LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : La petite histoire de la PJ (Page 5 of 6)

Enquêtes criminelles depuis le début du XX° siècle, replacées dans leur contexte social, politique et… policier.

La PJ, de 1980

PARTIE 12 – En ce début des années 80, nombre de démocraties voient apparaître des mouvements prônant l’usage de la force et se revendiquant du marxisme. (Raymond Marcellin aurait-il eu raison ?) Près de nous, en Allemagne, c’est la Fraction armée rouge ; et en Italie, les Brigades rouges. En France, le 1er mai 1979, Action directe revendique le mitraillageaction-directe.1174741791.jpg du siège du patronat. Ce mouvement n’a pas fini de faire parler de lui… Cette année-là, le chanteur Daniel Balavoine dénonce les médias, « dont les propos n’intéressent plus personne », et attire l’attention sur la jeunesse, qui se désespère. Hélas ! Il chante à la lune.

Dans la nuit du 1er au 2 février 1980, Joseph Fontanet, ancien ministre de l’éducation nationale et de la santé, est grièvement blessé d’une balle de 11.43 dans la poitrine, devant son domicile du XVI° arrondissement, à Paris. Il meurt quelques heures plus tard. Assassinat jamais revendiqué. L’enquête sera classée sans suite. Le mois suivant, c’est un personnage bien différent qui va nous quitter.

René Juillet, dit le Petit prince, a été un peu le businessman de Gilbert Zemour. Puis, ils se sont fâchés. Pour l’heure, il est dans la panade. Non seulement Zemour le talonne, mais ses affaires sont en pleine déconfiture. Il finit par déposer plainte contre son ancien complice pour racket. Mais, il est sur les nerfs. Toujours armé. Un jour, il tire sur le journaliste Marc Francelet, qu’il soupçonne d’être de connivence avec son ennemi. En désespoir de cause, il collabore avec la police et il balance Gilbert Zemour, lequel se fait interpeller comme un bleu, au volant de sa voiture, alors qu’il revient de Bruxelles. Pour une peccadille : il lui reste treize jours à purger sur les dix mois de prison dont il a écopé. Le 27 mars 1980, neuf jours après que Zemour ait réglé sa dette à la société (sic), au petit matin, devant le restaurant de nuit Le miroir du temps, trois hommes guettent, dissimulés à l’intérieur d’une Mercedes. René Juillet sort pour prendre l’air. Il est en confiance. Ici, c’est son QG. La voiture s’approche lentement. Il aperçoit trop tard le canon du fusil. Sa tête explose sous les chevrotines. Les clients sortent. Claude Brasseur, un habitué, doit penser que c’est mieux au cinéma. Bien sûr, les enquêteurs de la criminelle trouvent étrange la contiguïté de ce meurtre et la sortie de prison de Zemour. Mais, petit Gilbert a un alibi béton. D’ailleurs, malgré les apparences, il n’est pas certain qu’il soit l’auteur de ce règlement de comptes. On peut penser que le Petit prince a été mordu par un autre serpent. En l’occurrence, le gang de la banlieandre-gau_photo-surveillance_archives-perso.1174733300.jpgue sud, dirigé par Marcel Bennacer, alias Nénesse, et André Gau, celui que Jacques Imbert, alias Jacky le Mat, avait surnommé Dédé gode, après l’avoir « descendu à la cave » pour lui donner une correction. Il se vantait, en effet, d’avoir forcé son intimité avec une bouteille de Perrier… Ce qui le faisait beaucoup rire. D’où ce surnom. Depuis peu, Bennacer et Gau se sont lancés dans la reprise d’établissements de nuit. Au moment des faits, ils sont d’ailleurs en train de négocier le rachat du restaurant Le bœuf sur le toit, dans le VIII°. On ne connaîtra jamais la vérité, car Bennacer est abattu huit mois plus tard, dans les sous-sols d’un café, avenue Trudaine, à Paris. Une nouvelle fois, André Gau, s’en sort bien. Il va bénéficier d’un (long) délai de grâce.

Ce même mois, Marguerite Yourcenar bouscule les traditions. C’est la première femme à être élue à l’Académie française. Et Maître Agnelet, lui, est radié du barreau de Nice. Il est inculpé d’homicide volontaire sur la personne d’Agnès Leroux, la fille de la patronne du casino Le palais de la Méditerranée, que l’on suppose morte, mais dont on n’a jamais retrouvé le corps. Jean-Dominique Fratoni, le propriétaire du casino Ruhl, à Nice, et du casino de Menton, via la SA Socret, dont le capital est détenu pour moitié par de mystérieux italiens, est soupçonné de complicité. Mais, en l’absence de la moindre preuve, le dossier est transmis à la section financière de la PJ. Poursuivi pour fraude fiscale, il quitte la France précipitamment.

Jean-Paul Sartre se meurt et Albin Chalandon, le nouveau président d’Elf-Erap, signe un second contrat avec une petite société implantée au Panama, la Fisalma, dans laquelle on trouve la présence de la banque suisse UBS, quelques personnages interlopes, et un avocat, Jean Violet, ancien correspondant du SDECE, l’ancêtre de la DGSE. Ce nouveau contrat porte l’ardoise à un milliard de francs. Ces sommes astronomiques sont destinées à mettre au point et à fabriquer un appareil susceptible de détecter les nappes de pétrole, en effectuant un simple survol du terrain. Donc, plus de forage. C’est de l’alchimie. Mais le projet fait rêver, et, surtout, il y a la caution morale d’Antoine Pinay. Elf est une entreprise nationalisée, cet accord ne peut donc se faire qu’avec la bénédiction des plus hautes autorités, en l’occurrence, Giscard d’Estaing, Raymond Barre, et son prédécesseur à Matignon, Jacques Chirac. Trop beau pour être vrai, se dit un chercheur, le professeur Jules Horowitz. Il n’a aucun mal à démontrer la supercherie. Les «inventeurs» acceptent de se livrer à une démonstration. Cela consiste à repérer une règle placée derrière un mur. Subrepticement, Hirowitz tord la règle. On démarre l’expérience, et la règle apparaît sur les appareils de contrôle – bien droite. L’image n’est qu’une photographie. Tout était truqué depuis le début. Trois ans plus tard, Le Canard Enchaîné sortira l’affaire en titrant sur « les avions renifleurs ». La commission d’enquête parlementaire, constituée pour calmer l’opinion publique, va pondre un rapport de 650 pages. François Mitterrand interviendra personnellement pour que son prédécesseur ne soit pas entendu. Jean Cosson, chef de la section financière du parquet de Paris, en ces années-là, estime qu’il s’agit d’une fausse escroquerie. Une escroquerie à l’escroquerie, en quelques sortes… Il s’en explique dans un livre (que je n’ai pas lu) Les industriels de la fraude fiscale.

Les mauvaises langues disent que ce pécule aurait atterri dans la caisse noire d’un parti politique… Cette manie de persécuter les grands de ce monde! Heureusement, le 8 mai 1980, l’OMS estime que la variole est éradiquée sur toute la planète. La variole, seulement.

casino-namur.1174733148.jpgPendant ce temps, Gilbert Zemour se frotte les mains. Il vient de réaliser le fruit de plusieurs années d’efforts. Grâce de nombreux pots-de-vin auprès des autorités locales, il a réussi à mettre sur pied un magnifique casino à Namur, en Belgique, au bord de la Meuse. Bien sûr, l’homme n’apparaît pas au grand jour. Officiellement, cet établissement est la propriété du groupe Gonzalès, détenu par un financier du jeu, Joseph Kaïda, et un contrôleur général de la police nationale, récemment retraité, Michel-Joseph Gonzalès. Ce dernier s’y connaît, puisqu’il a longtemps officié aux « courses et jeux », au ministère de l’intérieur. Mais ce soir de novembre 1980, rien ne va plus. Ce ne sont pas les joueurs qui flambent, mais le casino. Malgré la présence d’une cinquantaine de pompiers et de nombreux bénévoles, il est détruit aux deux tiers. La police belge établit qu’il s’agit d’un incendie criminel, et l’enquête s’arrête là. N’a pas la baraka, P’tit Gilbert.

Le 3 octobre, un attentat à l’explosif fait quatre morts et une vingtaine de blessés devant la synagogue de la rue Copernic, à Paris. L’attentat, non revendiqué, sera attribué au Front populaire pour la libération de la Palestine.

En décembre, John Lennon nous quitte. Le cofondateur des Beatles est âgé de 40 ans. Et, à quelques mois des élections présidentielles, on apprend que last-jean-cap-ferrat.1174733424.jpg France compte un million cinq cent mille chômeurs. Ce qui aujourd’hui nous fait rêver… Quand à Raymond Barre, notre premier ministre, il prépare sa retraite. Il finit d’aménager sa résidence secondaire, une bien modeste demeure, allez ! au bord de la Méditerranée, à Saint-Jean-Cap-Ferrat.

La mort d’un ami – Grâce à un tuyau d’une informatrice aux yeux bleus, on collait aux baskets d’un trio d’anciens militaires que l’on soupçonnait des pires intentions. Ce jour-là, une écoute téléphonique nous confirme qu’ils préparent un coup. Pour le lendemain. On se met en planque. La BRI de Nice est à présent parfaitement rodée, et les hommes se positionnent d’instinct. Vraiment une bonne équipe ! L’inspecteur Charles Marteau connaît l’un des protagonistes, un certain Richard Ughetto. Il l’a déjà arrêté. C’est donc lui qui se poste dans le « sous-marin ». Faut dire qu’il est un peu remonté, car, à sa sortie du cabinet du juge d’instruction, libre comme l’air, ce jour-là, Ughetto lui avait fait un bras d’honneur. Donc, Charly en veut. Dans son talkie-walkie, il nous décrit la scène : « Il fouille dans sa sacoche. Il sort un truc… C’est un fusil à pompe. Il a un calibre, aussi… ». En tout, ils sont trois. Ils partent avec deux voitures. On prend la RN 202, puis au bout d’un moment, nos lascars bifurquent et empruntent une petite route qui longe la Vésubie. Il fait nuit noire. 

Quel coup peuvent-ils préparer ? Un saucissonnage ? Un enlèvement ? Un braquage ? Dans ce coin désert de l’arrière-pays niçois, sûrement pas. On se perd en conjectures, tandis que notre convoi de voitures banalisées, tout feux éteints, file sur une petite route déserte, bordée par le ravin du torrent. Puis, ils s’arrêtent, et s’engouffrent tous trois dans la plus grosse des voitures, une Audi. Laissant sur place la Simca. Et nous laissant sur place aussi. On les a perdus. Je décide de planquer sur ce qui semble bien être la voiture relais. Puisqu’on est dans l’impossibilité de les faire en flag, on va les serrer au retour. Les heures passent. L’un de mes hommes suggère de mettre la Simca en panne. Après réflexion, je me dis qu’en leur interdisant de s’enfuir, on se donne une chance de plus. Et j’acquiesce. Mais rien ne se passe comme prévu. L’Audi revient et s’arrête à les-autorites-rendent-hommage-a-charles-marteau.1174738740.jpgdistance. Deux hommes en descendent et la voiture fait demi-tour, et repart. Les deux zigotos se dirigent vers la Simca – mais ils ne pourront pas démarrer, puisque qu’on a retiré les fils des bougies. « Intervention ! » En un éclair, nos clients sont emballés. Mais il nous manque le chef, Richard Ughetto. Il n’a pas pu nous repérer. Donc, il ne se doute de rien. Et la seule route, pour revenir à Nice, passe par ce petit pont, qui surplombe la Vésubie. De nouveau, il faut attendre. C’est fou ce qu’on peut attendre, dans ce métier. Mon plan est simple. Lorsqu’il va s’engager sur le pont, je vais avancer ma voiture, et comme il n’y a pas la place pour deux véhicules, il sera bien obligé de s’arrêter. Et les autres véhicules vont l’encadrer. Ça c’est passé comme ça, exactement. En quelques secondes, la voiture, pilotée par Ughetto, est bloquée de tous les côtés. Il lui est impossible d’en sortir. À part qu’immédiatement, il ouvre le feu. Pas de sommations, chez les voyous. Il tire à travers son pare-brise. C’est du gros calibre. Je vois les flammes sortir du canon. On riposte, bien sûr, mais, avec plus de discernement, car nous avons le risque de tirs croisés. On a su, après, qu’il portait un gilet pare-balles. Ce qui n’était pas notre cas. Il n’y avait pas le budget pour ça. Puis, une fois son arme vide, il se glisse par la vitre et il disparaît. Je fulmine. Marcel, le vétéran de la brigade, a été touché. Heureusement, la balle de 11.43 s’est plantée dans le cuir de son holster, ce qui a freiné sa course. La blessure ne sera pas trop grave. Il nous a fallu un bon moment pour nous apercevoir de la disparition de Charly. Dans la nuit sans lune, on s’est mis à le chercher. Charly ! Charly ! La Vésubie nous a rendu son corps au bout de quatre jours. Charles Marteau avait trente ans.

Le ministre de l’intérieur s’est déplacé pour les obsèques. Devant le cercueil, un petit garçon de dix ans, le regard voilé, mais les yeux secs, n’avait pas encore compris qu’il ne reverrait plus son papa.

Je me souviens de la réflexion de Julien, mon petit-fils, à la mort de sa grand-mère. Il a regardé ses parents en pleurs, et il a murmuré : « J’ai envie de pleurer, mais je ne sais pas. » – On a tôt fait d’apprendre.

