LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Police (Page 5 of 34)

Confidences de flics à l’ancienne ou l’histoire du 127

Ces derniers temps, le journaliste Frédéric Ploquin a amicalement infiltré les réunions (arrosées) d’anciens de la PJ pour mieux recueillir les souvenirs, les confidences, voire les aveux, de ceux qui ont mené la vie dure aux beaux mecs du siècle dernier. Ces offices spécialisés de la police judiciaire (banditisme, stupéfiants, proxénétisme…), rattachés à la sûreté nationale, avant que la police ne devienne « nationale », étaient installés au 127 rue du Faubourg-Saint Honoré, à deux pas de la Place Beauvau. Des locaux qui abritaient une banque, réquisitionnés par l’État à la Libération. À la différence de leurs collègues du 36 quai des Orfèvres, les policiers de ces services disposaient d’une grande autonomie et fonctionnaient un peu comme des commandos, efficaces, mais peu soucieux de mordre la ligne. C’était avant que la police ne se militarise, avant que tout le monde ne soit coulé dans un même moule.

Frédéric Ploquin en a tiré un livre, C’était la PJ, aux éditions Fayard, sorti ces jours-ci.


Claude Bardon, l’un des derniers « survivants » de l’époque de l’après-guerre d’Algérie a quitté les paras pour la police. À la création de la BCDRC, que personne n’appelait le bureau central de documentation et de recherche criminelle (trop administratif), et qui plus tard deviendra l’Office du banditisme (OCRB), il pénètre le milieu parisien en se glissant dans la peau d’un « bordelier » qui « place des gonzesses ». Rapidement, les tuyaux affluent.

 « L’adrénaline nous motivait, se souvient-il. Je n’avais rien d’un justicier ni d’un donneur de leçons, j’y allais pour le fun. » Et en fait, en deux mots, tout est résumé : ces flics à l’ancienne bossaient pour leur plaisir. Comme m’avait dit un jour un directeur : « Vous devriez payer pour faire ce métier-là ! »

Une drôle d’époque où, dans un commissariat, un soir de raout, on pouvait décider de brûler toutes les commissions rogatoires en retard ou de mettre discrètement le feu à un bidonville…

De quoi faire rêver certains policiers en activité ! Je parle du raout, évidemment.

Et les résultats sont au rendez-vous, pratiquement cent pour cent de réussites. « On était des prédateurs, des voyous, se souvient Bardon. On ramenait de la « viande » en permanence. Les cages étaient toujours pleines. On faisait peur, au point que certains gars se décomposaient en demandant ce qu’on voulait savoir. On était heureux quand on faisait une belle affaire. On était simples et frustes. »

Quoi, un avocat ! Continue reading

La police en déshérence

Les violences gratuites, c’est-à-dire sans motif légitime, qui font la Une à chaque manifestation, et souvent lors de la moindre intervention sur la voie publique, font planer un voile noir sur les policiers, au point que nombre d’entre eux, sensibles comme tout un chacun à la pression des médias et surtout à celle des réseaux sociaux, se remettent en cause : la police française du XXIe siècle correspond-elle à leur engagement dans la société ?

Si l’on en croit les sondages, ils ont tort de s’inquiéter, puisque 50 % des personnes interrogées font confiance à la police. On peut voir aussi dans ce chiffre le verre à moitié vide…, d’autant qu’un sondé sur cinq seulement éprouverait de la sympathie pour nos flics, et autant,  ou presque, ressentirait de l’inquiétude face à leur comportement.

Ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose, si ce n’est que l’on aime la police qui apporte son aide, son assistance, sa protection et que l’on déteste l’autre, celle qui bastonne sans raison

« Mais vous le savez, on cesse de s’aimer si personne ne nous aime », écrit Mina dans sa correspondance à Emma (Angeline de Montbrun, Laure Conan, 1882).

Alors, les policiers s’aiment-ils ?

