LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Lorsque la liberté d’expression se ramène au droit de se la fermer (tribune libre de Ph. Pichon)

Petit à petit, « le cas Pichon » prend l’allure d’un symbole : un policier a-t-il le droit de penser différemment de sa hiérarchie et de l’autorité politique ou lui est-il impossible, comme à un prêtre, de ne pas croire en Dieu ? Conserve-t-il encore une certaine liberté d’expression, du moins dans sa vie privée, ou faut-il considérer que sa profession en fait un marginal, exclu de la société civile ?

shadok-cerveau_castalie.jpgPour avoir critiqué le fichier STIC, le commandant Philippe Pichon a été révoqué de la police nationale, mais ne s’agissait-il pas plutôt d’un prétexte ? Ce qu’on reproche à Pichon, c’est de penser… D’où la question : Un intellectuel a-t-il sa place dans la police d’aujourd’hui, ou ce corps de l’État est-il réservé aux gros bras et aux tireurs d’élite ? Même si on leur a collé un uniforme sur le dos, même si l’obéissance quasi militaire est devenue la règle, les policiers ne sont pas des soldats. Ils ne sont en guerre contre personne, ni les truands ni les honnêtes gens. Ce ne sont pas des combattants, mais des gardiens de la paix. Regardez ! Il suffit de l’arrivée d’un nouveau président aux E-U et l’on voit combien les propos va-t-en-guerre d’un Bush sont devenus ringards…

Dans une tribune libre*, Pichon nous fait une analyse sur le devoir de réserve, le secret professionnel et le respect de la vie privée.
« Les termes « vie privée » sont surtout employés dans deux expressions distinctes (…) Nous avons, d’abord, l’expression « secret de la vie privée » : le respect du secret de la vie privée doit être intégralement garanti et les dérogations sont très peu nombreuses [c’est] la vie de l’esprit. Nous avons, ensuite, l’expression « liberté de la vie privée », conçue comme le pouvoir d’une personne de se comporter comme elle l’entend (…) liberté d’aller et venir, liberté de réunion, liberté de penser, liberté de manifestation des opinions, etc. »

Je ne partage pas à 100 p. 100 tous les arguments de cette tribune libre. Je me dis, à tort peut-être, qu’à trop vouloir démontrer on finit par s’y perdre. Mais je suis de la vieille garde, de l’époque où les policiers pouvaient sans doute prendre plus facilement des initiatives personnelles… Je ne suis pas d’accord non plus sur le jugement en filigrane que Pichon porte sur Martine Monteil, qui pour moi reste un « grand patron » de PJ.
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* Tribune libre de Philippe Pichon (format pdf) : Police nationale : lorsque la liberté d’expression se ramène au droit de se la fermer.

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7 Comments

  1. Philippe Pichon

    Réponse à « Péhène » – Je tiens à votre disposition les moults rapports administratifs et mes nombreuses participations à des articles universitaires de fond sur les « dysfonctionnements » (restons courtois !) de la maison Poulaga, dont la gestion du fichier informatsié Stic se taille la part du lion. Cordialement. Merci de votre soutien. PhP

  2. michel-j

    Quand les dirigeants d’une société risquent de conduire celle-ci à la dérive, pour l’homme épris de justice et de liberté la révolte n’est plus seulement un droit légitime; elle s’impose en obligation afin de pouvoir continuer à se regarder dans un miroir.

    Le temps d’avoir véritablement assimilé les risques encourus par cette volonté élitiste de tout régir, nous nous retrouverons « puçés » comme des canidés de concours, logeable en permanence par GPS !

  3. Péhène

    Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le reste de mon commentaire, je tiens à apporter mon soutien à Philippe Pichon… et pas seulement par corporatisme.