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La PJ, sous Giscard (3)

PARTIE 11 – A la fin des années 1970, la décrépitude du clan Zemour est en marche. Le guet-apens du café Le Thélème y est sans doute pour beaucoup. Un an plus tard, le 13 septembre 1976, la mort du chef des Siciliens, Jean-Claude Vella, abattu à Paris, puis celle de Marcel Gauthier, revolvérisé à Nice, suffiront, semble-t-il, pour effacer l’ardoise. L’honneur est sauf, se disent les Zemour. Edgard s’installe en Floride et Gilbert s’embourgeoise dans les beaux quartiers parisiens. Pour eux, le châtiment interviendra plus tard. Les règlements de comptes entre truands ne sont pas terminés pour autant. Maintenant, c’est Gaétan Zampa et Francis Vanverberghe (Le Belge) qui font tonner la poudre. Dans les années 77 et 78, c’est une petite dizaine de voyous qui passent ainsi l’arme à gauche, tous dans le sud de la France. Cette hécatombe, c’est la goutte d’eau. Après l’affaire du Palais de la Méditerranée, le casse de la Société Générale et quelques autres tripatouillages politico-mafieux, en 1978, en pleine période estivale, Nice va s’enrichir d’une brigade antigang.

patrick-henry.1174227066.jpgPendant ce temps, Patrick Henry est jugé pour le meurtre du petit Philippe Bertrand. La plaiderie de Robert Badinter et la mazarinade qui entoure l’exécution de Christian Ranucci, deux ans et demi plus tôt, vont lui éviter la guillotine. En janvier 1979, il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il sera libéré vingt-deux ans plus tard. Il n’y aura d’ailleurs plus une seule exécution en France. Hamida Djandoubi, condamné pour tortures, viol et assassinat, est donc le dernier criminel à avoir été condamné à mort. Il a été guillotiné le 10 septembre 1977, à la prison des Baumettes, à Marseilles.

Le 19 mai 1978, les paras de la légion sautent sur Kolwezi, au Zaïre, afin de libérer des otages occidentaux détenus par des rebelles. Ce fait d’armes va sceller le destin d’un truand hors du commun, Bruno Sulak. Ce jeune homme, qui a sans doute choisi la légion pour ne pas tomber dans la délinquance, ne participe pas à cette opération militaire. Blessé dans son orgueil, il décide de ne pas rejoindre son régiment. Considéré comme déserteur, il va entamer une farandole de vols à main armée, dont certains seront mis en scène avec une certaine habilité, parfois teintée d’humour. Nous en reparlerons. Quelques mois plus tard, un terroriste palestinien prend plusieurs otages, à l’ambassade d’Irak, à Paris. La brigade criminelle, la BRI, et, très bizarrement, une toute jeune unité de la gendarmerie, le GIGN, se retrouvent sur place. Après de longues heures de négociation, le forcené accepte de se rendre. Broussard va le récupérer à l’intérieur de l’immeuble. Il le mène à une voiture où se trouve Ottavioli, le patron de la brigade criminelle. C’est alors que, depuis les étages de l’ambassade, une fusillade éclate. Les policiers ripostent. Tout ça sous l’objectif des caméras de télévision. Aux infos télévisées, on découvrira Broussard en train de se défiler, tandis que Pierre Ottavioli, figé sous les balles, reste droit comme le général de Gaulle, dans sa DS, lors de l’attentat du Petit-Clamart. Certains, par la suite, vont railler Broussard. Il s’en vexera. C’est pourtant lui qui avait raison. Lorsqu’il pleut du plomb, il vaut mieux se mettre à l’abri. C’est l’abc. Mais, hélas, dans cet échange de coups de feu, un policier a été tué, l’inspecteur Jacques Capella, et plusieurs autres ont été blessés. Les tireurs, tous protégés par l’immunité diplomatique, sortent « libres » des locaux de la brigade criminelle. Ils sont attendus, devant le 36, par une double haie de policiers en colère. Et l’on assiste à cette scène invraisemblable, où des tueurs sont protégés de la colère des flics par des gendarmes… Des gendarmes sur le ressort de la préfecture de police, lesquels participent à une opération de PJ, puis protègent des assassins de la vindicte des policiers, cela fait… deux premières, si je puis me permettre. Il faudra du temps pour dissiper le malaise né de ce déni de justice.

Cette même année, Giscard d’Estaing fait voter la loi informatique et libertés, qui vise à lutter contre l’utilisation abusive des fichiers informatiques.

Le 28 mars 1979, un arrêté modifie la direction centrale de la police judiciaire, et créé la sous-direction de la police criminelle et scientifique. Cette nouvelle structure chapeaute les laboratoires de police scientifique de Paris, Lille, Lyon, Marseille et Toulouse, ainsi que les services d’identification judiciaire et la documentation criminelle. Le mois suivant,corps-de-robert-boulin_les-secrets-de-notre-monde.1174233710.jpg un 19° SRPJ voir le jour, celui des Antilles et de la Guyane. En juin, Simone Veil devient le premier président du Parlement européen, dorénavant élu aux suffrages universels. Ce qui apporte de l’eau au moulin de Jacques Chirac, qui, six mois plus tôt, a lancé l’appel de Cochin. Lors de cette déclaration, il a qualifié l’UDF et les giscardiens de « partis de l’étranger », pour leurs prises de positions proeuropéennes. Le 30 octobre 1979, c’est un ancien résistant, opposé à Jacques Chirac, qui est retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet, dans les Yvelines. Il s’agit du ministre du travail, Robert Boulin, dont le nom circule alors pour remplacer Raymond Barre, à la tête du gouvernement. Le commissaire Alain Tourre, du SRPJ de Versailles, prend la direction de l’enquête. On a dit tout et son contraire sur la mort de Boulin, jusqu’à suspecter la véracité de l’enquête judiciaire. A posteriori, on se doute bien qu’un policier qui se serait laissé séduire par le chant des sirènes de la politique, au point de torpiller une enquête criminelle, se serait retrouvé ou préfet, ou en prison. Or, Tourre a fait une carrière normale – et bien en-deçà de son mérite. Il a fini contrôleur général. Et, il a conclu à un suicide. La cour de cassation confirmera d’ailleurs ce résultat, douze ans plus tard, après que la famille du ministre ait épuisé toutes les voies judiciaires pour démolir cette procédure. Le suicide est culpabilisant, pour ceux qui restent. Robert Boulin passait pour un homme intègre, ce qui est rare en politique, il n’a sans doute pas supporté que Le Canard Enchaîné publie une lettre anonyme qui l’accusait d’avoir acquis, dans des conditions douteuses, un terrain à Ramatuelle. Qui est l’auteur de cette lettre anonyme ? Pourquoi a-t-elle été publiée sous cette forme ? Qui aurait pu profiter des circonstances pour laisser planer le doute sur la véracité de son suicide ? Et pourquoi ? C’était une autre enquête. Qui n’a pas eu lieu. Le journal satirique croule d’ailleurs sous les tuyaux, puisque dans le même temps, il sort une information qui va couler Giscard d’Estaing aux élections suivantes : l’affaire des diamants. En 1973, un mois après que Jean-Bedel Bokassa soit débarqué de son trône d’empereur (sic) de Centre Afrique, il aurait offert à Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des finances, une plaquette de bijoux d’une valeur d’un million de francs. Giscard s’embarbouille dans ses explications. Il n’arrive pas à se justifier. Il ne s’en relèvera pas, avec le résultat que l’on connaît, en 1981.

Le 2 novembre 1979, Jacques Mesrine est abattu au volant de sa voiture, porte de Clignancourt, à Paris.

La création de la BRI de Nice – Nous étions une trentaine, assis en rond, par terre, dans une salle vide de tout mobilier. C’est ainsi que s’est tenue la première réunion de la un-groupe-de-la-bri-de-nice.1174235638.jpgbrigade antigang de Nice. Alors que nous discutions, j’observais ces hommes (et cette femme), qui allaient constituer cette brigade de choc. Ils venaient des quatre coins de France. Et, à l’exception de Marcel, un « vieux » de 47 ans, tout de suite surnommé Pépé, ils avaient tous entre 25 et 35 ans. Nous avions à notre disposition une caserne entière, désaffectée, dans le quartier Saint-Roch – et pas un bureau, pas une chaise. J’étais un peu découragé. Tout était à faire. Heureusement, mon adjoint, le commissaire Pierre Guiziou, se montra d’une efficacité certaine. C’était un homme de contact, qui avait le don pour se faire ouvrir les portes – alors que moi, je préférais les claquer. Nous étions complémentaires. L’une de nos premières grosses affaires nous mena à Paris. Une filature de mille kilomètres. Je crois que nous avons été les seuls flics capables d’effectuer ce genre d’exercice, à notre initiative, sans en référer à qui que ce soit. Les lascars que nous surveillions préparaient un coup, mais nous ne savions pas quoi. L’un d’eux, surnommé l’ingénieur, était un spécialiste des systèmes d’alarme. Une nuit, il avait réussi à pénétrer dans une agence bancaire, et il s’était endormi. Au petit matin, les employés l’avaient réveillé. Il avait simplement voulu démontrer l’inefficacité des protections de la banque. Six mois de prison. Il y a des gens qui n’ont pas le sens de l’humour. En fait, nos truands voulaient répliquer le casse du siècle. Et la filoche nous amena justement devant ladite banque, laquerry-rue-de-sevres.1174233256.jpg Société Générale de la rue de Sèvres, à Paris, là où notre ingénieur avait passé la nuit. En partant des caves d’un immeuble voisin, transformés pour les apparences en employés EDF, ils avaient imaginé percer un tunnel pour rejoindre les égouts et déboucher derrière le mur de la chambre forte de la banque. Lorsqu’on comprend enfin le scénario, on se congratule. C’est une superbe affaire, menée de A à Z par trente flics qui en veulent. L’ambiance se rafraîchit lorsque j’annonce qu’il va être temps de référer de notre aventure. Lucien Aimé-Blanc, le chef de l’OCRB, me reçoit gentiment, avant de me dire que tout son service est mobilisé sur le cas Mesrine. « Je te donne un gars, si tu veux, en observateur ! » me propose-t-il. Je décline l’offre. Et je passe de la rue du Faubourg-Saint-Honoré au quai des Orfèvres. Broussard me reçoit gentiment. Il me dit que tout son service est mobilisé sur le cas Mesrine. « Tu as combien d’hommes sur le terrain ? me demande-t-il. – Douze ! – J’en mets douze de plus. » Et les 24 poulets de la grande BRI de Paris, et de la toute jeune (et petite) BRI de Nice, se mettent à planquer de conserve. Jusqu’au jour où l’on s’aperçoit que nos voleurs ont sans doute vu trop grand. La lance thermique, qu’ils ont prévue pour transpercer le mur de la chambre forte, nécessite un recul de plusieurs mètres, pour ne pas fondre avec le béton. Ils risquent de ne pas avoir l’espace suffisant. On se dit qu’ils vont abandonner. Tout ce travail pour rien ! Alors, avec Broussardbroussard-et-moi.1174233155.jpg, et son adjoint, le commissaire René-Georges Querry, on décide d’intervenir, avant qu’ils ne plient les gaulles. Délit impossible, argueront plus tard les avocats. C’était un peu vrai. Ils écopèrent de peines gentillettes.

C’était la première fois que je descendais dans les égouts parisiens.

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La PJ, sous Giscard (2)

PARTIE 10 – Dans les années 70, le fonctionnaire chargé de tenir à jour le fichier du grand banditisme n’en finit pas de rayer des noms. Les morts violentes se succèdent, avec un pic important en 1973, l’année des records, une hécatombe chez les voyous, avec aussi, hélas ! quelques dégâts collatéraux. La PJ compte les coups. C’est pourtant une action de police qui va freiner l’ardeur des belligérants, même si ce ne fut pas de la manière escomptée.

Ce 28 février 1975, les hommes de la BRI n’ont pas le moral. Ils viennent de « foirer » une affaire. Un braquage qui a mal tourné. Bilan : le caissier de la banque a été tué, et les deux malfaiteurs, bloqués à l’intérieur, renversent la situation à leur avantage. Ils ont des otages. Ils exigent une rançon, un avion, etc. Ils repartent avec un million de francs, mais sans l’avion – ce qui n’est déjà pas si mal. C’est dans cet état d’esprit que le commissaire Marcel Leclerc reçoit un coup de fil de son collègue, Marcel Morin, fossoyeur de la French-connection à Marseille, et à présent patron de la 1e brigade territoriale. L’un de ses hommes, l’inspecteur Antona, a obtenu un tuyau : le clan des Zemour et la bande à Vella, autrement dit le clan des Siciliens, désirent discuter d’un armistice. Ils doivent se rencontrer dans le café, J’ai du bon tabac, boulevard de Saint-germain, à Paris. Dispositif en place, deux « clients » sont repérés dans le bar situé en face, Le Thélème. Leclerc et Broussard se concertent. Ils décident de se partager les objectifs. C’est Broussard qui récupère Le Thélème. L’inspecteur divisionnaire Chaix, accompagné de deux collègues, pénètre dans l’établissement par la porte principale, tandis qu’une autre équipe se présente à l’autre porte. « Police ! Que personne ne bouge ! … » crie Chaix. Instantanément, Joseph Elbaz ouvre le feu. Chaix, encaisse la balle dans l’épaule gauche, au-dessus du cœur. Il dégaine et riposte. Dans le bistroquet, les armes aboient. Puis c’est la mêlée générale, l’empoignade au corps-à-corps. Lorsque la fumée se dissipe, on monte au résultat. Du côté de la brigade antigang, les inspecteurs Chaix et Guitard, sont blessés. Chez les truands, c’est pire. Elbaz est mort sur le coup. Le chef de bande, William Zemour ne vaut guère mieux. Son frère Edgar a ramassé sept balles. Il s’en sortira – pour cette fois. Edmond Zemour, lui, est touché au genou gauche. Seul Roland Attali est indemne. Il n’en revient pas. Quant à l’autre bande, celle de Vella, Leclerc apprend par l’OCRB que toute l’équipe est réunie à des kilomètres de là, dans un pavillon de Paray-Vieille-Poste, dans l’Essonne. Les policiers les trouveront en train de sabler le champagne. On se demande ce qu’ils pouvaient arroser ? On comprend un peu tard que l’antigang s’est fait manipuler pour éliminer le clan Zemour. Ce n’était pas un bon jour pour la BRI, car un client, présent sur les lieux, qui s’est ramassé au passage, il faut le dire, une petite correction, est un avocat marocain, du nom de Benachenchou. Dénué du moindre fair-play, le ci-devant dépose plainte pour tentative de meurtre. La gauche monte au créneau contre les cow-boys de l’antigang, la police raciste, etc. Tandis que les syndicats déplorent le manque de formation, de moyens, etc. La routine. Tandis que nos poulagas sont poursuivis pour tentative de meurtre, les truands chevronnés de la bande à Zemour, du moins les rescapés, se voient reprochés des violences à agents de la force publique. Les arcanes de la justice… ! Poniatowski, empêtré dans les remugles de l’affaire des micros du Canard Enchaîné, a dumal à faire front. D’ailleurs, Benachenchou est intraitable. Il refuse ses excuses. Néanmoins, des années plus tard, en catimini, il acceptera un substantiel dédommagement pour retirer sa plainte.

