PARTIE 4 – À la Libération, l’état de délabrement de la France nécessite une reprise en main de tous les services. Un décret du 16 novembre 1944, rétablit la direction générale de la police nationale. C’est la base des structures actuelles : une direction générale rattachée au ministère de l’intérieur et quatre grandes directions actives : police judiciaire, sécurité publique, renseignements généraux et surveillance du territoire. Seule la préfecture de police de Paris échappe à l’hégémonie du pouvoir central. Le « Paris libéré » du général de Gaulle reste un état dans l’Etat.
Les premières années qui suivent, la préoccupation première n’est pas la lutte contre la criminalité de droit commun mais le rétablissement de l’ordre et de la paix publique. Ça flotte pas mal au plus haut niveau de l’administration, jusqu’à la naissance de la IV° République, le 13 octobre 1946. De Gaulle quitte l’arène politique et la PJ est rattachée à la sécurité publique. Un an plus tard, machine arrière, les SRPJ sont reconstitués – allers-retours qui vont se reproduire plusieurs fois au cours des années qui suivent. Peu importe les incertitudes politiques, les mobilards se remettent au boulot. Et le travail ne manque pas. Nombre de truands qui se sont remplies les poches avec la gestapo se sont habilement repliés avant que la situation ne tourneboule. Certains, comme Pierre Loutrel, alias Pierrot le fou, ont carrément retourné leur veste. Non sans un certain aplomb, à la Libération, Loutrel se fait même passer pour FFI. Il n’hésite pas, pour prouver ses dires, à procéder lui-même à « l’épuration » de ses anciens collaborateurs. De 1946 à 1948, il se reconvertit dans les vols à main armée et créé le fameux gang des tractions, dans lequel on retrouve, au fil du temps, les sempiternels pieds-nickelés : Émile Buisson, alias Mimile l’insaisissable, René Rigier, dit René la canne, Georges Boucheseiche, qui sera plus tard l’un des pivots de l’affaire Ben Barka, Jo Attia, Abel Danos, etc. Comble de l’ironie, Loutrel rendra seul justice à la société. Lors d’un braquage, il se tire accidentellement une balle dans la vessie. Il meurt peu après de sa blessure. Il a 30 ans. Il est enterré en catimini par ses complices, sur les berges d’une petite île, près de Mantes. Son corps ne sera retrouvé que bien plus tard et sa mort officiellement enregistrée en 1951. Buisson, beaucoup plus discret, est interpellé en 1950, et exécuté en 1956. Quant à René la Canne, il s’en est mieux sorti. Reconverti dans l’écriture (il a publié 4 livres), il est mort d’un cancer, le 29 janvier 2000, après avoir tenté de remodeler son image et modifié son sobriquet en… Prince des voleurs.
En 1949, l’affaire du vol des bijoux de la Bégum, dans le sud de la France, est un exemple de l’embrouillamini entre les différents services de PJ. Le commissaire Valantin (celui de la série télé Les brigades du tigre), a maintenant pris du galon. Il est directeur de la police judiciaire, mais à deux doigts d’être débarqué. Heureusement, l’enquête évolue, les voleurs sont arrêtés et les bijoux récupérés. L’inspecteur Roger Borniche s’est par la suite attribué ce succès dans un livre Vol d’un nid de bijoux, au grand diam, heu… dam, de certains de ses collègues.
En 1952, une sombre affaire obscurcit l’aura de la PJ. Un couple d’Anglais et leur fillette de dix ans (les Drummond) sont assassinés dans leur campement, près de la ferme de la « Grand’terre », aux environs de Lurs. L’affaire Dominici débute. Une famille entière de paysans, des gens à l’ancienne, tient tête à la pression des policiers et des journalistes. Le commissaire Sebeil, de la PJ de Marseille, est chargé de l’enquête. Le patriarche Gaston Dominici ne cherche même pas à convaincre de son innocence, il avoue, se rétracte, change sa version des faits, etc. Lors de sa garde à vue, pour une raison inconnue, il aurait même confié à un gardien de la paix : « Ben, oui ! C’est un accident, j’étais saoul, ils m’ont pris pour un maraudeur, et je les ai tués tous les trois. » Le procès aboutit à un non-lieu, aussitôt contesté par le garde des Sceaux. Le ministre de l’Intérieur, un certain François Mitterrand, charge alors ses meilleurs limiers parisiens de reprendre le dossier, au grand mécontentement des policiers marseillais. Le commissaire Charles Chenevier dirige cette nouvelle équipe. Ce sera sa dernière enquête, mais il ne fera guère mieux que son collègue. La politique s’en mêle. Des bruits divers circulent. On murmure même que Jack Drummond aurait appartenu aux services secrets britanniques. Finalement, Dominici est condamné à mort – sans aucune preuve formelle. Au prononcé du verdict, il déclare : « Ah, merde ! Elle est forte, celle-là… » Le président Coty lui évite la guillotine. De Gaulle le libère en 1960. Il meurt cinq ans plus tard – avec son secret. Jean Gabin, en 1973, interprétera ce personnage rugueux dans le film de Claude Bernard-Aubert L’affaire Dominici. Frédéric Pottecher, chroniqueur judiciaire réputé, écrit en 1999 : « L’affaire Dominici, un mystère qui relève de l’intelligence d’un patriarche et de la lâcheté de ses fils. »
Pour la petite histoire, en 1954, après 8 ans de combat et des dizaines de milliers de morts, Dien Bien Phu sonne le glas de la guerre d’Indochine et les inspecteurs de police changent de titre. Ils redeviennent des « officiers de police » – jusqu’à la prochaine fois. Cette même année, un autre conflit commence, plus fielleux, et plus proche de nous : la guerre d’Algérie. Il faudra attendre près d’un demi-siècle pour que la France reconnaisse qu’il s’agissait bien d’une guerre.
