PARTIE 24 – En 1995, apparaît une volonté politique de supprimer la cassure entre police « en tenue » et police « en civil ». Pour être précis, l’uniformisation se fait dans le sens… de l’uniforme. C’est pour ma part le quatrième changement de galons que je connais dans la police. Un peu comme les rails de tramways dans les villes : on les enlève et on les remet.
Pour être plus technique, la police nationale est alors divisée en trois corps :
– Les gardiens de la paix, les gradés et les enquêteurs sont regroupés dans un corps de maîtrise et d’application.
– Les officiers de paix et les inspecteurs sont réunis dans un corps de commandement et d’encadrement.
– Quant aux commissaires de police, on leur mitonne un statut de conception et de direction.
La réforme sied à tout le monde, car il s’agit d’une ouverture par le haut. Mais, qu’on le veuille ou non, les commissaires vont du coup abandonner le terrain et devenir des gestionnaires. Pour coller à l’actualité: ils perdent au passage la bonification pour les retraites (1 an tous les 5 ans), dès qu’ils passent hauts fonctionnaires (échelle lettres de la grille de la fonction publique).
Le 27 février 1995, au petit matin, le permanent du commissariat de Marly-le-Roi reçoit un appel téléphonique. Une voix affolée : « Venez vite ! On a assassiné toute ma famille ». Incrédules, les policiers se rendent sur place, chemin des Gressets, à Louveciennes. Sidérés, ils découvrent les corps de six personnes, toutes tuées par balles. Il s’agit des locataires d’une somptueuse villa située à l’orée de la forêt domaniale, des Russes, les époux Polevoï ; leurs parents et un couple d’amis. Seule rescapée du massacre, la petite Nathalie, 2 ans ½, la demi-sœur du jeune Alexis – le garçon qui vient de prévenir la police. C’est le début d’une affaire bizarre, et à dire vrai inconcevable, que les journalistes ont appelé La tuerie de Louveciennes. Le parquet saisit le SRPJ de Versailles de l’enquête en crimes flagrants. Les explications fournies par le jeune homme sont suffisamment confuses pour justifier sa mise en garde à vue. Et, au bout de quelques heures, il craque : « Oui, c’est bien moi », avoue-t-il. Et il fournit des détails. De ces déclarations, on retient qu’il ne s’entend pas avec son père. Il le trouve autoritaire, alcoolique, voire brutal. Il lui reproche aussi d’avoir abandonné sa mère pour se remarier. Une violente dispute la veille au soir, l’a décidé : Il doit le tuer. Vers 22 heures, il s’empare de trois armes différentes (la maison en est remplie), sort dans le jardin et tire sur son père à travers la porte-fenêtre. Puis il revient dans la villa et l’achève. Sans perdre un instant, il fonce dans le salon et fait feu sur sa belle-mère et le couple d’amis présents à ses côtés. Puis, quatre à quatre, il grimpe les escaliers. Il défonce la porte de la chambre où ses grands-parents se sont réfugiés. Il trucide son grand-père, et traîne sa grand-mère jusqu’au garage. Là, il farfouille dans la voiture de sa belle-mère – peut-être à la recherche de la clé de contact. Il regagne alors le salon, poussant la vieille dame devant lui. On peut imaginer celle-ci, implorante, terrorisée… Froidement il l’abat. Il semble malgré tout, qu’il ait pris soin de dissimuler sa jeune sœur sous une couverture, pour ne pas qu’elle assiste à ce spectacle, vraiment trop gore. Le seul geste de charité.
Ensuite, il fouille le cadavre de son père, récupère une somme d’environ 3.000 Francs, et se rend à Paris au volant de la voiture de sa belle-mère. Où il passe une partie de la nuit avec une prostituée. Lorsqu’il revient à Louveciennes, il brise un carreau depuis l’extérieur, comme l’aurait fait un intrus. Une mise en scène qui n’abuse personne. Tout est dit. Les constatations et les autopsies corroborent point par point les déclarations du jeune homme. Les empreintes sur les armes, les traces de poudre sur ses mains et même un fragment de sa montre, qu’il a cassée en défonçant la porte de la chambre. Une enquête criminelle sur un tel massacre résolue en quelques heures, c’est du peu courant dans les annales de la PJ.