    Ce qui m’embête pourtant, c’est l’angle d’attaque (ou de défense) choisi par Philippe (permettez moi cette familiarité) : à savoir, mais peut-être me trompe-je, l’évocation de la liberté d’expression ou encore les limites du devoir de réserve.
    En effet ce qui lui est reproché, ce n’est pas d’avoir exprimé tel ou tel avis dissonant sur le fonctionnement de notre institution, c’est d’avoir transmis à un journaliste (qui s’est empressé de les publier) des données théoriquement strictement confidentielles dont seules les autorités judiciaires ont accès. Si Philippe avait rédigé une tribune sur les dysfonctionnements du fichier STIC (ce qui est matériellement possible sans diffuser des données confidentielles), il ne serait peut-être pas dans la même situation. Sa hiérarchie ne lui en serait peut-être pas très reconnaissante, mais il ne subirait pas les tracas judiciaires et administratifs dont il est l’objet aujourd’hui.
    D’autres l’ont fait, notamment en publiant des chroniques qui permettent à chacun de se rendre compte des « faiblesses » de notre métier.

    Mais cela ne doit pas l’empêcher de se pencher, comme il le fait par le biais de ce blog, sur la question de la compatibilité entre liberté d’expression et devoir de réserve.

  4. Frédéric Ocqueteau

    Cher monsieur,
    J’ai remarqué que vous mainteniez une pression sur le « cas Pichon » sur votre blog, et je vous en rends hommage, car je pense que vous avez été vous-même convaincu par l’injustice qu’il subit.
    Le texte du commandant que vous mettez en ligne contient quelques obscurités, à la fin notamment, mais il apparaît dans l’ensemble très argumenté et pourrait honnêtement trouver sa place en tant qu’article de doctrine dans une revue juridique de bon niveau.
    L’un de vos intervenants précédents, dit « Le Pacha », a apporté des éléments supplémentaires sur les dispositions du code de déontologie de la police nationale (cf. les réactions à votre billet sur « La police pichonnée »), mais ils apparaissent bien décevants. Ce ne sont rien d’autre que de nouveaux principes et des généralités qui ne nous éclairent aucunement sur leur degré de juridicité, ni surtout, ne nous expliquent si le commandant Pichon se serait comporté différemment des prescriptions au code de déontologie. La question est toujours celle de savoir qui décide de la façon dont les règles doivent être concrètement appliquées, et surtout en quelles circonstances. Et le doute s’installe, quand on voit à quel point la P.N. est juge et partie dans cette affaire. La déontologie policière, il faut bien le comprendre, ne devient une réalité tangible que lorsqu’on peut en interroger l’exemplarité collective, comme c’est le cas dans l’affaire Pichon. Elle ne devient une réalité que lorsqu’elle peut être retournée et discutée à l’égard des comportements et des conduites de ceux-là mêmes qui prétendent en être les incarnations vertueuses. Sinon, les normes en questions ne sont que du baratin ou des chansons, si l’on veut s’exprimer aussi vulgairement, tant que les citoyens ne peuvent vérifier par eux-mêmes qu’elles s’appliqueraient à tous comportements policiers.
    Le mérite du texte de monsieur Pichon mis en ligne par vos soins consiste à essayer de faire parler les différents textes disponibles à la lumière de ce qui lui arrive personnellement, et non pas comme le ferait un juriste désincarné non directement concerné par l’enjeu. On pourra lui reprocher de n’avoir pas la distance suffisante, d’être affectivement trop engagé dans des règlements de comptes, etc. Et pourtant, il est bien normal qu’il cherche à défendre ses convictions et son honneur, en retournant à ses accusateurs leur propre incurie. Je pense que personne ne peut lui dénier ni le droit ni le devoir de se défendre avec les armes de la légalité à sa disposition en les prenant au sérieux, beaucoup plus que ses propres chefs, apparemment.
    Ce qui lui arrive depuis des mois a aiguisé ses facultés d’analyse juridique au lieu de les anesthésier. Il faut l’en féliciter, car c’est assez rare, pour ce que nous puissions en savoir.
    On aimerait d’ailleurs voir se produire plus fréquemment de vraies confrontations entre policiers occupant des places hiérarchiques différentes, au sujet des différentes conceptions et mises en oeuvre de ladite déontologie policière. On voudrait pouvoir assister prochainement à ce genre de manifestation publique. Car on aimerait enfin voir la Justice institutionnelle reconnaître la justesse de la cause de la victime d’une injustice scandaleuse commise dans les rangs mêmes de la police. Il y va simplement de ce que les citoyens ne respecteront leur Police Nationale que le jour où elle se respectera elle-même, après avoir fait amende honorable.

