LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Police (Page 12 of 34)

Le Quai des Orfèvres sous l’Occupation

Ce 16 juillet 1942, au petit matin, des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards furent arrêtés à leur domicile et regroupés dans les commissariats avant d’être parqués au Vel’ d’Hiv’. Aujourd’hui, alors que le Président Hollande commémore le 70° anniversaire de cette rafle funeste, il est légitime de s’interroger sur le comportement des policiers et des gendarmes qui ont – sagement – obéi aux ordres. Et notamment à la préfecture de police de Paris qui vient d’ouvrir ses archives sur ce sujet sensible. Il faudra attendre fin 1943, alors que la politique du maréchal Pétain se fait de plus en plus répressive, pour qu’un véritable mouvement de résistance apparaisse enfin dans la police parisienne.

Pour certains policiers, c’était leur deuxième intervention au Vel’ d’Hiv’. En effet, en mai 1940, donc avant le régime de Vichy, cinq mille femmes réfugiées en France pour fuir le nazisme des années 30 avaient été enfermées dans ledit vélodrome. La plupart seront transférées au camp de concentration français de Gurs et beaucoup y mourront. Il semble que parmi les survivantes, certaines ont même joué un rôle actif dans la résistance, mais leur souvenir s’est perdu. Lilo Petersen, qui a été victime de cet internement alors qu’elle était enfant, a écrit un livre Les oubliées, chez Jacob-Duvernet, dont on peut trouver une courte analyse ici.

Si les policiers d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec ce fragment de notre histoire (ils n’étaient même pas nés), il est étonnant que les nombreux ouvrages consacrés au Quai des orfèvres n’y fassent pratiquement pas allusion ; alors qu’il est souvent question de la résistance, d’abord passive, puis plus active, menée par certains fonctionnaires de la préfecture de police, comme dans la remarquable trilogie De la Résistance à la Libération que l’on peut télécharger gratuitement sur le site de la PP.

Mais j’ai déniché l’exception : le livre de Clovis Bienvenu qui, sous un titre rebattu « Le 36, quai des Orfèvres » (Éditions PUF), met carrément les pieds dans le plat. « Force est de constater, dit-il, qu’au titre de la collaboration d’État la police judiciaire du quai des Orfèvres a activement participé à la lutte contre le communiste et à la chasse aux Juifs. »

Pourtant, nulle part, poursuit-il, il n’y a trace « des compromissions, des trahisons, des enquêtes diligentées à la demande des autorités allemandes ». Comme de cette enquête menée par les policiers de la brigade spéciale de la PJ pour interpeller Pierre Georges. Ce jeune homme de 22 ans, auteur du meurtre d’un militaire allemand, le 21 août 1941, au métro Barbès, a sans doute, avec deux balles de calibre 6.35, modifié le cours de l’histoire, marquant le début de la révolte armée contre l’Occupant. Arrêté l’année suivante, il fut sérieusement passé à tabac avant d’être livré aux Allemands. Bizarrerie de l’histoire, lors de la libération de Paris, alors que les policiers tirent sur les Allemands, lui se trouve à la tête d’un commando FFI. Il établit la jonction avec la 2° DB et l’aide à reprendre à l’ennemi les quartiers proches de la préfecture de police. Une station de métro porte son nom de guerre : Colonel Fabien.

À cette époque-là, la brigade spéciale dépend du 36 et la « brigade des attentats » lui est rattachée. Pour la direction de la PJ, il est question d’une brigade antiterroriste. Les terroristes des uns étant les résistants des autres. En tout cas, la chasse est ouverte. D’autant que les Allemands récompensent toute arrestation de « terroriste » par des espèces sonnantes et trébuchantes. Mais la PJ et les RG se livrent une rude concurrence. On flagorne les Fridolins. Finalement, ce sont les renseignements généraux qui emportent les faveurs de l’Occupant. En janvier 1942, une deuxième brigade spéciale est alors créée, mais cette fois au sein de ce service. (C’est la seule dont on parle aujourd’hui.) Le patron de la PJ, Guillaume Tanguy, a perdu et les affaires « patriotiques » deviennent le monopole des RG. Trois ans plus tard, les gens du 36 vont tirer profit de cette déconvenue en forgeant la légende d’une police judiciaire exempte de tout acte de collaboration.

C’est l’époque des promotions extravagantes et nombreux sont ceux qui sont sensibles à la carotte. Quelques-uns résistent et œuvrent en douce, comme ce jeune policier, Jacques Beuguin, affecté au « service des répressions raciales », qui utilise mille stratagèmes pour réduire le nombre de Juifs déférés aux Allemands, sans éveiller les soupçons de sa hiérarchie.

Et tandis que la police parisienne sert la soupe aux occupants et que le Tout-Paris flirte au One-Two-Two avec les officiers allemands, les truands s’en donnent à cœur joie. Souvent en cheville avec des barbouzes collabos, ils dépouillent les familles fortunées en se faisant passer pour des policiers allemands.

Pourtant, on est encore loin de la fronde au sein de la PJ. Ainsi, en juin 1943, lors de la création de la sous-direction des affaires juives (ex-service Tulard), le commissaire divisionnaire Charles Permilleux motive ses troupes par des instructions précises : « Il appartient désormais à la préfecture de police d’assurer l’exécution des mesures de police ordonnées par les autorités d’occupation. La police française n’a pas à se faire juge, elle exécute les ordres donnés ».

À la Libération, on parle d’épuration dans la police. Une brigade anti-Gestapo est créée. Installée quai de Gesvres, elle est chargée d’enquêter sur la Gestapo française, la Carlingue, pour les intimes. Voici ce qu’écrit son fondateur, le commissaire Georges Clot : « La Gestapo française fut, à cette pénible époque, un dangereux poison qui atteignit tous les organes du corps français. C’est triste à dire, mais c’est la vérité… Quelquefois, nous étions saturés de dégoût, nous ne savions plus où se trouvaient les limites du mal. : un cancer généralisé. » Et puis, un jour de septembre 1945, on leur a dit d’arrêter. La brigade anti-Gestapo a été dissoute. Pour les autorités, il était temps d’oublier.

Je ne connais pas Clovis Bienvenu. Il est présenté comme officier de police judiciaire. J’ai tenté de le joindre, via son attachée de presse, mais sans succès. Son livre comprend d’autres volets : les années grises, le conflit algérien, etc. On peut lire la table des matières sur le site des Presses Universitaires de France. C’est un livre rare, et même si l’on a parfois du mal à suivre le fil, c’est passionnant.

Usage des armes dans la police : vers un meilleur encadrement

Il n’y aura pas de présomption de légitime défense pour les policiers mais probablement un codicille aux textes en vigueur afin de mieux encadrer les situations dans lesquelles ils peuvent faire usage de leur arme. Un peu comme cela a été fait l’année dernière dans l’hypothèse où un attroupement devrait être dispersé par la force.

