PARTIE 7 – Après mai-68, l’ambiance est à l’euphorie. Les Français ont le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’important – sans savoir quoi. Le chômage est bas, l’extension économique est au rendez-vous, la consommation en plein boom, et, après le vote de la loi Neuwirth (1967) autorisant la contraception, la pilule se popularise. Les femmes entament leur révolution. Les policiers, eux, du moins ceux qui ne sont pas occupés à « casser du gaucho » sous la houlette de Marcellin, reprennent le fil du banditisme. Ils ont du boulot : les chiffres de la délinquance explosent. Pour faire face, la DCPJ créée des antennes, rattachées aux SRPJ, avec une vague arrière-pensée de départementalisation. Celle-ci ne se fera pas.
En Italie, les brigades rouges, vaporeuse résurgence de la gauche prolétarienne, argumentent – via la pyrotechnie, et, aux États-Unis, le président Nixon frappe du poing sur la table. Les Américains en ont assez du laxisme de la police française. Si rien ne change, ils menacent d’intervenir directement à Marseille pour mettre fin au trafic d’héroïne en direction de leur pays. (Ce qu’ils font déjà, underground.) Le couteau dans les reins, les autorités chauffent leurs meilleurs poulains – de la PP. Le commissaire François Le Mouel, prend la direction de l’OCRTIS, autrement dit, l’office des stups, et le commissaire Marcel Morin, la brigade de Marseille. On s’attaque enfin sérieusement aux trafiquants marseillais, mais surtout corses, et au démantèlement des laboratoires clandestins qui prospèrent dans la région. L’arrestation du chimiste Jo Césari, en 1971, sonne le glas de la French connection. En février 1972, l’arraisonnement du Caprice des Temps, en Méditerranée, permet de récupérer 425 kilos d’héroïne pure, destinée aux Etats-Unis. La plus grosse prise jamais effectuée. C’est le coup de grâce. Les gros bonnets tombent les uns après les autres. Dans le lot, on trouve un jeunot aux dents longues. Il vient de faire son entrée au fichier du grand banditisme : Francis Vanverberghe, alias Francis le Belge. Cette filière de l’héroïne reste encore aujourd’hui la plus importante qui ait jamais existé, tant par la qualité de la marchandise et la quantité écoulée, que par la durée. Le marché américain aura été des plus juteux, sans que l’on sache si une partie des recettes était détournée vers la caisse de certains partis politiques, ou si tout simplement, au plus haut niveau de l’État « gaulliste», on se disait qu’il n’était pas mauvais, hum ! d’emm… les Ricains.
Dans la capitale, le goudron a remplacé les pavés. A peine est-il sec que le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, encore hypnotisé par mai-68, fait voter, en 1970, la loi anticasseurs : les casseurs seront les payeurs, affirme-t-il. Un aphorisme malencontreux … L’année suivante, le Canard Enchaîné établit que lui, le Premier ministre, ne paie pas ses impôts. L’intéressé démontre que sa « combine fiscale » est légale. Mais le ver est dans le fruit. Valéry Giscard-d’Estaing, alors ministre des finances, vient probablement d’éliminer un concurrent. Deux ans plus tard, aux élections présidentielles, il écrasera Chaban.
Pendant ce temps, Gaëtan Zampa, alias Tany, alias le grand, alias gaï, etc., se tape sur les cuisses. Il peut jubiler, le voyou ! Non seulement, il est passé à travers la nasse policière, à Marseille, mais l’arrestation de Francis Vanverberghe est pour lui une aubaine. Car entre les deux truands, c’est la guerre. Surtout depuis que le Tany a préféré faire parler la poudre plutôt que de lui payer une ridicule cargaison de 50 kilos d’héroïne. Les plumitifs du banditisme dénombreront une douzaine de cadavres dans chaque camp. En fait, probablement le double. Plus tard, depuis la centrale de Poissy, Vanverberghe, pris de doute sur la chance insolite de son adversaire, aurait dit : « J’ai un milliard à plat. Je le claquerai s’il le faut, mais j’aurai la peau de cette tapette de Tany » Prémonitoire, le Francis ! Zampa a terminé sa vie sous le sobriquet de « marraine », à la prison des Baumettes. Quant aux raisons de sa mort… Au mois d’août 84, il se pend dans sa cellule, un codétenu tente de lui porter secours en lui plantant un couteau dans la gorge. « J’ai voulu lui faire une trachéotomie », dira-t-il, imperturbable. À croire qu’il y a des cours de secourisme, aux Baumettes ! Francis Vanverberghe a eu le dernier mot. Il sera abattu à Paris le 22 septembre 2000, victime d’une autre guerre.
