LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La PJ sous Vichy

PARTIE 3 – Dans les années qui suivent l’armistice de juin 1940, il ne reste plus qu’un maigre noyau de « mobilards ». Ils doivent faire face à une nouvelle génération de malfaiteurs, dont bon nombre font leurs armes au service de la gestapo, mais l’action judiciaire est en grande partie neutralisée par… un monstre à deux têtes.

prisonniers-de-guerre-francais.jpgLes plus célèbres des truands de l’époque se nomment : Pierre Loutrel, alias « Pierrot le fou », interpellé en 1948 ; Emile Buisson dit « Mimile l’insaisissable », arrêté en 1950, dont le nom reste attaché au gang des tractions ; sans oublier Abel Danos, surnommé « le mammouth »; et Jo Attia, Georges Boucheseiche, etc. Le plus médiatique (on dit qu’il était très proche de la famille royale de Monaco) fut René Rigier, plus connu sous le nom de « René la Canne ». Il fut arrêté en 1950 par l’inspecteur Roger Borniche, qui en en tira un livre, que Francis Girod adapta au cinéma en 1976.

Après une épuration massive des cadres de la police (plus de 50 % des commissaires sont révoqués), le maréchal Pétain charge René Bousquet de réorganiser la police pour en faire un instrument « à sa main ». La loi du 23 avril 1941 institue une direction générale de la police nationale (redevenue sûreté nationale de 1944 à 1966). Quelques mois plus tard, les services régionaux de police judiciaire voient le jour, il intègre les services de sûreté et les brigades mobiles. Mais, malgré le climat… autocratique, les péjistes font exception à l’autorité trop directe du préfet et garde un lien étroit avec l’autorité judiciaire. Peu à peu, la PJ s’adapte. L’héritage est versé aux oubliettes. Le temps où Clemenceau interdisait l’utilisation de la PJ dans les affaires politiques est révolu. À noter qu’il n’est peut-être jamais revenu et que la direction de la surveillance du territoire (D.S.T.), service de police judiciaire à compétence nationale (où j’ai démarré ma carrière) est toujours sous la houlette d’un préfet. Pour la petite histoire, c’est également de cette époque que date la création de l’école nationale de police de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, qui deviendra par la suite l’école nationale supérieure de police (E.N.S.P), dont tous les commissaires gardent souvenir.

On doit à Bousquet le fichier sur le recensement des juifs (fichier tulard, du nom de son créateur, l’inspecteur André Tulard), l’institution du port de l’étoile Jaune et de nombreuses rafles, dont celle du Vel d’Hiv. Jugé sans doute trop mou, fin 1943, la gestapo le remplace par Joseph Darnand. Ce dernier cumule les fonctions de secrétaire d’état au maintien de l’ordre et de chef de la milice.

Parallèlement, la gestapo française, surnommée « la carlingue », sévit au 93, rue Lauriston, à Paris. Elle est dirigée par Henri Laffont. En 1944, il crée, avec le nationaliste algérien Mohamed el-Maadi et un petit proxénète nommé Raymond Monange, la féroce légion nord-africaine ou bat d’af. On retrouve parmi les membres de la carlingue des noms célèbres du banditisme et… un ancien flic, un certain Pierre Bonny. Pour être honnête, il faut dire qu’à la libération, on découvrira d’autres noms célèbres du banditisme qui ont choisi une voie différente : la résistance.

Durant cette période noire, les hommes de la PJ se font tout petits. La plupart des malfaiteurs se sont façonné une protection : en cas de problème, les occupants ou leurs complices les sortiront du pétrin. Il est donc vain de les arrêter. Les plus malins des mobilards bâtissent des dossiers qui se révèleront utiles dans les années de l’après-guerre.

Pierre Bonny, le policier de la honte Pierre Bonny (voir Mon père, l’inspecteur Bonny de Jacques Bonny) est admis dans la police en 1918. Il a 23 ans et semble destiné à une brillante carrière. Ce n’est d’ailleurs pas l’ambition qui lui manque. Hélas, très vite, il comprend que carrière va de pair avec accointance politique. Après s’être fait remarquer en province, il est affecté à la « secrète », disent les historiens. (Probablement dans les services centraux du ministère de l’Intérieur, peut-être à un groupe de pénétration du « milieu ».) Là, il connaît des réussites. C’est un bon flic, qui en veut. Il prend de l’assurance. Considéré comme un homme de confiance par la hiérarchie centrale, c’est probablement à ce titre qu’il participe aux investigations sur la disparition du conseiller général Quémeneur, pierre-bonny-1934.jpgenquête dirigée par le commissaire Cunat de la 13° brigade mobile. Dans une perquisition rapide et tardive (et suspecte, disent les analystes) il découvrira les éléments de preuve qui feront condamnés Seznec. Mais, s’il est bien vu de certains politiciens, il est dans l’œil de mire de ses patrons. En 1934, il frôle la révocation, lorsque, de nouveau, il découvre une preuve accablante, dans une affaire qui ébranle le pouvoir, l’affaire Stavisky. Il conserve son poste et prend du galon. Le garde des sceaux, Henry Chéron déclare même : « Jeune homme, vous avez sauvé la République. Vous êtes le premier flic de France. » Modiano reprend d’ailleurs cet événement dans l’un de ses romans : « La ronde de nuit ». Mais les vrais flics ne l’entendent pas ainsi. Ils démontrent les malversations (voire bien pire) de Bonny dans plusieurs enquêtes, dont l’affaire Stavisky. Il est finalement condamné à trois ans de prison avec sursis et limogé de la police.

