LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La main courante du brigadier-chef

« Pendant quelques secondes, une petite fille m’a regardé crs.1244466733.jpgen ayant peur de moi (…) Elle ne pleure pas, elle ne dit rien ; la bouche entrouverte, elle tremble (…) Une petite Algérienne, menue, proprette, les pouces dans les bretelles du cartable, le cou tordu vers le haut, très haut, vers le grand flic en cotte noire et rangers… » En sortant du squat où il venait de participer à une expulsion le brigadier-chef Serge Reynaud n’était sans doute plus tout à fait le même homme…

Reynaud, c’est un pseudonyme, mais pas pour me cacher, dit-il, simplement par convenance personnelle. Ses collègues savent qu’il a écrit un livre, d’autant qu’indirectement, ils ont participé… Car il s’agit d’une série d’anecdotes liées aux situations parfois insolites, parfois pathétiques, parfois drôles, que les flics de terrain peuvent rencontrer au cours de leurs missions. Comme celle-ci :

Tous les jours, vers cinq heures, le car de CRS prend le même chemin, le long de la Seine. Ceux qui ne dorment pas ont l’habitude de regarder une péniche qui dépasse du quai, vide de tout chargement. Mais ce matin, elle est chargée à ras-bord : une montagne de sable. Le car est arrêté à un feu rouge. « Le gradé semble dubitatif, ses yeux las vers le bateau surbaissé. Il se tourne vers le chauffeur et, le plus sérieusement du monde, lui inflige un : T’as vu, la Seine a monté cette nuit… »

serge-reynaud.jpgÀ 19 ans, Serge Reynaud choisit d’être gendarme et 6 ans plus tard, il opte pour la police. Les CRS, la 38 à Mulhouse, la 5 à Massy, la 54 à Marseille, et des détachements en Italie et en Bosnie-Herzégovine. Une carrière dans les CRS qu’il assume complètement. Dans son livre, il ne cherche ni à justifier l’action de la police ni à se mettre en valeur ni à régler des comptes, mais l’air de rien, il nous fait faire connaissance avec les policiers de base, ceux qui ne « causent jamais dans le poste » et qu’on voit rarement plastronner au vingt-heures.

Même pour leur hiérarchie, ce ne sont souvent que des soldats. D’autant que les CRS ont de multiples missions : le maintien de l’ordre, bien sûr, mais aussi les patrouilles, les renforts saisonniers, l’assistance aux opérations de PJ, etc. Par définition, ils sont mobiles et corvéables à merci. On n’a à peine le temps de s’habituer à eux qu’ils sont déjà partis.

Tiens, pour la culture des chefs, je ne peux m’empêcher de citer ce passage : « Le commissaire, c’est celui qui fait l’ambiance, la qualité de vie d’un commissariat (…) Si le patron veut du chiffre, tu lui donnes du chiffre. S’il est sociable, tu discutes. S’il est paranoïaque, tu fermes ta gueule en attendant le suivant. S’il est bon, les services vont tourner. Si c’est une buse, ça va gripper ».

Sur ce blog, parfois, il m’arrive de critiquer la police, mais c’est parce que je l’aime bien. Je l’idéalise. Je ne voudrais pas qu’on en fasse une armée qui livre bataille, mais seulement des hommes et des femmes qui assurent notre sécurité, notre tranquillité, dans le respect des lois et de la morale. Des gardiens de la paix, quoi !

Serge Reynaud (on va respecter son anonymat) chroniques-main-courante.jpga 45 ans. Aujourd’hui, il est chef de section à la compagnie départementale d’intervention de Marseille, donc en sécurité publique.

Si vous voulez savoir qui se cache derrière la visière d’un CRS, lisez ce livre : Chroniques de la main courante, histoires vécues, de Serge Reynaud, Bourin éditeur, ou allez faire un tour sur le blog de l’auteur Police-Histoires. Après, vous aurez sans doute un regard différent sur ce corps de la police nationale.

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Et aussi une fiche de lecture de ce livre sur le blog de Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde.

11 Comments

  1. CHRISTINA BIANCA TRONCIA

    Toute la durée des « sales » guerres, des soldats ont tué ! Pas seulement des hommes, des « égaux » !… Mais aussi des femmes et des enfants, certaines ont même été violées, torturées et lorsque certains de ces monstres ont eu à répondre de leurs crimes, ils ont eu pour réponse : »pas responsable, j’ai exécuté les ordres ! Je suis un militaire, comprenez-le ! » J’ai croisé des gendarmes, des policiers, des CRS et…des marins-pompiers : certains étaient sympathiques, serviables…de vrais gentils quoi ! Qui avaient épousé le « métier » tel un sacerdoce ! D’autres étaient là, tellement mal dans leur peau qu’ils s’étaient enrolés avec un esprit revanchard pour prouver (à qui, on se le demande ?!!!) qu’ils valaient quelque chose sauf, qu’ils ne valaient rien du tout à mes yeux car leurs attitudes étaient encore plus à bannir que leurs « bourreaux » à qui ils tenaient rancune ! Et c’est ainsi que, sorti du lot, un vrai gentil et parce qu’il l’est vraiment… gentil !… par gentillesse et…esprit de solidarité vis-à-vis de ses collègues, décide d’écrire un livre, histoire de les humaniser aux yeux des citoyens, histoire que ceux-ci leur tiennent un peu moins rancoeur, sachant pertinemment que certains d’entre eux (certains de ses collègues !) ne se comportent pas vis-à-vis d’eux (les pauvres citoyens !) de manière très…disons… « catholique » ! Mais les citoyens, simples pères et mères de famille, gens du peuple savent faire la part des choses et savent pertinemment qu’un net pourcentage de ces « collègues » (au gentil policier écrivain !) mériteraient des sanctions bien plus sévères que celles que subissent les légionnaires lorsque leur PM sont de sortie et en agapent quelques-uns, qui pour avoir un peu trop arrosé leurs rares soirées de liberté, qui pour avoir tenu la main d’une jolie femme rencontrée, etc. C’est ma petite diatribe à moi : le simple témoignage d’une ancienne femme de militaire qui suggère, si les rebellions et grèves sont interdites à ces messieurs par leur hiérarchie (et je le comprends car là, les sanctions sont nettement mieux appliquées !) pour demander à ce que leurs ordres (aux hiérarchiques !)soient un peu moins… »cassants » (de la brique !) de manière à ce que leur image soit enfin un peu plus reluisante aux yeux du peuple…je leur suggère donc de demander à leurs femmes de mettre en place une manifestation à leur place comme l’ont fait quelques années en arrière les femmes des marins-pompiers de Marseille plutôt que d’agir comme des sagouins (et d’autres de laisser faire sans mots dire !) pour ensuite se couvrir avec un : »ce sont les ordres !!! » !