Cette année-là, Franco est mort, et, à l’insu de tous, quelques personnages douteux posent les premiers jalons de la plus grande escroquerie que la France ait connu. Pourspaggiari-photo-affaires-criminelles.1173691884.jpg la société Elf Aquitaine, il s’agit du projet « Aix ». Pour la presse, cela va devenir « l’affaire des avions renifleurs ».

En juillet 1976, en un seul week-end, les coffres de la société générale, en plein centre de Nice, sont vidés de toutes leurs richesses. Pour commettre ce vol, que les journaux baptisent « le casse du siècle », les malfaiteurs ont réalisé un travail titanesque. À l’aide d’un véhicule tout-terrain, ils sont passés par le lit du Paillon, un torrent souterrain (à sec à cette époque) qui traverse la ville, et ils ont rejoint les égouts pour finalement déboucher derrière la salle des coffres de la banque. Une préparation qui a dû s’étaler sur des semaines. Avant de repartir, avec un butin estimé par la suite à quarante-cinq millions de francs, ils laissent, comme un pied de nez, l’inscription : « Ni armes, ni violence, et sans haine ». C’est grâce à un banal contrôle d’identité, effectué un mois plus tôt, sur deux petits malfrats marseillais qui trimballent du matériel et des outils de terrassement (ce qui est rare pour des voyous, généralement peu enclins aux travaux manuels), que les policiers vont remonter la piste. Elle les conduira à une équipe de Marseillais. On murmure que Gaétan Zampa… Mais on ne prête qu’aux riches. C’est alors qu’un informateur anonyme « souffle » aux oreilles des policiers le nom d’Albert Spaggiari. Fabulateur et mégalomane, submergé par une gloire médiatique qui lui monte à la tête, celui-ci revendique l’entière paternité de ce casse rocambolesque. Certains restent dubitatifs. C’est le cas du journaliste Roger-Louis Bianchini, dans son livre 13 mystères de la Côte, aux éditions Fayard. Dix jours après ce vol spectaculaire, qui ridiculise nos institutions, un peu comme l’aurait fait Arsène Lupin, Giscard d’Estaing se croit sans doute obligé de faire preuve de fermeté. Il refuse la grâce de Christian Ranucci. Celui-ci est guillotiné le 28 juillet 1976.

ranucci-photo-scene-de-crime.1173692049.jpgEn mars 1977, Michel Poniatowski, durement secoué par les révélations qui ont suivi le meurtre de Jean de Broglie, quitte le ministère de l’intérieur. Sa carrière politique virera nettement à droite. Il est remplacé par Christian Bonnet, homme discret, sans couronne, dont le principal mérite aura été d’épingler une médaille sur mon veston. Pendant ce temps, Mitterrand demande un référendum sur la force de dissuasion, et, à Téhéran, après les émeutes sanglantes du 8 septembre 1978, la révolution est en marche. Quelques mois plus tard, le Shah boucle ses valises dans l’urgence et abandonne son pays. L’année suivante, commence la guerre Iran-Irak. Le prix du pétrole s’envole (100 dollars actuels) et la politique sociale de Giscard d’Estaing est reportée à la saint-glinglin.

À Nice, il se passe toujours quelque chose. Cette fois, c’est Agnès Leroux, la fille de la patronne du casino Le palais de la Méditerranée, qui disparaît. C’est le début d’une saga à la Dallas, dont le dernier épisode n’est pas encore tourné.

1978, est l’année des trois papes. À la mort de Paul VI, en un temps record, le conclave désigne comme successeur le cardinal Luciani. Celui-ci prend le nom de Jean-Paul 1er. Son pontificat dure 33 jours. Le 29 septembre 1978, Jean-Paul 1er se meurt – en bonne santé. Beaucoup s’étonnent que le saint homme soit décédé si soudainement. D’autres s’interrogent. Aurait-il découvert des choses qu’il ne voulait pas cautionner ? On pense à la curie, on murmure le nom de sectes mystérieuses, la loge P2, l’Opus Dei… Douze heures après son décès, le corps est embaumé. Pas d’autopsie, pas d’enquête. C’est le cardinal Wotjyla qui va lui succéder.ma-mere.1173692216.jpg

Ma mère est morte, aussi, cette année-là.

L’enlèvement de la fille du roi de l’étain – Lorsque nous avons débarqué de l’avion, à l’aéroport de Genève, l’inspecteur divisionnaire Hubert Fadda et moi, un policier suisse nous attendait. Nous étions porteurs d’une commission rogatoire internationale pour le meurtre d’un certain Rumi Giovanni. On avait retrouvé son corps, criblé de balles, sur les bords de l’autoroute, près d’Auxerre. Ça sentait le règlement de comptes à plein nez, aussi, j’avais réussi à conserver l’affaire au sein du GRB, au grand dam de mon ami, Alain Tourre, chef du groupe criminel du SRPJ de Versailles. Fadda est un flic hors du commun. Il marche à l’instinct. D’ailleurs, au poker, lors des nuits de permanence, c’est souvent lui qui part avec la cagnotte. En dehors du fait qu’il était mort d’une overdose de plomb, ce Giovanni présentait deux particularités. D’abord, il était probablement un élément dormant de la mafia italienne. Et ensuite, on avait trouvé, en perquisitionnant sa chambre, une mallette pleine de billets de cent dollars. Le genre de plan qu’on voit dans les films – et qui fait totalement bidon. L’enquête avait permis de déterminer que notre client avait résidé à Lausanne. « Vous savez, Lausanne, c’est un autre canton… », nous dit le policier genevois, avec son accent nonchalant. Ils ne sont pas chauds, les poulets suisses, pour nous servir de cicérones. Fadda n’y prête pas attention. Il explique l’affaire, et il sort la liste des billets de cent dollars. D’un seul coup, ils se réveillent à la sûreté de Genève. Quelques semaines auparavant, Graziella, la fille du plus gros industriel de la région a été enlevée. Les ravisseurs exigent une importante rançon qui doit être remise par George Ortiz, le père de la fillette. Celui-ci doit prendre l’autoroute et s’arrêter cinq minutes sur chacune des aires de stationnement, pour attendre de nouvelles instructions. Le jeu de piste traditionnel, dans ce genre d’entreprise. Tous les flics du coin sont mobilisés. Ortiz s’arrête sur le premier parking. Là, un homme lui demande de jeter la rançon par-dessus le grillage qui sépare l’autoroute d’une voie de dégagement. L’homme récupère l’argent et démarre tranquillement. Les collègues suisses n’ont rien vu. Alors, évidemment, ils sont à cran. Et les numéros sur la liste qu’on vient de leur remettre correspondent aux billets de la rançon. Ce qu’on savait déjà. C’est pas parce qu’on fait le même métier qu’on est obligés de tout se dire… On a aussi une liste de suspects. Moi, pragmatique, je propose qu’on ramasse tout le monde. Mais les Suisses hésitent. Trop. Le lendemain, il y a une fuite dans la presse. Les opérations démarrent en catastrophe. Je n’y prends pas part. Après une petite altercation avec mes collègues, à deux doigts de l’incident diplomatique, j’ai préféré claquer la porte. J’ai toujours adoré claquer les portes. Mon histoire s’arrête donc là. Le côté positif de cette enquête, c’est que la gamine a été retrouvée saine et sauve. Quant à suisse-france-match-nul.1173692838.jpgl’argent… Des années plus tard, cité pour témoigner au procès des kidnappeurs, j’ai retrouvé Fadda et son équipe dans le train pour Genève. Les passagers du TGV on dû se demander quels étaient ces énergumènes, mal fagotés et bruyants, qui tapaient le carton dans un wagon de 1ère classe. Cette bourrique m’a encore plumé au poker.

Ah oui ! Avant de quitter Lausanne, j’ai croisé deux yeux noirs. Les yeux noirs m’ont souvent joué des tours. Ceux-là avaient 25 ans et s’appelaient RoseMarie. Quelques mois plus tard, on grimpait la Cordillère des Andes, la mano dans la mano, à la recherche de la ville sacrée des Incas, le Machu picchu. Rien de tel pour se laver la tête.

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La PJ, sous Giscard

Partie 9 – Le massacre qui a suivi la prise d’otages de la délégation israélienne, aux Jeux Olympiques d’été à Munich, en septembre 1972, fait prendre conscience aux autorités de différents pays d’Europe, qu’il faut disposer d’une force d’intervention spécialisée pour gérer ce genre de situation. En France, des groupes d’intervention de la police nationale (GIPN) sont créés dans les mois qui suivent. Le commissaire Nguyen Van Loc (il jouera son propre rôle dans la série télé Le chinois), est sans conteste le gipn.jpgdéfricheur. Dès le mois d’octobre, il met sur pied le GIPN de Marseille. Ces brigades, au nombre de onze, ne dépendent pas de la PJ, mais de la direction de la sécurité publique (DCSP). Un an plus tard, c’est la gendarmerie qui installe, sous la férule du lieutenant Christian Prouteau (il deviendra préfet sous Mitterrand) le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). À ses côtés, on trouve le lieutenant Paul Barril, plus spécialement chargé de la technique, de l’armement et de la partie opérationnelle. Le directeur central de la PJ, Maurice Bouvier, refuse de suivre le mouvement. Il estime que ce genre de mission ne relève pas de la compétence de son service. Douze ans plus tard, sous la pression de Robert Broussard, alors au cabinet du directeur général de la PN, le RAID (recherche – assistance – intervention -dissuasion) voit le jour. Son premier chef est le commissaire Ange Mancini.

Entre 1969 et 1976, sept femmes et un homme sont assassinés dans le département de l’Oise, à  l’intérieur d’un périmètre de quatre kilomètres sur deux. Jamais le dimanche. La presse parle du tueur de Nogent, et l’arme, toujours la même, est une carabine .22 LR. L’homme sera finalement arrêté malgré une guéguerre police-gendarmerie qui n’a pas facilité les choses. Il s’agit d’un ancien para, Marcel Barbeault, 35 ans, marié et père de deux enfants.  Mais à partir de mai 1978, un nouveau maniaque fait son apparition. Lui aussi s’en prend à des jeunes femmes, mais à la différence de Barbeault, son action criminelle est désordonnée. Cette fois, il est surnommé le tueur de l’Oise. Lorsqu’il est interpellé, le 9 avril 1979, l’affaire fait grand bruit, car il s’agit d’un gendarme de Chantilly. Il se nomme Alain Lamare, et il a 23 ans. Ses motivations sont nébuleuses. Il semble qu’il prenait plaisir à voir ses collègues rechercher tous azimuts un assassin, alors qu’ils le côtoyaient journellement. Le journaliste Yvan Stefanovitch s’est passionné pour cette affaire. Il en a fait un livre : Un assassin au-dessus de tout soupçon, aux éditions, J’ai Lu. Alain Lamarre a été reconnu « irresponsable ». Il n’a donc pas été jugé mais enfermé à l’hôpital psychiatrique de Sarreguemines.

En février 1974, au Canard Enchaîné, le juliénas doit couler à flot, lorsque Georges Pompidou remercie Raymond Marcellin. Il nomme Jacques Chirac à sa place. Quelques mois plus tard, il y a un nouveau décès chez nos amis les truands. Il se nomme Roger Bacry, mais tout le monde l’appelle P’tit Roger. Il a eu des rêves de puissance, au point de trahir les Zemour, et de prendre la tête du clan ennemi, les Siciliens. Beaucoup de morts de part et d’autre, mais il a vu trop grand, le petit Roger, cette aventure l’a dépassé. Depuis, il est sur le qui-vive, il sursaute au moindre bruit, il guette celui qui va le liquider. En fait, il est déjà mort. Il a craqué. Ce 12 juin 1974, il tire sur sa compagne, Josiane A., et se loge une balle dans la tête. Josiane s’en sortira. Pas lui. Dans son livre Les derniers seigneurs de la pègre, aux éditions Julliard, Roger Le Taillanter cite l’oraison funèbre prononcée par Gilbert Zemour : « C’était une crapule, une ordure, un rat d’égout. Je comprends qu’il se soit suicidé ! Il avait fait tellement de saloperies…» C’étaient paroles d’expert.

Le 26 mai 1975, un décret officialise les relations entre l’organisation internationale de police criminelle (l’OIPC-Interpol) et la France. Chaque pays membre possède en effet un correspondant unique : le bureau central national (BCN). Pour la France, il est désormais rattaché à la DCPJ. Le directeur central PJ devient donc le chef du BCN-France. Sinon, les années 70 apportent peu de changements dans les structures de la PJ. Les policiers tentent surtout de s’adapter à deux nouveaux fléaux de la société, auxraf.1173003251.gif desseins d’ailleurs tout à fait différents. D’un côté le terrorisme, aux prétentions idéologiques, et de l’autre, les enlèvements avec demande de rançon, clairement crapuleux.

La France est relativement épargnée par le terrorisme d’extrême gauche, à l’exception d’action directe. En fait, contrairement à l’obsession de Raymond Marcellin, la violence politique (ou la politique de la violence) n’a pas trouvé son ferment dans mai-68. C’est différent en Italie, où les brigades rouges sèment la terreur et surtout en Allemagne (de l’ouest), où la fraction armée rouge (FAR), autrement appelée en France bande à Baader (par référence à la bande à Bonnot ), enchaînent les attentats et les exécutions. schleyer-otage-de-la-raf.1173044757.jpgEn septembre 1977, la PJ arrête Klaus Croissant, qui avait recherché l’asile politique en France. Malgré les protestations de nombreux intellectuels, notamment Jean-Paul Sartre et Michel Foucault, il est extradé vers l’Allemagne un mois plus tard. Klaus Croissant est l’avocat d’Andréas Baader et de ses acolytes, arrêtés en 1972. Epoque où Brigitte Mohnhaupt prend la relève et poursuit l’action de Baader. Elle est alors définie comme la femme la plus dangereuse d’Allemagne. Condamnée à perpétuité, en 1985, pour neuf assassinats, dont celui du représentant du patronnat allemand, Hans Martin Schleyer, et celui du procureur général, Siegfried Buback, elle est toujours emprisonnée. Elle doit être libérée le 27 mars 2007. Libération qui fait grand bruit outre-Rhin, alors qu’on doit bientôt commémorer la mémoire de toutes les victimes de cette organisation criminelle et qu’en Italie sourdent de nouvelles brigades rouges.