Pourtant, le premier flic de France (sic) n’a pas fini de faire parler de lui. C’est la guerre, puis l’occupation. Henri Laffont le recrute au sein de la carlingue, où il se spécialisera dans les interrogatoires et la torture. On pense même que son carnet d’adresses favorisera le recrutement de quelques truands notoires. Il a le pouvoir (de vie ou de mort…), l’argent. Il roule voiture de luxe, s‘entoure de divas et se goinfre de plaisirs immédiats. Il pense sans doute avoir satisfait ses ambitions.

L’ex-inspecteur Bonny est fusillé le 27 décembre 1944. Avant de mourir, il aurait dit (en parlant de Seznec) : « Je regrette d’avoir envoyé au bagne un innocent. »

__________

Cliquer pour lire la suite…

6 Comments

  1. SEPTENNAIRE

    Les institutions se sont toujours rangées et se rangeront toujours du côté de la majorité politique. Depuis fouchet passant de Louis XVI a Napoleon et repassant à la restauration du côté monarchiste, en passant par les commissaires, les prefets et juges Petainistes qui arrétérent et condamnérent les « collabos » en 45.
    Aujourd’hui malheureusement cela serait la même chose car les Français ont peurs de l’autorité quelle qu’elle soit et la lacheté l’emporte sur le risque de perdre sont « fauteuil ».

  2. Tanisse

    « Dans une perquisition rapide et tardive il découvrira les éléments de preuve qui feront condamnés Seznec »… FAUX
    Si Seznec a été condamné ce n’est pas grâce à des « preuves » trouvées par Bonny ou autre.
    C’est pour deux raisons :
    1 – Seznec n’a pas d’explication plausible sur la disparition de Quémeneur. Il dira l’avoir laissé à Dreux pour prendre le train. Or à 21h58, heure du dernier train que Quémeneur aurait pu prendre, ils étaient au restaurant à… Houdan, 22kms plus loin, ce que Seznec s’était bien gardé de dire.
    A partir de là les mensonges de Seznec sont avérés.
    2 – Seznec était en possession de la valise de Quémeneur. Deux témoins le verront le 20 juin 1923 près de la gare du Havre où elle sera retrouvée. Et surtout : il y a dans la valise deux documents, promesse de vente fausse et carnet de dépense trafiqué qui ne peuvent avoir été manipulés que par Seznec compte tenu de ce qu’ils contiennent.
    Tout le reste est de l’enfumage et de la diversion.

    Par exemple le but du voyage n’a aucune importance, seule la disparition de Quémeneur après Houdan est primordiale.

  3. Tanisse

    L’enquête sur la disparition de Pierre Quemeneur a été menée conjointement par un groupe de police mobile de Paris dirigé par le commissaire Vidal dont Bonny faisait partie, et par un groupe de Rennes dirigé par Cunat. C’est le commissaire Cunat de Rennes et 4 inspecteurs de son groupe qui effectuèrent la troisième perquisition chez Seznec qui permit de découvrir la fameuse machine à écrire. Bonny n’y était absolument pas… Que d’erreurs dans cet article !

  4. Dominique BARES

    Je recherche un ouvrage sur les photos de la police parisienne sous l’Occupation à Paris

    Merci de me répondre

    D.BARES

  5. Sandra

    une periode terrible

  6. Annie

    J’ai lu votre article avec intérêt.

    Vous n’évoquez pas la question de la police aux questions juives.

    La réédition dans la collection bouquins de « Le Roman vrai de la IIIe et de la IVe République » Robert Laffont (ISBN 2-221-06714-2) propos un article intitulé « honneur de la police » qui peut vous intéresser et compléter votre étude.

    http://www.bouquins.tm.fr/livre.asp?code=2-221-06714-2

    De manière plus générale, l’ouvrage de Maurice Rasjfus sur la police de Vichy est intéressant également pour réfléchir sur la fragilité des institutions républicaines quand elles ne sont plus animées par un idéal démocratique.

    http://www.cherche-midi.com/theme/detail-La_police_de_Vichy-9782862743585.html

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