LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Secret de l’enquête

La DGSI met les journalistes en « joug »

Plusieurs affaires récentes montrent que les journalistes font l’objet de toute l’attention des services de renseignement, au point de se demander s’il n’y a pas un service « presse » à la DGSI… Ce n’est pas la journaliste Ariane Lavrilleux qui dira le contraire. En fait, ce qui intéresse avant tout nos agents secrets, ce ne sont pas les journalistes, mais ceux qui les renseignent : leurs sources. Deux secrets sont en balance, et, in fine, la justice devra trancher entre le secret des sources des journalistes, protégé par une loi un peu floue de 2010 et encadré par la loi historique de 1881, et le secret de la défense nationale, protégé par une multitude de textes que la DGSI est en charge de faire respecter. Un échelon en dessous dans la hiérarchie pénale, les journalistes doivent naviguer entre le secret de l’enquête judiciaire et de l’instruction, un principe fondateur de la procédure pénale, ou encore la loi de 2018 relative à la protection du secret des affaires, dite « loi bâillon ».

Capture d’écran DGSI

Si Ariane Lavrilleux risque une mise en examen pour compromission d’un secret de la défense nationale, dans le même temps, après une série d’articles sur la mort d’un jeune Roubaisien tué par un policier, trois journalistes de Libération sont suspectés de recel de violation du secret de l’instruction.

Le secret de l’instruction fonctionne sur un mode bipartite. Il ne concerne que ceux qui concourent directement à la procédure : magistrats, enquêteurs et personnels judiciaires, permanents ou occasionnels. Il ne concerne ni les justiciables ni les victimes ni les témoins ni les avocats (néanmoins tenus au secret professionnel) ou les journalistes. Le biais judiciaire consiste donc à retenir le recel de violation du secret de l’instruction.

Autrefois, le recel était uniquement matériel : tu détiens un objet volé, tu en es le receleur, de bonne ou de mauvaise foi, selon les cas. Puis, ces dernières décennies, le recel s’est désincarné : on est entré dans le domaine du droit pénal abstrait et interprétatif.  Un régal pour les procureurs, puisque ces magistrats-fonctionnaires sont les premiers à qualifier une infraction. Il suffit, par exemple, d’adjoindre « bande organisée » à un vol pour donner aux enquêteurs des moyens d’investigations hors normes.

L’écoterrorisme, dont on nous rebat les oreilles, est l’exemple parfait de cette manipulation juridique. Dans un article de Mediapart du 29 septembre 2023, intitulé « Sur fond d’espionnite, les incroyables dérives de l’enquête contre la mouvance écologique », les journalistes Karl Laske et Jade Lindgaard, nous narrent les mésaventures d’un photojournaliste proche du mouvement « antibassines », qui a fait l’objet de surveillances de la SDAT (sous-direction antiterroriste), durant six mois, avec des moyens humains et financiers considérables, et des moyens high-tech autorisés en droit par le législateur pour faire face au terrorisme armé, notamment l’utilisation du pack « Centaure » – rien à voir avec le cheval à tête humaine, il s’agit d’une solution clés en main proposée par l’entreprise Chapsvision (voir encadré). Une affaire florissante puisque Chapsvision vient d’effectuer une levée de fonds de 90 millions d’euros !

Quant au secret de la défense nationale Continue reading

Le secret de l’instruction a-t-il encore un sens ?

Le procureur de Paris vient d’ouvrir une information judiciaire contre X pour violation du secret de l’instruction dans l’enquête mettant en cause Nicolas Sarkozy. Il aura donc fallu que l’une des nombreuses fuites concerne le barreau de Paris pour que la justice s’intéresse enfin aux manquements répétitifs à l’un des éléments clés de l’instruction judiciaire : le secret.

C’est un article du Monde citant un mail du bâtonnier Pierre-olivier Sur qui a fait déborder le vase. Du coup, le X est facilement identifiable. Au point que le directeur du journal qui abrite ce blog a pris la plume dans le numéro de dimanche dernier estimant que cette enquête « vise purement et simplement à identifier les sources du Monde. Ou à les intimider ». Il rappelle d’ailleurs que les journalistes ne sont pas astreints au secret de l’instruction.

Pas plus que vous et moi. Le secret de l’instruction et de l’enquête ne s’impose qu’aux personnes qui concourent à la procédure : magistrats, greffiers, policiers, gendarmes, experts, interprètes… Continue reading

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