PARTIE 28 – Aucune calamité, aucun désordre n’a marqué le changement de siècle, et même les ordinateurs de l’Administration ont résisté au bug claironné par les marabouts plasmatiques de nos télés modernes. De plus, grosse déception pour les trublions fâchés avec le Code pénal ou le Code de la route, les fichiers de police ont tenu bon.
Pour la PJ, en cette année 2000, le chamboulement est en marche. Cette fois, les réformes amorcées ne sont pas administratives, mais techniques. L’image du flic qui dévale les escaliers en enfilant son imper et en glissant son calibre dans la ceinture est surannée. Désormais, le commissaire Moulin peut prendre sa retraite et raccrocher ses Nikes (TF1 remerciera Yves Rénier en 2006), car la chasse prioritaire du flicounet de base concerne l’infiniment petit. Formé aux techniques modernes, sur les lieux d’un crime, il devra avant tout prendre garde de ne pas détruire le moindre indice, la moindre trace, et ce jusqu’à l’arrivée des spécialistes de l’identité judiciaire. On troque la loupe de Sherlock Holmes contre la pince à épiler ou le mini-aspirateur ; et l’utilisation de la lumière rasante, de la photo numérique, de la vidéo, etc., modifie à tout jamais le bon vieux « P-V de constates ». Bientôt seront d’ailleurs créées des équipes de « gestionnaires de scènes d’infraction », appelés plus simplement techniciens de scène de crime. Dorénavant, la PJ fonde ses espoirs sur l’ADN, le portrait-robot informatisé, l’interception des communications, l’exploitation des images de vidéosurveillance et même le prélèvement des odeurs. Une machine pour remplacer le flair du vieux poulaga ! P… d’époque !
En début d’année, Peggy Bouchet finit sa traversée de l’Atlantique à la rame. C’est la première femme à accomplir un tel exploit. Quant à Martine Aubry, elle peaufine un autre genre d’exploit : celui de nous faire travailler moins (sans gagner moins). C’est la loi Aubry II : les entreprises doivent négocier des accords avec leurs salariés pour réduire la durée hebdomadaire de travail ou proposer des journées de « réduction de temps de travail ». Et c’est ainsi que les RTT vont s’inscrire dans notre vocabulaire quotidien. Jusqu’au jour où un petit homme va demander aux entreprises de négocier des accords avec leurs salariés pour augmenter la durée hebdomadaire de travail. À quand les… ATT ?
Au mois d’octobre 1999, le corps désarticulé d’une jeune britannique, Isabel Peake, est retrouvé sur le remblai de la ligne de chemin de fer, près de Châteauroux. Sur le quai de la gare de Limoges, elle a rencontré Sid Ahmed Rezala. C’est un jeune homme entreprenant, au sourire enjôleur. Ils sympathisent. Tous deux se rendent à Paris. Ils vont faire le voyage ensemble. Mais en cours de route, les pulsions de ce garçon se font pesantes. La bête reprend le dessus. On suppose qu’Isabel rejette ses avances. Il devient alors menaçant et tente de la violer. Elle se défend, et il semble qu’il ne parvienne pas à ses fins. C’est peut-être le déclic qui déclenche sa colère meurtrière. Il ouvre la porte du wagon et pousse la jeune fille à l’extérieur. Le train roule à grande vitesse et la pauvre est dans un tel état que l’autopsie ne permettra pas de déterminer avec précision les causes de la mort. On n’en sait donc pas plus. Toutefois, plus tard, Rezala aurait dit à un proche : « C’est comme un flash […] C’est comme un ordre qu’on te donne en image… Après, tu l’exécutes. » (Source Wikipédia). La police est sur sa piste. Une battue est lancée dans les faubourgs de Marseille, mais une indiscrétion dans la presse lui a mis la puce à l’oreille. Il prend la fuite. Sa cavale le mène en Espagne, où il est arrêté pour un délit mineur… et relâché – alors qu’un avis de recherche de plusieurs pages circule dans tous les pays d’Europe. Les policiers français ne sont pas contents du tout, d’autant, qu’habituellement, la collaboration entre les deux pays est plutôt efficace. Finalement, le 12 janvier, il est interpellé dans la banlieue de Lisbonne, au Portugal. Outre ce crime, il est fortement soupçonné d’avoir assassiné sa maîtresse, Emilie Bazin, âgée de 20 ans, dont le cadavre en décomposition a été découvert dans la cave de l’appartement où il demeure, à Amiens. Pour les enquêteurs, il est également acquis qu’il a tué Corinne Caillaux, âgée de 36 ans, dont le corps a été retrouvé dans les toilettes du train de nuit Calais-Vintimille. Et, par rapprochements, la PJ le soupçonne de bien d’autres méfaits, et notamment d’être l’auteur de plusieurs agressions commises dans les trains. D’ailleurs, d’emblée, la presse l’a baptisé « Le tueur des trains ».
