LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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Les assassins face à la police scientifique

Pourquoi l’assassin a-t-il brûlé le corps de la jeune Agnès Marin, si ce n’est par crainte de laisser des traces ADN, ces microscopiques morceaux de nous-mêmes que l’on abandonne à chacun de nos mouvements… À Chambon-sur-Lignon, c’est donc sur des restes calcinés que les enquêteurs ont dû se pencher pour tenter de découvrir des indices. Comme en Ardèche, au mois de juin, lors de l’assassinat d’une lycéenne, Marie-Jeanne Meyer. Question : Les performances de la police scientifique peuvent-elles modifier le comportement des assassins ?

Dans plusieurs affaires criminelles, ces derniers mois, les meurtriers ont tenté de faire disparaître toutes traces de leur acte, soit en utilisant le feu, soit en découpant leur victime. Au mois de juin, à Pau, des morceaux de restes humains ont été découverts sur une rive du Gave : la cuisse du jeune Alexandre, 14 ans, disparu trois semaines plus tôt. Et l’on se souvient du meurtre de Laetitia Perrais, près de Pornic, pour lequel Thierry Meilhon est aujourd’hui emprisonné. Son corps a été démembré avant d’être jeté dans un étang. Des procédés qui étaient auparavant l’apanage des truands ou de certains tueurs au profil bien déterminé et qui semblent devenir monnaie courante.

Autrefois, les assassins s’acharnaient sur la dépouille de leur victime, soit pour faire disparaître le corps soit pour empêcher son identification. Il faut dire qu’alors, il était bien difficile d’identifier un cadavre, surtout calciné ou en état de décomposition. La plupart du temps, on devait se contenter de l’empreinte dentaire ou, parfois, de tenter de récupérer les empreintes digitales, en découpant la peau des doigts. Faire un « gant de peau », comme disaient les techniciens.

Mais aujourd’hui, les criminels ne connaissent pas trop les limites de la police scientifique et, dans le doute, la tentation est forte de faire disparaître le corps de leur victime. Dans un sens, ils ont raison d’avoir peur, car il bien rare que les techniciens ne trouvent pas un indice. Et même un corps carbonisé va livrer ses secrets, d’autant que, souvent, certaines zones sont partiellement épargnées du feu, celles qui sont protégées par plusieurs couches de vêtements, par exemple, ou celles qui sont près du sol. Et l’autopsie, du moins si elle est praticable, permettra malgré tout de voir les blessures et de déterminer la cause du décès.

Lorsque l’on parle police technique et scientifique (PTS), on pense bien sûr à l’ADN, qui a révolutionné les enquêtes criminelles, mais les spécialistes ont bien d’autres cordes à leur arc. Comme la morpho-analyse, c’est-à-dire l’étude des traces de sang « projetées ». Elles peuvent provenir d’une artère ou d’une deuxième blessure. Pour prendre un exemple, le premier coup de couteau provoque une hémorragie interne, mais au deuxième, lorsque l’assassin retire son couteau, le sang gicle. L’étude de ces projections permet parfois de reconstituer les circonstances d’un meurtre, la position des protagonistes, voire le type d’arme utilisée. C’est la spécialité de Dexter, dans la série télévisée qui porte son nom. Et même si on les a essuyées, il demeure des marques, invisibles à l’œil nu, qui peuvent être détectées à l’aide de produits chimiques qui les rendent luminescentes. Autre spécialité, l’entomologie, ou l’étude des insectes, ces petites bêtes nécrophages qui s’attaquent à un corps sans vie. Leur niveau d’évolution permet de dater la mort. La première ponte démarre au bout d’une heure. Sur une scène de crime, on peut également prélever des grains de pollen et des spores. Ce sont des marqueurs de l’environnement. Leur étude peut conduire les enquêteurs sur des suspects qui fréquentent un certain milieu, comme un champ de colza, un centre industriel, une manufacture, etc. Ou bien encore, si le corps a été déplacé, le pollen peut permettre de circonscrire la zone du crime.