  2. Marc Louboutin

    Serge,
    Chaque témoignage fait avancer les choses. Profite de la surface médiatique en surfant sur les limites que tu connais.
    Très cordialement.
    Marc.

  3. Serge REYNAUD

    Je n’ai jamais croisé M. Moreas, et suis l’auteur du livre critiqué ci-dessus.

    Autant je ne sais plus où j’ai rangé l’une ou l’autre de mes médailles, autant cet article, je ne suis pas près de l’égarer.

    Merci beaucoup, patron.

  4. Le Doigt Rond

    « Plus le pouvoir renforcera la face coercitive et désagréable de la police, plus il se trouvera de voix (…) pour revenir aux valeurs éloignées, si ce n’est perdues ».

    Hyptohèse intéressante. Pourriez-vous développer un peu plus votre idée, Quidam, ça intéresse la Péhène ?

  5. nomade

    J’apprécie le principe du flic à visage humain (il en a souvent un), mais le rôle détestable qu’on lui fait endosser l’instrumentalise comme un exécuteur des basses oeuvres. Je retiendrai donc mon émotion…

  6. Quidam

    Plus le pouvoir renforcera la face coercitive et désagréable de la police, plus il se trouvera de voix – souvent seules avnat d’être soutenues – pour revenir aux valeurs éloignées, si ce n’est perdues. Votre blog, Monsieur Moréas, en est un exemple et ce livre – que je n’ai pas lu – un second.

  7. Flo

    Un blog très humain que celui de ce policier. J’ai en particulier apprécié la description dramatique de cet accident (Bonnets de nuit) qui finit sur une note d’absurdité totale mais comique. Une expérience de lecture vraiment exceptionnelle. Les recueils d’histoire comme ça ont toujours une saveur sympathique.

  8. Dominique Hasselmann

    Vu le clavier figurant en couverture sur la couverture du livre, ça se passe dans les années cinquante, époque où les bavures policières n’existaient pas et où les enfants de six ans n’étaient pas emmenés au commissariat de police pour un vol présumé de vélo !

    Ceci dit (humour), un témoignage sûrement très intéressant. De plus en plus de bouches s’ouvrent actuellement, au fur et à mesure que l’institution policière voudrait cadenasser – comme autre fois « la grande Muette » – l’expression de ses fonctionnaires, qui sont aussi des citoyens vivant dans la République, après tout.

  9. BLA

    Nan nan nan, GMo, c’est pas trop.

    J’y traîne tout le temps, dans son blog et j’ai demandé qu’on m’offre le bouquin pour ma fête.

    C’est vraiment quelque chose, ces textes. Le plus fort, c’est le respect de l’être humain, pas seulement les autres, mais lui-même. Il enlève tout ce qui est pas humain dans le texte, ne reste que la vie et des fois, surtout dans ce métier, la vie est dégueulasse.

    Entre ça, les explosions de rire (parce que sa façon de raconter l’humour flic, c’est à en mourir de se faire pipi dessus) et l’humilité, ce bouquin est un monument à taille humaine. Ca tombe bien, c’est juste la bonne taille (Heureusement qu’il reste en activité, ses collègues le préservent de choper le melon)

    Ce mec est la baffe dans ma gueule de cette année ; si on m’avait dit que j’aimerais prendre une baffe d’un flic…

  10. GMoréas

    D’accord, c’est un peu trop, mais j’ai bien aimé ce bouquin, et même si PRD m’a devancé, je voulais le dire. Et puis on ne sait jamais, si la maison Bourin décidait de me faire des avances…

  11. janssen j-j

    C’est une véritable conjuration du Monde, ma parole : Voilà Georges M. et Pascale R.D. se mettre à encenser les chroniques de ce symptahique policier qui aurait apparemment évité de tomber dans le piège de la complainte larmoyante ou de l’enthousiasme suspect, au profit de l’insolite surgissant dans le quotidien de son métier. Comme il a deux bons avocats de bonne foi, S.R. donne envie d’aller inspecter de près la maison Bourin. Cela dit, on espère pour lui qu’il a eu l’autorisation de sa hiérarchie pour sortir de sa réserve, car apparemment, il lui faut toujours demander l’autorisation pour pouvoir raconter sa vie professionnelle, des foiq…

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