C’est du moins ce que l’on peut déduire des propositions de la « mission indépendante de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et gendarmes » dont la mise en place avait été annoncée par Manuel Valls lors de l’un de ses premiers déplacements en tant que ministre de l’Intérieur. Il s’agissait alors d’étouffer la colère des policiers après la mise en examen de l’un d’eux pour homicide volontaire dans l’affaire de Noisy-le-Sec.

« En encadrant l’usage des armes, on en consacre l’existence et on répond d’une certaine manière – autrement que par les propositions que nous avons écartées [Note : la présomption de légitime défense] – à une attente », estime le conseiller d’État Mattias Guyomar dans son rapport remis vendredi dernier au ministre.

Je dois avouer que je trouve l’idée d’encadrer l’usage des armes pour en consacrer l’existence assez sibylline. Le rapporteur parle de « codifier la jurisprudence du code pénal »… Mais comment prévoir à l’avance les circonstances d’une intervention de police alors que celles qui posent problème sont justement les plus imprévues… S’agit-il d’énumérer les cas dans lesquels le policier peut faire usage de son arme ? Attention à ne pas ouvrir la boîte de(s) Pandore(s) ! Et puis, ce serait oublier une chose qui ne peut s’expliquer : la peur, tout simplement. La peur d’être tué et la peur de tuer. Dans le drame de Noisy-le-Sec, le gardien de la paix a-t-il cédé à un tir panique ? Cette peur, souvent non avouée, c’est le fossé qui sépare le juge du policier.

Définir les conditions d’utilisation des armes lors d’une interpellation, serait d’autant plus curieux, qu’en flagrant délit, le policier ne possède aucun pouvoir particulier. Il agit comme pourrait le faire tout citoyen, dans le cadre de l’art. 73 du CPP.

Je trouve le Conseiller plus intéressant lorsqu’il outrepasse sa mission pour réfléchir à l’utilisation des armes dites à létalité réduite, celles que l’on classe dans la catégorie des moyens intermédiaires de défense. Il est vrai, par exemple, qu’entre le premier Flash-Ball, arme essentiellement dissuasive, presque de contact, et le lanceur de balles suisse à visée électronique actuellement en dotation, il y a tout un monde. Et il ne serait pas idiot de mieux adapter leur utilisation aux missions, plutôt que de faire la surenchère à la puissance.

Pas question dans ce rapport d’aligner les policiers sur les gendarmes – ou le contraire. Statu quo. Les gendarmes continueront donc à bénéficier – dans certaines circonstances – de la possibilité de tirer après sommations. Pour justifier cette possibilité de tuer, on met en avant leur statut militaire. Ce qui n’a évidemment pas beaucoup de sens, puisque la plupart des missions de la gendarmerie sont identiques à celles de la police nationale. Là, je crois qu’on est plutôt dans le ni-ni. Rappelons pour les auteurs de polars qui candidatent au Prix du Quai des Orfèvres, que le policier ne fait pas de sommations. Il ne peut par exemple tirer sur un délinquant qui s’enfuit, qu’il soit à pied ou en voiture. Tout au plus pourrait-on tolérer un tir d’avertissement…

Mais parmi les 27 propositions de ce rapport, il y en a une qui est très appréciée : l’extension de la protection fonctionnelle. D’après l’agence d’informations spécialisées aef-info, en 2011, elle aurait été actionnée 20 289 fois pour les policiers (j’ai du mal à croire ce chiffre) et 500 fois pour les gendarmes. Mais en l’état, elle est loin de donner satisfaction. Si cette recommandation était suivie d’effet, le policier ou le gendarme mis en cause par la justice dans l’exercice de ses fonctions devrait bénéficier d’une protection juridique plus étendue et, surtout,  il devrait se voir garantie la continuité de ses ressources. Éventuellement en faisant l’objet d’un reclassement provisoire dans une autre administration. Alors qu’aujourd’hui, un policier mis en cause par la justice peut du jour au lendemain être interdit d’exercer son métier par le juge d’instruction ou suspendu par l’autorité administrative. Et si le plus souvent il continue à percevoir son traitement (du moins dans un premier temps), celui-ci est sérieusement amputé. Grosso modo réduit de moitié. De plus, en tant que fonctionnaire, il n‘est pas autorisé à avoir une autre activité salariée. De nombreux policiers ont très mal vécu cette expérience où ils tournent en rond, désœuvrés, à tirer le diable par la queue, et souvent seuls, car coupés de leurs collègues, de leurs amis. Comme soutien psychologique, peut mieux faire.

Cette évolution très importante dans la protection matérielle nécessiterait de modifier le statut de la fonction publique (de la défense, pour les gendarmes), et devrait donc profiter à l’ensemble des fonctionnaires. On ne voit pas en effet comment, sous un quinquennat placé sous le signe de la justice pour tous, on pourrait faire une différence entre les agents publics, selon qu’ils seraient rattachés à tel ou tel ministère.

L’enquête imaginaire sur les enregistrements de Merah

« Agissant en enquête préliminaire pour des faits de violation du secret de l’instruction et recel, conformément aux instructions de Monsieur le procureur de la République de Paris, nous présentons ce jour au siège de l’entreprise Éléphant et Cie… »

J’ai eu beau râler, le chef m’a dit qu’il fallait foncer et récupérer dare-dare les enregistrements des négociations entre la DCRI et Mohamed Merah, dont une partie avait été diffusée sur TF1. Une enquête sur des œufs. Avant de me lancer dans l’aventure, j’ai évidemment compulsé mon code de procédure pénale…

La perquisition – Quasi impossible. D’abord, en préli, il faut un accord écrit du « maître des lieux ». Ensuite, la perquisition dans une entreprise de presse est réglementée par la loi de 2010. Question : la maison de production Éléphant et Cie est-elle un organe de presse ? Petit tour sur l’Internet. Oui, il est indiqué qu’il s’agit d’une société de production audiovisuelle qui possède ce statut. Mais c’est quoi une agence de presse. Pour Wikipédia, plus facile à lire que le Dalloz, « une agence de presse est une organisation qui vend de l’information aux médias à la manière d’un grossiste fournissant des détaillants ». La définition juridique est fournie par l’ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 (modifiée par la loi du 22 mars 2010 et consolidée en mars 2012). Pour remplir les conditions, il faut que l’entreprise effectue au moins la moitié de son chiffre d’affaires dans la fourniture à des publications de presse. Là, je n’ai pas le temps de vérifier. Après tout, qui dit perquise chez des journalistes, dit décision écrite d’un magistrat. Il est où le proc ? D’autant que Mister Chain me fait les gros yeux. Je sors ma réquise article 77-1-1 et je lui demande du bout des lèvres s’il veut bien me remettre les enregistrements susvisés. Il me dit non. Je m’en vais.

