LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Élucubrations sur la peine de mort

Le 10 octobre 1981, le jour même où la peine de mort est supprimée, Marcel Chevalier perd son job. Il était exécuteur des hautes œuvres : le dernier bourreau. Il est mort, dit-on, l’année dernière, à Vendôme, en Eure-et-Loir.

guillotine_mercattor_guillotine.1243176837.jpgChevalier a participé à une quarantaine d’exécution, mais il n’a actionné le levier qu’à deux occasions. La dernière fois, c’était le 10 septembre 1977, à la prison des Baumettes, à Marseille, où Hamida Djandoubi a été décapité. Celui-ci avait été condamné à la peine de mort pour avoir kidnappé son ancienne maîtresse, et pour l’avoir torturée avant de l’étrangler – et accessoirement pour viol aggravé sur une adolescente de 15 ans. Le procureur parle à l’époque « d’une âme démoniaque », les psychiatres, « d’un colossal danger social » et Robert Badinter, lors du débat sur la peine de mort, le présente comme un unijambiste (à la suite d’un accident de travail) déséquilibré. C’est le dernier condamné à mort à avoir été exécuté – en France.

En 1976, Marcel Chevalier avait succédé à son oncle…

André Obrecht. Celui-ci a actionné la guillotine pour Émile Buisson, Claude Buffet et Roger Bontemps (qui ont marqué Badinter) et des dizaines d’autres.

Mais durant l’Occupation, il a montré un courage rare : en désaccord avec les jugements de la juridiction d’exception créée par le gouvernement de Vichy, il a préféré démissionner. Au péril de sa vie. Alors que nombre de magistrats et de policiers faisaient mine de ne pas voir les têtes coupées de femmes et de résistants qui s’empilaient dans les paniers au pied de la guillotine.

Durant cette période, c’est son cousin, Jules-Henri Desfourneaux qui est l’exécuteur de Vichy. À la libération, il fait l’objet d’une enquête, mais finalement, il conserve son poste. Son premier client de l’après-guerre est le célèbre docteur Marcel Petiot, condamné pour l’assassinat de 26 personnes.

Il est le bourreau de la dernière exécution capitale sur la place publique, celle d’Eugène Weidmann, le 17 juin 1939, à Versailles.

Il meurt à 73 ans d’une crise cardiaque. Il a participé à près de 350 exécutions.

André Obrecht revient alors sur le devant de la scène. Il est nommé exécuteur en chef et entame une nouvelle carrière, avec dans les années 1958-61, la mise à mort des membres du FLN.
Sa dernière exécution a été celle de Christian Ranucci, le 28 juillet 1976, à la prison des Baumettes, à Marseille. le-bourreau-anatole-deibler_voila.1243177285.jpg

Mais dans la liste des bourreaux, le plus célèbre est sans conteste Anatole François Joseph Deibler, exécuteur en chef des criminels de 1889 à 1939. Il compte 395 exécutions. Il a même œuvré une fois en Belgique et une autre fois en Allemagne.

En février 1939, il doit se rendre à Rennes pour un certain Maurice Pilorge, un voleur sans grande envergure. Ce sera son 396e condamné à mort et le 300e en tant que chef-exécuteur. Au petit-matin, sur le quai du métro, il s’écroule : mort subite. Il a 77 ans.

Pilorge sera quand même exécuté (avec 24 heures de retard) et Jean Genet de pleurer son amant de prison dans un poème, Le condamné à mort : « Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou / Que ma main plus légère et grave qu’une veuve / Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve, / Laisse tes dents poser leur sourire de loup.… »

Le 21 mai 1981, François Mitterrand, des roses à la main, termine sa journée d’investiture en parcourant les dédales du Panthéon. L’Orchestre de Paris l’accompagne tout au long de son cheminement avec L’hymne à la joie. La mise en scène est parfaite. Les caméras sont partout. Depuis des jours, les Français dansent et chantent, persuadés que tout va changer. D’autres moins nombreux, mais plus riches, font leurs bagages : comment pourraient-ils vivre dans un pays dirigé par des socialo-communistes ?

mitterrand-au-pantheon_radiofrance.1243178033.jpgQui aurait pu imaginer qu’on baptiserait cette époque les années fric de Mitterrand ? Et qu’un Bernard Tapie deviendrait ministre d’un gouvernement socialiste ?

Sur les 110 propositions de la gauche, la suppression de la peine de mort ne figurait qu’à la 55° place.

Ce n’était pas un projet de campagne, mais une aspiration personnelle.