Implicitement, Rezala reconnaît ses crimes, mais les policiers français, peu à l’aise avec la procédure portugaise, ne parviennent pas à lui extorquer des aveux circonstanciés. Finalement, il se ferme et refuse de s’expliquer. Il refuse également son extradition. L’enquête est mal engagée. Jusqu’à la soirée du 29 juin. Alors que toute la prison est scotchée aux écrans télé pour assister au match de football Portugal-France, Rezala met le feu à son matelas. Les secours sont longs à arriver. Trop longs. Il meurt asphyxié. L’action publique est éteinte laissant en suspens nombre de questions.
Quatre ans plus tard, le mari de Corinne Caillaux, obtient la condamnation de la SNCF pour « manquements à ses obligations de sécurité ». L’entreprise se voit contrainte de lui verser la somme de 223.000 euros, à titre de dédommagements.
En mars, Sony sort la Play Station II. Le lancement est une réussite totale. Plus d’un million de consoles sont vendues en moins de 48 heures. Pendant ce temps, la bourse est à son paroxysme. Dans une sorte de fuite en avant, les start-up atteignent des valeurs boursières sans aucun rapport avec leur valeur réelle. Les traders sont atteints d’une telle euphorie qu’on peut se demander si pour tenir le coup, ils se limitent à la vitamine C. La bulle Internet ne va pas tarder à exploser, et la chute sera brutale.
À Moscou, dans les années 2000, les habitants de certains quartiers vivent dans la peur. Pas un mois sans qu’un meurtre ne soit commis dans le parc Bitsevski, l’équivalent de notre bois de Boulogne, à Paris. Les victimes sont le plus souvent des hommes, parfois des ivrognes ou des SDF. L’assassin ne sera arrêté qu’en 2006. Il s’appelle Alexandre Pitchouchkine et il a 33 ans. Les enquêteurs ont retenu à son actif 49 meurtres et 3 tentatives de meurtres, alors qu’il en revendiquait beaucoup plus. On dit que son objectif était d’atteindre le nombre de 64 victimes, autant que le nombre de cases sur un échiquier. Raison pour laquelle la presse l’a surnommé « le tueur à l’échiquier ». La peine de mort n’étant plus appliquée en Russie, il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. C’est l’un des pires tueurs en série de notre époque.
Le 6 juin, une loi est voté pour assurer la parité hommes-femmes lors des prochaines échéances électorales, et le 28 juin, le petit Elian Gonzalez rentre chez lui. Le monde entier a suivi son aventure. Parti avec sa mère sur un bateau de fortune, en novembre 1999, pour rejoindre les Etats-Unis, l’embarcation chavire. Plusieurs passagers se noient, dont la maman du garçon. Mais lui, et trois autres clandestins, s’accrochent à une chambre à air. Ils sont récupérés sur les côtes de Floride. Elian est recueilli par un parent, un immigré cubain, qui vit à Miami. Mais son père ne l’entend pas ainsi. Lui, il est resté à La Havane. Soutenu par le régime de Castro, il entame une procédure judiciaire pour obtenir le retour de son fils. La justice américaine finira par lui donner raison, au grand dam de la communauté cubaine implantée en Floride. La photo de la récupération du garçon sous la menace d’un fusil fera là une de tous les médias. Elian Gonzalez doit avoir aujourd’hui une quinzaine d’années.