De toute façon, l’acte aurait été frappé de nullité, puisqu’il violait l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Et puis, j’ai bien compris, plus tard, en lisant les propos d’Emmanuel Chain dans Le Point, que la justice n’y avait rien perdu : « Vous imaginez bien que nous nous y attendions et que nous avons pris toutes les précautions pour protéger nos sources », qu’il a dit.

Le secret professionnel – Il est l’apanage de certaines professions : médecins, avocats, ministres du culte… et même les flics qui ne sont pas tenus d’indiquer l’identité de leurs informateurs.  Enfin, ça, je demande à voir, hein ! Pour les journalistes, la première tentative vers un secret professionnel date de 1925. Cette idée avait été balayée sous le prétexte que le journaliste n’est pas dépositaire d’un secret confié par un particulier, comme c’est le cas d’un avocat, par exemple. Depuis, l’eau a coulé. Aujourd’hui, la France s’est alignée sur la jurisprudence de la Cour européenne. La loi du 4 janvier 2010 pose le principe de la protection du secret des sources des journalistes « dans leur mission d’information du public ». Ce principe interdit que les enquêteurs tentent de les identifier, même de façon indirecte. D’où l’histoire des fadettes du Monde. Si le nom d’un honorable correspondant d’un journaliste apparaît inopinément sur une écoute téléphonique, le policier peut l’entendre, mais ne peut pas l’écrire.

Parfois, je me dis que c’est un métier pour autiste…

Le secret de l’instruction –  Il est amusant de noter que le juge et le journaliste ont quelque chose en commun : la recherche de la vérité. Mais ils ne disposent évidemment ni des mêmes pouvoirs ni des mêmes méthodes. Toutefois, tous deux sont protégés dans leurs actes par la notion de secret : secret de l’instruction pour l’un, secret des sources de l’information pour l’autre. À ceci près que pour les juges, c’est peine perdue : le temps médiatique n’est pas le même que celui de la justice.  Et le « parasitage » est trop fort. À tel point que l’on a pris l’habitude de suivre le travail du juge dans nos journaux – parfois d’ailleurs par un jeu de fuites savamment orchestré, comme dans l’affaire Neyret. Une carotte que l’on agite sous notre nez pour satisfaire notre goût des faits divers et masquer des événements plus enquiquinants pour le pouvoir. Raison pour laquelle bon nombre de magistrats ont pris en main leur communication. Et, tandis qu’un député de l’ancienne majorité (pas encore vacciné) réclame le durcissement de la loi sur la violation du secret de l’instruction, des voix plus autorisées se font entendre pour sa suppression, ou du moins son adaptation aux méthodes modernes de communication. Pour mémoire, d’ailleurs, le rapport Léger, enterré (sans doute contre son gré) par le précédent locataire de l’Élysée, proposait la suppression du secret de l’enquête et de l’instruction – tout en conservant le secret professionnel.  Finalement, c’est un peu comme la consommation de cannabis : si l’on ne peut pas faire respecter la loi, autant la supprimer.

Je prenais sur moi, en sortant de la maison de prod, mais j’en avais gros sur la patate. Puisqu’il n’est pas possible d’enquêter sur les journalistes, je me suis dit que la seule solution, c’était de prendre l’enquête par l’autre bout. Et pour cela, il fallait déterminer entre quelles mains étaient passés ces enregistrements ! Pas facile, d’autant qu’avec le numérique, la piste se perd rapidement dans les méandres des ordinateurs : policiers, magistrats, techniciens… Ces enregistrements ont-ils été placés sous scellés ? Dans quel délai ? Et comment déterminer combien il y a eu de copies avant… Ce qui n’a d’ailleurs aucune importance s’il s’agit, non pas de scellés fermés, mais de scellés ouverts, qui sont justement faits pour pouvoir en lire le contenu.

Soyons réaliste, mon enquête n’est pas prête d’aboutir. Mais comme je ne suis pas sûr que là-haut on souhaite un résultat, ça ne m’inquiète pas trop.

Cela dit, le journaliste ne bénéficie d’aucune immunité. S’il enfreint la loi d’une manière ou d’une autre dans l’exercice de son métier, il peut très bien se retrouver en prison. Par exemple s’il est receleur de la violation du secret d’instruction.

Le recel de violation du secret de l’instruction – Celui qui obtient les confidences d’une personne concernée par le secret de l’instruction devient receleur. Mais celui qui obtient l’information du receleur peut-il être lui-même receleur ? Il semble bien que non. On ne peut être receleur du délit de recel. Donc, en masquant leurs sources, les journalistes ne risquent pas grand-chose, même s’ils sont hors la loi. Et pour les enquêteurs, c’est mission impossible.

Dans ces conditions, alors que la police manque de bras, je me demande s’il est bien utile de faire un travail au résultat si incertain. Un coup de tampon « vaines recherches », et hop ! Et là-dessus, le procureur de Paris a ouvert une information judiciaire. Donc, changement de patron. Maintenant, c’est le juge d’instruction qui décide. Franchement, on aurait peut-être pu commencer par là, même si j’ai l’impression que cela ne changera pas grand-chose.

Police : le retour de la pucelle ?

Parmi les ballons d’essai lâchés par M. Valls pour rapprocher la police de la population figurent le « contrôle » des contrôles d’identité, le bannissement du tutoiement et la réapparition du matricule sur l’uniforme. Le matricule, c’est le numéro d’identification attribué à chaque fonctionnaire de police et qui le suit sa carrière durant. Autrefois, les gardiens de la paix le portaient sur un écusson accroché à la boutonnière : la pucelle.

Pucelle de la Préfecture de police (site Amicale Police Patrimoine)

Il y a plusieurs origines possibles à ce nom, toutes militaires. Ma préférée : les jeunes recrues devaient ouvrir la boutonnière pour y glisser l’attache. Il fallait donc la dépuceler. Lors de la création de la police nationale, en 1966 (les mots « police nationale » ont été utilisés une première fois sous Vichy), la pucelle a survécu. Pour la police parisienne, elle a seulement changé de côté, elle est passée de gauche à droite (mais on peut intervertir, hein !).

L’air de rien, un matricule visible pourrait être considéré comme un premier pas vers un rapprochement des policiers et de la population. Soudain, derrière l’uniforme, il y a quelqu’un. Alors que depuis près de 30 ans, la tendance est inverse. On s’est efforcé de « déshumaniser » la fonction et de la couper du reste de la société. Peut-être le relent d’une vieille crainte : voir les forces de sécurité se ranger du côté du peuple !

En 1984, dans le cadre du plan de modernisation de la police voulu par Pierre Joxe, il a été décidé de changer les uniformes. Le traditionnel képi a disparu, remplacé par la casquette plate. Et la pucelle aussi, remplacée par rien du tout. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un caprice du couturier Balmain (qui a créé la tenue) ou d’une décision politique. Pourtant, on peut dire que si M. Joxe a laissé son empreinte Place Beauvau, il a également été le premier ministre de l’Intérieur à fermer la police au monde extérieur, interdisant, par exemple, toute communication avec la presse. Un élagage peut-être nécessaire : trop de têtes dépassaient.