Depuis, en 2007, l’abolition de la peine de mort a été inscrite dans la Constitution (pas par référendum) et la France a adhéré au protocole adopté par l’Assemblée générale des Nations-Unies en décembre 1989. Elle est le 63e État à l’avoir fait. Elle a également ratifié le protocole de la Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

Amnesty International s’en réjouit et dit : « Désormais, la peine de mort ne peut plus être réintroduite en France ».

Dans une « joute oratoire » du 19 septembre 2006, Me Henri Leclerc planche sur ce thème : Georges Boucher, bourreau de son état, est licencié suite à l’abolition de la peine de mort. Il vous consulte pour agir devant la Cour européenne des droits de l’homme…

Et l’avocat explique au bourreau Georges Boucher, pourquoi il ne peut pas le défendre. Je me permets de citer ces quelques phrases :

«  (…) La question est  revenue. Il faut bien faire parler ces terroristes et sauver ainsi les droits de l’homme par la torture que ne pratiquent plus des bourreaux professionnels.  D’ailleurs à travers le monde votre métier se perd. Aux États-Unis ce sont des électriciens, des gaziers, des médecins qui achèvent ceux qui ont agonisé  pendant des années dans les couloirs de la mort. En Chine la balle dans la nuque que tire le soldat est remboursée par la famille. En Iran le mollah et en Arabie saoudite les  princes font lapider la femme adultère par la foule… »

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Le dernier bourreau est mort. Monsieur de Paris n’est plus. Mais d’après un sondage Sofres de 2006, 42 % des Français souhaitent le rétablissement de la peine de mort. Et sans doute suffirait-il de quelques faits divers odieux montés en épingle pour voir ce chiffre dépasser la barre des 50%.

13 Comments

  1. Tietie007

    Au moyen-âge, les bourreaux vivaient en dehors de la communauté !

  2. Ensemble Contre la Peine de Mort

    Un article intéressant sur les derniers exécuteurs français.

    Je pense que les liens qui vont suivre pourront vous intéresser.

    L’association Ensemble Contre la Peine de Mort qui lutte pour l’abolition universelle de la peine de mort, organise tous les 4 ans un Congrès mondial contre la peine de mort.
    Le 4ème Congrès Mondial de cette année a réuni plus de 1500 participants du monde entier à Genève, en Suisse.
    3 jours intenses du 24 au 26 février 2010 pour débattre et fédérer autour de la lutte pour l’abolition universelle de la peine de mort.

    Voici les liens sur Youtube :
    pour le clip de présentation du Congrès, 1ère partie : http://www.youtube.com/watch?v=BOvS-3B-Ph0
    La 2ème partie : http://www.youtube.com/watch?v=_NEOSU6Pu2s

    Pour accéder à la page d’Ensemble Contre la Peine de Mort : http://www.youtube.com/user/ECPMassociation

    Bien à vous,
    Ensemble Contre la Peine de Mort.

  3. nomade

    Je prépare un article sur le dernier condamné guillotiné en Suisse. En 1940, je crois.
    A suivre…

  4. Un flic

    Eh bien moi la Peine de Mort je suis POUR …Ouh le vilain, l’horrible, le barbare qui ne voit pas que nous sommes passés de l’ombre à la lumière …
    Et je vais même vous dire pourquoi : Même si la peine de mort n’était dissuasive que pour 1 % des assassins , ce seul 1 % serait suffisant pour la justifier . Sauver 1 % des victimes innocentes suffit à la justifier . Mieux elle est bien plus dissuasive que cela . J’ai parlé avec des anciens OAS qui étaient au début emprisonnés avec les droits communs (qui d’ailleurs voulaient les faire « travailler » avec eux à la sortie…) tous m’ont dit la même chose : la seule chose qui effraye les « droits co » c’est la peine de mort . les truands que j’ai le » privilège » de connaître ne me disent pas autre chose .

    Mais il y a bien pire : l’abolition de le peine de mort est une INCITATION à tuer . Pour une raison simple : vous enlevez un enfant, le séquestrez, commettez sur lui des actes de tortures et de barbarie . Vous risquez combien ? Si vous le laissez vivant , son témoignage, les traces et indices vous désigneront rapidement aux enquêteurs . Si vous le tuez et vous débarassez du cadavre vous éliminez un témoin gênant . Et si vous vous faites attraper quand même vous prendrez…à peine plus et Amnesty International vous plaindra encore …

    Alors je rigole également quand je lis que comme l’abolition est inscrite dans la constitution -toujours sans demander l’avis au peuple – on ne peut pas y revenir … La constitution a été modifiée combien de fois ? Elle est devenue un chiffon de papier modifiée et torturée dans tous les sens depuis 30 ans …