Ce même mois, le procès de Pierre Dubois se tient à la Cour d’assises de l’Aube. Il est accusé d’avoir tué Denise Descaves, la principale du collège où lui-même enseigne. Les faits se passent le 25 avril 1993. L’enquête, à l’époque, est rondement menée. Cinq jours après le meurtre, Dubois est placé en garde à vue, et il avoue. Mais ses propos sont assez incohérents. Il déclare, par exemple, qu’il a étranglé de ses mains Madame Descaves, alors que celle-ci a été étranglée avec le fil du téléphone et poignardée à l’aide d’un coupe-papier. Même l’heure qu’il donne ne correspond pas. Il revient par la suite sur ses aveux. Victime d’une forte pression policière, il aurait dit n’importe quoi pour qu’il soit mis fin à la garde à vue de son épouse. En tout cas, le dossier est bancal. Aussi, deux ans plus tard, l’enquête est reprise de A à Z. Et cette fois, tout semble coller. Un peu trop bien. Comme si on avait voulu faire coïncider les témoignages et les faits avec les déclarations du suspect. C’est du moins ce que tente de démontrer son avocat, Jean-Marie Pelletier. Il n’y parviendra pas. Malgré les nombreuses contradictions qui subsistent entre les deux enquêtes, et malgré le malaise que laisse un dossier entièrement remodelé, Pierre Dubois est condamné à 20 ans de réclusion criminelle.
Le 25 juillet un Concorde en flammes survole un court instant la région parisienne. Puis il s’écrase sur un hôtel de Gonesse, dans le Val-d’Oise, en tuant quatre employés. Il n’y aura aucun survivant parmi les 109 passagers de l’appareil. Concorde a plus de 30 ans, et c’est son premier crash. Cet avion hors du commun, voulu, dit-on, par De Gaulle, pour damer le pion aux Américains, n’aura jamais convaincu. C’est un fiasco industriel. Pourtant, aucun avion de ligne n’a jamais été aussi rapide, mais aucun non plus n’a jamais été aussi bruyant et aussi gourmand en kérosène. Un avion anachronique pour usagers friqués. Ce drame marquera la fin de sa carrière.
Au mois d’août, le sous-marin nucléaire russe Koursk coule en mer de Barents. Il gît par 108 mètres de fond, pourtant sa coque semble avoir résisté. Il y a peut-être des survivants, mais la marine russe ne possède pas le matériel pour descendre à une telle profondeur. Après de longues tergiversations, les autorités russes acceptent l’aide de scaphandriers norvégiens. Mais il est trop tard. Les raisons de ce naufrage restent mystérieuses. On a parlé d’une collusion avec un sous-marin américain. Mon ami, le bourlingueur François Rossy, a écrit un curieux roman construit autour de cet accident, Un kamikaze à bord du Koursk, aux éditons Thélès. Il penche pour la thèse d’un acte terroriste tchétchène.
Le 22 septembre, Francis Vanverberghe, alias Francis le belge, est abattu de sept balles de gros calibre, à Paris, dans le VII° arrondissement. Il avait 54 ans. Un âge canonique dans le grand banditisme. Son parcours a été parsemé de cadavres et il a passé une bonne partie de sa vie derrière les barreaux. S’il a vécu si longtemps, c’est sans doute en raison de son manque de pitié, et de sa promptitude à éliminer ses ennemis. C’était un véritable caïd dans le milieu, mais un homme sans intérêt. Comme toujours, dans les règlements de comptes entre voyous, la PJ se contente d’émettre des hypothèses sur l’exécuteur ou le commanditaire de ce meurtre. Ici, on penche pour le milieu maghrébin. Certains disent qu’il a laissé un vide, raison pour laquelle les bandes rivales s’entredéchirent à Marseille. Personnellement, je pense qu’il ne gênait plus personne, et en tout cas pas les nouveaux loups du banditisme.