C’est une question qui commence à tournicoter du côté de la Place Beauvau, car il semblerait qu’un nombre croissant de policiers visent nettement la sortie. Certains en se disant qu’il vaut mieux prendre sa retraite au plus vite, d’autant que la bonification au 1/5 risque d’être rabotée (c’était, m’a-t-on rapporté, le plat de lentilles pour compenser la suppression du droit de grève) et d’autres, tout simplement parce qu’ils n’en peuvent plus. On nous dit que c’est en raison d’une surcharge de travail. Bien sûr, surtout lorsqu’existe le sentiment d’être mis à toutes les sauces. Ces dernières années, la lutte antiterroriste et, plus récemment, la révolte des gilets jaunes ont profondément perturbé le fonctionnement des services.

Mais ce décrochage a d’autres causes plus fines, plus psychologiques, qui font boule de neige dans un quotidien qui s’éloigne jour après jour du métier que l’on s’est choisi. Du moins pour ceux qui sont entrés dans la police pour servir, pour aider et pour protéger. Ce sentiment de ne plus assurer au mieux les missions de service public, de ne pas pouvoir répondre efficacement aux malheurs des gens, par manque de temps, par manque de moyens,  par manque d’équilibre et de discernement dans le commandement. Des situations qui se succèdent et qui peuvent conduire à des manquements, à des erreurs, avec cette impression terrible, celle qui conduit au burnout : finalement tout cela ne mène à rien. Continue reading

Vétéran de la PJ, Borniche a 100 ans

Roger Borniche ne voulait pas être flic, mais prestidigitateur, ou comédien, ou chanteur. Tout jeune, avec une bande de copains, il court les cachetons, et se produit dans des cabarets de seconde zone ou les boîtes de nuit plus cossus du quartier de Pigalle. Dans sa bande, certains deviendront célèbres : Georgius, Roger Nicolas, Paul Meurisse… Lui, sa vie l’a entraîné dans une autre direction, mais son aventure n’en est pas moins romanesque.

Michèle et Roger Borniche, février 2019 (DR)

Après la guerre éclair, il est démobilisé et, plus pour échapper au STO que par vocation, il passe un concours pour entrer dans la police. L’inspecteur stagiaire Borniche est nommé à la PJ d’Orléans, une ville qu’il ne connaît pas et qui croule sous les bombardements alliés. Son chef de service le reçoit et l’affecte à une brigade spéciale dont la principale mission est de traquer, en étroite collaboration avec la police allemande, les « ennemis intérieurs », essentiellement les FTP, créés par le Parti communiste français clandestin. Pour ces Français engagés qui ne supportent pas le joug allemand, lorsqu’ils sont arrêtés, au mieux, c’est la prison. La législation de l’époque prévoit en effet l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Un truc qui sonne bizarrement aujourd’hui.

Mais Roger Borniche ne peut pas. Il « s’évade » de la police. Il a 23 ans et pas un sou en poche. Continue reading

Le glissement vers une autre France

L’article 3 de la loi anti-manif, accordant à l’autorité administrative le droit d’interdire à une personne de manifester, a été censuré.  Tout en s’appuyant sur l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme », le Conseil constitutionnel s’est livré à un exercice d’équilibrisme qui ne ferme pas la porte à un nouvel essai. À l’évidence, nos valeurs changent.

Comme pourrait dire le député Éric Ciotti, qu’est-ce que c’est que ce pays qui fonde sa constitution sur des textes révolutionnaires !

« Je suis consterné », a déclaré sur BFM le secrétaire national du syndicat de police Alliance Île-de-France, non pas, comme on pourrait le croire, par la tentative de violation de la Constitution par le gouvernement et une majorité de parlementaires,  mais par le refus des Sages de la rue de Montpensier de franchir un pas décisif, au risque de s’asseoir sur notre passé et de flétrir l’image de la France aux yeux de nos concitoyens européens. « La liberté du plus grand nombre n’est pas respectée », a asséné d’un ton péremptoire le responsable de ce syndicat de police très représentatif.

Heureusement pour le corps, d’autres syndicats, comme UNSA Police, ont pris des positions différentes, rappelant qu’il existait suffisamment de lois pour punir les actes délictuels lors des manifestations et que « l’interdiction de manifester ne peut pas être une mesure administrative ».