Roger Borniche, un flic de roman – Borniche est un cas dans la police. Brillant inspecteur de PJ à la sûreté nationale, il n’y est resté que quelques années avant d’être poussé vers la sortie pour une ténébreuse histoire de carambouille. Vrai ou faux ? On peut penser qu’il s’agissait d’une manœuvre destinée à écarter un personnage trop envahissant. Il est sans doute le premier policier (bien avant Broussard, Aimé-Blanc, Devos…) à avoir su « personnaliser » les enquêtes et profiter au mieux de l’influence des médias. Même si dans ses livres il a allégrement pimenté son action (il revendiquait 567 arrestations …!), il subsiste le souvenir d’un flic brillant, aux méthodes marginales et à l’efficacité redoutable. C’est ainsi que des anciens me l’ont décrit. Trop de qualités pour un modeste inspecteur. Ses chefs n’ont pas apprécié. Après avoir quitté la police, en 1956, il a ouvert un cabinet de recherches privées, et il s’est spécialisé dans les fraudes aux assurances. C’est maintenant son fils, Christian, qui en assure la conduite. Borniche a écrit une trentaine de livres. Ses succès littéraires feront également des jaloux. Ainsi René la canne déclarera plus tard : « … ce n’est pas Borniche qui m’a arrêté. » De même, le commissaire Chenevier minimisera le rôle de son collaborateur dans l’arrestation d’Emile Buisson. Dans son livre La grande maison (Presses de la Cité), il le poignarde : « L’inspecteur Borniche s’habille sur mesure et travestit la vérité… N’ayant pu faire carrière dans la police, il a parfaitement réussi dans l’édition. De plumes, il n’a, hélas ! que celles du paon. » Mais Roger Borniche n’a jamais prétendu écrire des documents, ni relater des dossiers. Il s’est contenté de raconter des histoires vraies, mais romancées, rédigées à la première personne du singulier. Un doyen, pour Roger Le Taillanter ou moi-même qui lui avons emboîté le pas. En tout cas, pour Borniche, la gloire est au rendez-vous. Ce premier livre est un succès populaire. Il est adapté au cinéma par Jacques Deray, en 1975, avec Alphonse Boudard pour le scénario et Alain Delon dans le rôle du policier. Roger Borniche s’est retiré aux Etats-unis. Son dernier ouvrage (1999) Dossiers très privés, aux Editions n°1, concerne son métier de détective privé.
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Buisson dans le gang des Tractions avant ?
Etes-vous sûr de vos sources, cher Georges ?
Buisson s’est évadé de Villejuif en 47. Pierrot le fou est mort fin 46.
Qu’en pensez-vous ?
Bonsoir,
Je rebondis quant aux propos de A. Nebout, que sait t’il de Monsieur Borniche ? que peut-il en dire ?, comment une personne qui ne le connait pas peut-elle se permettre porter un jugement ? J’ai rencontré personnellement La fille de René Girier, et elle ne partage vraiment pas du tout les propos de ce Monsieur. Quant au comissaire Chenevier, je pense qu’il serait bon de fouiller un peu plus intimement dans ses activités sous l’occupation.
Avec toute mon estime et mon profond respect pour Monsieur Roger Borniche actuellement souffrant.
PB
Bonjour. Malgré vos commentaires, j’ai plus confiance dans les propos du commissaire Chenevier (selon moi, un grand flic, dont je viens de relire « La grande Maison ») que dans ceux de Borniche ; ce dernier écrit remarquablement bien, mais il n’aurait pas du entremêler si intimement la réalité et la fiction, notamment en ce qui concerne l’arrestation d’Emile Buisson.