Aux élections législatives de 1974, la gauche arrive en tête au premier tour. Pourtant, le PS et le PC ne parviennent pas à s’entendre, ils sont laminés au second tour. Giscard d’Estaing va donc débuter son septennat avec une forte majorité de droite. Chirac n’a pas beaucoup de chemin à faire : il quitte la place Beauvau pour Matignon. Il aura été ministre de l’intérieur pendant trois mois. C’est Michel Poniatowski qui lui succède. Considéré comme le principal organisateur de la victoire de Giscard d’Estaing aux élections présidentielles, il est nommé ministre d’état, ministre de l’intérieur. Contrairement au protocole, dans ce gouvernement, le premier de nos ministres n’est donc pas le garde des sceaux, mais le chef de la police. La tradition perdure. En tout cas, Ponia doit être satisfait. Il ne sait pas ce qui l’attend.

Le 24 décembre 1976, Jean de Broglie, sort du bureau de son conseiller financier, Pierre de Varga. Un homme l’attend. Il lui tire dessus et s’enfuit. Celui qui vient de mourir n’est pas n’importe qui. Il est député de l’Eure, ancien ministre, et c’est l’homme qui, avec Louis Joxe, en 1962, signa les accords d’Evian. Il fut également l’un des fondateurs du parti des républicains indépendants, à côté de Valéry Giscard d’Estaing. La brigade criminelle mène rondement l’enquête. L’assassin est arrêté quelques jours plus tard. Il se nomme Gérard Frèche. Il a été recruté par un policier […], Guy Simoné, pour exécuter un contrat, à la demande de Pierre de Varga. Poniatowski et Pierre Ottavioli, le patron de la brigade criminelle, pontifient de conserve sur cette brillante réussite. Ils pavanent devant la presse et font des déclarations circonstanciées sur les raisons de ce meurtre. Pour faire court, tout cela n’est qu’une sordide affaire de gros sous. Mouais ! Ce n’est pas l’avis de l’inspecteur divisionnaire Michel Roux, de la 10° BT. Il rappelle, d’abord poliment, puis un peu moins poliment, qu’il a transmis deux rapports pour signaler qu’un contrat existait sur la tête de l’ancien ministre et que la BRI, dirigée par le commissaire Marcel Leclerc, avait été chargée de surveiller les protagonistes de cette machination. C’est un vieux routier de l’antigang, l’inspecteur divisionnaire Plouy, qui a hérité du bébé. On dit qu’on ne se bousculait pas à la brigade pour traiter cette affaire. Que s’est-il réellement passé ? Les policiers ont-ils relâché leur surveillance ? Ont-ils reçu des ordres en ce sens, comme certains l’ont affirmé ? Ou peut-être n’y ont-ils pas cru, tout simplement… Mais le contrat est exécuté – et aucun policier n’est présent. Et comme toujours dans ces cas-là, chacun, du chef de service au lampiste, chacun s’emberlificote dans ses mensonges. Mais, plus tard, l’Express, puis Le Canard Enchaîné, font des révélations. Et ce qui n’était qu’une boulette devient un scandale politique. Car, Jean de Broglie avait été le trésorier du parti républicain et il était également l’un des financiers d’une institution de l’église catholique : l’Opus Dei. Et il semble que cet organisme, répertorié « très à droite », et que certains n’hésitent pas à présenter comme une secte, ait largement contribué à alimenter les caisses du parti qui a placé Giscard au pouvoir. Je ne suis sûr de rien, sauf d’une chose : de grands chefs de la police ont vu pâlir leur auréole dans cette histoire politico-policière. Elle fait tache dans les annales de la brigade criminelle. Pierre Ottavioli a raconté ses mémoires dans un livre Echec au crime, aux éditions Le livre de poche.

L’enlèvement de Louis Hazan – Le 31 décembre 1975, le P-DG de la société Phonogram est enlevé en pleine réunion professionnelle. Les truands braquent l’assemblée et mettent leur victime dans une malle en osier avant de disparaître. Les ravisseurs réclament une rançon de quinze millions de francs. Le patron de la brigade criminelle, Pierre Ottavioli, Otta, pour les intimes (ils sont peu nombreux), fait mine d’accepter. Il monte une souricière et les policiers interpellent les deux hommes venus récupérer les sacs censés contenir l’argent (en fait de vieux annuaires) : les frères Pech. Maintenant, il s’agit de sauver l’otage. Et chaque minute compte. Il est donc indispensable d’obtenir des confidences des deux individus arrêtés. Ici, il existe trois versions. La version officielle, selon laquelle les enquêteurs découvrent un numéro de téléphone griffonné sur le bas du jean de l’un des ravisseurs. La version officieuse, qui mentionne qu’on leur a laissé passer un coup de fil, et que le numéro a été intercepierre-ottavioli.1173006098.jpgpté. Enfin, la dernière version, juste pour information, mais peu vraisemblable, selon laquelle les deux hommes se sont pris une « sérieuse avoine ». Je vous laisse choisir. Le numéro de téléphone correspond à une adresse à Tremblay-le-Vicomte, en Eure-et-Loir. Michel Guyot, surnommé Michel les bretelles, le patron du SRPJ de Versailles, me réquisitionne vers 19 heures 30. Il reste peu de monde à la brigade. Je fais le tour des bureaux et parviens à recruter une demi-douzaine de « volontaires ». Ça traîne des pieds, car chacun est persuadé que le tuyau est bidon. « Si c’était du solide, ils nous auraient pas invités, les seigneurs du 36… », ronchonne un enquêteur. Maurice Duyck, un vieil inspecteur divisionnaire, qui a été mon mentor durant mes premières années, ne dit rien. Mais je devine qu’il s’est renseigné. C’est du sérieux. Au dernier moment, Aimé Brémond, le sous-chef du SRPJ, doit s’être tenu le même raisonnement. Il me dit : « Tiens, je vais aller avec vous ! » Il pense qu’on n’est pas assez nombreux. Ou il ne me fait pas confiance. Ou il en marre de rester derrière son burlingue… Je plaisante. Brémond, que tout le monde surnomme Mémé, est le genre de patron que j’apprécie. Il n’a pas fait une super carrière, mais il est toujours resté droit dans ses bottes. Il faut être sur place avant 21 heures, l’heure légale en matière de perquisition. Ce jour-là, si on a pris des risques, c’est bien sur la route. À faire exploser les radars automatiques – s’il y en avait eu à cette époque. En chemin, les choses se précisent. Les nouvelles consignes sont de surveiller les lieux jusqu’à l’arrivée des collègues de la PP, et de ne rien faire d’autre. « Même pas en rêve », maronne quelqu’un au-delà des ondes. Ça doit être Patrick !… À l’entrée de Tremblay, les gendarmes nous attendent. Ils nous pilotent. On s’arrête à une centaine de mètres de la maison. Il fait nuit, un bout de lune éclaire une grande bâtisse. Elle se trouve au milieu d’un parc, et de larges portes-fenêtres font face à l’entrée. Il doit y avoir cinquante mètres à découvert. Pour l’effet de surprise, ça ne va pas être évident… Mémé attend des instructions. Je le bouscule un peu. La vie d’un homme peut se jouer à quelques secondes. « On y va », lâche-t-il. En disant ça, il transgresse les ordres. Je l’aimais bien. On escalade le portail, on se faufile dans le parc. Derrière moi, un collègue actionne la culasse de son PM. Je serre les fesses : ça part tellement vite ces trucs-là. Je mets la main sur la poignée de la porte, et… elle s’ouvre. On fonce. La pièce est vide. La maison est vide. Dans un coin, la télé marche en sourdine, sur une table basse, deux verres à moitié vides et un cendrier bourré de mégots. Rien ! « Allez, les enfants, on refouille tout ! ». J’ai lancé ça d’une voix ferme, mais l’heure légale est passée, nous n’avons pas de témoins et nous ne sommes pas saisis de l’affaire. On n’est même pas certains d’être dans la bonne maison. Si on s’est plantés, va y avoir des têtes qui vont tomber… Et Mémé sera aux premières loges. Juste devant moi. C’est bon parfois d’avoir un chef. On se dirige vers la cuisine. De la vaisselle sale, un reste de repas. Rien d’intéressant. Soudain, un léger bruit nous fait tressaillir. On sonde les murs. Ça sonne creux. Il y a une ouverture derrière l’une des cloisons. On la fait sauter et on tombe sur un réduit de deux mètres sur trois. Sur un matelas, à même le sol, un homme est attaché par des chaînes. Il porte une cagoule noire sur la tête. Je la lui retire. Il est terrorisé. « Vous êtes Hazan ? » je demande. Je sors ma carte, je le rassure. Il finit par prendre confiance. « J’ai cru ma dernière heure arrivée », nous confiera-t-il plus tard…

Ni Mémé ni moi, ni aucun gars du GRB, nous ne serons invités au pot offert par Louis Hazan pour remercier la police de l’avoir délivré. Il n’a jamais dû savoir qu’on n’était pas du 36 – et d’aucun s’est bien gardé de le lui dire. Ça fait rien, on s’est bu une bière entre nous.

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La PJ, mes débuts

PARTIE 8 – Le démantèlement de la French connection, à Marseille, et surtout le durcissement de la législation concernant le trafic de drogue, font comprendre aux « survivants » qu’il est temps de changer de négoce. Tandis que Vanverbergh, alias Francis le Belge bronze rayé derrière les barreaux, Zampa étend son activité en direction du monde du jeu. C’est alors qu’un nouveau larron vient bouleverser la donne, Jacques Imbert, dit Jacky le mat. Pour montrer qu’il « en a », il n’hésite pas à racketter Jean-Dominique Fratoni, le patron du tout nouveau casino à Nice, le Rhul.

lenquete-corse-par-petillon.1172417345.jpgLes malandrins semblent mieux organisés que les policiers, car pour la PJ, la vie n’est pas rose. Les investigations en matière de grand banditisme (on parle aujourd’hui de criminalité organisée), sont contrariées par des structures administratives et judiciaires qui, dans les années 70, étalent leur inadéquation. Les juges d’instruction, isolés dans leur sanctuaire, traitent leurs dossiers au cas par cas, incapables de débobiner l’écheveau de la guerre des gangs. Et les policiers ne font pas mieux, souvent pour des raisons identiques, ou pire, par rivalité. S’ajoute à cela, le début d’une véritable concurrence avec la gendarmerie qui ne veut plus être « la police des campagnes ». À tel point que le gouvernement de Pierre Messmer désignera une commission pour étudier les relations gendarmerie-PJ : la commission Tricot. Composée de personnes incompétentes (dans ce domaine), le rapport Tricot enfante, en janvier 1973, un amoncellement de banalités. Pour faire taire les flics, vingt ans après la création de l’office des stups, un décret du 11 octobre 1973 créé l’office central pour la répression du banditisme (OCRB). On adore en France ce genre de réforme qui ne coûte rien et qui donne l’impression qu’on a réglé le problème. L’office du banditisme mettra de longues années à trouver sa voie. Le commissaire Bellemin-Noël, chef de la 4° division, axe son activité sur la documentation et l’assistance aux autres services. Il choisit un commissaire du SRPJ de Versailles, Joseph Lebruchec, pour le diriger. Les commissaires qui lui succèdent : Lucien Aimé-Blanc, Charles Pellegrini ou moi-même…, voient les choses différemment. Ils sont nettement orientés vers l’intervention et le coup d’éclat. Les frictions avec la BRI de Paris sont inévitables. En effet, la brigade antigang, est enclavée dans un territoire limité à la capitale et à la petite couronne, tandis que l’office bénéficie d’une compétence nationale. Pour ces raisons, le commissaire Robert Broussard, alors chef adjoint de la BRI, et avant tout homme de terrain, se retrouve souvent borderline avec la procédure pénale. Heureusement, son patron, le commissaire Marcel Leclerc, plus diplomate, et de surcroît docteur en droit, est là pour arrondir les angles.

En 1972, l’OCRB accueille l’inspecteur Jacqueline Marinont, l’une des premières femmes affectée en PJ. Deux ans plus tard, le corps des commissaires s’ouvre également au sexe autrefois dit faible. Et en 1978, on verra pour la première fois une femme « gardien de la paix » (gardienne ?).

Pendant ce temps, chez « les hommes », le toilettage se poursuit. Les hostilités démarrent en mars 1973, avec l’exécution dans le parking de son immeuble, à Nla-mafia-vsd.1172417528.jpgeuilly, de Raphaël Dadoun, alias Yeux de velours. Dadoun n’est pas n’importe qui. Il a participé, en 1964, au braquage de la bijouterie Colombo, à Milan, qui reste l’un des plus beaux coups jamais effectué. Il est acoquiné aux frères Zemour. Et Jean-Louis Augé, dit Petit Jeannot, le parrain incontesté du milieu lyonnais, le considère comme son frère. La raison de ce règlement de comptes est, semble-t-il, l’association « un peu forcée » entre Dadoun et Gabriel Loreau, alias Gaby le chanteur. Ce dernier, tenancier de plusieurs boîtes de nuit sur Paris, âgé de 60 ans, préfère pactiser avec le clan Zemour plutôt que défendre son patrimoine l’arme à la main. C’est en fait le début d’un conflit entre le clan Zemour et le clan des Siciliens. Une trentaine de cadavres plus loin, le point final sera probablement le meurtre d’André Gau, surnommé Dédé le gode (on reviendra sur ce surnom incongru), en décembre 1987, dans une cabine téléphonique de Neuilly.

Pour la première fois, en 1974, un débat télévisé oppose deux candidats aux présidentielles. On se souvient des petites phrases de Giscard d’Estaing envers François Mitterrand : « Vous êtes un homme du passé… » ou bien « Vous n’avez pas le monopole du cœur… » Après un coup tordu (l’appel des 43 ) manigancé par Jacques Chirac pour évincer Chaban-Delmas, Giscard d’Estaing bat Mitterrand de 420.000 voix. Et Chirac est nommé Premier ministre.