Liberté des uns contre liberté des autres, il y a matière à faire fonctionner nos petites cellules grises, chères à Hercule Poirot, et à philosopher sur la réflexion de Nelson Mandela, Prix Nobel de la paix après 27 ans d’emprisonnement : « Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté. » Continue reading

Un livre qui nous rappelle le temps où l’on tuait les terroristes

En refermant le livre de Georges Salinas, Le Chat d’Oran, qui nous entraîne dans la lutte contre le terrorisme au début des années 1960, je me suis interrogé : peut-on comparer le terrorisme lié au conflit algérien à la période actuelle ? La réponse est évidemment négative, mais cette expérience désastreuse, qui a mené la France au bord de la guerre civile, devrait au moins nous inciter à ne pas commettre les mêmes erreurs.

Georges Salinas, Librairie Fontaine Haussmann, le 21 février 2019

Antoine Delarocha, le héros, est flic au CRA d’Oran (Centre de renseignement et d’action). Et il tente de faire son boulot de flic, dans des conditions qu’aucun policier aujourd’hui n’oserait envisager. Au début du roman, Delarocha planque sur un ancien militaire qui a rallié le FLN. « Désormais fellagha en cavale, Ahmed Benjelloul était un ancien béret rouge : il avait servi pendant dix ans dans l’armée française, chez les parachutistes », dit-il, alors qu’il s’apprête à lui mettre la main au collet. Mais, évidemment, rien ne se passe comme prévu. Ce face à face de deux hommes, l’indépendantiste et le pied-noir, chacun enfermé dans ses certitudes, c’est le fil de l’histoire.

Salinas n’a pas connu cette époque, il était à peine né, il se fie donc aux souvenirs de son père (Le Chat d’Oran, c’est un peu lui) pour recréer l’ambiance de police de ces années noires. Il nous fait vivre les enquêtes et les filatures à l’ancienne : peu de personnels, peu de moyens et surtout pas de smartphone pour demander des instructions. Tout au mieux des radios portables de la taille d’une bouteille d’eau 2XL. Une fois sur le terrain, c’est l’initiative personnelle qui joue, et aussi l’expérience, et parfois le talent. Mais l’expérience, c’est aussi d’avoir au fond d’une poche le jeton de téléphone qui permettra d’établir une liaison avec son service. L’ancien monde, quoi !

C’était il y a maintenant plus d’un demi-siècle. La France, des deux côtés de la Méditerranée, comptait chaque jour ses morts, alors que l’on nous parlait de « pacification » et de « maintien de l’ordre ». Le mot « guerre », rabâché aujourd’hui, étant alors tabou.

Le plus souvent, les images de cette époque qui nous reviennent en mémoire sont celles de militaires bardés de décorations haranguant les foules du haut de leur balcon Continue reading

Procès pour viol au 36 : deux accusés anonymisés

Dans le procès qui se tient actuellement devant la cour d’assises de Paris, deux policiers sont accusés d’avoir violé une touriste canadienne dans les locaux de la prestigieuse brigade antigang. Ne cherchez pas leur nom, car la presse dans son ensemble ne cite que leur prénom : Nicolas R. et Antoine Q. Et sans doute, pour ne pas paraître iniques, nombre de journalistes désignent également la victime par son prénom : Émily S.

Ce n’est pas la doctrine retenue par LeMonde.fr. Dans son article du 12 janvier 2019, Henri Seckel donne l’identité de la victime, partie civile au procès, et dit à propos des accusés, comme pour se justifier : « Nous anonymisons les fonctionnaires de police en vertu de l’arrêté du 7 avril 2011 relatif au respect de l’anonymat de certains policiers et gendarmes, mais pas la partie civile, qui s’est exprimée publiquement et à visage découvert sur l’affaire dans les médias… » – Et de mettre un lien sur le site d’un quotidien canadien rédigé en anglais dans lequel cette personne a répondu à une interview.

J’imagine, peut-être à tort, une « conf de rédac » animée… Qu’est-ce qu’on fait, chef ?

D’autant que sur le journal papier du quotidien du soir, la justification a sauté : la victime est citée, les accusés sont anonymes.

Donc pour tenter de comprendre le raisonnement du Monde, et de la presse en général, il faut se référer à un arrêté de 2011, pris par Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, qui abroge l’arrêté de 2008 de Michèle Alliot-Marie, qui abroge l’arrêté de 1995 de Charles Pasqua.

