de Paris qui vient d’ouvrir ses archives sur ce sujet sensible. Il faudra attendre fin 1943, alors que la politique du maréchal Pétain se fait de plus en plus répressive, pour qu’un véritable mouvement de résistance apparaisse enfin dans la police parisienne.

Pour certains policiers, c’était leur deuxième intervention au Vel’ d’Hiv’. En effet, en mai 1940, donc avant le régime de Vichy, cinq mille femmes réfugiées en France pour fuir le nazisme des années 30 avaient été enfermées dans ledit vélodrome. La plupart seront transférées au camp de concentration français de Gurs et beaucoup y mourront. Il semble que parmi les survivantes, certaines ont même joué un rôle actif dans la résistance, mais leur souvenir s’est perdu. Lilo Petersen, qui a été victime de cet internement alors qu’elle était enfant, a écrit un livre Les oubliées, chez Jacob-Duvernet, dont on peut trouver une courte analyse ici.

Si les policiers d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec ce fragment de notre histoire (ils n’étaient même pas nés), il est étonnant que les nombreux ouvrages consacrés au Quai des orfèvres n’y fassent pratiquement pas allusion ; alors qu’il est souvent question de la résistance, d’abord passive, puis plus active, menée par certains fonctionnaires de la préfecture de police, comme dans la remarquable trilogie De la Résistance à la Libération que l’on peut télécharger gratuitement sur le site de la PP.

Mais j’ai déniché l’exception : le livre de Clovis Bienvenu qui, sous un titre rebattu « Le 36, quai des Orfèvres » (Éditions PUF), met carrément les pieds dans le plat. « Force est de constater, dit-il, qu’au titre de la collaboration d’État la police judiciaire du quai des Orfèvres a activement participé à la lutte contre le communiste et à la chasse aux Juifs. »

Pourtant, nulle part, poursuit-il, il n’y a trace « des compromissions, des trahisons, des enquêtes diligentées à la demande des autorités allemandes ». Comme de cette enquête menée par les policiers de la brigade spéciale de la PJ pour interpeller Pierre Georges. Ce jeune homme de 22 ans, auteur du meurtre d’un militaire allemand, le 21 août 1941, au métro Barbès, a sans doute, avec deux balles de calibre 6.35, modifié le cours de l’histoire, marquant le début de la révolte armée contre l’Occupant. Arrêté l’année suivante, il fut sérieusement passé à tabac avant d’être livré aux Allemands. Bizarrerie de l’histoire, lors de la libération de Paris, alors que les policiers tirent sur les Allemands, lui se trouve à la tête d’un commando FFI. Il établit la jonction avec la 2° DB et l’aide à reprendre à l’ennemi les quartiers proches de la préfecture de police. Une station de métro porte son nom de guerre : Colonel Fabien.

À cette époque-là, la brigade spéciale dépend du 36 et la « brigade des attentats » lui est rattachée. Pour la direction de la PJ, il est question d’une brigade antiterroriste. Les terroristes des uns étant les résistants des autres. En tout cas, la chasse est ouverte. D’autant que les Allemands récompensent toute arrestation de « terroriste » par des espèces sonnantes et trébuchantes. Mais la PJ et les RG se livrent une rude concurrence. On flagorne les Fridolins. Finalement, ce sont les renseignements généraux qui emportent les faveurs de l’Occupant. En janvier 1942, une deuxième brigade spéciale est alors créée, mais cette fois au sein de ce service. (C’est la seule dont on parle aujourd’hui.) Le patron de la PJ, Guillaume Tanguy, a perdu et les affaires « patriotiques » deviennent le monopole des RG. Trois ans plus tard, les gens du 36 vont tirer profit de cette déconvenue en forgeant la légende d’une police judiciaire exempte de tout acte de collaboration.

C’est l’époque des promotions extravagantes et nombreux sont ceux qui sont sensibles à la carotte. Quelques-uns résistent et œuvrent en douce, comme ce jeune policier, Jacques Beuguin, affecté au « service des répressions raciales », qui utilise mille stratagèmes pour réduire le nombre de Juifs déférés aux Allemands, sans éveiller les soupçons de sa hiérarchie.

Et tandis que la police parisienne sert la soupe aux occupants et que le Tout-Paris flirte au One-Two-Two avec les officiers allemands, les truands s’en donnent à cœur joie. Souvent en cheville avec des barbouzes collabos, ils dépouillent les familles fortunées en se faisant passer pour des policiers allemands.