En 1995, Jean-Louis Debré remplace Charles Pasqua à l’Intérieur et les inspecteurs de police deviennent des officiers. Et la police nationale devient la « petite muette ».

En 2004, Nicolas Sarkozy, décide de changer la tenue pour la rendre plus fonctionnelle. Disons que le policier devient plus martial (et à mon avis moins élégant). Cette fois, les uniformes sont griffés Balenciaga. Mais toujours pas de retour de la pucelle : elle semble définitivement condamnée puisque le nouvel habit ne comporte pas de poche sur la poitrine, donc pas de boutonnière.

Et pourtant, aujourd’hui, l’idée est de nouveau dans l’air. Et pas seulement en France.

Ainsi, l’année dernière, en Belgique, à la suite de violences infligées à une jeune « indignée », un collectif d’avocats a demandé au ministre de l’Intérieur que tout agent en uniforme ou en civil soit rendu identifiable par la présence d’un numéro matricule. Et, récemment, le sénateur Gérard Deprez a déposé une proposition de loi en ce sens (dans ce pays, il existe déjà un texte, mais il n’est pas appliqué). En résumé, il souhaite que les policiers en tenue portent de manière visible leur numéro matricule personnel et que ceux qui agissent en civil le portent sur leur brassard. Il base d’ailleurs son argumentaire sur un arrêt du 11 octobre 2011, rendu par la CEDH (M. Deprez a été député européen durant 25 ans). La Cour s’est penchée sur le cas d’un citoyen bulgare qui a été victime de coups et blessures infligés par des policiers cagoulés. Elle a condamné la Bulgarie pour violation de l’article 3 de la Convention. En deux mots, il aurait fallu que les policiers portent un signe distinctif qui, tout en préservant leur anonymat, permette de les identifier.

Policier masqué (Revue Police Pro)

Au Québec, le Code de déontologie oblige les forces de l’ordre à porter un moyen d’identification. Or, ces derniers jours, des photos ont fait le buzz sur le Net. Elles montraient des policiers qui avaient collé des rubans adhésifs sur leur casque antiémeute, dont l’un cachait le numéro d’identification. Le Service de police de la ville de Montréal (SVPM) a diligenté une enquête, tout en faisant preuve de circonspection. Il semblerait, d’après le SVPM, que les manifestants étudiants prennent un malin plaisir à submerger le service des enquêtes internes de plaintes pas toujours justifiées. Une crainte exprimée par les policiers français si les contrôles d’identité devaient donner lieu à un récépissé.

Chez nous, le code de déontologie ne parle pas de l’identification des policiers. Et, à ma connaissance, rien ne les oblige à communiquer leur matricule – si ce n’est sur un P-V. Mais les syndicats ne semblent pas opposés à la réapparition de la pucelle.

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Sur le même sujet, un « lien contextuel » sur Le Monde : Manuel Valls sceptique sur les récépissés. Et, sur ce blog, Contrôles d’identité : Est-ce l’angélisme qui sonne ?


Saisies pénales : pour que le crime ne paie pas

Hier, François-Marie Banier a demandé la mainlevée sur des contrats d’assurance-vie saisis par la justice, contrats souscrits à son profit par Mme Bettencourt. Pfft ! 75 millions d’euros. 5.500 années de travail pour un smicard. Une requête juridiquement intéressante. D’autant que le juge Gentil vient juste de finir l’inventaire de ses œuvres d’art entassées dans son immeuble du VI° arrondissement. Comme une épée de Damoclès qu’il agiterait au-dessus de la cache au trésor ! Dans un autre dossier politiquement sensible, le juge Van Ruymbeke a ordonné la vente du yacht de l’homme d’affaires Ziad Takieddine, mis en examen dans l’affaire de Karachi.

Qu’est-ce qui leur prend à ces magistrats ! En deux mots, ils utilisent les moyens exceptionnels mis à leur disposition par la loi du 9 juillet 2010, qui a créé un nouveau droit des saisies pénales. L’objectif de ce texte est de priver les délinquants de leur patrimoine dès lors que celui-ci semble provenir d’une activité criminelle en gelant leurs biens dès le début de l’enquête. Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, a soutenu cette loi pour lutter contre la criminalité organisée, notamment le trafic de drogue. Je me demande ce qu’il en pense aujourd’hui, alors que les juges l’utilisent – aussi – pour des affaires politico-judiciaires…

Tous les biens confiscables selon l’article 131-21 du code pénal peuvent être saisis. Mais, alors que cet article vise une peine complémentaire prononcée en plus d’une condamnation, il s’agit ici de mesures préventives. Elles concernent un simple suspect, autrement dit un « présumé innocent ». Avec un principe fort : tout ce qui est confiscable est saisissable. Pierre Dac aurait dit, « et son contraire ». Pour faire simple, tous les crimes et la plupart des délits punis d’une peine d’emprisonnement peuvent être concernés (pas les délits de presse). Et cela, soit sur décision du juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur (flag, préli) ; soit par la seule volonté du juge d’instruction lorsqu’une information judiciaire est ouverte. Que ces biens appartiennent à une personne physique ou morale, qu’ils soient corporels (argent, actions, immeubles…) ou incorporels, comme une créance sur un droit futur (assurance vie, droits d’auteurs, brevets…). À noter que la loi de 2010 permet également à l’OPJ de saisir directement les biens lorsqu’ils sont liés à l’infraction.

Cet argent, ces voitures, ces immeubles, etc., peuvent n’avoir qu’un rapport indirect avec le crime ou le délit. Il suffit de démontrer qu’ils ont été acquis grâce à l’infraction. Dans plusieurs cas, la loi va même plus loin. Elle le présume. Il appartient alors au suspect de prouver le contraire. Si les poursuites engagées concernent le délit de non-justification de ressources, c’est l’ensemble du patrimoine qui peut ainsi être confisqué.

Pour cela, la justice et les enquêteurs disposent de deux outils la PIAC et l’AGRASC. (Oui, pas terrible comme sigles, mais dans l’administration, surtout à l’Intérieur, on a appris à se méfier des acronymes trop facilement mémorisables.)