Pourtant, vers la fin de l’année, le jeune garçon revient sur ses aveux. Il parle d’un homme, vêtu tout de noir, un Russe, venu spécialement de son pays pour récupérer un certain dossier « rouge », qu’il aurait d’ailleurs trouvé. C’est lui qui aurait commis ces meurtres. Et il l’aurait obligé, lui, le jeune Alexis, à en assumer la responsabilité. Menaçant de tuer sa jeune demi-sœur et sa mère (biologique) dans l’hypothèse où il raconterait la vérité à la police. Une histoire comme on peut en lire dans une BD de Tintin et Milou. Les policiers sourient. Mais ils vérifient. Surtout lorsqu’ils apprennent qu’en Biélorussie, la Russie blanche comme on l’appelait autrefois, le frère de la victime, Dimitri, a lui aussi été assassiné. Or, ce dernier avait pris la direction des affaires de la famille. Des affaires semble-t-il douteuses et sur lesquelles plane l’ombre inquiétante de la mafia russe. Mais le dossier d’instruction contient suffisamment de preuves, et, malgré la suggestion des autorités locales, le juge ne délivre pas de commission rogatoire internationale.
Le 14 mars 1998, devant la cour d’assises des mineurs réunie à Versailles, Alexis est condamné à huit ans de réclusion criminelle. Une peine en demi-teinte. L’avocat général avait réclamé de 18 à 20 ans.
Détenu exemplaire, le jeune homme a très vite bénéficié d’autorisations exceptionnelles de sortie. Il a été libéré au bout de cinq ans et demi. Il a aujourd’hui 29 ans.
Le 17 mai 1995, Jacques Chirac remplace François Mitterrand à la tête de l’État. C’est le 5° président de la V° République. Il est là pour douze ans. Il disgracie le premier ministre Edouard Balladur, qui a eu l’outrecuidance de lui damer le pion, et nomme Alain Juppé à sa place. Pasqua, qui s’est accoquiné avec Balladur, est remercié. Il quitte une nouvelle fois la place Beauvau et passe les manettes à Jean-Louis Debré. Un juge à la tête de la police, cela aurait pu être une expérience intéressante… Mais, le courant ne passe pas. Peu après son élection, Chirac lance une ultime campagne d’essais nucléaires dans le Pacifique, ce que bon nombre de pays considèrent comme une provocation, au moment où toutes les grandes puissances, sauf la Chine, respectent un moratoire sur les dits essais. L’association internationale Greenpeace en rajoute une couche en expédiant sur place Rainbow Warrior II. La marine française l’arraisonne dans la zone interdite de Mururoa. Mais cette fois, sans feux d’artifice.
Le 24 août 1995, Microsoft lance Windows 95, et le 15 octobre de la même année, Saddam Hussein sort vainqueur d’un référendum (99.6 % des voix) qu’il a lui-même mis en scène pour redorer son blason.
En France, avec Alain Juppé, on ne rigole pas tous les jours. Il veut de la rigueur, tant pour respecter le pacte de stabilité de l’Union européenne que pour assurer la mise en place de l’euro. Son manque de communication sur la réforme des retraites de la fonction publique entraîne une mobilisation générale et une grève sans précédent durant l’hiver 95-96. Finalement, Chirac fait machine arrière.
Le 8 janvier 1996, mort de Mitterrand. Pour la légende on nous fait croire qu’il s’est laissé mourir, refusant avec dignité soins et nourriture. De récentes affaires judiciaires nous ont fait comprendre que pour d’autres, cette dignité porte un nom : l’euthanasie.
Cela n’a aucun rapport avec ce blog sur la police, mais en mars 1996, apparaît la vache folle. On nous parle d’une sorte de « nouveau microbe », le prion. Une protéine qui s’affole et nous entraîne vers une maladie au nom terrible : l’encéphalopathie spongiforme bovine – ou maladie du cerf fou (mais l’appellation n’est pas reprise, elle manque de dramaturgie). On nous sort une progression exponentielle. Et une hécatombe pire que la grippe espagnole de 1918. Nous, on boude la viande anglaise et l’étal des boucheries se colore de bleu blanc rouge. Les plus timorés se jettent sur le poulet. Puis tout redevient comme avant.