Pourtant, on est encore loin de la fronde au sein de la PJ. Ainsi, en juin 1943, lors de la création de la sous-direction des affaires juives (ex-service Tulard), le commissaire divisionnaire Charles Permilleux motive ses troupes par des instructions précises : « Il appartient désormais à la préfecture de police d’assurer l’exécution des mesures de police ordonnées par les autorités d’occupation. La police française n’a pas à se faire juge, elle exécute les ordres donnés ».

À la Libération, on parle d’épuration dans la police. Une brigade anti-Gestapo est créée. Installée quai de Gesvres, elle est chargée d’enquêter sur la Gestapo française, la Carlingue, pour les intimes. Voici ce qu’écrit son fondateur, le commissaire Georges Clot : « La Gestapo française fut, à cette pénible époque, un dangereux poison qui atteignit tous les organes du corps français. C’est triste à dire, mais c’est la vérité… Quelquefois, nous étions saturés de dégoût, nous ne savions plus où se trouvaient les limites du mal. : un cancer généralisé. » Et puis, un jour de septembre 1945, on leur a dit d’arrêter. La brigade anti-Gestapo a été dissoute. Pour les autorités, il était temps d’oublier.

Je ne connais pas Clovis Bienvenu. Il est présenté comme officier de police judiciaire. J’ai tenté de le joindre, via son attachée de presse, mais sans succès. Son livre comprend d’autres volets : les années grises, le conflit algérien, etc. On peut lire la table des matières sur le site des Presses Universitaires de France. C’est un livre rare, et même si l’on a parfois du mal à suivre le fil, c’est passionnant.

Usage des armes dans la police : vers un meilleur encadrement

Il n’y aura pas de présomption de légitime défense pour les policiers mais probablement un codicille aux textes en vigueur afin de mieux encadrer les situations dans lesquelles ils peuvent faire usage de leur arme. Un peu comme cela a été fait l’année dernière dans l’hypothèse où un attroupement devrait être dispersé par la force.

C’est du moins ce que l’on peut déduire des propositions de la « mission indépendante de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et gendarmes » dont la mise en place avait été annoncée par Manuel Valls lors de l’un de ses premiers déplacements en tant que ministre de l’Intérieur. Il s’agissait alors d’étouffer la colère des policiers après la mise en examen de l’un d’eux pour homicide volontaire dans l’affaire de Noisy-le-Sec.

« En encadrant l’usage des armes, on en consacre l’existence et on répond d’une certaine manière – autrement que par les propositions que nous avons écartées [Note : la présomption de légitime défense] – à une attente », estime le conseiller d’État Mattias Guyomar dans son rapport remis vendredi dernier au ministre.

Je dois avouer que je trouve l’idée d’encadrer l’usage des armes pour en consacrer l’existence assez sibylline. Le rapporteur parle de « codifier la jurisprudence du code pénal »… Mais comment prévoir à l’avance les circonstances d’une intervention de police alors que celles qui posent problème sont justement les plus imprévues… S’agit-il d’énumérer les cas dans lesquels le policier peut faire usage de son arme ? Attention à ne pas ouvrir la boîte de(s) Pandore(s) ! Et puis, ce serait oublier une chose qui ne peut s’expliquer : la peur, tout simplement. La peur d’être tué et la peur de tuer. Dans le drame de Noisy-le-Sec, le gardien de la paix a-t-il cédé à un tir panique ? Cette peur, souvent non avouée, c’est le fossé qui sépare le juge du policier.

Définir les conditions d’utilisation des armes lors d’une interpellation, serait d’autant plus curieux, qu’en flagrant délit, le policier ne possède aucun pouvoir particulier. Il agit comme pourrait le faire tout citoyen, dans le cadre de l’art. 73 du CPP.

Je trouve le Conseiller plus intéressant lorsqu’il outrepasse sa mission pour réfléchir à l’utilisation des armes dites à létalité réduite, celles que l’on classe dans la catégorie des moyens intermédiaires de défense. Il est vrai, par exemple, qu’entre le premier Flash-Ball, arme essentiellement dissuasive, presque de contact, et le lanceur de balles suisse à visée électronique actuellement en dotation, il y a tout un monde. Et il ne serait pas idiot de mieux adapter leur utilisation aux missions, plutôt que de faire la surenchère à la puissance.