Ceux qui veulent en savoir plus peuvent lire une biographie assez détaillée sur ce blog, hélas anonyme.
Et le 24 septembre, les Français sont invités à se prononcer sur la réforme constitutionnelle visant à réduire le mandat présidentiel à cinq ans. Nous ne sommes que 30% à répondre, mais nous répondons oui à 73%.
Le 15 novembre, René Pétillon expédie Jack Palmer en Corse. Aussitôt, les péripéties de ce « privé » de BD connaissent un véritable succès. L’année suivante, L’enquête corse obtiendra le prix du meilleur album au festival d’Angoulême. Et quatre ans plus tard, Alain Berbérian réalisera un film (un rien décevant) avec Christian Clavier et Jean Reno.
Le 10 décembre, des pêcheurs découvrent un cadavre sur les berges de l’Oder, un fleuve qui sépare la Pologne de l’Allemagne. Il s’agit de Dariusz Janiszewski, un homme d’affaires polonais. Un crime comme un autre, mais c’est sans doute la première fois que des policiers parviennent à résoudre une enquête en lisant un roman. En effet, le meurtrier, Krystian Bala, n’a rien trouvé de mieux que de raconter son meurtre dans un livre écrit quelques années plus tard. Il a été condamné à 25 ans de prison. L’histoire ne dit pas si son roman (Amok), a eu du succès. À ma connaissance, il n’a pas été traduit en français. Quant à Emile Louis, il aurait bien été incapable d’écrire un livre sur l’affaire des disparues de l’Yonne, mais d’autres l’ont fait pour lui. Plus de vingt ans après son premier meurtre, le 12 décembre, les gendarmes l’interpellent dans le Var, où il a pris sa retraite. Au cours de sa garde à vue, il craque, et il avoue des crimes anciens, qu’il croit prescrits depuis longtemps. Cette fois, il est cuit.
Durant l’année 2000, 3.771.849 faits de délinquance ont été constatés en France métropolitaine. Soit une augmentation de 5.7 % par rapport à l’année précédente. Sans connaître ces chiffres, les Français ressentent un sentiment d’insécurité, sentiment habilement entretenu par l’opposition de droite. Les socialistes, embarbouillés dans leur angélisme, ne sentent pas venir le danger ; et ce n’est pas la nomination de Daniel Vaillant au ministère de l’intérieur qui va changer les choses. Deux ans plus tard, au premier tour des élections présidentielles, Lionel Jospin sera battu par Jean-Marie Le Pen.
L’affaire d’Outreau – Après plusieurs affaires de pédophilie, dans ces années-là, une sorte de psychose court dans divers pays d’Europe. À deux doigts de la schizophrénie. Ainsi, l’hebdomadaire britannique News of the world plonge dans les fichiers de police et publie chaque dimanche une liste de 50 noms d’individus condamnés pour pédophilie, sans se soucier de savoir s’ils ont purgé leur peine ou s’ils se sont amendés. En France, on n’en est pas là, mais on voit des pédophiles partout. Le milieu des enseignants est particulièrement exposé aux dénonciations calomnieuses, comme Alain Hodique, le mari de la directrice d’une école maternelle qui est resté plus d’un an derrière les barreaux avant d’être lavé de tout soupçon. Tel est l’environnement de l’enquête sur l’affaire d’Outreau.
En décembre 2000, les services sociaux de Boulogne-sur-Mer signalent aux autorités que certains enfants pourraient être victimes d’abus sexuels de la part de leurs parents. Ces faits se dérouleraient chez les Delay, dans un quartier HLM de la ville d’Outreau. Attention à la suite : Le couple aurait loué ses quatre enfants à des créanciers pédophiles pour éponger leurs dettes. Le succès financier de cette opération aurait fait baver d’envie le voisinage, et, par un effet boule de neige, un certain nombre de familles leur auraient emboîté le pas, transformant du coup ce quartier populaire en véritable champ d’orgies pédophiliques. Au total, une quinzaine d’enfants auraient ainsi été loués à de riches pédophiles par des parents indignes.