La PIAC, c’est la Plate-forme d’identification des avoirs criminels. Cette unité a été créée en 2007 au sein de la DCPJ. Elle est rattachée à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dirigé par le commissaire divisionnaire Jean-Marc Souvira. (Également auteur de romans policiers. Son dernier livre : Le vent t’emportera, au Fleuve Noir.) La PIAC comprend à parité des policiers et des gendarmes, ainsi que des fonctionnaires d’autres administrations (douanes, impôts…). Elle est dirigée par un commandant de police. Sa mission première est d’effectuer des enquêtes patrimoniales soit à la demande des magistrats ou d’autres services de police ou de gendarmerie, soit d’initiative. Elle recoupe également les informations relatives aux avoirs criminels saisis. Ces chiffres alimentent une base de données nationale et permettent l’élaboration du TACA (Total des avoirs criminels appréhendés). Conçu initialement pour lutter contre le blanchiment, ce service est de plus en plus sollicité. En gros, toutes les infractions dont l’objectif est le profit – ce qui doit être souvent le cas. La PIAC est également chargée de l’entraide internationale en complément de la coopération classique via EUROPOL ou INTERPOL. À la suite de la décision européenne de créer des unités de dépistage et d’identification des avoirs criminels au sein de chaque État membre, elle a été désignée comme « Bureau des avoirs pour la France ».

La gendarmerie nationale n’est pas en reste. Dès les années 1980, elle a formé des militaires aux arcanes de la finance souterraine pour les affecter dans les sections et brigades de recherche départementales. Aujourd’hui, il existe une formation à trois niveaux : un stage « enquêteur patrimonial », une licence professionnelle et un master II (lutte contre la criminalité organisée dans ses dimensions économiques et financières à l’échelle européenne), proposé par l’université de Strasbourg. Elle revendique 1000 spécialistes. Depuis 2006, la gendarmerie a saisi des biens « criminels » pour environ 340 millions d’euros. Une partie de ces fonds sert à alimenter le « fonds concours drogues » géré par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie). La gendarmerie en récupère chaque année environ 25 % pour renforcer son action dans ce domaine. Des véhicules et du matériel saisis peuvent également être « empruntés » pour assurer certaines missions.

Mais pour gérer tous ces biens, il fallait un autre outil. La loi de 2010 a donc mis sur pied l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), dont l’activité a démarré en février 2011. Il s’agit d’un établissement public placé sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget avec à sa tête une magistrate de l’ordre judiciaire, Mme Élisabeth Pelsez. L’agence gère l’ensemble des biens confisqués (argent, comptes bancaires, immeubles…)  et, une fois le jugement rendu, en assure la vente, la destruction ou la restitution. Le produit de la vente sert si besoin à indemniser les victimes et à payer les créances et les amendes. Le solde est reversé au budget de l’État, sauf en matière de stupéfiants où, là encore, il alimente la MILDT. J’ai cru comprendre qu’une partie de la recette servait à couvrir les frais de fonctionnement de l’agence, mais je n’en suis pas sûr.

Cet organisme procède également à la vente – avant jugement – des biens saisis, suivant la décision des magistrats. Si le propriétaire est acquitté ou bénéficie d’une relaxe ou d’un non-lieu, l’argent tiré de la transaction lui est alors restitué. C’est donc l’AGRASC qui devrait vendre le bateau de M. Takieddine. À quel prix, doit-il se demander ?

Dans son premier bilan, l’AGRASC fait état de 8 000 affaires traitées avec un encours sur son compte de la Caisse des dépôts de 204 millions d’euros. Une somme placée à 1 %. Un bilan encourageant selon certains, mitigé selon d’autres. En fait, pour être rentable (car là on ne parle plus justice mais business) l’agence devrait se limiter aux grosses affaires. Or, il semble bien qu’elle croule sous les petites. 66 % des sommes confisquées sont inférieures à 1.000 €. Et les 714 véhicules saisis durant la période concernée représentaient une valeur insuffisante pour couvrir les frais d’immobilisation. Il a fallu payer un prestataire pour les détruire. Dans ce souci de rentabilité, on réfléchit à simplifier encore la procédure et à sensibiliser les magistrats et les OPJ pour qu’ils placent la barre plus haut. Les infractions les plus lucratives sont le blanchiment, l’escroquerie et l’abus de confiance. Alors que les stupéfiants, qui représentent 63 % des affaires n’ont rapporté que 13% du budget. M. Hortefeux doit se retourner dans son placard.

Le gros succès de cette loi de 2010 est la facilité qu’elle apporte dans la saisie d’immeubles. Ainsi, depuis le début de cette année, un immeuble est saisi chaque jour en France.

Il est amusant de constater que l’on applique aujourd’hui l’une des recommandations de Cesar Beccaria, considéré comme le fondateur du droit pénal moderne, qui, dans Des délits et des peines, écrivait : « La perte des biens est une peine plus grande que celle du bannissement ». C’était en 1763. Il est vrai qu’il trouvait également barbare la peine de mort et la torture et recommandait de prévenir le crime plutôt que de le réprimer.

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Sources : documentation officielle, documentation personnelle, presse et dossier Les nouvelles saisies pénales dans la revue Dalloz (AJ Pénal mars 2012).

Pétarades autour du cannabis: Qu’en pense la police ?

En 2010, c’est plus de 120 000 personnes qui ont été interpellées pour usage de cannabis. Soit environ une garde à vue sur quatre (hors infractions routières). On peut donc dire que le quart de l’action des services de police et de gendarmerie est consacré aux fumeurs de pétards. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des revendeurs et des trafiquants, ni des autres drogues. Dont les drogues de synthèse, autrement plus dangereuses que le cannabis, et devant lesquelles on semble bien démunis.

L’activité judiciaire d’un commissariat de la banlieue parisienne est consacrée à plus de 40 % à la lutte contre l’usage et le trafic de drogue. Et je suppose que dans les tribunaux, les parquetiers croulent sous les dossiers stups. Pourtant, la consommation et le trafic continuent de progresser. Alors, ce travail est-il utile ?  Hier, on pouvait dire qu’il servait à meubler les statistiques, mais depuis que M. Valls nous a affirmé que la politique du chiffre est derrière nous, on peut s’interroger. J’ai donc posé la question à droite à gauche, dans les commissariats, et la réponse quasi unanime repose sur la connaissance de « la » population. En résumé, la loi qui pénalise l’usage des stupéfiants (un an de prison et 3.750€ d’amende, jusqu’à cinq ans de prison pour certaines professions, comme les policiers) permet d’arrêter et de ficher un maximum de gens, et notamment des jeunes. « C’est le vivier de la délinquance de demain » m’a dit un commissaire. Cela peut paraître cynique, mais c’est le principe même d’un fichier : plus il contient de noms (auteurs, suspects, victimes, plaignants…), plus il est efficace.

Mais il y aussi une raison non avouée. En fait, de nombreuses enquêtes sur le trafic partent du consommateur. C’est le plus facile à détecter. Or, grâce à cette législation très dure, il est possible de faire pression sur lui, voire de négocier. Il ne paraît pas amoral à un enquêteur de fermer les yeux sur le délit que commet un fumeur de joints pour se donner une chance de faire tomber son fournisseur – même si légalement la question se pose. D’ailleurs, c’est probablement cette démarche, conduite à l’extrême, qui a mené un grand flic comme Michel Neyret, a franchir la bande blanche.