Comme le temps passe…

Dans cet arrêté de 2011, il est dit qu’en application de l’article 39 sexies (si, si !) de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 « Les services et unités dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité […] le respect de l’anonymat des fonctionnaires et des militaires qui y servent […] figurent en annexe. »

Bizarrement d’ailleurs, la BRI de la préfecture de police ne figure plus dans la liste annexée, elle a été remplacée par son émanation, la BAC (brigade anti-commando).

Mais ne pinaillons pas… Continue reading

À la recherche d’un maintien de l‘ordre républicain

Dans son discours de fin d’année, le président Macron s’est montré menaçant, stigmatisant les Gilets jaunes et affirmant que l’ordre républicain serait assuré « sans complaisance ». Une réflexion qui a fait réagir pas mal de policiers, dont ceux du syndicat contestataire (et contesté) « France Police – Policiers en colère » qui rappelle que depuis le 17 novembre, « plusieurs manifestants pacifiques ont été probablement mutilés par nos LBD [lanceurs de balles de défense] et nos grenades de désencerclement ». Et les syndicalistes de s’interroger pour savoir ce que les policiers doivent faire de plus pour être moins complaisants avec les Gilets jaunes !

Charpentier, 1957

Il faut reconnaître que dans notre pays, un tel usage de la force et des armes pour disperser des manifestants nous ramène loin en arrière.

Si au temps d’une vie notre mètre étalon est Mai-68, le préfet de police, le ministre de l’Intérieur et autres, devraient relire (ou lire) la lettre individuelle que le préfet de police Maurice Grimaud, adressa à chacun des policiers parisiens, quel que soit son grade, près d’un mois après le début des manifestations : « … Je veux parler d’un sujet que nous n’avons pas le droit de passer sous silence : c’est celui des excès dans l’emploi de la force. » Dans ce courrier, tout en se montrant solidaire de « ses » hommes, il a le courage de leur dire que la réputation de la police – notre réputation, écrit-il – est en jeu : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. » Mais Grimaud ne s’est pas contenté d’écrire, bien calé dans son fauteuil de cuir, en regardant depuis sa fenêtre Paris s’enfiévrer. Non, chaque jour, il était sur le terrain, sillonnant les rues de la capitale, seul, sans garde du corps, au volant de sa 4 L banalisée, parlant avec les uns, avec les autres. Et ses commissaires l’ont imité : ils sont allés dialoguer. « Une manifestation dans laquelle on a pu établir des contacts se passe infiniment mieux que celle où l’on va comme sur un champ de bataille », dira-t-il, quarante ans plus tard.
La stratégie utilisée lors des manifestations de Mai-68 dans la capitale a assis la réputation de la police française dans le monde entier.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Un autre préfet avant lui, Louis Lépine, avait tenté de faire entrer dans les mœurs un maintien de l’ordre apaisé en tentant de répondre à cette gageure : tenir la rue contre les « trublions » tout en respectant le droit de chacun à manifester sans risque pour sa vie. Continue reading

La BRI de Nice a 40 ans

Quelques-uns ne sont plus là, les autres ont des cheveux blancs, mais il y a 40 ans, ils étaient pleins de fougue ces flics venus des quatre coins de France pour mettre sur pied la brigade antigang de Nice. Et pourtant, ils ont été accueillis à reculons : le poil à gratter dans un système qui ronronnait.

Le 28 septembre 1978, un arrêté publié au J.O. porte « création d’une antenne de l’office central pour la répression du banditisme à Nice ». La BRI « Nice-Côte d’Azur » (appellation non contrôlée) est née d’un entretien plutôt caustique dans le cabinet du ministre de l’Intérieur. Après une série de règlements de comptes, le casse de la Société Générale, en 1976 ; et la disparition, l’année suivante, d’Agnès Le Roux la fille de la patronne du casino du Palais de la Méditerranée, Christian Bonnet interpelle Maurice Bouvier : « Le Président s’inquiète de la situation à Nice… Que comptez-vous faire, M. le directeur central ? ». Pris de court, Bouvier mastique sa pipe avant de rétorquer : « Justement, j’envisageais de créer une brigade antigang. » Ne jamais rester sec, c’est l’essence d’un patron !