Quant à Saddam Hussein, pour adoucir les effets de l’embargo décrété par le Conseil de sécurité de l’ONU après la guerre du Golfe de 1991, il finit par accepter le programme pétrole contre nourriture – pour le plus grand profit de certains négociateurs peu scrupuleux. La combine consiste à délivrer des «bons de pétrole» à des personnalités étrangères afin de constituer un lobbying sur les responsables onusiens. D’après le rapport Volcker, 270 personnalités de différentes nationalités sont mises en cause, dont 27 Français, parmi lesquels Charles Pasqua, Jean-Bernard Mérimée, ancien ambassadeur de France à l’ONU, et Patrick Maugein, un proche de Jacques Chirac. 2.200 entreprises internationales auraient viré, sur les comptes personnels de Saddam Hussein, des dessous de table conséquents – de l’ordre de 10 % du montant des transactions.
Le 10 mai 1996, sensible à une forte pression médiatique et probablement influencé par l’intervention du roi du Maroc, Jacques Chirac accorde une grâce partielle à Omar Raddad, le jardinier marocain condamné pour le meurtre de son employeur, Ghislaine Marchal, âgée de 65 ans. En juin 1991, celle-ci était retrouvée morte, enfermée dans la cave de sa villa « La chamade », à Mougins (Alpes-Maritimes). Elle a reçu une multitude de coups de couteau. Avant de mourir elle avait eu le temps d’écrire sur la porte en bois, en lettres de sang : «Omar m’a tuer». Message répété une deuxième fois, mais cette fois d’une écriture quasi illisible. Pour le capitaine de gendarmerie Georges Cenci, qui a dirigé cette enquête, lui et ses hommes ont bâti un dossier solide. Et la culpabilité d’Omar Raddad ne fait aucun doute. Il est pourtant libéré le 4 septembre 1998. Deux ans plus tard, la commission de révision ordonne une nouvelle étude graphométrique de la phrase, devenue mythique. Mais comment comparer une quelconque lettre manuscrite, aux phrases longuement réfléchies, et trois mots tracés sur un mur, avec son propre sang, quelques minutes avant de mourir ! Les deux experts ne se mouillent pas. Ils avancent une seule certitude : il s’agit bien du sang de Madame Marchal.
En 2002, devant la cour de révision, l’avocat général Laurent Davenas, soutient qu’il n’existe aucun fait nouveau au bénéfice d’Omar Raddad susceptible de justifier un nouveau jugement, et qu’au contraire ne subsiste que des charges. Et le 20 novembre, la cour de révision rend sa décision : Omar Raddad ne sera pas rejugé. Il est donc bien l’assassin de Ghislaine Marchal. Il a purgé une peine de sept ans de réclusion criminelle.
Le gendarme Christian Jambert – La vie de cet adjudant de gendarmerie a basculé un jour de 1981. Il enquête sur le meurtre d’une jeune femme de 23 ans, dont le corps a été retrouvé dans un abri à bestiaux, à Rouvray, près d’Auxerre. Rapidement, ses soupçons se portent sur son amant, un certain Émile Louis. C’est un homme d’une cinquantaine d’années. Il conduit un car pour le compte d’une association d’aide aux handicapés, et sa compagne a obtenu la garde de trois fillettes, placées par la ddass. Pour Jambert, ce type n’est pas clair. D’ailleurs, il le connaît. Il l’a rencontré deux ans auparavant, alors qu’il enquêtait sur la disparition d’une femme, Martine Renault. Un mauvais souvenir. À l’époque, il est passé à travers les mailles, mais pas cette fois. Jambert ne le lâche pas.
Et, sans doute pour éviter d’être poursuivi pour le meurtre de sa maîtresse, Émile Louis finit par reconnaître des faits inavouables, mais sans doute anodins à ses yeux, comme se livrer régulièrement à des attouchements sexuels sur les trois enfants de la ddass.
Il est condamné à quatre ans de prison. Et l’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais Jambert est persuadé que Louis est bien l’assassin qu’il recherche. Il poursuit ses investigations et découvre que sept jeunes filles, âgées de 16 à 22 ans, toutes atteintes d’un handicap léger, ont disparu depuis 1977. Les autorités, l’administration, tout le monde a considéré qu’il s’agissait de fugues volontaires et aucune enquête n’a été effectuée, à l’exception d’une vague diffusion de recherches pour la plus jeune d’entre elles. Or, avant de disparaître, toutes les sept ont été aperçues en compagnie d’Émile Louis.