Cela fait donc deux bonnes raisons pour que les policiers soient globalement contre la dépénalisation du cannabis. Cela leur enlèverait des moyens d’enquête. Comme ils souhaitent, d’ailleurs, que la simple consommation reste un délit. Alors que l’on pourrait se contenter d’une amende, une infraction au carnet à souches, comme l’a suggéré M. Rebsamen, avant de se faire reprendre par le patron. Mais dans ce cas, pas de garde à vue, pas de perquisition, pas de fichage… Mais en revanche du temps et des moyens dégagés pour s’attaquer aux trafiquants ou à d’autres formes de délinquance.

L’État et la Sécu ont budgété en 2012, 1.5 milliard d’euros pour lutter contre la drogue, mais personne n’a osé faire les vrais totaux : police, justice, prison, mesures de soins ou de surveillance médicale, etc. À quelle somme arriverait-on ? À mettre en balance avec les 22 et quelques millions d’euros récupérés par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) en 2011, sur la revente des cessions des biens confisqués lors des procédures pénales.

À une époque où l’on compte le moindre sou, tout cela est-il bien raisonnable ? Avec le résultat que l’on connaît : des jeunes de plus en plus accros et qui se marginalisent en se mettant hors la loi. La société française est tellement recroquevillée sur ce sujet qu’elle s’interdit même de prendre en considération le potentiel thérapeutique du cannabis, alors que les opiacés sont couramment utilisés pour lutter contre la douleur. D’où vient cet autisme qui nous incite à persévérer dans une voie qui de toute évidence mène à un cul-de-sac ?

Jean Cocteau disait qu’au lieu de l’interdire, il faudrait rendre l’opium inoffensif. Se faire du bien sans se faire mal (mais ce n’est pas dans notre culture). Le cannabis n’est sans doute pas inoffensif, loin s’en faut, mais c’est une drogue sans mystère. Et chacun a sa propre opinion. Et un ensemble d’opinions, ça fait un électorat. D’où cette polémique à la veille des élections, puis, dans quelques jours, le soufflé va retomber. Pourtant, M. Vaillant a  raison, cela mérite un vrai débat – objectif.  Car il n’y a pas de dogme dans ce domaine, et il est temps d’arrêter le gâchis.

Contrôles d’identité : Est-ce l’angélisme qui sonne ?

L’annonce du Premier ministre sur la délivrance d’un « reçu » lors d’un contrôle d’identité a fait ricaner dans les commissariats. Faut dire, qu’en dehors de toute sensibilité politique, on les attend un peu au tournant, les gens de gauche. On se demande quelle sera leur première boulette. Ici, on a un bel exemple d’une idée simple, généreuse, et en décalage sérieux par rapport aux réalités. Eh oui ! Le chemin est long du bureau au terrain. Mais, comme durant la campagne présidentielle M. Hollande a sans cesse parlé de concertation, on peut supposer que cette mesure ne sera pas prise de manière autocratique. Comme cela a souvent été le cas ces dernières années. Il n’y a pas le feu au lac. On prend l’avis des gens qui savent et surtout celui des gens qui font, et puis, pourquoi pas ! on commence par une expérimentation dans un secteur type, comme le suggère le délégué national d’un syndicat majoritaire.

Mais avant tout, il ne serait peut-être pas inutile de s’interroger sur le but des contrôles d’identité. On trouve en partie la réponse dans l’article 78-2 du code de procédure pénale. Un article un peu flou.

Quels sont les critères de base qui autorisent policiers et gendarmes à contrôler l’identité d’une personne ?

  • –      Elle est suspectée d’avoir commis une infraction ;
  • –      Elle est suspectée de se préparer à commettre un crime ou un délit ;
  • –      Elle est susceptible de fournir des renseignements utiles sur une enquête pour un crime ou un délit ;
  • –      Elle fait l’objet d’une recherche judiciaire ;
  • –      Cas particuliers (espace Schengen, trains…).

Mais l’identité d’une personne peut également être contrôlée pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens. On parle alors d’un « contrôle administratif ».

Un individu qui tournicote bizarrement autour de voitures en stationnement n’est pas suspect (légalement) de préparer un vol à la roulotte, mais en lui demandant ses papiers, le policier envisage cette possibilité. Il fait de la prévention. Et pour cela, il se fie à son instinct de flic.

Mais je suppose que dans l’esprit de nos nouveaux dirigeants, ce ne sont pas ces situations qui sont visées, mais les contrôles systématiques. Ils sont faits soit pour prévenir un trouble à l’ordre public (contrôle administratif) soit sur réquisition écrite du procureur de la République, en principe « aux fins de recherche et de poursuite d’infractions ». C’est de la PJ-scanner.

Depuis une loi de 2003, toutes les conditions énumérées ci-dessus sont laissées à l’appréciation du policier ou du gendarme. Il suffit qu’il existe « des raisons plausibles de soupçonner que ». Ce sont donc ces quelques mots qui encourageraient les contrôles au faciès (entre nous, c’était la même chose avant, sauf que ce n’était pas écrit). Il est aussi malhonnête de les nier que de les généraliser. Et en disant ça, on pense à la couleur de la peau. Mais il y a bien d’autres détails qui peuvent attirer l’attention du policier : le comportement, l’accoutrement, l’âge et surtout cette réaction instinctive qui trahit soit un sentiment de culpabilité soit, tout simplement, la crainte d’être contrôlé. C’est ce petit truc que guettent les douaniers lorsque les voyageurs ont récupéré leurs bagages, et qu’ils se dirigent vers la sortie de l’aérogare. Personnellement, je passe rarement la douane sans être fouillé. Lorsque je voyage en groupe, on organise des paris. Et je gagne souvent. C’est le délit de sale gueule.

Alors, le reçu est-il la solution ? Il va ralentir les contrôles, il va obliger à relever l’identité de la personne contrôlée et, comme le fonctionnaire va engager sa responsabilité, il se montrera plus pointilleux. En contrepartie une personne pourra exhiber son reçu si elle subit un deuxième contrôle. Mais comme elle aura déjà été interpellée et qu’il faudra bien comparer son identité avec celle figurant sur le reçu, on ne voit pas trop l’avantage… Mais je dois être de mauvaise foi.

Pour mémoire, toute personne doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité (78-1 du CPP). Seuls la carte nationale d’identité et le passeport électronique permettent de certifier de son identité. Mais comme ni l’un ni l’autre ne sont obligatoires, il est possible de présenter d’autres documents. Dans le doute (ce qui est rare) ou en l’absence de toute justification, un contrôle plus approfondi peut-être envisagé avec une rétention qui ne peut excéder 4 heures.