Une partie de l’équipe de la BRI de Nice (1979)

Il faut avouer que Giscard d’Estaing n’avait pas tort de s’inquiéter : en matière de grand banditisme, les années 1970 étaient particulièrement chaudes, et pas uniquement dans le sud-est de la France…

Après le démantèlement de la French Connection, le Milieu se cherche de nouveaux chefs. Pour mieux se faire entendre, les Zampa, Imbert, Vanverberghe et autres, utilisent des arguments de plomb. La PJ, comme au stand de tir, se contente de monter aux résultats. Et tandis qu’à Paris, les frères Zemour fêtent la faillite annoncée du gang des Siciliens, après la mort brutale de Jean-Claude Vella, dit Petites-pattes, et de Marcel Gauthier, révolvérisé à Nice ; qu’à Lyon la police panse ses plaies après une affaire de corruption où se mêlent banditisme et politique, et que la justice se perd en conjectures sur les raisons de l’assassinat du juge François Renaud, des réseaux mafieux s’implantent sur la Côte d’Azur et font de Nice la plaque tournante du blanchiment de l’argent du crime. Le fric attire les voyous comme un tue-mouches. Continue reading

L'affaire Empain par le trou de la serrure, acte IV : Rien ne sera plus comme avant

Après sa libération, le baron Empain pensait être accueilli un peu comme un naufragé que l’on serre fort dans ses bras, à son premier pas sur la terre ferme. Ce fut exactement le contraire. L’amour de sa femme s’était évaporé au fil des révélations sur sa vie privée et, au sein de son entreprise, on était déjà passé à autre chose : après 63 jours de captivité, le baron Édouard-Jean Empain n’existait plus. Après avoir été séquestré, mutilé, martyrisé, comment admettre que son monde a tourné la page !… Plus d’un aurait craqué.

Empain est parti aux États-Unis, sac au dos. Une sorte de voyage initiatique. Une initiation à la vie. L’histoire ne dit pas s’il a fait un crochet par Vegas, mais c’est probable, car, après sa libération, sa réaction primaire a été : on m’a enlevé parce que j’avais du fric, je vais tout claquer.

 

« Au lieu de me parler d’amour, on m’a mis sous le nez ma vie privée »

Six mois plus tard, Édouard-Jean Empain est de retour. Il donne une conférence de presse pour montrer qu’il existe toujours et qu’il compte bien reprendre la présidence de son groupe. Il se veut consensuel, mais le pli de la bouche est amer. Il félicite René Engen, l’homme qu’il a tiré de « sa » verrerie, dix ans plus tôt, pour en faire son directeur général, et qui, durant son absence, a su maintenir le groupe à flot. Mais en même temps, il déclare qu’on a voulu l’écarter, lui, le trublion de l’establishment. Il remercie la police de l’avoir sauvé, « mais ce qu’elle a trouvé dans mes tiroirs, il n’était pas utile d’en faire part à ma famille ».

Pour reprendre le collier, il cherche à dédramatiser, mais à l’évidence, il n’arrive pas à passer l’éponge. Les autres non plus. Les portes se ferment. Ses relations avec René Engen se détériorent. Son refus de payer la rançon est comme un cactus entre les deux hommes, même si Engen se défend, affirmant qu’il lui a probablement sauvé la vie.

Sa vie ! C’est une question qui doit vibrionner dans la tête du baron : une fois la rançon versée, ses ravisseurs l’auraient-ils éliminé ? Ce n’est pas sûr. Il ne représentait pas un danger pour eux dans la mesure où il n’a jamais vu leur visage et, sans le concours (involontaire) d’Alain Caillol et celui de la DST, les policiers n’auraient même pas pu retrouver la villa où il était séquestré.

Il s’en est sorti vivant, mais c’est un homme cassé. Continue reading

L’affaire Empain par le trou de la serrure, acte III : L’agent de la DST piège le ravisseur

Je me demande à quoi pensait le commissaire Pierre Ottavioli, les yeux rivés sur l’ambulance qui emportait son seul témoin, le seul homme capable de déverrouiller cette affaire, et de sauver, peut-être, la vie du baron Empain.