Le gendarme est convaincu d’avoir mis la main sur un pervers, un tueur en série, une sorte d’assassin érotomane. Mais la justice ne suit pas et le parquet d’Auxerre ordonne un non-lieu. Pourtant, son rapport de synthèse est accablant, et il est corroboré par l’audition de onze témoins, dont Simone Delagneau, l’ex-épouse du suspect. Ce document ne sera même pas enregistré officiellement. On le retrouvera presque par hasard, vingt ans plus tard, dans les archives du palais de justice.
En mai 1996, dans l’émission Perdu de vue, sur TF1, Jacques Pradel relance l’affaire. Un ancien collègue d’Émile Louis se manifeste. Il l’a aperçu alors qu’il creusait un trou, de la taille d’une tombe, en février 1981.
Deux mois plus tard, l’ADHY (association de défense des handicapés de l’Yonne) demande la réouverture de l’information judiciaire. Demande rejetée. Il faudra attendre un an pour que la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris donne son feu vert.
On imagine l’état dans lequel doit se trouver le gendarme Jambert. Il est retraité à présent, et le juge d’instruction veut recevoir son témoignage. Enfin, on va prendre son enquête en considération !
Le 4 août 1997, Christian Jambert est retrouvé mort dans le sous-sol de son pavillon, à Auxerre. Une carabine .22 LR près de lui. « Suicide d’un homme dépressif », écrit le praticien de SOS-Médecins sur le certificat de décès. Avis tout de suite entériné par la hiérarchie militaire. Le parquet d’Auxerre classe l’affaire. Il faudra cinq ans à la famille Jambert pour obtenir une autopsie. Le corps est exhumé une première fois, puis une seconde : Le gendarme Jambert s’est… suicidé de deux balles mortelles tirées dans la tête.
En décembre 2000, Émile Louis est interpellé par les gendarmes de la section de recherches de Paris, dans le Var, où il a pris sa retraite. Il est notamment interrogé sur la disparition entre 1977 et 1979, des sept jeunes filles handicapées.
Au mois de mars 2004, il est condamné à vingt de réclusion criminelle par la cour d’assises du Var pour viols et agressions sexuelles aggravées d’actes de barbarie contre sa seconde épouse et sa belle-fille.
Le 25 novembre 2004, c’est l’épilogue pour l’affaire des disparues de l’Yonne. Émile Louis est reconnu coupable de l’assassinat des sept jeunes handicapées. Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine incompressible de 18 ans. En 2006, la sanction est confirmée par la cour d’assises de Paris, réunie en appel. Son pourvoi en cassation vient d’être rejeté.
Les avocats qui ont défendu Emile Louis se racontent dans un documentaire de 52 minutes, écrit et réalisé par Joseph Beauregard, Les avocats du Salopard. Ce film est diffusé le 9 novembre 2007, à 20 heures 45, sur la nouvelle chaîne Planète Justice, de CanalSat.
L’enquête sur la mort du gendarme Christian Jambert est toujours en cours.
Jeambert, un gendarme qui a sauvé l’honneur de la justice française …Mais qui l’a payé cher !
J’ai trouvé extrement triste, pendant le procés de Draguignan, que pour defendre Emile, qui est et reste un « homme », ses « conseils » se sont laissés aller jusqu’à ne pas respecter, je dirais même insulter, gravement les « victimes », de faibles et malleables pauvres femmes…
Elles étaient, tout comme Emile, des êtres humains respectables, surtout de la part de personnes qui connaissent le poids et la signification de chaque mot et des mots, vous le savez, peuvent blesser aussi fort que certains actes.
une maxime lapidaire ayant cours en prison depuis… x generations, resume a elle seule le sentiment des justiciables ; « la justice est une putain dont chaque juge use et abuse a sa maniere ».
Une sentence que n’aurait sans doute pas desapprouve Audiard, meme s’il aurait ete bien en peine de pouvoir la replacer dans un film… sans risques pour lui.