  5. Pascal HEUZE

    Si Marcel Chevalier avait du vivre des exécutions capitales, il n’aurait pas manger tous les jours à sa faim. Il était, je crois, ouvrier typographe. En tout cas, loin des débats « pour ou contre la peine de mort » votre dossier est remarquable. Il est étonnant que la France parle si peu de la peine de mort qui existait encore chez nous il n’y a pas si longtemps. Quoiqu’on en pense, la guillotine fait partie de l’histoire judiciaire de notre pays et il serait bon de ne pas l’oublier. Je me suis passionné à une certaine époque sur le sujet et le cérémonial qui accompagnait l’exécution était pire, à mon avis, que l’exécution elle-même. Un petit exemple avec la levée d’écrou que le condamné devait signer avant de passer sur la planche à bascule. Autrement dit, il était libre…

  6. Patrick AUZAT-MAGNE

    Cher Georges Moreas,

    Votre article est intéressant, et je suis surpris, malgré les « 42 pour cent » de partisans de la peine de mort, que celui-ci ne motivent pas plus de réaction à ce propos.
    Je m’intéresse à l’Histoire de la Peine de Mort depuis mes études d’Histoire.

    La Justice antique, puis La Justice du Roi, et enfin de la République a été inventée et codifiée pour supprimer les vengeances privées qui faisaient beaucoup de dégâts, que cela soit par le duel ou les guerres privées. La Peine de Mort était « la cerise sur le gâteau ».
    Si nous avons supprimé la mise à mort légale d’êtres humains, il reste toutefois des mises à mort révoltantes dans notre pays, comme par exemple :
    Les mises à mort de taureaux, ou dans les combats de coq ou de chiens, et nous avons toujours de bons arguments pour justifier la mise à mort d’animaux… « traditions », « élevés pour cela », etc.

    A la différence de coupables de crimes brutaux et violents, les animaux n’ont pas demandé à être assassinés avec la bénédiction de la loi.
    Tout comme les mises à mort de bovins, ou d’oiseaux quand une pandémie se déclare par ici ou par là. Il y a toujours, dans ces actes, un aspect sacrificiel que nous cachons sous le vocable « principe de précaution ».
    Il y a très peu de temps de là, sous ce fameux principe de précaution, nous étions prêts à détecter des enfants, dès la naissance, pour les considérer comme de futurs délinquants ou criminels.

    La Barbarie a toujours de beaux atours pour avancer sournoisement au sein de notre société « civilisée ».
    La pratique de la Peine de Mort institutionnelle a toujours cherché le spectaculaire, avant l’exemplarité. Longtemps, elle fut un spectacle public permettant à beaucoup d’assouvir un cruel besoin du sang d’un être vivant. L’Être Humain est la pire espèce d’animal vivant sur Terre, celle qui fait le plus de dégâts dans tous les domaines possibles et imaginables.

    L’ironie de l’invention de la guillotine vient que le Docteur Guillotin, humaniste avéré, et le bourreau Sanson voulaient inventer un moyen égal pour tous les citoyens de mourir au cours du châtiment suprême. Aucun des deux ne vit les méfaits à venir de ce redoutable outil. Sanson voulait une méthode plus facile et moins fatigante, et après des centaines d’exécutions et la mort accidentelle d’un fils ; écœuré, il voulait arrêter mais cela lui fut refusé par la Convention.
    La décollation à la hache était vraiment fatigante, mais la mise à mort à la chaine était aussi « crevante ».
    Au final, la méthode la moins « crevante » était tout simplement la suppression de cette barbarie.
    Ce qui est regrettable aujourd’hui, en 2009, ce n’est pas l’absence de Peine de Mort mais celle de lieux d’incarcération disponibles en nombre, et de personnels adéquats pour garder tout ce petit monde.

    Patrick AUZAT-MAGNE

    PAU, le 31 Mai 2009

    ***************************************

  7. orties

    @ Janssen J-J

    Que la peine de mort n’ait pas été abolie parce qu’on ne savait pas comment payer le bourreau ? Voilà qui est intéressant, en particulier pour les proches de ceux qui ont payé de leur tête cette curieuse gestion des deniers publics.

    Mais si le blog ne vous plaît pas, pourquoi venir insulter son auteur : vous savez, il y a sûrement d’autres blogs qui peuvent vous satisfaire. Ou alors créez le votre !

    Le sujet serait scabreux et obscène ? Je ne crois pas qu’il le soit plus que le maintien de la peine de mort dans un trop grand nombre de pays, qui sont pour la plupart des dictatures.

    Aucun sujet de société, aucun rappel historique (ce qu’était ce sujet), ne doit être censuré sous prétexte que le débat ne vous plaît pas et ne conduira pas à modifier pas la loi (heureusement dans ce cas).

