PARTIE 27 – En cette fin de siècle, tout le monde attend quelque chose : le cataclysme qui va pulvériser notre vieille planète, le bug informatique qui va tournebouler nos ordinateurs, la fin de nos soucis, ou pour le moins une existence moins terne. Au douzième coup de minuit, il ne se passe rien. Rin de rin ! Le monde continue de tourner, les avions de voler et tintouins et grisailles sont toujours là.
Le 1er janvier, l’euro entre en vigueur dans onze pays de l’union européenne. Mais il ne s’agit encore que d’une monnaie virtuelle. On découvre le double affichage des prix, et l’on tente de s’habituer. Il faudra attendre 2002 pour voir apparaître les billets.
Le 23 janvier, Caroline de Monaco épouse en troisième noce le prince Ernst Auguste de Hanovre, et le 26 mars, le virus Melissa pollue nos ordinateurs. A son inventeur, rapidement identifié, le FBI propose une collaboration pour les aider à détecter les petits malins qui bombardent la toile de virus. Un jaune sur le web !… Bah ! C’est toujours mieux que la prison.
Le 18 avril, pleins feux sur la Corse. La paillote « chez Francis » est détruite par un incendie criminel. Construite illégalement sur une plage, près d’Ajaccio, son propriétaire, Yves Féraud, refusait obstinément de la démolir, bravant ainsi l’autorité du préfet. L’enquête est rondement menée. Huit jours plus tard, trois gendarmes reconnaissent être les auteurs de cet acte. Ils mettent en cause leur hiérarchie, le capitaine Ambrosse et le colonel Mazères. Tous cinq sont écroués. Mais l’ordre vient de plus haut. Le préfet de Corse Bernard Bonnet est à son tour embastillé. Il crie au complot politique. De fait, cette affaire tombe au plus mal pour le gouvernement Jospin qui cherche à négocier avec les autonomistes. L’avocat de Bonnet, Jacques Vergès, parle d’une « manipulation barbouzarde visant à éliminer un préfet de Corse qui devenait gênant pour un gouvernement qui s’apprêtait à dialoguer avec les clandestins ».
Bonnet a été condamné à 3 ans de prison, dont deux avec sursis. Une condamnation bien lourde, surtout que son fondement juridique peut-être battu en brèches. En effet, un jugement du tribunal administratif (découvert après coup) donnait à l’État le droit de détruire ladite paillote, « édifiée sans autorisation et située sur une propriété de l’État ».
Fort de ce nouvel élément, Bernard Bonnet a demandé sa grâce présidentielle à Jacques Chirac, le 18 octobre 2006.
Nicolas Sarkozy, tête de liste aux élections européennes du mois de juin, prend une veste monumentale. Avec 12.82 % de voix, il fait moitié moins que Dominique Baudis en 1994 et il arrive derrière la liste menée par Philippe de Villiers et Charles Pasqua. Il démissionne de la présidence du RPR et disparaît (pour un temps) de la vie politique. Le morse aussi disparaît. Contrairement à une idée reçue, Samuel Morse n’est pas l’inventeur du télégraphe, d’autres y avaient pensé avant lui, mais ce peintre américain a conçu une machine simple, pour enregistrer le code qui porte son nom, sous forme de traits et de points. C’était en 1838. Cent soixante ans plus tard, le morse est officiellement abandonné – ce qui soulève un rien de nostalgie pour tous les anciens radiotélégraphistes du monde (comme moi), qu’ils soient simples radioamateurs ou officiers de la marine marchande (comme moi t’aussi). Pourtant, si une catastrophe, naturelle ou non, venait à détruire les infrastructures des télécoms, on serait content de revenir au « tititita » cher aux radios. Gageons d’ailleurs que les militaires, par précaution, continuent d’entraîner de jeunes recrues au code morse.
Le 1er juillet, la police devient européenne, ou presque. C’est en effet la date choisie pour le démarrage d’EUROPOL (european police office), dont la création était prévue dans le traité de Maastricht, en 1992. Chaque pays membre désigne ses officiers de liaison. Ils sont 90 en tout. En France, la DCPJ chapeaute la procédure. Europol compte un effectif global de près de 600 personnes et un budget de plus de 63 millions d’euros.
Le 1er septembre, le docteur Yves Godard loue un petit voilier à Saint-Malo, et prend la mer avec sa fille, Camille, âgée de six ans et son fils de quatre ans, Marius. C’est le début d’une mystérieuse affaire. C’est aussi l’exemple type d’une enquête menée de façon brouillonne, sous la pression des médias.