Lors du vote de la loi de 2003, dite Sarkozy II, haro de l’opposition ! Pour la gauche, ce texte allait favoriser les contrôles au faciès. Le Conseil constitutionnel a été saisi. Celui-ci a gentiment botté en touche, rappelant qu’il appartenait au législateur de faire la part des choses entre les libertés individuelles garanties par la Constitution et la nécessité de sauvegarder l’ordre public. Or, dans une quinzaine de jours, la gauche pourrait reprendre la main. En bonne logique, on peut donc penser que les parlementaires vont se pencher sur le code de procédure pénale pour lui donner un petit coup de jeune. Et qu’ils ne se limiteront pas à un modeste reçu… Peut-être un badge « J’ai été contrôlé ! »… Je plaisante.

Mais le problème est presque derrière nous : la technologie RFID ainsi que la reconnaissance faciale via les caméras de vidéosurveillance et le nouveau fichier TAJ (traitement d’antécédents judiciaires) qui remplace le STIC et le JUDEX (décret du 4 mai 2012) vont rendre quasi inutiles les contrôles physiques. Nous serons bientôt contrôlés sans même nous en apercevoir.

Elle est pas belle la vie de demain !

Le livre des armes dans la police

Même s’ils préfèrent ne pas en parler, les policiers entretiennent souvent une relation particulière avec leur arme. Pour Dominique Noël, commandant de police, la question ne se pose pas : c’est un passionné, un collectionneur, un technicien et… un fin tireur qui a gagné par deux fois le prestigieux challenge national de la PJ en équipe. Cet instructeur de tir vient de sortir un livre bourré de photos et d’illustrations qui nous retrace la petite histoire des armes dans la police.

On y découvre ainsi qu’à leur création, les brigades mobiles de Clemenceau, comptent une seule arme pour sept hommes, le fameux revolver d’ordonnance modèle 1892, qui avait la particularité de ne pas faire de fumée. Un revolver écolo, en quelque sorte. Il faudra attendre les exploits criminels de la bande à Bonnot, en 1911, pour que chaque « mobilard » soit doté d’une arme individuelle. Du moins sur le papier, car les finances ne suivent pas. Ainsi, en 1921, il est mentionné dans un rapport que « la situation budgétaire actuelle ne peut malheureusement permettre de couvrir les dépenses très élevées qu’entraînerait l’acquisition des revolvers et des cartouches nécessaires pour armer l’effectif total des brigades… » En fait, les crédits permettent tout au plus l’achat de 2 ou 3 revolvers par brigade. D’où cette idée de génie du ministre de l’Intérieur (qu’en ces temps de disette revenue, je permets de souffler à M. Valls), il propose aux policiers d’acheter leur arme et leurs munitions. Et beaucoup sont d’accord. Ainsi, sur les 22 policiers que compte la brigade de Montpellier, 14 se portent acquéreurs d’un revolver et de 600 cartouches. Ce manque de moyens n’a d’ailleurs pas empêché les brigades du Tigre d’avoir des succès retentissants. Et Paris n’est guère mieux loti.  En 1912, seulement 250 inspecteurs sont équipés de pistolets automatiques. Le fameux Browning 1900, de calibre 7,65, que le catalogue Manu décrit comme « élégant, d’une bonne prise en main avec un pointage naturel, son chien automatiquement réarmé à chaque coup lui valant des départs très doux… Il permet un tir très rapide et soutenu grâce à son alimentation par chargeurs… ». L’ancêtre des pistolets d’aujourd’hui. Une invention de l’américain John Moses Browning. Pourra-t-on  l’acquérir librement en application de la loi du 6 mars 2012 qui va faciliter la vie aux collectionneurs ? Deux conditions pour qu’une arme soit considérée comme une arme de collection : une fabrication avant 1900 et un calibre déclassé – ce qui n’est pas le cas du 7,65. Mais de toutes façons, sauf erreur de ma part, le décret d’application n’est pas paru.

Dans ce livre, Les armes de la police nationale de l’Ancien Régime à nos jours (Histoire et Collections), on découvre l’évolution de l’armement en fonction des problèmes de sécurité liés aux différentes périodes. Rien de nouveau. La plus grande partie de l’ouvrage est néanmoins consacrée aux armes modernes, létales ou non. Et, bien sûr, le fameux pistolet SIG SP 2022 (2022, c’est sa date de péremption, un peu comme les yaourts), y tient la vedette. Mais à la lecture, en s’approchant de notre époque, on voit que les choses s’accélèrent et qu’il existe aujourd’hui une véritable prospection dans ce domaine, comme une quête impossible : l’arme capable de sauver une vie sans en prendre une.

Dominique Noël est aujourd’hui réserviste. Il est directeur technique d’un club de tir privé et instructeur-chef du Centre de tir de Paris et de la police nationale, le stand Foch, comme on l’appelle, dirigé depuis très longtemps par Raymond Sasia. Lequel a préfacé son livre. Pour mémoire, cet ancien gorille du général de Gaulle a profondément modifié l’entraînement des policiers, notamment avec sa méthode (parfois controversée) du tir rapide. Des milliers de flics ont été marqués par la répétition à plus soif des séances de « sortie d’arme », la fameuse « prière », sur le pas de tir.

En tout cas, je partage son opinion : « Ce livre, outre l’aspect technique agrémenté d’une impressionnante iconographie, aborde l’histoire de la police à travers les siècles et apporte ainsi une richesse insoupçonnée qui devrait connaître un réel succès auprès des policiers, collectionneurs et historiens.  »

Je dois dire que ce qui m’a le plus étonné, lorsque j’ai rencontré Dominique Noël, ce n’est pas sa connaissance des armes ou des méthodes d’intervention, mais son émotion contenue lorsqu’il parle du Budukan de Deuil-la-Barre, dans le Val-d’Oise. Cela fait bientôt 30 ans qu’il y enseigne le jiu-jitsu, essentiellement à des ados, et leur comportement, lorsqu’ils montent sur le tatami, est bien loin des clichés habituels. « Un club hyper sympa, dit-il avec une petite flamme dans les yeux, où les pratiquants respectent les principes énoncés dans le code des arts martiaux (salut, respect, etc.). Un vrai bonheur ! »

Le jiu-jitsu comme arme non létale, ce n’est pas mal non plus.

Michel Neyret va-t-il sortir de prison ?

Demain mardi, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris doit se prononcer sur les requêtes en nullité déposées par les avocats du commissaire Neyret (et des autres policiers) dans l’affaire qui a saboulé la PJ de Lyon. Quelle sera sa réponse ? Une récente décision de la Cour de cassation donne peut-être une première indication.

Cela fait maintenant plus de sept mois que Michel Neyret est incarcéré. Ce qui le situe grosso modo dans la moyenne nationale des gens aujourd’hui emprisonnés sans avoir été jugés.

Pour mémoire, il est mis en examen pour une kyrielle de crimes et de délits. Comme souvent, les magistrats ont balayé large pour, à l’arrivée, probablement ne retenir que certaines infractions.

