LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Police + gendarmerie = x

Il semble bien que les deux séjours effectués place Beauvau par halte-gendarmerie_forumautocom.jpegNicolas Sarkozy l’aient profondément marqué. C’est la première fois qu’un président de la République s’imbrique autant à la police. Pour l’heure, et sous prétexte d’optimisation, il semble bien décidé à unifier les deux grandes forces de sécurité du pays en un corps unique.

Existe-t-il une quelconque arrière-pensée à cette volonté politique ?

Mais d’abord, c’est quoi la gendarmerie ?

Si ses origines se perdent dans le paysage de notre histoire, sa légitimité est entérinée par la loi du 16 février 1791, qui dans son article 1er, annonce : « La maréchaussée portera désormais le nom de gendarmerie nationale. »

Forte de plus de 100.000 officiers, sous-officiers et volontaires (aspirants, gendarmes adjoints), elle est divisée en deux branches principales, que l’on distingue habituellement en fonction de la couleur des galons, sur la tenue :

La blanche, ou gendarmerie départementale, qui est de loin la plus importante et qui assure principalement des missions de police judiciaire ou de police administrative. La brigade de gendarmerie, telle qu’on la connaît, est la base de son organisation. Il en existe environ 3.600.

La jaune, ou gendarmerie mobile, créée en 1921, qui assure essentiellement des missions de maintien de l’ordre. Dans les manifs, ils sont la plupart du temps confondus avec les CRS. Il est vrai que « gendarme mobile » ne rime pas avec SS.

Et la police nationale ?

La police nationale résulte de la loi du 9 juillet 1966 qui réunit les personnels de la sûreté nationale et de la préfecture de police de Paris. L’installation de ces deux corps datait du début du XIX° siècle, Napoléon Bonaparte s’attache alors à réformer l’Etat. À Paris, il met en place la préfecture de police, et en province, il nomme un commissaire de police dans toutes les villes de plus de 5.000 habitants. C’est la première organisation structurée de la police en France. Au fil de l’évolution de la société, la police subit bien des remaniements. Pour faire face à une plus grande mobilité de la délinquance organisée, en 1907, Georges Clemenceau couvre la France de douze brigades régionales de police judiciaire (les brigades du tigre), rattachées au ministère de l’intérieur. Après une épuration massive des cadres, le gouvernement du maréchal Pétain, engage une réforme profonde de la police. Il crée notamment un statut de la fonction publique policière. Qu’on le veuille ou non, ces structures restent la base de l’organisation actuelle.

En 1947, après les grands mouvements de grève, c’est la naissance des CRS. Et en 1995, les policiers trustent les galons militaires et enfilent l’uniforme – au grand dam des officiers de gendarmerie. Ces derniers ont un peu de mal à admettre qu’un modeste inspecteur principal d’un trait de plume se métamorphose en capitaine.

Une histoire différente, une hiérarchie différente et des métiers gendarme_paris-sorbonne.jpgparfois différents. L’union ne va pas être facile. Il me semble, pour en avoir discuté ici ou là, que grosso modo les gendarmes de base sont plutôt pour (à condition de conserver les privilèges accordés aux militaires) et les officiers sont plutôt contre.

Mais nous, les… utilisateurs, en quelque sorte, que pouvons-nous y gagner ? Honnêtement rien ! Que vous vous fassiez verbaliser par un policier ou un gendarme, le résultat est identique. Cependant, à long terme, on peut espérer une certaine économie dans les moyens, les structures et le personnel (après tout, c’est nos sous) et une efficacité élargie. À très long terme.

Cette réforme, bon nombre y ont pensé sans jamais seulement envisager qu’elle était faisable. La raison la plus couramment évoquée étant la nécessité de conserver deux corps différents pour garantir la sécurité du pays, quels que soient les circonstances, et surtout pour assurer le suivi de l’État.

On peut citer nombre d’événements qui découlent de la dualité entre police et gendarmerie :

– En 1978, un terroriste palestinien prend plusieurs otages dans les locaux de l’ambassade d’Irak, à Paris. Alors que l’affaire semble devoir se régler pour le mieux, les policiers se font canarder par les gens du service de sécurité de ladite ambassade. L’inspecteur Jacques Capella est tué et plusieurs autres sont blessés. Mais les assassins sont protégés par l’immunité diplomatique. Ils ressortent libres du quai des Orfèvres, au milieu d’une haie de policiers en colère. Pour éviter tout débordement, les gendarmes sont dépêchés sur place pour protéger les Irakiens de la vindicte de la police.

– En 1982, ça tourne au vinaigre entre le ministre de l’intérieur, Gaston Defferre, et de hauts gradés de la préfecture de police. D’aucuns décident de réagir. Les gens de la brigade criminelle font croire à un petit indic de la gendarmerie, qu’ils ont détecté un groupe de dangereux terroristes : le réseau Carlos. Or, après l’attentat de la rue des Rosiers, la cellule élyséenne, voulue par Mitterrand et dirigée par Prouteau et Barril, veut démontrer son efficacité. Et les deux grands gendarmes se font piéger comme des gamins. C’est le début de l’affaire des Irlandais de Vincennes.

– Le 31 mai 1983, alors que le parlement examine l’abrogation de la loi « sécurité et liberté », deux gardiens de la paix sont tués et un troisième sérieusement blessé, lors d’un banal contrôle d’identité. À l’issue de la cérémonie mortuaire, dans la cour de la Cité, les policiers tournent le dos à Gaston Defferre et Joseph Franceschi, puis, spontanément, s’en vont manifester leur grogne devant la chancellerie. Leurs collègues chargés de protéger les lieux mettent « képi bas ». Finalement, il faudra l’appui de deux escadrons de gendarmes mobiles pour rassurer le garde des sceaux, Robert Badinter.