Le 5 septembre, un bateau de pêche découvre l’annexe du voilier au nord de l’île de Batz. La petite embarcation est vide. On y trouve un blouson et un chéquier au nom du médecin. Quelques jours plus tard, les gendarmes perquisitionnent la résidence des Godard. Ils décèlent des traces de sang dans la maison et dans le fourgon utilisé par Yves Godard. Le sang est celui de son épouse. Devant ces éléments, une information judiciaire est ouverte et un mandat d’arrêt est délivré contre le docteur Godard. Sensibilisés par la presse, plaisanciers et pêcheurs deviennent plus attentifs. C’est ainsi qu’au cours du mois de septembre, on repêche le radeau de survie du voilier et un gilet de sauvetage. Alors les choses dérapent. Une publicité exagérée transforme journalistes et particuliers en enquêteurs. Le suspect se transforme en Arlésienne. On le signale partout et on le trouve nulle part. Quelques mois plus tard, des marins-pêcheurs remontent un crâne dans leurs filets. C’est celui de la petite Camille. Les années suivantes, Yves Godard est repéré sur tous les continents, on trouve même parfois des traces matérielles qui semblent confirmer sa présence : carte professionnelle, cartes de crédit, etc. Jusqu’au mois de septembre 2006, où un chalutier breton récupère un tibia et un fémur. L’adn est celui du docteur Godard.
L’enquête est close. Pas tout à fait. Début 2007, une lettre anonyme informe les gendarmes que des ossements sont dissimulés dans un réduit du cimetière du village de Lingèvres, dans le Calvados. Il s’agit des restes de Marie-France Godard, l’épouse du docteur, affirme le correspondant. L’enquête repart. Pas pour longtemps. L’analyse adn est formelle : ces ossements n’appartiennent pas à Madame Godard.
Que s’est-il réellement passé en ce mois de septembre 1999 ? À cause des traces de sang retrouvées dans la maison et dans le fourgon, on peut imaginer que pour une raison inconnue, Godard tue son épouse. Puis il loue un petit voilier, peut-être avec l’intention d’organiser son sabordage. Pour tuer ses enfants ? Pour se suicider ? Pour une mise en scène ? On ne saura jamais. À moins que le petit voilier ait chaviré, tout simplement.
En octobre, l’ONU nous annonce que nous sommes 6 milliards sur la planète bleue, et que dans cinquante ans, nous serons probablement 8 à 9 milliards. Le mois suivant, l’assemblée nationale adopte le PACS, au grand dam des traditionalistes et des catholiques qui contestent la reconnaissance officielle des unions homosexuelles.
Le 17 novembre, Simone Weber sort de prison. Elle a 70 ans. Elle a été condamnée à 20 ans de réclusion criminelle, en 1991, pour avoir tué son amant d’une balle de carabine, et pour avoir découpé son corps à l’aide d’une tronçonneuse à béton. Sauf qu’on n’a jamais retrouvé le moindre morceau, même si un rapprochement sérieux a été fait avec le tronc d’un homme, découvert dans une valise repêchée quelques semaines plus tard, en Seine et Marne. Et sauf que Simone Weber n’a jamais avoué son crime. Elle a été également accusée du meurtre de son mari, Marcel Fixard, un veuf de 81 ans, mystérieusement décédé trois semaines après leur union, à la fin des années 70. On dit même que ce n’est pas lui qui s’était présenté devant monsieur le maire, à Strasbourg, mais un figurant. Fixard est peut-être mort sans savoir qu’il s’était remarié ! Mais oublions, car pour ces derniers faits, Simone Weber a été déclarée non coupable. Je me souviens d’une émission télé à laquelle je participais. La vieille dame se trouvait à mes côtés, pomponnée, le regard limpide. Ce jour-là, j’ai bien cru qu’elle allait craquer sous les questions doucereuses de Mireille Dumas.
Mais elle s’est vite reprise. Une sacrée bonne femme !
Le 12 décembre, c’est le naufrage de l’Erika, au sud du Finistère. Avant de sombrer, il se casse en deux, libérant 37.000 tonnes de fioul. Il repose par 120 mètres de fond. Le procès s’est terminé en juin 2007, et le verdict est attendu pour le 16 janvier 2008. Un délibéré bien long. Mais la question est importante : qui va payer la facture qui s’élève à près d’un milliard d’euros ?
