LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Sarkozy, ministre de l'extérieur

Nicolas Sarkozy, comme un saltimbanque à la dernière représentation, met en scène son départ de la place Beauvau. Il a été le vingt-troisième ministre de l’intérieur de la V° République. Avant lui, cinq seulement, me semble-t-il, ont laissé leur empreinte.

Nicolas Sarkozy (2002 à 2004 et 2005 à 2007). Lorsqu’il débarque place Beauvau, alors qu’il espérait sans doute Matignon, Sarkozy, prend le contre-pied de son sarkozy.1174488371.jpgprédécesseur. Il estime que les flics ne sont pas là pour jouer au foot avec les gosses des banlieues, mais pour faire régner l’ordre. Ce discours volontariste change de la politique peu réaliste appliquée antérieurement. Il balaie d’un revers de manche la police de proximité et n’hésite pas à sanctionner ceux qui traînent les pieds. En 2003, il fait adopter en conseil des ministres la réforme territoriale de la police judiciaire, étendant du même coup la compétence territoriale des OPJ – tout en les éloignant de la tutelle des parquets. Il fait voter la loi pour la sécurité intérieure et parvient à obtenir le budget nécessaire pour doter les policiers d’un équipement plus moderne. Son deuxième passage à l’Intérieur est plus politique, et sans doute pour lui à plus haut risque, ce qui se traduit par plus d’actions d’éclat et moins d’actions tout court.

Charles Pasqua (1986 à 1989 et 1993 à 1995). Fils de policier, son arrivée dans la grande maison est suivie avec intérêt. Cofondateur du SAC, ce mouvement gaulliste qui a mal vieilli, au point de devenir une tanière de barbouzes et de spécialistes des coups tordus, Pasqua est un homme de l’ombre et de réseaux. Chirac doit s’en méfier, car il lui attache Robert Pandraud, ministre délégué, chargé de la sécurité. Pasqua durcit l’accès à la nationalité française, met en place la première carte d’identité infalsifiable, et rétablit l’obligation d’y apposer l’empreinte de l’index, au grand dam de la gauche – mais bien loin de la carte à puce électronique. En 1988, en pleine campagne électorale, il doit faire face à une affaire difficile. Après l’assassinat de quatre gendarmes et la prise d’otages de plusieurs autres, en nouvelle Calédonie, deux militaires de la DGSE sont tués lors de l’assaut du GIGN, commandé par le capitaine Legorjus. Mais on a sans doute tort de désigner Pasqua comme le seul responsable de cette opération pas forcément bien menée. En revanche, lors de la prise d’otages à l’école maternelle de Neuilly, en 1993, il donne des consignes très précises au RAID. Le preneur d’otages est abattu, mais aucun enfant n’est blessé. L’opposition tente une polémique, mais la mayonnaise ne prend pas. Sarkozy lui vole la vedette en négociant directement avec Eric Schmitt, alias Human bomb. Il sort de l’école, un enfant dans les bras, devant les caméras de télévision.

Pierre Joxe (1984 à 1986 et 1988 à 1991) – Avec lui, c’est la rigueur qui s’installe place Beauvau. Il n’a pas vraiment le contact avec la police de base, et, surtout, il n’est pas capable de s’opposer aux incartades du staff de Mitterrand, qui cherche à transformer la police nationale en police de pouvoir. En revanche, il a sans doute été le meilleur gestionnaire qu’ait connu le ministère de l’intérieur. Il met en route des réformes et des transformations (notamment en créant une sous-direction de la police technique au sein de la DCPJ), qui vont permettre de moderniser l’antique demeure. Finalement, à ce jour, il est peut-être le seul ministre de l’intérieur qui laissera sa griffe sur son maroquin.

Gaston Defferre (1981 à 1984) – Premier ministre de l’intérieur de François Mitterrand, il est accueilli par les policiers avec une certaine réserve. Il n’est pas évident pour eux d’effacer son nom des nombreuses notes qui mentionnent ses relations avec le milieu marseillais, notamment avec les frères Guérini. En fait, on comprend vite que la police ne l’intéresse pas. À tel point que Pierre Mauroy lui adjoint un secrétaire d’état chargé de la sécurité, Joseph Franceschi. Defferre s’attache surtout à mettre en œuvre l’une des grandes réformes voulues par la gauche : la décentralisation.

Raymond Marcellin (de 1968 à 1974) – Après les événements de mai-68, De Gaulle le choisit. Surnommé Raymond la matraque, il revendique le fait d’avoir réglé cette période quasi-insurrectionnelle sans aucune victime (à l’exception d’un commissaire de police). Persuadé que nos ennuis proviennent de « l’est », il dissout une douzaine de mouvements d’extrême gauche, et, pour la forme, un ou deux mouvements d’extrême droite. Il est le premier à durcir la politique d’immigration. L’affaire des écoutes du Canard enchaîné, entraîne sa chute.

Roger Frey (1961 à 1967) – Il récupère la lourde tâche d’assurer la sécurité en une période difficile pour la France. Sans doute ne prend-il pas les bonnes décisions, car on garde de lui, la répression sanglante de la manifestation de nationalistes algériens, le 17 octobre 1961 et surtout la « ratonnade » des jours suivants. On lui reproche également des consignes d’une fermeté excessive, lors de la manifestation de 1962. Il se doit d’endosser le drame du métro Charonne, même s’il s’agit probablement d’une erreur de commandement du commissaire chargé du maintien de l’ordre.