    NB / Je ne suis pas d’accord, M. Moréas, avec votre apologie de la « vieille garde où l’on savait prendre des initiatives personnelles à défaut de trop penser ». Vous faites sans doute de l’humour, mais attention, on pourrait interpréter vos propos par : « Nous savions naguère l’ouvrir avec nos muscles, et l’affaire était réglée » ; ou bien encore : « On faisait comme bon nous semblait, sachant que les chefs fermaient les yeux, et s’ils nous surprenaient en indélicatesses, eh bien, on ne pinaillait pas, on acceptait de ses faire engueuler un bon coup, c’était la règle du jeu ». Toute la question est de savoir si ce « bon vieux temps » était meilleur que celui d’aujourd’hui.
    NB’ / Je ne suis pas d’accord non plus avec votre défense de madame Monteil pour qui j’ai également une très grande estime, car ses compétences professionnelles ne sont nullement en cause. Il m’a semblé comprendre que monsieur Pichon voulait simplement suggérer que la haute hiérarchie aurait le droit d’apparaître publiquement comme politisée et par conséquent, ne pas se croire astreinte au devoir de réserve général. Bref, un effet « deux poids deux mesures »…, mais enfin, je peux me tromper.

  5. GALOU

    les flics sont des personnes comme les autres et ils ne sont pas épargnés par le discours ambiant qui veut que toutes personnes ayant un avis différent de celui du gouvernement est suspect et à sanctionner.
    mais au moins, il n’ira pas devant les tribunaux pour outrage, c’est déjà ca de gagné

  6. GALOU

    les flics sont des personnes comme les autres et ils ne sont pas épargnés par le discours ambiant qui veut que toutes personnes ayant un avis différent de celui du gouvernement est suspect et à sanctionner.
    mais au moins, il n’ira pas devant les tribunaux pour outrage, c’est déjà ca de gagner

  7. BLA

    Votre désaccord est compréhensible et je le partage : Pichon a fait ce qu’il avait à faire (selon lui et sa souveraineté de choix) et dit ce qu’il avait à dire.

    S’attarder ensuite en argumentation délaie le propos, et surtout il risque de déraper, autant qu’être provoqué. Dans sa position, la moindre erreur peut devenir catastrophique.

    Ceci dit à sa décharge, ces événements lui sont arrivés, à lui et pas à nous. Son point de vue vient du coeur de l’action et le notre, de l’observation. Difficile de juger clairement sa position : faute d’avoir « expérimenté » la même situation, il nous est difficile de savoir si nous réagirions mieux que lui. Espérons que malgré tout il tiendra sur la distance.

    Dernier point, pas tout à fait dans le sujet mais un peu, je trouve inquiétant cette pente que nous suivons, qui est en train de faire de nous des suspects d’office, soupçonnés d’autant plus que nous souhaitons préserver notre intimité. Cette prolifération de surveillance et de fichiers n’est pas le propre d’une nation qui aime son peuple, mais qui se trouve chaque jour de nouvelles raisons de le craindre (surveiller, c’est chercher la norme et l’anomalie. Surveiller plus, c’est affiner la norme et multiplier les anomalies observées. A la fin, plus rien n’est « normal ». In fine, normal et humain ne vont pas ensemble. Nous sommes humains)

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