En ce mois de décembre, Marie-Elisabeth Cons-Boutboul est libérée. Elle a 75 ans. Pour beaucoup, son procès n’a pas vraiment résolu l’affaire. Car si la dame est mystérieuse, voire fallacieuse, le dossier d’instruction n’est pas très solide. Rappelons les faits : Le 27 décembre 1985, l’avocat Jacques Perrot est assassiné de 3 balles de .22 LR dans la cage d’escalier de l’immeuble de ses parents, à Paris, dans le 16° arrondissement. Marié à la championne équestre Darie Boutboul, les deux époux sont en instance de divorce et se disputent la garde de leur fils, Adrien, âgé de quatre ans. Perrot est un coureur de jupons. On lui connaît de nombreuses liaisons. On dit même que c’est un habitué de certaines soirées dites… mondaines. Très rapidement, les soupçons des enquêteurs se portent sur sa belle-mère. Pour eux, le mobile du meurtre trouve son origine dans la garde du petit Adrien. En effet, pour la grand-mère, pas question de le laisser à son gendre. Les péjistes avancent prudemment, mais un élément perturbateur se mêle à l’enquête : Perrot est un ami intime du Premier ministre, Laurent Fabius. La pression devient énorme. Et le caractère de la dame n’arrange pas ses affaires. Elle se montre désagréable, voire hautaine, aussi bien avec les policiers qu’avec le juge d’instruction – et elle ment sans arrêt. Elle dit, par exemple, que son mari est mort dans un accident d’avion, alors qu’il est vivant. Elle dit qu’elle est avocate internationale, alors qu’elle a été radiée du barreau après une sombre histoire d’escroquerie… Sa vie est un tissu de mensonges. D’ailleurs, lors de son procès, Christian Pellegrin, l’officier de police judiciaire responsable de l’enquête, déclare : « Madame Cons est ici à cause de ses mensonges ! ». Son avocat, Bernard Prévost, saute au plafond et riposte : « Il vaudrait mieux qu’elle soit là en raison des charges qui pèsent contre elle ! » Mais le dossier est vide. Il comprend des écoutes téléphoniques, sans doute compromettantes, mais extraites de leur contexte elles ne sont pas très significatives. De fait, la procédure est une construction intellectuelle. Elle est bâtie comme un roman.
Le 24 mars 1994, Marie-Elisabeth Cons-Boutboul est condamnée à quinze ans de réclusion criminelle, non pas pour assassinat, mais pour complicité d’assassinat sur la personne de son gendre. En prison, elle a affirmé qu’une fois libre elle ferait faire une contre-enquête, afin de prouver son innocence. Elle ne l’a pas fait. Peut-être veut-elle oublier, tout simplement.
Le lendemain de Noël, une tempête exceptionnelle s’abat sur la France, avec des rafales de vent à plus de 200 km/h. On comptera 88 victimes et la destruction de centaines de milliers d’hectares de forêts.
Règlements de comptes à Nice – A Nice, les années 90 auront été marquées par une hécatombe de truands. Le point de départ est donné par la mort de Sébastien Bonventre, dit Bastien, considéré à l’époque comme le parrain niçois, et qu’on dit associé aux italo-grenoblois dans l’exploitation de bon nombre de bars, et dans le bizness de la prostitution : douze balles dans la peau, tirées par deux hommes à moto. Crime sans coupable, comme souvent dans les règlements de comptes, mais on murmure le nom de Marcel Diavoloni, alias Marcel le bègue. En tout cas, celui-ci ne porte pas le deuil. Mais le poste de parrain ne reste pas longtemps vacant. Michel Luisi, après un exil en Italie, revient au pays. Il reprend la gérance de « L’iguane café », que tenait Bonventre. Cet établissement, un piano-bar célèbre à Nice, est en quelque sorte le sceptre du parrain. Celui qui le détient est le roi de la pègre. En 1993, la guerre éclate sur la Baie des Anges. Une demi-douzaine de seconds couteaux sont exécutés, bientôt suivis d’une série d’attentats à l’explosif. Banditisme ou terrorisme ? La PJ y perd son latin. Pour dire qu’on fait quelque chose, Paul Quilès, alors ministre de l’intérieur, envoie une compagnie de CRS. Puis la PJ décide de taper dans la fourmilière. Début mars, les policiers ramassent une vingtaine de suspects. L’un d’eux principalement retient leur attention. Il s’agit de Jean-Claude Oliveiro, dit le fou, qu’on soupçonne d’une ambition démesurée.