Tandis que « les grands » s’amusent à nos dépens, une nouvelle forme de criminalité, importée d’Italie, émerge en France : les enlèvements avec demande de rançon. La série sera longue (Hazan, Thodoroff, Fériel, Révelli-Beaumont, Empain…) avant qu’une décision difficile (mais nécessaire pour enrayer cette pratique) ne soit prise : on ne paie pas. L’un des premiers enlèvements répertoriés est celui de Christophe Mérieux, âgé de 9 ans, en décembre 1975. Les ravisseurs exigent une rançon de vingt millions de Francs. Le père, propriétaire d’un groupe pharmaceutique, a le bras long, il peut aisément réunir une telle somme, mais le ministre de l’intérieur, Michel Poniatowski, refuse de céder. Alain Mérieux, relation personnelle du commissaire Claude Bardon, et surtout de Jacques Chirac, passe outre. Il remet la rançon aux ravisseurs. Les kidnappeurs enferment l’enfant dans un sac et l’abandonnent dans une poubelle. Le jeune garçon parvient à se libérer et rentre chez lui, en stop. Alors que toutes les forces de l’ordre sont à sa recherche, il sonne à la porte de son domicile et, d’une petite voix, annonce dans l’interphone : « C’est moi ! » Louis Guillaud, alias la carpe, est arrêté deux mois plus tard, alors qu’il troque des billets de la rançon contre des lingots d’or. L’un de ses complices, Jean-Pierre Marin, est abattu lors de son interpellation, le 5 mars 1976. Il est probablement l’un des assassins du juge Renaud. Christophe Mérieux est mort en juillet 2006, d’une crise cardiaque. Jean-Louis Guillaud, condamné à vingt ans de réclusion, a été libéré au bout de quatorze ans. Il coule une retraite paisible dans le nord du pays. La moitié de la rançon n’a jamais été retrouvée.

Giscard d’Estaing créé un secrétariat à la condition féminine, qui sera confié à Françoise Giroud, et, en juillet 1976, Chirac démissionne (ceci n’a rien à voir avec cela). Il est remplacé par Raymond Barre, qui coiffe deux casquettes : Premier ministre et ministre des finances. Économiste reconnu, il prône une politique de rigueur dont ne veut ni la gauche ni la droite. Bloqué dans son action par l’approche des élections législatives, il attendra 1978 pour mettre en place « le plan Barre ».

Cette année-là, dans la région lyonnaise, la criminalité liée au grand banditisme connaît un pic. Poniatowski décide de réagir. Il crée une antenne de l’OCRB, sous la forme d’une BRI. C’est la première brigade antigang de province.

Moi, à la sortie de l’école de police, je suis bombardé chef du groupe de répression du banditisme, au SRPJ de versailles. Je n’ai aucune expérience, et je me trouve un peu dans la situation du toréador qui s’apprête à descendre dans l’arène. A part que je n’ai jamais vu de taureau. Le service est en sous-effectif, et les commissaires enchaînent les semaines de permanence à un rythme soutenu. Voici, l’une de mes premières permanences : Je suis au lit depuis peu de temps. Le téléphone sonne…

Mon premier cadavre – Vous connaissez le cimetière de Poissy, la nuit, quand le thermomètre se balade autour de zéro ? Vous laissez votre voiture devant la grille et vous prenez l’allée de droite. La lune, derrière les nuages, éclaire votre chemin et balance sur les murs des ombres qui s’agitent comme autant de fantômes. Le vent siffle dans les arbres. Vos dents s’entrechoquent. Le froid, bien sûr. Là, vous êtes en condition ?

Au fond du cimetière, une baraque : la morgue. Je pousse la porte d’un air dégagé. La lumière blanche des néons m’aveugle. Une forte odeur d’antiseptique. Une autre, plus sournoise, prenante et écœurante. Une odeur qui met l’imagination en branle. Sur la table, un corps plié en quatre, attaché par une grosse corde, dans une position qui pourrait être lubrique, si ce n’était son état de décomposition. Des lambeaux de sous-vêtements tentent de cacher une nudité qui n’en a plus rien à foutre. Et l’odeur, toujours. (Cliquer pour voir la photo, mais interdit aux personnes sensibles.)

enigme-picsou.1172480131.jpgLe cadavre a été repêché dans la Seine. A priori, il s’agit d’une femme, entre 20 et 30 ans. Les bêtes lui ont dévoré la moitié du visage. Rien pour l’identifier, si ce n’est ses bouts de vêtements et une alliance. Je fixe « la femme ». Le corps est brun, presque noir, comme momifié. Le buste est quasi entier, tandis que les jambes ne sont que lambeaux de chair. C’est insuffisant pour recouvrir les os. La tête ressemble à une tête de mort typique, telle qu’on la voit sur les pavillons des pirates, ou telle que les enfants en dessinent sur leur cahier de classe. Elle rit de toutes ses dents.

Quelle est ton histoire, ma belle ? Pute, victime d’un règlement de comptes ? Épouse d’un mari jaloux ? Jeune fille jouet d’un détraqué ? Ça va pas être facile… Il faut que tu m’aides un peu. Le seul moyen de l’identifier est de faire un gant de peau, c’est-à-dire, « décalotter » chaque doigt, découper la peau et l’enfiler sur un support, pour tenter de récupérer ses empreintes digitales. Mais nous n’avons pas le matériel. Les deux vieux poulets qui m’accompagnent guettent la réaction du jeune commissaire. J’hésite. C’est le genre de situation qu’on n’envisage pas dans les écoles de police. J’attrape la main gauche du macchabée, et je commence à tirer…

Appelé sur une autre affaire, j’ai oublié les… mains dans la boîte à gants de ma voiture. Lorsque j’y ai pensé, à cause de la putrescence, il était trop tard pour le gant de peau. La morte de Poissy n’a jamais été identifiée. Son assassin court toujours.

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La PJ post-soixante-huitarde

PARTIE 7 – Après mai-68, l’ambiance est à l’euphorie. Les Français ont le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’important – sans savoir quoi. Le chômage est bas, l’extension économique est au rendez-vous, la consommation en plein boom, et, après le vote de la loi Neuwirth (1967) autorisant la contraception, la pilule se popularise. Les femmes entament leur révolution. Les policiers, eux, du moins ceux qui ne sont pas occupés à « casser du gaucho » sous la houlette de Marcellin, reprennent le fil du banditisme. Ils ont du boulot : les chiffres de la délinquance explosent. Pour faire face, la DCPJ créée des antennes, rattachées aux SRPJ, avec une vague arrière-pensée de départementalisation. Celle-ci ne se fera pas.

labo-drogue.1171613093.jpgEn Italie, les brigades rouges, vaporeuse résurgence de la gauche prolétarienne, argumentent – via la pyrotechnie, et, aux États-Unis, le président Nixon frappe du poing sur la table. Les Américains en ont assez du laxisme de la police française. Si rien ne change, ils menacent d’intervenir directement à Marseille pour mettre fin au trafic d’héroïne en direction de leur pays. (Ce qu’ils font déjà, underground.) Le couteau dans les reins, les autorités chauffent leurs meilleurs poulains – de la PP. Le commissaire François Le Mouel, prend la direction de l’OCRTIS, autrement dit, l’office des stups, et le commissaire Marcel Morin, la brigade de Marseille. On s’attaque enfin sérieusement aux trafiquants marseillais, mais surtout corses, et au démantèlement des laboratoires clandestins qui prospèrent dans la région. L’arrestation du chimiste Jo Césari, en 1971, sonne le glas de la French connection. En février 1972, l’arraisonnement du Caprice des Temps, en Méditerranée, permet de récupérer 425 kilos d’héroïne pure, destinée aux Etats-Unis. La plus grosse prise jamais effectuée. C’est le coup de grâce. Les gros bonnets tombent les uns après les autres. Dans le lot, on trouve un jeunot aux dents longues. Il vient de faire son entrée au fichier du grand banditisme : Francis Vanverberghe, alias Francis le Belge. Cette filière de l’héroïne reste encore aujourd’hui la plus importante qui ait jamais existé, tant par la qualité de la marchandise et la quantité écoulée, que par la durée. Le marché américain aura été des plus juteux, sans que l’on sache si une partie des recettes était détournée vers la caisse de certains partis politiques, ou si tout simplement, au plus haut niveau de l’État « gaulliste», on se disait qu’il n’était pas mauvais, hum ! d’emm… les Ricains.

Dans la capitale, le goudron a remplacé les pavés. A peine est-il sec que le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, encore hypnotisé par mai-68, fait voter, en 1970, la loi anticasseurs : les casseurs seront les payeurs, affirme-t-il. Un aphorisme malencontreux … L’année suivante, le Canard Enchaîné établit que lui, le Premier ministre, ne paie pas ses impôts. L’intéressé démontre que sa « combine fiscale » est légale. Mais le ver est dans le fruit. Valéry Giscard-d’Estaing, alors ministre des finances, vient probablement d’éliminer un concurrent. Deux ans plus tard, aux élections présidentielles, il écrasera Chaban.

Pendant ce temps, Gaëtan Zampa, alias Tany, alias le grand, alias gaï, etc., se tape sur les cuisses. Il peut gaetan-zampa.1171613865.jpgjubiler, le voyou ! Non seulement, il est passé à travers la nasse policière, à Marseille, mais l’arrestation de Francis Vanverberghe est pour lui une aubaine. Car entre les deux truands, c’est la guerre. Surtout depuis que le Tany a préféré faire parler la poudre plutôt que de lui payer une ridicule cargaison de 50 kilos d’héroïne. Les plumitifs du banditisme dénombreront une douzaine de cadavres dans chaque camp. En fait, probablement le double. Plus tard, depuis la centrale de Poissy, Vanverberghe, pris de doute sur la chance insolite de son adversaire, aurait dit : « J’ai un milliard à plat. Je le claquerai s’il le faut, mais j’aurai la peau de cette tapette de Tanyfrancis-vanverberghe.1171613312.jpg » Prémonitoire, le Francis ! Zampa a terminé sa vie sous le sobriquet de « marraine », à la prison des Baumettes. Quant aux raisons de sa mort… Au mois d’août 84, il se pend dans sa cellule, un codétenu tente de lui porter secours en lui plantant un couteau dans la gorge. « J’ai voulu lui faire une trachéotomie », dira-t-il, imperturbable. À croire qu’il y a des cours de secourisme, aux Baumettes ! Francis Vanverberghe a eu le dernier mot. Il sera abattu à Paris le 22 septembre 2000, victime d’une autre guerre.

Finalement, Jacques Chaban-Delmas est renvoyé à sa feuille d’impôts et Pompidou choisit comme Premier ministre, un vieux gaulliste, Pierre Messmer. Jacques Chirac entre au gouvernement. Mais celui-ci est à son tour épinglé par Le Canard Enchaîné pour avoir acheté, à la municipalité de Sarran, pour une bouchée de pain, dit-on, une gentilhommière plus ou moins en ruine, le château de Bity. Quinze jours plus tard, cette bâtisse du XVI° siècle est classée monument historique. Elle sera ainsi restaurée aux frais du contribuable.

Mesrine, lui, à ses propres soucis. Après son évasion d’une prison canadienne et le meurtre de deux gardes foretiers, le climat du Vénézuela, où il a trouvé refuge, ne lui convient plus. Il rentre au pays, via l’Espagne, avec au bras une nouvelle compagne, la blonde Joyce. Après une série de braquages et une tentative de meurtre sur un gardien de la paix, il est arrêté – en douceur – à son domicile, en mars 73, par le commissaire Alain Tourre. Ce qui doit faire maronner Lucien Aimé-Blanc, chef désigné d’un service en gestation : l’office central pour la répression du banditisme (OCRB). Pour la petite histoire, Jacques Mesrine, truand recherché par Interpol pour meurtres, enlèvements, vols à main armée, évasion…, occupait un appartement qu’il louait à un magistrat. C’est le genre de truc qui le faisait marrer.

promo-commissaires.1171613495.jpgSur le plan économique, le ciel s’assombrit. Les pays occidentaux soutiennent Israël et, en représailles, les pays arabes multiplient par quatre le prix du pétrole. C’est la fin de la croissance et le début de la hausse du chômage. Les mouvements sociaux prolifèrent. Les Français commencent à prendre conscience que rien n’a changé. L’abbé Pierre prêche dans le vide « l’amour et non l’argent », et moi, tout frais sorti de l’école des commissaires, la promo rouge comme d’aucuns l’ont appelée, en septembre 73, je suis affecté à la tête du groupe de répression du banditisme du SRPJ de Versailles. C’est donc de l’extérieur que je suivrai les péripéties de mes amis de la « marmar » (une petite équipe d’anciens de la marine marchande, aspirés au sein de la DST).

Les plombiers du Canard Enchaîné – Fin 73, Pompidou se fâche. Il n’apprécie pas les manchettes du journal satirique sur ses amis politiques. Lui-même a subi la calomnie, et il n’aime pas. Il veut savoir qui renseigne Le Canard. Il en fait part à Marcellin, qui convoque le directeur général de la police, qui… Le bébé atterrit sur le bureau du contrôleur général Chardon, responsable de la sous-direction des services techniques de la DST. C’est un homme à la stature imposante, la gitane papier maïs toujours vissée aux coins des lèvres. Il convoque le responsable de « la section exploitation » et de sa voix de baryton lui demande de prévoir une « opération sonar ». Autrement dit de poser des micros dans les bureaux – encore vides et inoccupés – dans lesquels les journalistes du Canard enchaîné doivent bientôt emménager. Un jeu d’enfants, pour ces techniciens. Après de nombreux repérages, le groupe sonar monte son opération comme un commando en temps de guerre. Le groupe fontaine, lui, étudie les serrures. Ses membres sont chargés de l’ouverture, et de la fermeture (c’est plus difficile) des portes. Les policiers qui composent cette équipée ont ule-canard.1171613991.jpgne longue expérience des opérations discrètes. Ce sont des agents de l’ombre. Ils n’exhibent jamais leur carte tricolore, et, quand on leur demande leur profession, laconiques, ils se contentent de répondre « fonctionnaires ». Ils ont hanté les sous-sols des délégations internationales, piégé le bureau de hautes personnalités (la DST a arrêté quelques années plus tôt le préfet Picard, pour espionnage) ou forcé le coffre d’ambassades ou de consulats. Alors, lorsqu’on leur demande de poser des micros dans un local inhabité, ils ne s’inquiètent pas vraiment.