Finalement, Jacques Chaban-Delmas est renvoyé à sa feuille d’impôts et Pompidou choisit comme Premier ministre, un vieux gaulliste, Pierre Messmer. Jacques Chirac entre au gouvernement. Mais celui-ci est à son tour épinglé par Le Canard Enchaîné pour avoir acheté, à la municipalité de Sarran, pour une bouchée de pain, dit-on, une gentilhommière plus ou moins en ruine, le château de Bity. Quinze jours plus tard, cette bâtisse du XVI° siècle est classée monument historique. Elle sera ainsi restaurée aux frais du contribuable.
Mesrine, lui, à ses propres soucis. Après son évasion d’une prison canadienne et le meurtre de deux gardes foretiers, le climat du Vénézuela, où il a trouvé refuge, ne lui convient plus. Il rentre au pays, via l’Espagne, avec au bras une nouvelle compagne, la blonde Joyce. Après une série de braquages et une tentative de meurtre sur un gardien de la paix, il est arrêté – en douceur – à son domicile, en mars 73, par le commissaire Alain Tourre. Ce qui doit faire maronner Lucien Aimé-Blanc, chef désigné d’un service en gestation : l’office central pour la répression du banditisme (OCRB). Pour la petite histoire, Jacques Mesrine, truand recherché par Interpol pour meurtres, enlèvements, vols à main armée, évasion…, occupait un appartement qu’il louait à un magistrat. C’est le genre de truc qui le faisait marrer.
Sur le plan économique, le ciel s’assombrit. Les pays occidentaux soutiennent Israël et, en représailles, les pays arabes multiplient par quatre le prix du pétrole. C’est la fin de la croissance et le début de la hausse du chômage. Les mouvements sociaux prolifèrent. Les Français commencent à prendre conscience que rien n’a changé. L’abbé Pierre prêche dans le vide « l’amour et non l’argent », et moi, tout frais sorti de l’école des commissaires, la promo rouge comme d’aucuns l’ont appelée, en septembre 73, je suis affecté à la tête du groupe de répression du banditisme du SRPJ de Versailles. C’est donc de l’extérieur que je suivrai les péripéties de mes amis de la « marmar » (une petite équipe d’anciens de la marine marchande, aspirés au sein de la DST).
Les plombiers du Canard Enchaîné – Fin 73, Pompidou se fâche. Il n’apprécie pas les manchettes du journal satirique sur ses amis politiques. Lui-même a subi la calomnie, et il n’aime pas. Il veut savoir qui renseigne Le Canard. Il en fait part à Marcellin, qui convoque le directeur général de la police, qui… Le bébé atterrit sur le bureau du contrôleur général Chardon, responsable de la sous-direction des services techniques de la DST. C’est un homme à la stature imposante, la gitane papier maïs toujours vissée aux coins des lèvres. Il convoque le responsable de « la section exploitation » et de sa voix de baryton lui demande de prévoir une « opération sonar ». Autrement dit de poser des micros dans les bureaux – encore vides et inoccupés – dans lesquels les journalistes du Canard enchaîné doivent bientôt emménager. Un jeu d’enfants, pour ces techniciens. Après de nombreux repérages, le groupe sonar monte son opération comme un commando en temps de guerre. Le groupe fontaine, lui, étudie les serrures. Ses membres sont chargés de l’ouverture, et de la fermeture (c’est plus difficile) des portes. Les policiers qui composent cette équipée ont une longue expérience des opérations discrètes. Ce sont des agents de l’ombre. Ils n’exhibent jamais leur carte tricolore, et, quand on leur demande leur profession, laconiques, ils se contentent de répondre « fonctionnaires ». Ils ont hanté les sous-sols des délégations internationales, piégé le bureau de hautes personnalités (la DST a arrêté quelques années plus tôt le préfet Picard, pour espionnage) ou forcé le coffre d’ambassades ou de consulats. Alors, lorsqu’on leur demande de poser des micros dans un local inhabité, ils ne s’inquiètent pas vraiment.