    Et si c’était l’occasion de convaincre les 42% qui restent partisans de la peine de mort, ou ceux qui hésitent, et de faire avancer les mentalités ?

    Les vieux démons ressortent de toute manière chaque fois qu’un crime horrible fait la une des média et que ces mêmes média jettent de l’huile sur le feu parce que c’est leur façon de fonctionner, en soulevant l’émotion sans prendre le moindre recul : la cupidité et le manque de scrupule s’allient pour cela à la paresse intellectuelle de beaucoup de journalistes.

  8. janssen j-j

    La peine de mort a failli être abolie en 1907 au terme de débats très intéressants dont 1981 n’eut rien à leur envier. Il se trouve que l’enjeu achoppa précisément sur la question de savoir quelle administration devait rémunérer le salaire du bourreau. Comme on ne parvint pas à en trancher, l’affaire retomba dans l’oubli durant 70 ans…
    Pas de quoi ressortir les vieux démons pour créer des faux débats sur ce blog. Qu’espère-t-on au juste : créer de l’audience avec des sujets scabreux et obscènes ? Voilà qui semblera toujours un peu pitoyable pour ne pas dire autre chose.

  9. Laurent FIDAHOUSSEN

    Je vois plutôt une certaine vision de la justice, qui précisément, est injuste dans ces 42%.
    En effet, comment ne pas s’émouvoir devant des viols d’enfants, ou plus récemment des tortures de personnes dont le seul malheur est d’avoir été juive.

    A mon humble avis, la société ne sait pas vraiment quoi faire. On ne peut pas ôter une vie, mais dans le même temps, des actes aussi horribles doivent être punis.

    Notre système judiciaire est basé sur le fait qu’un individu peut changer et s’en sortie, c’est le principe même de la remise de peine.

    Regardons aux Etats-Unis, où certains états pratiquent encore la peine de mort. Il apparaît que la délinquance n’est pas moins élevée que dans les états qui ne la pratiquent pas.

    Conclusion : je veux ta mort car tu as donné la mort.

    Réfléchissons-donc un peu… vouloir uniquement nous venger d’un fait n’est-il pas un acte aussi répréhensible que le fait lui-même ? La question est ouverte, mais une chose est sûre, la victime ne reviendra jamais.

    Visitez mon blog : monpanierdeletchis.fr

  10. Dominique Hasselmann

    Que la proposition de suppression de la peine de mort n’ait bénéficié que de la 55e place, dans le programme sur lequel se fit élire François Mitterrand, n’est pas important : il suffisait qu’elle y figurât.

    Par ailleurs, le nouveau président de la République, quand il remonta la rue Soufflot puis lors de son parcours labyrinthique à l’intérieur du Panthéon, n’a jamais eu qu’une seule rose à la main : celles qu’il a déposées sur les tombeaux célèbres lui étaient distribuées une à une au fur et à mesure de son avancée. Serge Moati fut le grand maître de la cérémonie.

    Dire cependant qu’il s’agissait d’un “choix personnel” de François Mitterrand, et non l’expression de la nouvelle politique proposée, est quand même passer un peu vite sur l’une des valeurs fondamentales de gauche, sans vouloir remonter jusqu’à Victor Hugo, abolition que Robert Badinter sut mettre en oeuvre avec détermination et panache.

    Enfin, comme vous l’indiquez fort justement, la mort de la peine de mort est inscrite dans la Constitution, mais vous ajoutez “(pas par référendum)” : il y a en effet des sujets sur lesquels la démagogie l’emporterait fatalement – le cas échéant – sur la réflexion.

  11. nomade

    A noter que dans le « milieu » des années 1900, la machine à Guillotin était poétiquement appelé « l’Abbaye de Monte-à-regrets ».

    L’Allemagne nazie l’utilisa aussi. Voir:

    http://accesnomade.blog.lemonde.fr/2008/11/08/lhomme-qui-voulait-assassiner-adolf-hitler/

  12. orties

    Votre article est intéressant – comme tout votre blog. Merci de vous donner du mal pour le faire fonctionner.

    C’est vrai qu’il y a encore des partisans de la peine de mort, même en dehors des faits divers odieux. Heureusement que sa suppression est irréversible.

    La Chine est pour l’instant irréductible, de même que les pays musulmans, mais aux USA, la cause de l’abolition de la peine de mort commence à progresser – même si c’est trop lent. Tout espoir n’est pas perdu.

  13. Henri D.

    Interessamte chroniaque.
    Permettait moi cependant d’etre plus optimiste que vous sur la peine de mort, ce chiffre de 42% est un peu effrayant mais il expliaue par l’absence d’activisme des opposants a la peine de mort qui n’ont plus a s’opposer.

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