De la place Beauvau à l’Elysée, on peut s’y rendre à pied. C’est ce que doit penser Sarkozy. S’il prend les rênes du pays, à quoi faut-il s’attendre ? Il veut renforcer la législation sécuritaire (alors qu’aux Etats-Unis, le processus semble vouloir s’inverser), ce qui placerait notre pays parmi les démocraties les plus répressives, avec desretour-a-la-normale.1174499518.gif résultats probablement positifs – mais à quel prix ? Il équipera la police, surtout la police de sécurité publique, de moyens techniques plus importants, ce qui peut être une bonne chose. Il renverra la responsabilité de la police de proximité aux maires, ce qui me semble aussi une bonne chose. Car les maires n’échapperont pas à cette mission. Il persistera probablement dans sa volonté de fusionner les RG et La DST, ce qui pourrait faire de ce service, rappelons-le, un service de renseignements doté de pouvoirs de police judiciaire – ce que personne n’a osé faire en France. Imaginons la cellule Elyséenne de Mitterrand composée de milliers de policiers… Brrr ! Il durcira la législation pour les multirécidivistes et pour les mineurs de plus de 16 ans. Et, sans doute, réglera-t-il ses comptes avec la justice, peut-être avec un garde des sceaux sorti du rang…

Bien sûr, on est dans les supputations. Il existe, chez nos élus, tant de disparités entre les discours et les actes, que nul n’en sait rien. On dit que Sarkozy fait peur. Je crois que son intelligence parfois nous effraie, car on n’en saisit pas les limites. Moi, bizarrement, c’est en matière de sécurité qu’il me fait le plus peur.

3 Comments

  1. avocat

     » …lors de la prise d’otages à l’école maternelle de Neuilly, en 1993, il donne des consignes très précises au RAID. Le preneur d’otages est abattu, mais aucun enfant n’est blessé. L’opposition tente une polémique, mais la mayonnaise ne prend pas. Sarkozy lui vole la vedette en négociant directement avec Eric Schmitt, alias Human bomb. Il sort de l’école, un enfant dans les bras, devant les caméras de télévision… »

    Une version romancée de cette prise d’otages commence ainsi :

     » Les services spécialisés de l’État recherchent le corps d’un homme décédé de mort naturelle et correspondant à un profil social précis. Appel est fait auprès des organismes locaux en connections avec les services de police et de gendarmerie. L’ordre vient de la hiérarchie supérieure de l’État en accord avec les services dont l’activité de manipulation est disposée à organiser tout type d’expérience sur la population… »

    La suite ici : http://comme.des.manches.free.fr/retour_sur_bombe_humaine.htm

    Dans un roman, tout peut être vrai, sauf les noms et les dates.
    Dans l’histoire, c’est l’inverse.

  2. Georges Moréas

    Réponse à Gavilan –
    Bingo ! Je me suis trompé de date. Je vais corriger l’article. D’ailleurs, voici le texte publié sur le site du MI :

    Adoptée en conseil des Ministres, la réforme des structures territoriales de la Direction Centrale de la Police Judiciaire propre à moderniser notre organisation sur l’ensemble de l’hexagone, fait l’objet du décret du 24 avril 2003 qui instaure un nouveau maillage opérationnel. Sont ainsi créées d’une part neuf directions interrégionales de la police judiciaire (DIPJ) dont les sièges se trouvent à Bordeaux, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Orléans, Rennes, Strasbourg et Pointe-à-Pitre, et d’autre part deux directions régionales implantées à Ajaccio et Versailles, la direction régionale de Paris restant inchangée. Les DIPJ sont composées d’un ou plusieurs services régionaux de police judiciaire (SRPJ) et d’une ou plusieurs antennes de police judiciaire, et les trois DRPJ de services départementaux s’agissant de celle de Paris ou, pour les deux autres, d’antennes de police judiciaire.

    Constituant l’une des priorités annoncées par la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) du 29 août 2002, cette réorganisation étend le champ d’action des officiers de police judiciaire sur plusieurs régions.

    Il s’agit en effet, pour la DCPJ, de s’adapter aux évolutions de la criminalité organisée, de mobiliser de façon plus souple et efficace les effectifs, de mutualiser certains moyens logistiques et prestations de police technique et scientifique, de renforcer le potentiel opérationnel existant et de s’adapter aux nécessités de la coopération transfrontalière, afin de lutter efficacement contre une délinquance de plus en plus violente, sophistiquée, et mobile.

    Pour y parvenir, cette réforme maintient les services d’enquêtes au plus près du terrain, puisque les SRPJ et les antennes composant les DIPJ subsistent et demeurent des maillons opérationnels de première ligne, notamment pour les investigations et la coopération transfrontalière.

    Cette réforme territoriale constitue l’une des 57 mesures du « plan de modernisation de la DCPJ 2003-2008 » adopté en octobre 2002.

  3. gavilan

    Petite coquille 1983 au lieu de 2003 dans la partie sur NS, date de la réforme de la police territoriale.

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