Pas question dans ce rapport d’aligner les policiers sur les gendarmes – ou le contraire. Statu quo. Les gendarmes continueront donc à bénéficier – dans certaines circonstances – de la possibilité de tirer après sommations. Pour justifier cette possibilité de tuer, on met en avant leur statut militaire. Ce qui n’a évidemment pas beaucoup de sens, puisque la plupart des missions de la gendarmerie sont identiques à celles de la police nationale. Là, je crois qu’on est plutôt dans le ni-ni. Rappelons pour les auteurs de polars qui candidatent au Prix du Quai des Orfèvres, que le policier ne fait pas de sommations. Il ne peut par exemple tirer sur un délinquant qui s’enfuit, qu’il soit à pied ou en voiture. Tout au plus pourrait-on tolérer un tir d’avertissement…

Mais parmi les 27 propositions de ce rapport, il y en a une qui est très appréciée : l’extension de la protection fonctionnelle. D’après l’agence d’informations spécialisées aef-info, en 2011, elle aurait été actionnée 20 289 fois pour les policiers (j’ai du mal à croire ce chiffre) et 500 fois pour les gendarmes. Mais en l’état, elle est loin de donner satisfaction. Si cette recommandation était suivie d’effet, le policier ou le gendarme mis en cause par la justice dans l’exercice de ses fonctions devrait bénéficier d’une protection juridique plus étendue et, surtout,  il devrait se voir garantie la continuité de ses ressources. Éventuellement en faisant l’objet d’un reclassement provisoire dans une autre administration. Alors qu’aujourd’hui, un policier mis en cause par la justice peut du jour au lendemain être interdit d’exercer son métier par le juge d’instruction ou suspendu par l’autorité administrative. Et si le plus souvent il continue à percevoir son traitement (du moins dans un premier temps), celui-ci est sérieusement amputé. Grosso modo réduit de moitié. De plus, en tant que fonctionnaire, il n‘est pas autorisé à avoir une autre activité salariée. De nombreux policiers ont très mal vécu cette expérience où ils tournent en rond, désœuvrés, à tirer le diable par la queue, et souvent seuls, car coupés de leurs collègues, de leurs amis. Comme soutien psychologique, peut mieux faire.

Cette évolution très importante dans la protection matérielle nécessiterait de modifier le statut de la fonction publique (de la défense, pour les gendarmes), et devrait donc profiter à l’ensemble des fonctionnaires. On ne voit pas en effet comment, sous un quinquennat placé sous le signe de la justice pour tous, on pourrait faire une différence entre les agents publics, selon qu’ils seraient rattachés à tel ou tel ministère.

L’enquête imaginaire sur les enregistrements de Merah

« Agissant en enquête préliminaire pour des faits de violation du secret de l’instruction et recel, conformément aux instructions de Monsieur le procureur de la République de Paris, nous présentons ce jour au siège de l’entreprise Éléphant et Cie… »

J’ai eu beau râler, le chef m’a dit qu’il fallait foncer et récupérer dare-dare les enregistrements des négociations entre la DCRI et Mohamed Merah, dont une partie avait été diffusée sur TF1. Une enquête sur des œufs. Avant de me lancer dans l’aventure, j’ai évidemment compulsé mon code de procédure pénale…

La perquisition – Quasi impossible. D’abord, en préli, il faut un accord écrit du « maître des lieux ». Ensuite, la perquisition dans une entreprise de presse est réglementée par la loi de 2010. Question : la maison de production Éléphant et Cie est-elle un organe de presse ? Petit tour sur l’Internet. Oui, il est indiqué qu’il s’agit d’une société de production audiovisuelle qui possède ce statut. Mais c’est quoi une agence de presse. Pour Wikipédia, plus facile à lire que le Dalloz, « une agence de presse est une organisation qui vend de l’information aux médias à la manière d’un grossiste fournissant des détaillants ». La définition juridique est fournie par l’ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 (modifiée par la loi du 22 mars 2010 et consolidée en mars 2012). Pour remplir les conditions, il faut que l’entreprise effectue au moins la moitié de son chiffre d’affaires dans la fourniture à des publications de presse. Là, je n’ai pas le temps de vérifier. Après tout, qui dit perquise chez des journalistes, dit décision écrite d’un magistrat. Il est où le proc ? D’autant que Mister Chain me fait les gros yeux. Je sors ma réquise article 77-1-1 et je lui demande du bout des lèvres s’il veut bien me remettre les enregistrements susvisés. Il me dit non. Je m’en vais.

De toute façon, l’acte aurait été frappé de nullité, puisqu’il violait l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Et puis, j’ai bien compris, plus tard, en lisant les propos d’Emmanuel Chain dans Le Point, que la justice n’y avait rien perdu : « Vous imaginez bien que nous nous y attendions et que nous avons pris toutes les précautions pour protéger nos sources », qu’il a dit.

