LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Les souvenirs du commissaire Guillaume

En lisant le livre de souvenirs du commissaire Guillaume, j’ai pensé qu’il trouvait tout naturellement sa place dans « la petite histoire de la PJ ». Et j’ai eu envie d’en parler. Après tout, me suis-je dit, avant de franchir le pas : pas besoin d’être critique littéraire pour parler d’un bouquin qu’on a apprécié !

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Au début du XX° siècle, Marcel Guillaume est nommé inspecteur de police au commissariat du quartier de La Chapelle, à Paris. Et, quelques années plus tard, il rejoint « le service de sûreté », au 36 quai des Orfèvres.

En 1912, le service de sûreté éclate en une dizaine de districts et il ne reste quai des Orfèvres qu’une brigade spéciale forte d’environ 300 hommes. Cette brigade est divisée en trois sections. À la première section, dite BS 1, on confie les enquêtes de sang. C’est l’ancêtre de la brigade criminelle. La BS 2, est chargée de réprimer les vols et la BS 3 traite des escroqueries, des abus de confiance et de la fausse monnaie.

Après la Libération, pour éviter le moindre quiproquo avec les calamiteuses brigades spéciales de Vichy, l’appellation « brigade spéciale » disparaît du vocabulaire policier.

Quant à Marcel Guillaume, à la même époque, il passe le concours de commissaire de la Ville de Paris. Après une courte pénitence en police municipale, il revient quai des Orfèvres, où il restera jusqu’à sa retraite, en 1937. Il a 64 ans. De la bande à Bonnot à l’affaire Stavisky, il a participé à toutes les grandes affaires criminelles de l’entre-deux guerres.

les-inspecteurs-de-la-brigade-speciale_documentpp.1197038780.jpgLe commissaire Guillaume nous fait part de ses expériences dans un livre original, découpé en «spécialités criminelles» : cambrioleurs, escrocs, maîtres chanteurs, etc.

Si le style est un rien moralisateur, le ton est agréable, humain, et les propos relativement modestes, fait assez rare chez les policiers qui nous livrent leurs souvenirs. Et l’on devine derrière les mots l’amour de cet homme pour son métier. Il nous dit, par exemple : « Le policier est paternel et indulgent […] Il calme les affolements, pardonne à la faiblesse […] Il réconforte, ramène l’espérance, parfois même le sourire : il éclaire, il console, il libère. » Et plus loin, Guillaume nous avoue que devant certaines misères, jamais il n’a pu se cuirasser. (J’espère que ce livre se trouve dans la bibliothèque des écoles de police.)

Mais ce qui est surtout plaisant, dans la narration de ses mémoires, c’est le côté rétro. Aussi bien dans l’argot que dans les méthodes de travail. On apprend ce qu’est le vol à la caribelle (de la glu sur la paume de la main pour subtiliser quelques louis d’or). On découvre, par exemple, que les cracks du 36 n’hésitaient pas à se fondre dans la clientèle d’un grand magasin pour choper un voleur à l’étalage, ou à planquer des heures pour faire un flag sur un vol à la roulotte. Délits dont plus aucun policier ne se préoccupe.

Le chapitre consacré à la peine de mort est sans doute le plus frappant. L’homme a assisté à un très grand nombre d’exécutions capitales, et à l’évidence, il ne s’en est pas remis. Voici ce qu’il nous en dit :

« Le malheureux dort ; on lui met doucement la main sur l’épaule… il s’éveille, contemple avec une sorte de stupeur ceux qui se penchent vers lui et l’entourent… Il a bien vite compris et entend à peine la phrase fatidique : « Votre pourvoi a été rejeté. Ayez du courage ! »

« Beaucoup acceptent le verre de rhum traditionnel qui les réchauffe, et une cigarette… La dernière, qu’ils fument nerveusement […] Presque tous sont calmes, se montrent dociles, parlent doucement.

« Monsieur de Paris avec ses aides entravent les pieds du patient […] Puis il échancre largement le col de la chemise ; le froid des ciseaux provoque chez le condamné des frissons à fleur de peau. Le cou qui va être tranché apparaît obsédant.37-ans-avec-la-pegre.1197039121.jpg

« La porte s’ouvre, au moment même où retentit le cri : « Portez armes! » Un cliquetis de sabres […] On ferme rapidement la lunette dans laquelle la tête est emprisonnée, le bourreau appuie sur un déclic… Le couteau se détache, glisse, et tombe avec un grincement sourd et mou… La tête a roulé : le corps a basculé dans le panier, qui se referme… C’est fini… »

Marcel Guillaume est mort en 1963. Ses mémoires 37 ans avec la pègre, aux éditions des Equateurs, sont indispensables à ceux qui s’intéressent à l’histoire de la PJ.

Toutefois, il reste un mystère à éclaircir : Qui a servi de modèle à Georges Simenon pour créer son personnage du commissaire Maigret ? Dans une ancienne revue de la police nationale, on dit que c’est le commissaire Massu, alors en poste à la brigade criminelle. Affirmation que j’ai reprise dans La PJ de l’entre-deux guerres. Mais, la revue Liaisons, sous la plume de Maurice Gouny, signale que dans les années 1930, alors qu’il était journaliste de faits-divers à L’intransigeant, l’écrivain fréquentait assidûment les locaux de la brigade criminelle. Or, à l’époque, celle-ci était dirigée par le commissaire Nicoll, un fumeur de pipe impénitent. Ce serait lui le modèle. Quant à Laurent Joly, l’éditeur du commissaire Guillaume, il cite Simenon (qui parle de Marcel Guillaume) : « Sa façon de vous regarder au milieu du front comme si vous étiez transparent… Et sa façon de vous écouter avec l’air de penser à autre chose… Et de concrétiser soudain la pensée par un merde ! sonore…Que pouvait faire mon Maigret à moi ? Regarder l’autre et l’imiter. »

L’enquête est ouverte ! Mais peut-être Simenon a-t-il eu plusieurs modèles, tout simplement.

 

 

2 Comments

  1. Pelle

    Le commissaire Jules Belin est également cité comme l’un des inspirateurs de Jules Maigret.
    Cordialement.

  2. Eric

    Il exise un autre livre que je suis en train de lire :

    Guillaume, Marcel (1872-1963) Mes grandes enquêtes criminelles : de la bande à Bonnot à l’affaire Stavisky : mémoires. Éd. des Équateurs 2005

    Le ton est le même que celui décrit dans ce blog et l’on plonge dans le Paris d’avant et d’après guerre (la Première !).

    Avis aux écoles de Police.

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