Tout cela paraît suffisamment crédible (!) pour que le substitut de procureur décide l’ouverture d’une information judiciaire. L’affaire est confiée à Fabrice Burgaud, un tout nouveau juge d’instruction. Et la machine judiciaire se met en marche : enquêtes, arrestations, perquisitions, auditions… Au total, 17 personnes, hommes et femmes, seront mises en examen et écrouées. On trouve parmi elles, un huissier et son épouse, une boulangère, un chauffeur de taxi, un prêtre… Quant aux enfants, ils sont placés dans des familles d’accueil. Mais, malgré l’obstination du petit juge, peu à peu le dossier s’effrite. En vrai, il n’existe aucune preuve formelle, mais simplement des déclarations, des on-dit… À l’arrivée, le dossier est vide, lamentablement vide. Mais les magistrats du TGI de Boulogne-sur-Mer n’ont pas la crânerie de se désembourber. Ils essaient de rabibocher la procédure. En 2004, la cour d’assises acquitte sept des accusés et condamne les autres à des peines diverses, jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle pour la plus sévère. L’année suivante, après une nouvelle enquête, tout le monde est acquitté et, fait exceptionnel, le procureur général de la cour d’appel de Paris, Yves Bot, vient à la barre (avant même que le verdict ne soit rendu) pour exprimer « ses regrets » aux accusés. Quelques heures plus tard, le Garde des sceaux, Pascal Clément, présente ses excuses au nom de l’institution judiciaire. Et Jacques Chirac se fend même d’une lettre adressée personnellement à chacune des personnes concernées. Une bérézina judiciaire.
Les parlementaires reprennent le flambeau et créent une commission d’enquête. Ils décident d’entendre tous les protagonistes de cette affaire. Leurs auditions, retransmises en direct sur la chaîne des assemblées, sont suivies par des millions de français. Le juge Burgaud reste droit dans ses bottes. Il est persuadé d’avoir accompli sa mission. Pas un mot de regret, pas une excuse pour tous ces gens dont la vie a été brisée, ni pour cet homme de 33 ans qui s’est donné la mort en prison. Il paraît qu’à l’école de la magistrature, on apprend aux étudiants à ne jamais douter… Burgaud devait être un bon élève.
La commission d’enquête de l’assemblée nationale a indiqué des pistes pour engager des réformes. Elle a souligné la solitude de certains juges d’instruction, leur manque d’expérience, etc. Elle a proposé de faire passer le budget de la justice de 28.35 € par habitant à 40 €, soit 3 % du budget de l’Etat. (Malgré une progression régulière, il n’est aujourd’hui que de 2.13 %.) La suggestion la plus intéressante a sans douté été de faire effectuer aux futurs magistrats un stage de 6 mois dans un cabinet d’avocats – en leur donnant le titre d’avocat. Un bon moyen de prendre connaissance des dossiers judiciaires par le petit bout de la lorgnette. Une bonne leçon d’humilité aussi. C’est évidemment irréalisable, ne serait-ce qu’en raison du secret professionnel qui s’impose aux uns et aux autres.
Bon nombre de professionnels pensent qu’en matière criminelle, notre Code de procédure pénale n’est plus adapté, et ils louchent sur le jury populaire. Pourtant, ce n’est pas la cour d’assises qui est en cause, mais ce qui est en amont. Il y a quelques années, on a tenté de rectifier le tir, mais en aval, en créant la possibilité de faire appel. Cela n’a eu pour résultat que de «décrédibiliser» un peu plus notre système judiciaire, comme on l’a vu dans l’affaire Agnelet. Acquitté aujourd’hui, condamné demain. En 2001, la chambre d’accusation a été remplacée par la chambre d’instruction. Elle est prévue pour fonctionner comme une juridiction d’instruction du second degré (donc au-dessus du juge d’instruction). Je ne suis par sûr qu’elle tienne entièrement sa place, et qu’elle joue véritablement le rôle de «filtre» entre le juge d’instruction et la cour d’assises.