Le secret professionnel – Il est l’apanage de certaines professions : médecins, avocats, ministres du culte… et même les flics qui ne sont pas tenus d’indiquer l’identité de leurs informateurs.  Enfin, ça, je demande à voir, hein ! Pour les journalistes, la première tentative vers un secret professionnel date de 1925. Cette idée avait été balayée sous le prétexte que le journaliste n’est pas dépositaire d’un secret confié par un particulier, comme c’est le cas d’un avocat, par exemple. Depuis, l’eau a coulé. Aujourd’hui, la France s’est alignée sur la jurisprudence de la Cour européenne. La loi du 4 janvier 2010 pose le principe de la protection du secret des sources des journalistes « dans leur mission d’information du public ». Ce principe interdit que les enquêteurs tentent de les identifier, même de façon indirecte. D’où l’histoire des fadettes du Monde. Si le nom d’un honorable correspondant d’un journaliste apparaît inopinément sur une écoute téléphonique, le policier peut l’entendre, mais ne peut pas l’écrire.

Parfois, je me dis que c’est un métier pour autiste…

Le secret de l’instruction –  Il est amusant de noter que le juge et le journaliste ont quelque chose en commun : la recherche de la vérité. Mais ils ne disposent évidemment ni des mêmes pouvoirs ni des mêmes méthodes. Toutefois, tous deux sont protégés dans leurs actes par la notion de secret : secret de l’instruction pour l’un, secret des sources de l’information pour l’autre. À ceci près que pour les juges, c’est peine perdue : le temps médiatique n’est pas le même que celui de la justice.  Et le « parasitage » est trop fort. À tel point que l’on a pris l’habitude de suivre le travail du juge dans nos journaux – parfois d’ailleurs par un jeu de fuites savamment orchestré, comme dans l’affaire Neyret. Une carotte que l’on agite sous notre nez pour satisfaire notre goût des faits divers et masquer des événements plus enquiquinants pour le pouvoir. Raison pour laquelle bon nombre de magistrats ont pris en main leur communication. Et, tandis qu’un député de l’ancienne majorité (pas encore vacciné) réclame le durcissement de la loi sur la violation du secret de l’instruction, des voix plus autorisées se font entendre pour sa suppression, ou du moins son adaptation aux méthodes modernes de communication. Pour mémoire, d’ailleurs, le rapport Léger, enterré (sans doute contre son gré) par le précédent locataire de l’Élysée, proposait la suppression du secret de l’enquête et de l’instruction – tout en conservant le secret professionnel.  Finalement, c’est un peu comme la consommation de cannabis : si l’on ne peut pas faire respecter la loi, autant la supprimer.

Je prenais sur moi, en sortant de la maison de prod, mais j’en avais gros sur la patate. Puisqu’il n’est pas possible d’enquêter sur les journalistes, je me suis dit que la seule solution, c’était de prendre l’enquête par l’autre bout. Et pour cela, il fallait déterminer entre quelles mains étaient passés ces enregistrements ! Pas facile, d’autant qu’avec le numérique, la piste se perd rapidement dans les méandres des ordinateurs : policiers, magistrats, techniciens… Ces enregistrements ont-ils été placés sous scellés ? Dans quel délai ? Et comment déterminer combien il y a eu de copies avant… Ce qui n’a d’ailleurs aucune importance s’il s’agit, non pas de scellés fermés, mais de scellés ouverts, qui sont justement faits pour pouvoir en lire le contenu.

Soyons réaliste, mon enquête n’est pas prête d’aboutir. Mais comme je ne suis pas sûr que là-haut on souhaite un résultat, ça ne m’inquiète pas trop.

Cela dit, le journaliste ne bénéficie d’aucune immunité. S’il enfreint la loi d’une manière ou d’une autre dans l’exercice de son métier, il peut très bien se retrouver en prison. Par exemple s’il est receleur de la violation du secret d’instruction.

Le recel de violation du secret de l’instruction – Celui qui obtient les confidences d’une personne concernée par le secret de l’instruction devient receleur. Mais celui qui obtient l’information du receleur peut-il être lui-même receleur ? Il semble bien que non. On ne peut être receleur du délit de recel. Donc, en masquant leurs sources, les journalistes ne risquent pas grand-chose, même s’ils sont hors la loi. Et pour les enquêteurs, c’est mission impossible.

Dans ces conditions, alors que la police manque de bras, je me demande s’il est bien utile de faire un travail au résultat si incertain. Un coup de tampon « vaines recherches », et hop ! Et là-dessus, le procureur de Paris a ouvert une information judiciaire. Donc, changement de patron. Maintenant, c’est le juge d’instruction qui décide. Franchement, on aurait peut-être pu commencer par là, même si j’ai l’impression que cela ne changera pas grand-chose.

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