En effet, la fusillade à peine terminée, le chef de la brigade criminelle s’était fait un devoir d’aviser la famille et les proches de l’otage. Une épreuve difficile, car, il faut bien le reconnaître, à ce moment-là, la situation n’est pas brillante : l’un des ravisseurs a été tué et les autres ont réussi à s’enfuir, à l’exception d’un seul, celui qui s’achemine vers l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à grand renfort de sirènes à deux tons. Comment expliquer à des gens qui vous ont fait confiance qu’on est dans le potage ! Je suis en route, je vais sur place, leur a-t-il probablement dit. Surtout, ne pas donner l’impression que l’on baisse les bras. C’est ainsi, malgré l’embouteillage, qu’escorté de deux motards, il est arrivé à temps pour tenter de convaincre le ravisseur survivant de collaborer. Il ne sait encore rien de lui, si ce n’est son nom, Alain Caillol, un type qui n’a le profil ni d’un terroriste ni d’un dur, bien qu’il soit inscrit au fichier spécial de la répression du banditisme (FSRB) depuis 1974, à la demande de la PJ de Montpellier. Un portrait qui lui donne l’espoir de le raisonner et de lui faire dire l’endroit où l’otage est détenu. Mais il n’est pas aisé d’obtenir des confidences dans ces conditions. « J’enrageais de ne pouvoir interroger vraiment cet homme étendu sur une civière alors que, j’en étais sûr, il détenait la clé du problème » (Échec au crime, Grasset,1985). Caillol ne lui a rien dit.

Vu les circonstances, les médecins de l’Hôtel-Dieu se montrent particulièrement efficaces, mais, du fait de ses blessures, les 48 heures de la garde à vue de Caillol n’en sont pas moins sérieusement écornées.

La vie d’Empain est tirée au sort

Pendant ce temps, le reste du gang des ravisseurs a regagné la planque. Ça doit chauffer. Il y a cependant un point sur lequel ils semblent d’accord : il faut mettre les voiles. Le vendredi soir, avant même que les radios annoncent la fusillade, sous sa tente, le baron Empain sent qu’il se passe quelque chose, un remue-ménage, un va-et-vient inhabituel. Puis, on lui retire son téléviseur. Mais ce n’est que le lendemain matin que l’un de ses geôliers lui remet un journal où l’intervention de la police est relatée en détail. Empain se dit « tout est foutu ! » Plus tard, dans l’après-midi, le même homme lui annonce froidement : « Il n’y a plus que deux solutions : on te tue ou on te libère. » Ils vont se réunir pour voter.

On imagine la nuit du baron Empain, enchaîné sous son toit de toile, ballotté entre la crainte et l’espoir.

Et ce n’est que le dimanche, un peu avant midi, qu’il lui est proposé un étrange marché : ils ont voté pour sa libération, à condition qu’il accepte de payer lui-même la rançon. « Oui, oui, je paye ! » Il leur signe trois reconnaissances de dettes pour un montant de 45 millions de francs, avec un règlement étalé dans le temps. Sa signature, obtenue sous la contrainte, n’a aucune valeur légale, il le sait très bien, mais à ce moment-là il est probablement sincère, prêt à payer n’importe quelle somme pour que son calvaire prenne fin.

Je suppose que cet arrangement a été proposé par ceux qui ont voté contre son exécution. C’est-à-dire ceux qui se relayaient auprès de lui et qui, d’une certaine manière, l’admiraient pour sa résistance et son courage. Alain Caillol dira plus tard « c’était un sacré mec ! » En fait, cette rançon à crédit, c’est une bouteille à la mer que lancent les ravisseurs, un moyen de sauver la face.

Pourtant, le 20 mai 1981, ses « créanciers » se rappelleront à lui, alors que trois d’entre eux, à la suite d’une erreur de procédure, ont été relâchés. Un appel à son domicile : « Nous sommes libres, il va falloir tenir vos engagements ou mourir. » Il n’a pas payé : les temps avaient changé. Continue reading

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