Etcetera.

Mais, à défaut de gagnants, ce mariage fera des perdants : les magistrats. Car la cheville ouvrière du magistrat, qu’il soit flic ou gendarme, c’est l’OPJ.

Et les juges d’instruction, notamment, ont parfois tendance à utiliser la concurrence de l’un ou de l’autre pour asseoir leur autorité. Prenons l’exemple de l’information judiciaire menée contre le commissaire Yves Jobic. Pour ce faire, le juge Jean-Michel Hayat a utilisé les services de la section de recherches de gendarmerie de Versailles. Surveillances, filatures, écoutes téléphoniques, tout était bon. Or, la police possède sa propre police. Mais Hayat n’avait pas confiance en l’IGS – et trop confiance en lui. (Rappelons que le commissaire Jobic a été entièrement blanchi.)

rires-et-pleures.gifDonc, les juges seront les plus déconfits d’une fusion police-gendarmerie. De fait, ils vont y perdre encore un peu de leurs pouvoirs – et un peu de leur indépendance. Et l’on subodore que cela ne doit pas être pour déplaire à Nicolas Sarkozy.

Pourtant, en temps de paix, il y a un certain paradoxe à utiliser des militaires comme auxiliaires de la justice civile. On peut penser que c’est l’apanage des pays faibles d’avoir une armée trop présente dans la vie de tous les jours. Cette volonté de changement du président de la République écrit peut-être le préambule d’une nouvelle époque. Une époque où l’État va devenir de plus en plus fort – et le citoyen de plus en plus assujetti. D’autant que la demande existe pour nombre de nos concitoyens.

La question est de savoir si l’objectif est notre sécurité, notre bien-être, notre bonheur, ou si l’on cherche à nous endormir.

 

3 Comments

  1. Daniel Milan

    Je viens de regarder par curiosité votre blog.

    Ah que c’est difficile de sortir de sa maison, quand on y a été enfermé des années durant avec esprit prison.

    Vous devriez quand même un peu vous lâcher sur vos méthodes, comme vous le faite avec vos collègue en privé. Cela intéresserait tout le monde et vous feriez oeuvre utile.

    Daniel Milan

  2. FRED

    en réponse au premier commentaire je crois qu’il faut bien mal connaître les institutions citées pour croire qu’elles puissent un jour plus ou moins proche ne faire qu’UNE et tout au moins de la façon annoncée (malheureusement d’ailleurs)! Les particularités sont si fortes, que ce soit dans le mode de fonctionnement ou simplement le recrutement qu’il faudra au moins vingt ans après une première fusion pour que l’on ne puisse plus distinguer de différences. Quant à la crainte d’une seule institution cumulant les pouvoirs, ça me rappelle vaguement à l’idée de collectifs politiques ou autres qui s’étaient constitués contre le Fichier ADN faisant perdre de surcroit un peu plus de temps à l’aboutissement d’enquêtes difficiles , l’uniformisation des deux structures permettra sans doute de faire véhiculer plus rapidement certaines informations et permettre un solutionnement d’enquêtes plus efficace même si déjà à l’heure actuelle, c’est le bon vouloir des différents fonctionnaires qui s’en occupe. Enfin permettra t elle de mettre fin à un « conflit concurentiel » ridicule entre ces deux institutions.
    Un petit mot sur la belgique, les débuts ont été un peu difficiles mais je ne pense pas que la situation soit désespérée bien au contraire, les différences étaient aussi sans doutes moins marquées qu’en france.
    Quant à l’échapatoir de l’un ou de l’autre, le justiciable n’est pas sans savoir que c’est à la Justice que revient la décision finale d’une enquête et qu’elle est au dernière nouvelle indépendante.

  3. michel

    Si ce jumelage contre nature doit nous fournir le même résultat de clonage qu’en Belgique, « Pauvre France » !

    De par leur ministère directeur, police et gendarmerie possèdent leurs propres caractères, leurs modes de fonctionnement et de…   réflexion. Cette « dualité » a pu, à plusieurs reprises, et en faveur de l’un ou de l’autre « clan », rectifier des abus dont certains justiciables se sont trouvé victimes…   Pas nécessaire de remonter jusqu’aux exemples de corruption avérée pour comprendre qu’un quelconque quidam pouvait fort bien se retrouver dans le collimateur d’un familier, soit de la police, soit de la gendarmerie, et que la seule planche de salut qui se soit présentée a lui fut la partie…  adverse.
    Pas besoin d’être grand clerc non plus pour apprécier le danger que représenterait une fusion de deux forces vives importantes de la nation…    réunies sous un ministère de tutelle commun, donc, « les mains » d’un seul individu.
    La France, pour certains de ses administre attentifs ou bien informes, a déjà connu ce genre de dictat occulte…   sous la V°…   en la personne du grand vizir J. Foccard…    serait-il vraiment souhaitable de voir le citoyen lambda expose de façon officielle à des abus de pouvoir jadis enregistres et…   sagement passes sous silence ?

    Personnellement, j’ai un doute !

    Avec leurs qualités et leurs défauts, que les flics restent donc nos flics, et les pandores nos pandores pour le plus grand bien de (presque) tous.

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