Deux faux gardiens de la paix (mais de vrais policiers), sont en protection dans la rue, tandis que les techniciens travaillent, soit dans le futur bureau du rédacteur en chef du Canard, soit dans le petit local voisin, qui servira de QG. L’un perce un trou, l’autre passe un fil dans le conduit de cheminée, le troisième décolle les lames du parquet, etc. C’est alors qu’un dessinateur (et administrateur) de ce journal, passe – par hasard – rue Saint-Honoré, Il est tard. Il aperçoit de la lumière dans ses futurs bureaux, et il monte, le brave homme, sans doute pour éteindre. Et ces cracks, auxquels même les services secrets étrangers font parfois appel, pour sonoriser des endroits sensibles, se font surprendre par un petit journaliste. Même un gosse aurait du mal à y croire. Le Canard Enchaîné se… déchaîne. Il en fait des tonnes. C’est son jeu. Ses ventes grimpent en flèche. Comme à l’accoutumée, les autorités démentent, puis reconnaissent un peu, et s’embourbent lamentablement dans leurs contradictions, agitant finalement le « secret défense » qui cuirasse la DST. On intime aux plombiers l’ordre de rester chez eux, ou mieux de partir en vacances, le temps que ça se calme. C’est le bon côté de l’aventure, mais ils l’ont saumâtre, les poulagas. Ils subodorent l’embrouille. Ils pensent qu’ils ont été balancés. L’enquête ne le dira pas. Elle dira même rien du tout, et l’affaire sera définitivement enterrée par la cour de cassation en 1980, qui estimera les faits prescrits. Claude Angéli, le rédacteur en chef du Canard, a fait apposer une plaque en marbre, au-dessus du trou toujours béant dans le mur de son bureau, et mes copains ont eu la mutation qu’ils souhaitaient. Marcellin quittera l’intérieur peu après, mais cette fois Giscard n’y est pour rien.
Qu’on se rassure. Aujourd’hui, un tel scandale est impossible, puisque la même opération trouverait des bases tout à fait légales dans la loi Perben II. Loi entérinée, le 9 mars 2004, par le Conseil constitutionnel, qui a considéré que la possibilité de sonoriser les domiciles, lieux de travail et véhicules ne portent pas atteinte aux libertés individuelles. Dont acte, comme on dit, au Canard. Y z’étaient bêtes, à l’époque…
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Le co-detenu de Zampa était un ancien militaire, plutôt calme, c’est de lá que lui venaient ses connaissances en secourisme, il a pratiqué une trachéo au moyen d’un corps de stylo bille.
@ Jacques Balzeau
Désolé, je ne connais pas votre père. Pouvez-vous me donner les références du livre dont vous parlez ?
Avez vous eu connaissance de ce que fit mon père Guy Ernest BALZEAU (commissaire Divisionnaire décoré Chevalier de la Légion par le Général De Gaulle)pendant toutes ces périodes,depuis ses faits pendant la guerre (inspecteur de police à CHOLET renseignant la résistance et procurant de fausses cartes d’identités aux juifs, un livre rapporte ce qu’il fit à cette époque), présent dans l’affaire de Pierrot le Fou, présent lors de l’affaire DOMINICI. Envoyé en Algérie sur ordre de De GAULLE pour calmer les responsables policiers pendant le putsh puis patron des SRPJ de NANCY, BORDEAUX. Je pense que dans votre blog très interressant vous aurriez dû le nommer. Merci de me répondre
Bonjour! intéressant ce blog, Pourriez-vous me donner des renseignements sur le cabaret des Trois Canards? Est-ce vrai tout ce qui s’est dit ou bien seulement une légende….?
Monsieur,
Je trouve votre maniere de raconter les choses amusante et personnelle meme dans le tragique,de plus étant parent avec l’un des protagonistes je me revois petit rivé aux dossiers de l’ecran!
A bientot,tres cordialement,andré Thoraval.