Parmi les points litigieux relevés par les avocats figure la transcription d’écoutes téléphoniques effectuées dans le cadre d’une information judiciaire pour des faits qui n’ont rien à voir avec ceux qui sont reprochés au policier lyonnais. Le point de départ du dossier.

Or, en mars dernier, la Cour de cassation s’est prononcée sur un cas qui présente pas mal de points communs. Une écoute téléphonique dans une affaire de stups laisse supposer qu’un avocat s’apprête à monnayer des informations à des suspects. Délit puni de 3 à 5 ans de prison (art. 434-7-2 du CP). Les policiers montent une planque et surprennent le contact. Ce qui renforce les doutes. Le procureur est alors avisé et décide d’ouvrir une information judiciaire. L’avocat de l’avocat invoque la nullité. Pour lui, la découverte du délit reproché à son client (violation du secret de l’instruction) était fortuite et n’avait rien à voir avec l’enquête d’origine sur des trafiquants de drogue. Donc, ni les policiers ni le juge ne pouvaient enquêter d’office. Mais il n’a pas été suivi par la chambre criminelle qui, dans sa décision du 27 mars 2012, a rejeté le pourvoi : « Les officiers de police judiciaire qui, à l’occasion de l’exécution d’une commission rogatoire, acquièrent la connaissance de faits nouveaux, peuvent, avant toute communication au juge d’instruction des procès-verbaux qui les constatent, effectuer d’urgence, en vertu des pouvoirs propres qu’ils tiennent de la loi, les vérifications sommaires qui s’imposent pour en apprécier la vraisemblance, pourvu qu’elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l’action publique. » Et il en est de même pour le juge d’instruction. En clair, ils peuvent prendre les mesures nécessaires pour confirmer ou infirmer les faits, sans toutefois utiliser des moyens attentatoires aux libertés individuelles. Pas question, par exemple, de placer une écoute judiciaire.

Mais la simple retranscription d’une écoute téléphonique – comme c’est le cas dans l’affaire Neyret – est-elle une mesure attentatoire aux libertés individuelles, comme le soutenait le conseil de l’avocat mis en cause ? Nenni a répondu la chambre criminelle. Il s’agit bien là d’un acte sommaire destiné à apprécier la vraisemblance du renseignement obtenu.

Et pas question d’ergoter sur la violation du secret professionnel : un avocat ne peut pas s’abriter derrière lorsqu’il commet une infraction.

Dans l’affaire Neyret, les faits sont similaires. Les policiers parisiens enquêtent sur un trafic de stups et surprennent des dialogues téléphoniques dans lesquels il apparaît que le commissaire lyonnais pourrait se livrer à des magouilles avec des truands. Ils retranscrivent ces conversations et en informent le juge d’instruction. Qui lui-même en informe le procureur. Comme ces conversations n’ont rien à voir avec l’enquête menée par le juge et les policiers, les avocats estiment que l’on ne peut retenir ces éléments qui sont antérieurs à l’ouverture de l’information judiciaire. Sauf que la décision de la cour de cassation va dans l’autre sens.

Mais le point le plus litigieux du dossier reste sans doute le problème de la compétence territoriale. Pour éviter les fuites, le procureur de Paris a décidé de ne pas transmettre l’information à son collègue de Lyon, comme il aurait dû le faire. Il a préféré ouvrir une information judiciaire sur Paris. Alors qu’en principe, pour déterminer qui est compétent, on retient le lieu de l’infraction, le domicile de l’une des personnes soupçonnées ou le lieu de l’arrestation. Si la plus haute juridiction pénale estime que la décision du procureur répond à une saine mesure d’administration judiciaire, elle n’est susceptible d’aucun recours. Et le pourvoi sera rejeté. Sinon, c’est l’intégralité de la procédure qui pourrait être annulée.

Quelle que soit la réponse de la Cour de cassation, il est probable que Michel Neyret sorte bientôt de prison. Quant aux autres policiers également mis en cause, ils ont tous réintégré la police judiciaire.

Médailles en chocolat dans la police

En principe, l’ordre national du Mérite, récompense des services rendus à la Nation. On peut donc se demander ce qui légitime la nomination dans cet Ordre de deux responsables syndicaux de la police réputés proches de l’ancienne majorité présidentielle. Juste avant le départ de Nicolas Sarkozy. Comme le soulignent d’autres syndicalistes, cela ne peut être que pour services rendus – mais pas à la Nation.

Alors même que durant la campagne électorale le président-candidat accusait les syndicats de s’être « fourvoyés en politique », Patrice Ribeiro, responsable de Synergie Officiers et Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint d’Alliance, étaient décorés par le pouvoir sortant.

Pas de faux semblants, on sait bien que l’attribution de ces distinctions honorifiques répond le plus souvent à des motivations politiques, ou vient parfois récompenser des gens qui ont exercé des responsabilités au service de la société. Oui mais, lorsque le récipiendaire est un syndicaliste, on touche là à un symbole. Et ça ne passe pas. Cette droite qui attribue son échec électoral en partie à la presse, dont Le Monde, devrait se repasser en boucle les déclarations de deux journalistes politiques, Françoise Fressoz et Marie-Êve Malouines qui, en 2009 ont refusé la Légion d’honneur. Sans doute une question… d’honneur, justement. Même si d’autres journalistes (la liste est longue) voient les choses différemment.

Mais, en dehors de ces syndicalistes, les médailles qui viennent d’être distribuées à Toulouse posent encore plus d’interrogations. Notamment en ce qui concerne deux fonctionnaires de la DCRI, pour le ruban rouge, et un commandant de police de l’antenne locale, pour le ruban bleu. Ces policiers étaient-ils, comme cela se murmure, les officiers traitants de Mohamed Merah, ceux qui n’ont rien vu venir ? Je ne sais pas. Et si je le savais, la loi m’interdirait d’en parler. En tout cas, ces récompenses attribuées à quelques-uns, pour une affaire qui est loin d’être une réussite, ne font que renforcer le mystère. Et les questions s’accumulent. Elles ont sans doute des réponses, toutes simples, mais on aimerait les connaître. Lorsque sept personnes sont assassinées, dont trois enfants, le secret-défense ne peut pas exister.

Aux quatre coins de France, ces dernières semaines, des dizaines de policiers ont reçu une décoration. Pour Cédric Pappatico, tué lors d’une intervention sur un cambriolage, près de Chambéry, c’était hélas à titre posthume. Pour d’autres, ils sont nombreux, on leur a épinglé au revers de la tenue la Médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement. Certains pour des faits déjà anciens, comme ce brigadier de Roubaix, distingué pour avoir sorti du feu une mère et sa fille en… 2009. Pour la plupart d’entre eux, ce n’est que du bronze, mais de cette médaille-là, ils peuvent être fiers – eux !

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