Michel Luisi n’a pas le temps de se faire une opinion. Il est abattu au volant de sa voiture, près du port, à Nice, le 29 mars 1993.
Quant à Oliveiro, il est relâché faute de preuves. Pour lui, le couperet tombera quatre ans plus tard. En juillet 1997, deux hommes à moto l’arrosent à la 9mm. À l’autopsie, le médecin légiste ne comptera pas moins d’une quinzaine de balles.
Les mois suivants marquent une pause, sans qu’on sache si on la doit à la mort de Luisi ou à la présence des CRS.
Puis l’hécatombe reprend avec la découverte, le 8 octobre, de deux petits truands en morceaux, retrouvés dans les casiers de la gare de Nice.
Le jour de Noël, c’est Richard Ughetto qui tombe. Il est criblé de balles par trois hommes cagoulés, à la sortie d’une boîte de nuit. Je dois avouer qu’aucun des anciens de la BRI de Nice ne le pleurera, puisqu’on le tient pour responsable de la mort de l’inspecteur Charles Marteau.
De 1995 à 1998, on se croirait dans un western : Casabianca, abattu au volant de sa voiture. Vincent gravement blessé. Picat, exécuté d’une balle dans la tête. Picardo, Borde, Sarmianto, Marani, Colpaert, Taran, Meillan, Oliveiro, Ellena, Fellah, Coronia, Fratoni (le fils de Jean-Dominique Fratoni, celui de l’affaire Agnelet), Kalka, etc. Tous tués par armes à feu.
Le 18 décembre 1998, dans le parking de sa résidence, c’est au tour de Marcel Diavoloni. Vingt balles dans la peau. Le mois suivant, c’est son lieutenant, Jean-Louis Goiran. En juin 1998, Roger Generotti et Camille Panizolli sont abattus à quelques jours d’intervalle.
Puis les choses se calment. Les rares survivants doivent se dire qu’il serait temps d’effacer l’ardoise. Mais qui sont-ils ?
À ma connaissance, on n’a jamais vraiment su qui tirait les ficelles.
On a parlé de la mafia calabraise, de la mafia russe, toutes deux bien implantées sur la Côte d’Azur. Mais cela ne semble pas très sérieux. Alors, simplement une rivalité entre deux bandes de voyous cupides et mégalomaniaques ?
Sans doute. À moins qu’une poignée de niçois anonymes aient décidé de nettoyer la ville, et, une fois le ménage terminé, de ranger les armes et de reprendre une petite vie pépère.
Va savoir ! Tout est possible, à Nice.
salut ancien d un ex S.T.I Plusieurs centres en AFN puis en Metro et maintenant a la retraite depuis 19 ans deja. peut etre un petit contact? A+
Je suis ancien Radiotélégraphiste du Service des Transmissions de l’Intérieur S.T.I. Dans les années 60 et 70 je faisais les vacations de F.S.B. (Interpol) y aurait il des anciens?
Merci pour votre réponse, courageuse en l’occurrence.
Quant à la pub sur les blogs, oui, « Le Monde » a fait un peu la police…, en attendant qu’elle revienne peut-être sous une autre forme !
Réponse :
Lors d’une enquête criminelle, les policiers s’efforcent d’obtenir le moindre indice auprès des voisins. Ce qu’on appelle l’enquête de voisinage. Mais, dans le contexte de Villiers-le Bel, cela aurait pu être considéré comme une provoc. D’où l’idée des tracts. Pourquoi pas ?
Quant à offrir de l’argent… C’est ici que je vous rejoins sur le mot délation (dico : dénonciation pour obtenir un avantage personnel).
N.B. J’ai vu sur votre blog qu’il n’y avait plus de bandeau pub sur les blogs du Monde. Je n’avais même pas remarqué.
Merci à Thierry Chevillard pour ses encouragements.
GM
Toujours aussi bien !
Continuez…
Et à bientôt…
Thierry Chevillard
Et les 4 000 tracts à en-tête du ministère de l’Intérieur, distribués aujourd’hui 5 décembre, dans les boîtes à lettres des immeubles de Villiers-le-Bel, appelant à la délation contre monnaie sonnante et trébuchante (à la suite des événements qui sont l’expression uniquement de la « voyoucratie » et « n’ont rien à voir avec le social », comme l’a dit à la télé notre président de la République…), vous en pensez quoi, au juste ?