Deux faux gardiens de la paix (mais de vrais policiers), sont en protection dans la rue, tandis que les techniciens travaillent, soit dans le futur bureau du rédacteur en chef du Canard, soit dans le petit local voisin, qui servira de QG. L’un perce un trou, l’autre passe un fil dans le conduit de cheminée, le troisième décolle les lames du parquet, etc. C’est alors qu’un dessinateur (et administrateur) de ce journal, passe – par hasard – rue Saint-Honoré, Il est tard. Il aperçoit de la lumière dans ses futurs bureaux, et il monte, le brave homme, sans doute pour éteindre. Et ces cracks, auxquels même les services secrets étrangers font parfois appel, pour sonoriser des endroits sensibles, se font surprendre par un petit journaliste. Même un gosse aurait du mal à y croire. Le Canard Enchaîné se… déchaîne. Il en fait des tonnes. C’est son jeu. Ses ventes grimpent en flèche. Comme à l’accoutumée, les autorités démentent, puis reconnaissent un peu, et s’embourbent lamentablement dans leurs contradictions, agitant finalement le « secret défense » qui cuirasse la DST. On intime aux plombiers l’ordre de rester chez eux, ou mieux de partir en vacances, le temps que ça se calme. C’est le bon côté de l’aventure, mais ils l’ont saumâtre, les poulagas. Ils subodorent l’embrouille. Ils pensent qu’ils ont été balancés. L’enquête ne le dira pas. Elle dira même rien du tout, et l’affaire sera définitivement enterrée parle-canard2.1171614310.jpg la cour de cassation en 1980, qui estimera les faits prescrits. Claude Angéli, le rédacteur en chef du Canard, a fait apposer une plaque en marbre, au-dessus du trou toujours béant dans le mur de son bureau, et mes copains ont eu la mutation qu’ils souhaitaient. Marcellin quittera l’intérieur peu après, mais cette fois Giscard n’y est pour rien.

Qu’on se rassure. Aujourd’hui, un tel scandale est impossible, puisque la même opération trouverait des bases tout à fait légales dans la loi Perben II. Loi entérinée, le 9 mars 2004, par le Conseil constitutionnel, qui a considéré que la possibilité de sonoriser les domiciles, lieux de travail et véhicules ne portent pas atteinte aux libertés individuelles. Dont acte, comme on dit, au Canard. Y z’étaient bêtes, à l’époque…

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La PJ de 68

PARTIE 6 – Il existait en France, depuis la nuit des temps, deux institutions policières : la sûreté nationale (SN) et la préfecture de police (PP) de la ville de Paris. Une loi du 9 juillet 1966, change la donne. Le préfet de police conserve ses prérogatives, mais les policiers sont tous rattachés au ministère de l’intérieur, au sein d’un corps unique : la police nationale.

barricades.1171098949.jpgCependant, en ce qui concerne la PJ, les choses n’évoluent guère. Le 36 reste une forteresse où les « seigneurs » regardent avec condescendance leurs « cousins » de l’ex-SN. Quel policier de province ne s’est pas vu mander, d’un ton goguenard, de retirer la paille de ses sabots avant de pénétrer dans le saint des saints !

Dans le milieu, le gros truc pour ces messieurs, c’est le business du jeu. Alors que le clan Guérini est en pleine décrépitude, deux corses tirent les ficelles : Jean-Baptiste Andréani et Marcel Francisci. Associés dans l’établissement Le Grand cercle, un certain temps ; ils sont à présent en froid. En fait, tous deux postulent pour le titre d’empereur du jeu. Le chemin est semé d’embûches – et de cadavres.

Début 68, après la création des trois départements limitrophes à la capitale, la PP boucle les frontières. Bénéficiant d’un piston lié à la proximité du pouvoir, d’un fort copinage sur les bancs de la franc-maçonnerie, et sans doute d’un plus grand professionnalisme, elle accapare un grand nombre de postes-clés. Pendant ce temps, chez les étudiants, les esprits s’échauffent. Et c’est Mai-68 ! avec cette superbe allégation, qui s’affiche sur les murs de la Sorbonne : « L’imagination prend le pouvoir. » . Moi, petit officier de police adjoint à la DST, je ne suis pas acteur, mais spectateur privilégié. Claquemuré dans une minuscule chambre de bonne du quartier Latin, j’espionne un « espion ». Depuis ma vigie improvisée, j’assiste jour après jour aux échauffourées de rue. La fronde des étudiants entraîne le pays dans une drôle de farandole, cadaffiche-mai-68-crs.1171099180.gifencée par une batterie de bombes lacrymogènes. Un vent de liberté souffle sur le pays. Mais, pendant la révolte, les affaires continuent…, notamment avec l’émergence d’un nouveau clan : les Z. Natifs de Sétif, les frères Zemour débutent dans le négoce du vin, puis la protection des commerçants du Sentier, puis le racket, etc. Mais leur ambition grandit. Ils veulent eux aussi s’immiscer dans le monde du jeu, et avoir leur part de gâteau. Ils se tournent vers Francesci, lequel doit se dire que quelques gâchettes de plus ne seraient pas superflues pour lutter contre la concurrence. Il les prend sous son aile. Les Zemour feront leur pelote. Ils tiendront le haut du pavé durant de longues années, laissant dans leur sillage une trentaine de cadavres, avant, à leur tour, de devenir des cibles. Le dernier survivant, Gilbert Zemour, est abattu le 28 juillet 1983, alors qu’il promène son quadrille de caniches, comme un bon petit retraité. Alexandre Arcady s’inspirera de cette saga du grand banditisme dans son film, Le grand pardon, avec Roger Hanin.

Le 14 mai 68, De Gaulle part en… séminaire en Roumanie. On fait courir le bruit que le pouvoir est vacant. À tout hasard, Mitterrand prépare un coup d’état. Il allègue que les forces de l’ordre font usage de gaz toxiques contre les manifestants, et exige la démission du gouvernement. On a l’impression que tout est possible. Tout est possible, mais rien n’est vrai. Avec le recul, on s’aperçoit qu’un seul slogan a tenu la distance : « J’ai quelque chose à dire, mais je ne sais pas quoi. » Le 18 mai, le Général revient. Dans le milieu, on règle ses comptes, mais la police a d’autres chats à fouetter. Après la décision d’expulser Cohn-Bendit, le 24 mai sera la nuit la plus longue . À Lyon, un commissaire est écrasé par un camion lancé par les manifestants. Je crois qu’il s’agit de la seule victime de ces semaines de violences, avec Christian Fouchet, le ministre de l’intérieur, qui est évincé. Raymond Marcellin, alias, Raymond la matraque, prend la relève. Pour lui, l’analyse est sommaire : les étudiants sont manipulés par l’extrême gauche. Dans cette optique, il crée une brigade spéciale au sein de la DST, la SUBAC. Un pilier de ce service, disait de lui : « Março, c’est simple, dès qu’on lui parle de la gauche, il voit rouge. » Finalement, De Gaulle annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Il aurait avoué à ses proches : « Cette fois, j’ai mis à côté de la plaque… » Le 30 mai, une manifestation de soutien d’une ampleur exceptionnelle se déroule sur les Champs-Élysées. Les relents des gaz lacrymogènes à peine disparus, une sale affaire pointe son museau. Elle mobilisera plus de 200 policiers et comportera 1.808 procès-verbaux. Ce sera un échec pour la PJ et le point final à la légende des brigades du Tigre.

stefan-markovic.1171099343.jpgLe 1er octobre 1968, un corps enveloppé dans une housse de matelas est découvert dans une décharge publique à Elancourt, dans les Yvelines. Il faudra deux autopsies pour découvrir les causes de la mort : une balle dans la tête. Le médecin légiste se justifie par un surcroît de travail. Cette boulette rafraîchit (?) l’ambiance de l’institut médico-légal. Dorénavant, décide-t-on en haut lieu, tous les corps seront radiographiés et les légistes opéreront par deux. L’individu est identifié comme étant un Yougoslave, Stéfan Markovic, un jeune homme, beau comme un dieu et gorille d’Alain Delon. Une lettre posthume (et prémonitoire) du défunt, désigne les époux Delon et un certain François Marcantoni, alias Monsieur François, comme suspects, en cas « d’accident ». La personnalité (et les relations) du comédien freine l’enquête. La presse est sur les dents. Les fuites sont nombreuses. Et, quelques mois plus tard, cerise sur le gâteau, des photos truquées circulent sous le manteau, soi-disant prises par Markovic, représentant madame Pompidou, dans des soirées… particulières. On a dit qu’il s’agissait d’une manipulation du SDECE, pour déstabiliser Georges Pompidou, désigné comme le futur président de la République. C’est peut-être vrai. En tout cas, une fois à la tête de l’Etat, il ne traîne pas. C’est jour de grande lessive dans les services secrets. Il vire notamment, Jean-Charles Marchiani, le cousin de Marcantoni, et il reproche à De Gaulle d’avoir laissé faire, sans rien lui dire. Ce sera la rupture entre les deux hommes. Pendant ce temps, Delon tourne La piscine – et l’enquête prend l’eau de tous bords. François Marcantoni, contre qui il existe pourtant des indices troublants, récupère un non-lieu, sept ans plus tard, prononcé par le procureur de Versailles, Pierre Bezio. Entre-temps, les flics de l’ex-1ère brigade mobile, les seuls encore présents sur Paris, ont été rapatriés au SRPJ de Versailles, où le commissaire Claude Bardon, assisté d’un unique inspecteur, a poursuivi, dans lemarcantoni-photo-de-son-livre.1171099500.jpg secret le plus absolu, l’enquête jusqu’au dernier P-V. Marcantoni donne sa version des faits, dans Monsieur François, le milieu et moi de A à Z, éd. Le Cherche-midi. Bardon n’a pas écrit de livre.

En 1970, une équipe de braqueurs défraie la chronique : le gang des lyonnais, dirigé par Edmond Vidal, dit Monmon. Ils braquent dans toute la France. On les attend à Grenoble, ils attaquent un fourgon blindé à Nancy, etc. Le coup de maître sera l’attaque de la poste centrale de Strasbourg, avec un butin gentillet de onze millions de francs. Il faudra quatre ans et pas loin de 150 policiers pour en venir à bout. C’est Michel Poniatowski, qui, à son arrivée au ministère de l’intérieur, décide de faire le ménage à Lyon, ville dont il vise la mairie. Mais, cette équipe est insaisissable, ses méthodes sont quasi militaires et certaines mauvaises langues suggèrent que le service d’action civique, le SAC, leur apporterait son soutien. Une opération d’envergure est montée. C’est un fiasco, mais heureusement les perquisitions s’avèrent positives. L’instruction sera marquée par l’assassinat du juge François Renaud , le 2 juillet 1975, à Lyon, sans qu’on puisse corréler les deux affaires avec certitude. Cette épopée de l’équipe de Monmon, qu’on cite souvent en exemple, est en fait un contre-exemple : trop de services sur le coup, trop de chefs, trop d’ordres et de contrordres. Honoré Gévaudan, alors sous-directeur des affaires criminelles, expose sa version des faits dans son livre, Ennemis publics, chez J.C. Lattès.

Probablement à l’issue d’un débriefing technocratique des événements de Mai-68, il a été décidé de désarmer d’éventuels récidivistes, en… dépavant la capitale. Ce n’est pas sans une certaine nostalgie que les Parisiens assistent à cette drôle de fenaison. Le pavé de Paris devient la relique des soixante-huitards. Il trône encore sur le bureau de certains cadres supérieurs – du moins ceux qui assument.

De Gaulle a capitulé. Il s’est replié à Colombey. Cette fois, il n’en partira plus. Les officiers de police reprennent le titre « d’inspecteurs », et, aux élections présidentielles, Pompidou bat Poher, avec 58 % des voix. Il ne sait pas encore que ses lymphocytes vont lui jouer un sale tour et l’empêcheront de terminer son mandat. Il meurt le 2 avril 1974.

Pierre Goldman, écrivain, terroriste ou braqueur ? – Le 19 décembre 1969, la pharmacie du boulevard Richard-Lenoir s’apprête à fermer ses portes. La pharmacienne, mademoiselle Delaunay, et sa laborantine, ont déjà enfilé leur manteau, lorsqu’un homme armé fait irruption dans la boutique. Un banal braquage de pharmacie. C’est alors qu’un client retardataire pousse la porte. Le malfaiteur dirige son arme vers lui. L’homme, un quinquagénaire, monsieur Trocard, lève les mains. Il se montre docile, mais par malheur, il tente de raisonner son agresseur. Sans hésiter, celui-ci tire. Trocard s’écroule, la mâchoire en miettes. Un policier, le gardien Quinet, entend le coup de feu, puis plusieurs autres. Il n’est pas en service. Bien quegoldman-a-son-proces.1171099847.jpg sans arme, il se précipite et tente de neutraliser le bandit. La bagarre a lieu sur le trottoir. Finalement, l’individu se dégage et tire à bout portant, avant de détaler, poursuivi (des yeux) par plusieurs témoins. Bilan : la pharmacienne et sa laborantine sont mortes, criblées de balles, le client et le gardien de la paix sont sérieusement blessés.

Une affaire dramatique, mais relativement simple, pour la brigade criminelle. Plusieurs témoins ont vu l’assassin en pleine lumière. Ils pourront l’identifier. Il suffit de l’attraper. Quelques mois plus tard, un indic fournit des éléments intéressants. Il rapporte que le braqueur serait un certain Goldi, lequel aurait participé aux événements de Mai-68, à la Sorbonne, au sein d’un groupe particulièrement violent, les Katengais. Il ajoute que ce personnage aurait effectué plusieurs séjours chez les guérilleros, en Amérique Latine, et qu’il pourrait être lié à l’ETA. Les RG sortent une fiche : Pierre Goldman, né le 22 juin 1944, à Lyon. Le gardien Quinet l’identifie formellement dans un lot de photos. Goldman est arrêté au mois d’avril. Il possède un passeport vénézuélien, sous un pseudonyme, et, dans la perquisition, les enquêteurs découvrent un pistolet et… des plans et des documents paramilitaires. Il nie en bloc, puis finit par reconnaître un cambriolage et deux agressions, dont une, dans une pharmacie, mais en aucun cas celle du boulevard Richard-Lenoir. Qu’importe, se dit le commissaire Marcel Leclerc, en se frottant les mains, nous avons cinq témoins qui l’identifient formellement. Et la parade d’identification a été effectuée dans les règles de l’art – photos à l’appui. Hélas ! un peu plus tard, le fonctionnaire de l’identité judiciaire, tout penaud, lui apprend que la pellicule est voilée. Il n’y aura donc aucun cliché photographique du « tapissage ». La banane. Peu après, Leclerc remplacera Le Mouel à la tête de la brigade antigang.