Vous dîtes : « La suggestion la plus intéressante a sans douté été de faire effectuer aux futurs magistrats un stage de 6 mois dans un cabinet d’avocats – en leur donnant le titre d’avocat. Un bon moyen de prendre connaissance des dossiers judiciaires par le petit bout de la lorgnette. Une bonne leçon d’humilité aussi. C’est évidemment irréalisable, ne serait-ce qu’en raison du secret professionnel qui s’impose aux uns et aux autres. »
L’obligation de secret permet justement de rendre ce genre de stage possible. Chacun est tenu de garder secret ce qu’il a vu et entendu.
Au même titre qu’un magistrat doit se désister de d’un dossier mis en jugement s’il a eu à en connaître précédemment et qu’un avocat doit faire de même quand il risque d’y avoir conflit d’intérêt, cette règle peut continuer à s’appliquer à l’ancien avocat devenu magistrat, et finit de rendre ce genre de stage parfaitement possible.
Pour les magistrats – comme pour les policiers à partir d’un certain grade – il serait intéressant de réfléchir à l’éventualité d’un recrutement après une expérience de cinq ans au Barreau. On pourrait décider qu’ils n’auraient plus ensuite le droit de se faire nommer sur le ressort du Barreau où ils ont exercé. Comme on pourrait imaginer un déroulement de carrière des magistrats et des policiers où ils ne pourraient jamais revenir en poste dans un endroit où ils ont déjà travaillé. Les conflits d’intérêts sont parfois trop évidents pour laisser persévérer le déroulement de carrière actuel.
Désolée de blesser l’ego de certains, mais les magistrats ne sont pas la justice. Ils participent seulement, au même titre que les avocats, les policiers, les huissiers, à l’action de la justice. Ils n’en sont que des auxiliaires. Leur fonction est de dire le droit sur la base des éléments apportés par tous les autres qui les précèdent dans le processus judiciaire.
Il serait temps, comme pourrait le permettre la réflexion sur les professions du droit, que tous les professionnels du droit aient l’humilité de se rendre compte qu’ils participent à une et même fonction sociale, qui n’est pas d’assurer l’ordre – comme le discours sécuritaire entretient la confusion dans l’opinion et qui ne correspond qu’à une apparence du droit – mais de veiller à la justice et au respecte des droits de chacun pour l’intérêt de tous.
Force est de constater que c’est plutôt le contraire qui se produit. Malheur d’ailleurs à ceux qui tenteraient de donner un peu de consistance à une vision plus conforme et démocratique du droit. Les deux gendarmes de Toulon sont un exemple et la police n’en manque pas non plus. Un directeur de la PJ a expliqué une fois que les affaires se discutent d’abord entre soi avant d’en parler aux magistrats. Cela témoigne de toute la partialité du fonctionnement de la police, et par ricochet de la justice.
Le magistrat du parquet est censément obligé de respecter une obligation d’impartialité qu’on a du mal à distinguer dans les faits. Il serait intéressant aussi de réfléchir à une séparation physique des services du parquet du tribunal et des juges du fond.
Ces quelques mesures ne nécessitent aucune augmentation du budget du ministère de la justice. Je vous les livre et vous pouvez les faire vôtre si vous avez la possibilité de les promouvoir avec succcès, ce que je ne saurai prétendre.
L’affaire d’Outreau n’est malheureusement qu’un cas parmi beaucoup d’autres. La chance des inculpés d’Outreau vient d’avoir éveillé l’attention de la presse. Ils seraient toujours en prison sans cela.
Je reste bien sur à votre disposition pour en débattre. Vous avez mon mail.