Devant la cour d’assises, Goldman assure seul sa défense – avec maestria. Il clame : « Je suis innocent, parce que je suis innocent ! » La presse est emballée. La foule admirative. Il est condamné à la prison à vie. Derrière les barreaux, il rédige un livre, à la fois autobiographique et philosophique : Souvenirs d’un juif polonais né en France. Cet ouvrage connaît un grand succès, non seulement chez les intellectuels de gauche, qui depuis longtemps ont adopté le bonhomme, mais également à droite. Dans Le Figaro, Claude Mauriac s’indigne qu’on ait jeté « un philosophe en prison ». Goldman est pressenti pour le Goncourt. Devant la pression, la justice cède. La cour de cassation décide la révision du procès. Goldman est rejugé en 1976. Avant le procès, Mitterrand déclare : « Je ne crois pas qu’il soit l’assassin ». La bourde du photographe de l’identité judiciaire pèse lourd dans les débats, à moins que cette erreur n’ait servi… d’échappatoire. Il est acquitté pour les meurtres et condamné à douze ans de réclusion criminelle pour les autres affaires. En additionnant aux remises de peine le temps qu’il a déjà passé en prison, et par un calcul hermétique au commun des mortels, le compte est bon. Il est remis en liberté.

Le 20 septembre 1979, Pierre Goldman est abattu, place de l’Abbé-G.Henocque, à Paris, par trois hommes armés. Des policiers sont témoins du meurtre, sans avoir eu le temps d’intervenir. Ils ont déclaré lors de leur audition que l’un des agresseurs, après avoir tiré, s’était retourné vers ses complices en lâchant : « Vamos, hombres ! »

Peu de temps après, un mystérieux groupe, baptisé « Honneur de la police », revendiquera le meurtre auprès de l’AFP. Dix à quinze mille personnes assisteront à ses obsèques. En tête du cortège funéraire, des personnalités de tout crin.

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La PJ de papa

PARTIE 5 – En 1954, tous les éléments d’une guerre des gangs sont réunis. Les enjeux : prostitution, jeux, trafic de cigarettes américaines, et, bientôt, trafic de drogue. Mais les Français sont plutôt préoccupés par « la pacification de l’Algérie », bien loin de se douter qu’un véritable conflit est en train de naître. Il durera huit ans, et laissera le pays aux bords de la guerre civile.

insurrection-a-alger-janvier-1960-photo-aureschaouia.1170409447.jpgLa mobilisation des forces de l’ordre laisse un vide en « métropole », vide dans lequel s’engouffre la pègre, toujours prompte à profiter de la moindre défaillance du système. Seule la préfecture de police de Paris reste place forte, tandis que la sûreté nationale est affaiblie. C’est peut-être ce qui boute les délinquants hors de la capitale. Car c’est la province qui fait l’actualité. Les projecteurs sont braqués sur Marseille. À la Libération, Paul-Bonaventure Carbone et Lydio Spirito, surnommé le beau ficelle, qui tenaient la ville avec un élu de la mairie, Simon Sabiani, sont contraints d’abandonner le terrain en raison de leur collaboration avec l’ennemi. Carbone meurt dans un attentat contre les Allemands, et les deux autres s’enfuient en Amérique du sud. La place était donc toute chaude pour les Guérini, qui eux ont plutôt penché pour la Résistance, surtout Barthélémy, dit Mémé, qui a participé à des combats au sein du réseau Brutus, créé par Gaston Defferre. Les Guérini ont vite compris l’embellie. Ils rallient la SFIO et deviennent les gros bras de la campagne électorale de Defferre. Grâce à leurs appuis politiques et avec la collaboration d’un drôle de personnage, le commissaire Robert Blémant, ils vont bâtir un empire du crime.

En 1956, le garde des Sceaux, François Mitterrand, fait voter les pleins pouvoirs à l’Armée. En Algérie, la loi n’existe plus. Les détachements opérationnels de protection (DOP) font régner l’ordre par la terreur. C’est aussi l’année du plus sordide des crimes. Celui du curé d’Uruffe. Le 3 décembre 1956, le prêtre circule en voiture sur une petite route de Lorraine. Il est accompagné d’une jeune fille d’à peine 18 ans – sa maîtresse. Elle est enceinte. Il s’arrête, la fait descendre, lui donne l’extrême-onction et lui tire une balle dans la tête. Ensuite, il l’éventre avec un canif, sort le bébé, le baptise, et lui enfonce sa lame dans le cœur, avant de le défigurer. Sa soutane lui évitera la guillotine. Libéré en 1978 (c’était le plus ancien prisonnier de France), on dit qu’il a trouvé refuge dans un monastère – à moins qu’il ne soit mort.

De Gaulle revient. On change de République, mais on ne change pas le « milieu ». C’est 1958, et le début des années fric et des magouilles. Impossible d’imaginer que ces clans qui découpent la France en régions du crime aient pu exercer leurs activités criminelles sans de sérieuses protections. Certains truands ont même pignon sur rue. Comme la bande des 3 canards, du nom du bar où ces messieurs entretiennent l’héritage de la gestapo en torturant à tout va, aussi bien pour leurs petites affaires que pour rendre service à de sombres barbouzes.

En 1959, Mitterrand met en scène un pseudo attentat contre sa personne. Confondu par l’enquête de la PJ, il est inculpé, puis amnistié en 1966. L’année suivante les DOP sont supprimés et la 1e brigade mobile est mobilisée pour l’enlèvement du petit Eric Peugeot. Les recherches ne durent pas longtemps, la famille préfère payer la rançon et l’enfant est retrouvé au bout de 48 heures. Mais les 50 millions (75.000 €) brûlent les doigts des ravisseurs. Ils se font remarquer par leur train de vie et sont arrêtés onze mois après les faits. Le petit Emmanuel Maillart n’aura pas la même chance. Il trouvera la mort dans des circonstances identiques. Son assassin ? Un lycéen de quinze ans.

Un an plus tard, le directeur de la PJ débarque à Alger. Il a les pleins pouvoirs pour rétablir « l’ordre républicain », salement mis à mal par l’action de l’organisation de l’armée secrète (OAS). Mission impossible dans une ville où les seuls à ne pas rendre justice sont les magistrats. Plus de deux cents policiers viendront remettre en route la PJ. Pendant ce temps, à Paris, tous les soirs, le bureau de liaisons (BDL) se réunit au ministère de l’intérieur. Il comprend des représentants de la PJ, de la DST, des RG et des militaires de la gendarmerie nationale et de la sécurité militaire, etc.

L’Algérie obtient son indépendance en 1962, et la DS du général de Gaulle est criblée de balles au rond-point du Petit-Clamart. L’instigateur de l’attentat, Jean-Marie Bastien-Thierry, est fusillé l’année suivante. Pendant ceds-institut-charles-de-gaulle.1170409697.jpg temps, à Marseille, les affaires continuent. Mais depuis longtemps, le territoire est trop étroit pour les Guérini , et à Paris, ça renaude. Antoine Guérini est abattu en 1967. C’est la fin du clan. Une synthèse de l’OCRB mentionne : « Gaëtan Zampa, dit Tany, est probablement l’instigateur de ce règlement de comptes et Jacques Imbert, alias Jacky le mat, la main armée ». Ce seront les futurs parrains. Pour la petite histoire, bien plus tard, à la prison des Beaumettes, Zampa sera rebaptisé la marraine, par ses codétenus. Quant jacques-imbert.1170429401.jpgau tueur fou, comme on surnommait également Imbert, il me fit un minable procès au civil, dans les années 90, comme « un honnête homme », pour avoir osé dire du mal de lui dans VSD. Il m’était quand même difficile d’en dire du bien…

En 1964, le commissaire François Le Mouel créé la brigade de recherche et d’intervention (BRI), au sein de la préfecture de police. En effet, après plusieurs pépins, il a été décidé de mettre fin aux embrouillaminis liés à la pénétration du milieu et à la manipulation d’indics. Donc, plus de contacts avec les truands. (Aujourd’hui, on a la « chance » d’avoir Perben, et sa la loi 2, qui non seulement autorise l’infiltration du milieu, mais admet que les policiers perpètrent des actes délictueux pour arriver à leurs fins !) « On les surveille, on les filoche et on les arrête », a dit Le Mouel, lequel, comme chacun le sait, ne lâchait jamais son os (l’os à…). La première est l’affaire du Palais-Royal. Une équipe de braqueurs décide de s’attaquer à la recette du magasin du Louvres. Après de longues surveillances, l’antigang les interpelle avant qu’ils ne passent à l’action. Mais la justice ne suit pas. Pas de tentative, car pas de commencement d’exécution, martèlent les magistrats. Ce qui amènera Le Mouel a privilégié le flag –avec tous les risques que cela comporte.

Au ministère de l’intérieur, on ne veut pas être en reste. La DCPJ créée la brigade centrale de documentation et de recherche criminelle, autrement dénommée la BCDRC (ils n’ont jamais été doués pour les acronymes à la direction PJ). Après un démarrage difficile, cette brigade trouvera sa voie avec l’arrivée du commissaire Bellemin-Noël, alias Belles paluches. C’est l’ancêtre de l’OCRB.

Mais, le grand boum de cette époque éclate le 29 octobre 1965, avec l’enlèvement du leader syndicaliste marocain Medhi Ben Barka. Là, on ouvre un panier de crabes qui n’est pas près de se refermer. On y dénicheben_barka.1170409583.jpg pêle-mêle des policiers des RG, un correspondant des services secrets (le SDECE), des barbouzes françaises, et, comme on a revendu la licence, des barbouzes marocaines, ainsi qu’un journaliste dévoyé et une sorte d’intellectuel inclassable, nommé Georges Figon. On ne retrouva jamais Ben Barka. On dit qu’il a été assassiné dans une maison de Fontenay-le-Vicomte appartenant à une vieille connaissance… Georges Boucheseiche (voir les épisodes précédents). Figon sera le premier à disparaître. Officiellement, il s’est suicidé. Sa mort sera suivie de la disparition pour le moins suspecte de plusieurs autres témoins, auteurs, coauteurs, ou complices, de cette équipée inénarrable. Au cours de cette enquête, le chef du groupe de répression du banditisme de la 1° brigade mobile, le commissaire Galibert, est tué dans un bar du 17° arrondissement de Paris, par un trafiquant de drogue, Christian David. Bénéficiant de protections occultes, il ne sera arrêté que… vingt ans plus tard.

En 1966, De Gaulle ne sait pas que bientôt les Français vont le renvoyer à ses grimoires ; et sous les pavés parisiens, les étudiants ne cherchent pas encore la plage. Enfin, sentence inattendue de l’affaire Ben Barka, une réforme capitale va chambarder la police. La PJ de papa est morte.

Robert Blémant, le commissaire aux deux casquettesRobert Blémant a fait ses classes à la brigade mobile de Lille. Après sa formation de commissaire, il est coopté par la direction de la surveillance du territoire (DST) et, en 1939, prend le poste de chef adjoint de l’antenne de Marseille. Mais c’est un homme d’action, tempérament peu compatible avec l’apparence paterne que doit en principe adopter un agent du contre-espionnage. De son passage en PJ, il a conservé un contact facile avec les truands. Aussi, sans vergogne, il cannibalise le milieu marseillais. Les Carbonne et Spirito et autres ne font pas le poids devant le bonhomme. Sa mission est de repérer les espions allemands, et peu importe les moyens. C’est avec la même détermination que plus tard, il chien-commissaire.1170497903.jpgpourchasse les gestapistes, quitte à utiliser les méthodes de l’adversaire. À la Libération, on le bombarde responsable de la ST pour toute la région. C’est alors, qu’il s’accoquine vraiment avec les Guérini, lesquels, plus ou moins blanchis par la guerre et proches de Gaston Defferre, se sentent pousser des ailes. En 47-48, la DST ne peut plus fermer les yeux sur ses agissements. Il doit démissionner de la police. Il devient alors une figure incontournable du banditisme marseillais, puis national. Son éducation (par rapport à celle des voyous) et son expérience des arcanes de l’administration en impose. On le considère, non pas comme un juge de paix, mais plutôt comme un sage.

Mais pour un truand, un flic est toujours un flic, et, dès que le vent tourne, la suspicion reprend le dessus. Le vent, en l’occurrence, c’est une tentative de meurtre sur un proche du clan Guérini : Jean-Baptiste Andréani. Les soupçons se portent sur Marcel Francisci. Faut dire que le Corse est un rien glouton : Il veut mettre la main sur tous les jeux, et comme ces temps-ci, on dit que lui et Blémant sont assez copains…

En 1964, Robert Blémant fait l’objet d’une expédition punitive montée par les frères Guérini. Un accident de voiture bien opportun permet aux policiers de fouiller leur véhicule et de découvrir – par hasard – un véritable arsenal. Le clan est contraint de ronronner un certain temps, laissant la place libre à Blémant – et à Francisci.

Mais sa mise à mort est programmée. Antoine Guérini, contre l’avis d’une partie de la famille (au sens vrai et au sens large), orchestre sa chute.

Le 4 mai 1965, une rafale de PM s’écrase contre sa voiture. C’est la fin de Blémant. Il ne touchera jamais sa retraite de la police, et jamais la DST n’ouvrira son dossier. Il est estampillé « Très secret » et enterré à jamais au fin fond du fichier de la rue des Saussaies. Pour les Guérini, c’est le début de la déconfiture. Monsieur Antoine n’avait pas assez de matière grise pour se rendre compte de l’importance de son complice dans seschien-voyou.1170497922.jpg affaires. Marcel Francisci, lui, s’en tire honorablement. Il sera par la suite baptisé l’empereur des jeux et les Américains subodoreront qu’il est un maillon capital de la French connection. Mais Francisci a des relations. Dans le civil, il est conseiller général UDF de la Corse-du-Sud. Il est abattu à Paris, en 1982.

Dans le milieu, il n’y a jamais prescription.

Malgré tout ce qu’on reproche à Robert Blémant, on peut encore se demander pour qui il roulait. En tout cas, sûr, il portait deux casquettes.

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La PJ de l'après-guerre

PARTIE 4 – À la Libération, l’état de délabrement de la France nécessite une reprise en main de tous les services. Un décret du 16 novembre 1944, rétablit la direction générale de la police nationale. C’est la base des structures actuelles : une direction générale rattachée au ministère de l’intérieur et quatre grandes directions actives : police judiciaire, sécurité publique, renseignements généraux et surveillance du territoire. Seule la préfecture de police de Paris échappe à l’hégémonie du pouvoir central. Le « Paris libéré » du général de Gaulle reste un état dans l’Etat.

pierrot-le-fou.1169647947.jpgLes premières années qui suivent, la préoccupation première n’est pas la lutte contre la criminalité de droit commun mais le rétablissement de l’ordre et de la paix publique. Ça flotte pas mal au plus haut niveau de l’administration, jusqu’à la naissance de la IV° République, le 13 octobre 1946. De Gaulle quitte l’arène politique et la PJ est rattachée à la sécurité publique. Un an plus tard, machine arrière, les SRPJ sont reconstitués – allers-retours qui vont se reproduire plusieurs fois au cours des années qui suivent. Peu importe les incertitudes politiques, les mobilards se remettent au boulot. Et le travail ne manque pas. Nombre de truands qui se sont remplies les poches avec la gestapo se sont habilement repliés avant que la situation ne tourneboule. Certains, comme Pierre Loutrel, alias Pierrot le fou, ont carrément retourné leur veste. Non sans un certain aplomb, à la Libération, Loutrel se fait même passer pour FFI. Il n’hésite pas, pour prouver ses dires, à procéder lui-même à « l’épuration » de ses anciens collaborateurs. De 1946 à 1948, il se reconvertit dans les vols à main armée et créé le fameux gang des tractions, dans lequel on retrouve, au fil du temps, les sempiternels pieds-nickelés : Émile Buisson, alias Mimile l’insaisissable, René Rigier, dit René la canne, Georges Boucheseiche, qui sera plus tard l’un des pivots de l’affaire Ben Barka, Jo Attia, Abel Danos, etc. Comble de l’ironie, Loutrel rendra seul justice à la société. Lors d’un braquage, il se tire accidentellement une balle dans la vessie. Il meurt peu après de sa blessure. Il a 30 ans. Il est enterré en catimini par ses complices, sur les berges d’une petite île, près de Mantes. Son corps ne sera retrouvé que bien plus tard et sa mort officiellement enregistrée en 1951. Buisson, beaucoup plus discret, est interpellé en 1950, et exécuté en 1956. Quant à René la Canne, il s’en est mieux sorti. Reconverti dans l’écriture (il a publié 4 livres), il est mort d’un cancer, le 29 janvier 2000, après avoir tenté de remodeler son image et modifié son sobriquet en… Prince des voleurs.

En 1949, l’affaire du vol des bijoux de la Bégum, dans le sud de la France, est un exemple de l’embrouillamini entre les différents services de PJ. Le commissaire Valantin (celui de la série télé Les brigades du tigre), a maintenant pris du galon. Il est directeur de la police judiciaire, mais à deux doigts d’être débarqué. Heureusement, l’enquête évolue, les voleurs sont arrêtés et les bijoux récupérés. L’inspecteur Roger Borniche s’est par la suite attribué ce succès dans un livre Vol d’un nid de bijoux, au grand diam, heu… dam, de certains de ses collègues.

En 1952, une sombre affaire obscurcit l’aura de la PJ. Un couple d’Anglais et leur fillette de dix ans (lesle-commissaire-chenevier-et-ses-collaborateurs.1169751311.jpg Drummond) sont assassinés dans leur campement, près de la ferme de la « Grand’terre », aux environs de Lurs. L’affaire Dominici débute. Une famille entière de paysans, des gens à l’ancienne, tient tête à la pression des policiers et des journalistes. Le commissaire Sebeil, de la PJ de Marseille, est chargé de l’enquête. Le patriarche Gaston Dominici ne cherche même pas à convaincre de son innocence, il avoue, se rétracte, change sa version des faits, etc. Lors de sa garde à vue, pour une raison inconnue, il aurait même confié à un gardien de la paix : « Ben, oui ! C’est un accident, j’étais saoul, ils m’ont pris pour un maraudeur, et je les ai tués tous les trois. » Le procès aboutit à un non-lieu, aussitôt contesté par le garde des Sceaux. Le ministre de l’Intérieur, un certain François Mitterrand, charge alors ses meilleurs limiers parisiens de reprendre le dossier, au grand mécontentement des policiers marseillais. Le commissaire Charles Chenevier dirige cette nouvelle équipe. Ce sera sa dernière enquête, mais il ne fera guère mieux que son collègue. La politique s’en mêle. Des bruits divers circulent. On murmure même que Jack Drummond aurait appartenu aux services secrets britanniques. Finalement, Dominici est condamné à mort – sans aucune preuve formelle. Au prononcé du verdict, il déclare : « Ah, merde ! Elle est forte, celle-là… » Le président Coty lui évite la guillotine. De Gaulle ledominici-a-la-fin-de-sa-vie.1169751545.jpg libère en 1960. Il meurt cinq ans plus tard – avec son secret. Jean Gabin, en 1973, interprétera ce personnage rugueux dans le film de Claude Bernard-Aubert L’affaire Dominici. Frédéric Pottecher, chroniqueur judiciaire réputé, écrit en 1999 : « L’affaire Dominici, un mystère qui relève de l’intelligence d’un patriarche et de la lâcheté de ses fils. »

Pour la petite histoire, en 1954, après 8 ans de combat et des dizaines de milliers de morts, Dien Bien Phu sonne le glas de la guerre d’Indochine et les inspecteurs de police changent de titre. Ils redeviennent des « officiers de police » – jusqu’à la prochaine fois. Cette même année, un autre conflit commence, plus fielleux, et plus proche de nous : la guerre d’Algérie. Il faudra attendre près d’un demi-siècle pour que la France reconnaisse qu’il s’agissait bien d’une guerre.

Roger Borniche, un flic de roman Borniche est un cas dans la police. Brillant inspecteur de PJ à la sûreté nationale, il n’y est resté que quelques années avant d’être poussé vers la sortie pour une ténébreuse histoire de carambouille. Vrai ou faux ? On peut penser qu’il s’agissait d’une manœuvre destinée à écarter un personnage trop envahissant. Il est sans doute le premier policier (bien avant Broussard, Aimé-Blanc, Devos…) à avoir su « personnaliser » les enquêtes et profiter au mieux de l’influence des médias. Même si dans ses livres il a allégrement pimenté son action (il revendiquait 567 arrestations …!), il subsiste le souvenir d’un flic brillant, aux méthodes marginales et à l’efficacitéborniche-story.1169647831.jpg redoutable. C’est ainsi que des anciens me l’ont décrit. Trop de qualités pour un modeste inspecteur. Ses chefs n’ont pas apprécié. Après avoir quitté la police, en 1956, il a ouvert un cabinet de recherches privées, et il s’est spécialisé dans les fraudes aux assurances. C’est maintenant son fils, Christian, qui en assure la conduite. Borniche a écrit une trentaine de livres. Ses succès littéraires feront également des jaloux. Ainsi René la canne déclarera plus tard : « … ce n’est pas Borniche qui m’a arrêté. » De même, le commissaire Chenevier minimisera le rôle de son collaborateur dans l’arrestation d’Emile Buisson. Dans son livre La grande maison (Presses de la Cité), il le poignarde : « L’inspecteur Borniche s’habille sur mesure et travestit la vérité… N’ayant pu faire carrière dans la police, il a parfaitement réussi dans l’édition. De plumes, il n’a, hélas ! que celles du paon. » Mais Roger Borniche n’a jamais prétendu écrire des documents, ni relater des dossiers. Il s’est contenté de raconter des histoires vraies, mais romancées, rédigées à la première personne du singulier. Un doyen, pour Roger Le Taillanter ou moi-même qui lui avons emboîté le pas. En tout cas, pour Borniche, la gloire est au rendez-vous. Ce premier livre est un succès populaire. Il est adapté au cinéma par Jacques Deray, en 1975, avec Alphonse Boudard pour le scénario et Alain Delon dans le rôle du policier. Roger Borniche s’est retiré aux Etats-unis. Son dernier ouvrage (1999) Dossiers très privés, aux Editions n°1, concerne son métier de détective privé.

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La PJ sous Vichy

PARTIE 3 – Dans les années qui suivent l’armistice de juin 1940, il ne reste plus qu’un maigre noyau de « mobilards ». Ils doivent faire face à une nouvelle génération de malfaiteurs, dont bon nombre font leurs armes au service de la gestapo, mais l’action judiciaire est en grande partie neutralisée par… un monstre à deux têtes.

prisonniers-de-guerre-francais.jpgLes plus célèbres des truands de l’époque se nomment : Pierre Loutrel, alias « Pierrot le fou », interpellé en 1948 ; Emile Buisson dit « Mimile l’insaisissable », arrêté en 1950, dont le nom reste attaché au gang des tractions ; sans oublier Abel Danos, surnommé « le mammouth »; et Jo Attia, Georges Boucheseiche, etc. Le plus médiatique (on dit qu’il était très proche de la famille royale de Monaco) fut René Rigier, plus connu sous le nom de « René la Canne ». Il fut arrêté en 1950 par l’inspecteur Roger Borniche, qui en en tira un livre, que Francis Girod adapta au cinéma en 1976.

Après une épuration massive des cadres de la police (plus de 50 % des commissaires sont révoqués), le maréchal Pétain charge René Bousquet de réorganiser la police pour en faire un instrument « à sa main ». La loi du 23 avril 1941 institue une direction générale de la police nationale (redevenue sûreté nationale de 1944 à 1966). Quelques mois plus tard, les services régionaux de police judiciaire voient le jour, il intègre les services de sûreté et les brigades mobiles. Mais, malgré le climat… autocratique, les péjistes font exception à l’autorité trop directe du préfet et garde un lien étroit avec l’autorité judiciaire. Peu à peu, la PJ s’adapte. L’héritage est versé aux oubliettes. Le temps où Clemenceau interdisait l’utilisation de la PJ dans les affaires politiques est révolu. À noter qu’il n’est peut-être jamais revenu et que la direction de la surveillance du territoire (D.S.T.), service de police judiciaire à compétence nationale (où j’ai démarré ma carrière) est toujours sous la houlette d’un préfet. Pour la petite histoire, c’est également de cette époque que date la création de l’école nationale de police de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, qui deviendra par la suite l’école nationale supérieure de police (E.N.S.P), dont tous les commissaires gardent souvenir.

On doit à Bousquet le fichier sur le recensement des juifs (fichier tulard, du nom de son créateur, l’inspecteur André Tulard), l’institution du port de l’étoile Jaune et de nombreuses rafles, dont celle du Vel d’Hiv. Jugé sans doute trop mou, fin 1943, la gestapo le remplace par Joseph Darnand. Ce dernier cumule les fonctions de secrétaire d’état au maintien de l’ordre et de chef de la milice.

Parallèlement, la gestapo française, surnommée « la carlingue », sévit au 93, rue Lauriston, à Paris. Elle est dirigée par Henri Laffont. En 1944, il crée, avec le nationaliste algérien Mohamed el-Maadi et un petit proxénète nommé Raymond Monange, la féroce légion nord-africaine ou bat d’af. On retrouve parmi les membres de la carlingue des noms célèbres du banditisme et… un ancien flic, un certain Pierre Bonny. Pour être honnête, il faut dire qu’à la libération, on découvrira d’autres noms célèbres du banditisme qui ont choisi une voie différente : la résistance.

Durant cette période noire, les hommes de la PJ se font tout petits. La plupart des malfaiteurs se sont façonné une protection : en cas de problème, les occupants ou leurs complices les sortiront du pétrin. Il est donc vain de les arrêter. Les plus malins des mobilards bâtissent des dossiers qui se révèleront utiles dans les années de l’après-guerre.

Pierre Bonny, le policier de la honte Pierre Bonny (voir Mon père, l’inspecteur Bonny de Jacques Bonny) est admis dans la police en 1918. Il a 23 ans et semble destiné à une brillante carrière. Ce n’est d’ailleurs pas l’ambition qui lui manque. Hélas, très vite, il comprend que carrière va de pair avec accointance politique. Après s’être fait remarquer en province, il est affecté à la « secrète », disent les historiens. (Probablement dans les services centraux du ministère de l’Intérieur, peut-être à un groupe de pénétration du « milieu ».) Là, il connaît des réussites. C’est un bon flic, qui en veut. Il prend de l’assurance. Considéré comme un homme de confiance par la hiérarchie centrale, c’est probablement à ce titre qu’il participe aux investigations sur la disparition du conseiller général Quémeneur, pierre-bonny-1934.jpgenquête dirigée par le commissaire Cunat de la 13° brigade mobile. Dans une perquisition rapide et tardive (et suspecte, disent les analystes) il découvrira les éléments de preuve qui feront condamnés Seznec. Mais, s’il est bien vu de certains politiciens, il est dans l’œil de mire de ses patrons. En 1934, il frôle la révocation, lorsque, de nouveau, il découvre une preuve accablante, dans une affaire qui ébranle le pouvoir, l’affaire Stavisky. Il conserve son poste et prend du galon. Le garde des sceaux, Henry Chéron déclare même : « Jeune homme, vous avez sauvé la République. Vous êtes le premier flic de France. » Modiano reprend d’ailleurs cet événement dans l’un de ses romans : « La ronde de nuit ». Mais les vrais flics ne l’entendent pas ainsi. Ils démontrent les malversations (voire bien pire) de Bonny dans plusieurs enquêtes, dont l’affaire Stavisky. Il est finalement condamné à trois ans de prison avec sursis et limogé de la police.

Pourtant, le premier flic de France (sic) n’a pas fini de faire parler de lui. C’est la guerre, puis l’occupation. Henri Laffont le recrute au sein de la carlingue, où il se spécialisera dans les interrogatoires et la torture. On pense même que son carnet d’adresses favorisera le recrutement de quelques truands notoires. Il a le pouvoir (de vie ou de mort…), l’argent. Il roule voiture de luxe, s‘entoure de divas et se goinfre de plaisirs immédiats. Il pense sans doute avoir satisfait ses ambitions.

L’ex-inspecteur Bonny est fusillé le 27 décembre 1944. Avant de mourir, il aurait dit (en parlant de Seznec) : « Je regrette d’avoir envoyé au bagne un innocent. »

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