En 2003, lorsque le promoteur Xavier Flactif, sa compagne et ses trois enfants disparaissent, on pense d’abord à une fuite pour des raisons financières. Toutefois, nous explique Jacques Pradel, dans un livre qui vient de sortir, Police scientifique : la révolution (Éd. Télémaque), discrètement, sept gendarmes, des TIC (technicien d’identification criminelle), passent leur maison au peigne fin. Trois jours de recherches minutieuses et 300 scellés. Le résultat ne fait aucun doute : une ou plusieurs personnes ont bien été tuées dans cette maison. Parmi les scellés, l’ADN des cinq membres de la famille, bien sûr, et un sixième non identifié. C’est celui d’un voisin, David Hotyat, un mécanicien au chômage, qui s’était fait remarquer en donnant une interview sur TF 1 (une réaction fréquente chez les criminels). Il a brûlé les corps. Au procès, il se rétractera, alléguant que ses aveux lui ont été extorqués. Et c’est sans doute la morpho-analyse qui parviendra à convaincre les jurés, lesquels boivent les paroles de l’expert de l’IRCGN (Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale) en imaginant le cheminement du meurtrier grâce aux photos de projections de sang.

La police scientifique est enveloppée de mystères. On ne connaît pas bien ses possibilités. Peut-être un jour, la crainte des policiers ou des gendarmes en blouse blanche sera suffisamment forte pour mettre un frein à la criminalité, du moins lorsqu’elle est préméditée. L’effet dissuasif pourrait être plus important que ces lois démagogiques qui s’accumulent à chaque fois qu’une affaire aussi triste que la mort d’Agnès se présente. On peut l’espérer.

Le gang des Lyonnais : un flash-back troublant

Alors que le film d’Olivier Marchal, Les Lyonnais, va sortir sur les écrans, Francis Renaud, le fils du juge assassiné en 1975, publie un livre qui laisse entendre que son père aurait pu être victime du gang de Momon Vidal. Cela nous ramène près de 40 ans en arrière : Nick-le-Grec supplante Jeannot la Cuillère et deux commissaires de police, dont Charles Javilliey, un as de la PJ, se retrouvent derrière les barreaux. Comme Michel Neyret aujourd’hui.

Tout cela mérite bien un petit flash-back…

En 1971, parmi la centaine de hold-up comptabilisés dans la région Rhône-Alpes, au moins cinq sont attribués à une même équipe : des individus lourdement armés, grimés ou masqués, chacun revêtu d’une blouse bleue. Et à chaque fois, ils prennent la fuite à bord d’une Renault Estafette. Au mois d’août, grâce à un coup de téléphone anonyme, les gendarmes de Bourg-en-Bresse retrouvent le véhicule. Ils découvrent à l’intérieur un véritable arsenal : des armes de tous calibres, des munitions, des cagoules, des postiches, etc. Tout laisse à penser que les malfaiteurs ont pris la sage décision d’arrêter les frais, de prendre leur retraite. Et, avant de tirer leur révérence, comme un dernier pied de nez, ils font don de leurs outils de travail à la maréchaussée. En fait, ils sont juste partis en vacances. En septembre, le ballet reprend, avec du matériel tout neuf. En février 1972, quatre hommes armés attaquent un transporteur de fonds sur le parking du Carrefour de Vénissieux. Les convoyeurs résistent. Fusillade. L’un des bandits est blessé, mais les malfaiteurs parviennent à s’enfuir avec un butin qui frôle le million de francs. Le lendemain, les gendarmes surprennent un étrange manège : ce qui semble bien être un transbordement entre une Estafette et une BMW. À la vue des képis, l’Estafette prend le large, tandis que le conducteur de la puissante BM s’embourbe dans la terre meuble du chemin. L’homme est interpellé. Il s’agit d’un gitan de 27 ans : Edmond Vidal. Il se dit ferrailleur. En 1967, il a été condamné à cinq ans de réclusion pour une agression à main armée contre un bar de Lyon en compagnie d’un truand bien connu : Jean-Pierre Gandeboeuf. Mais ce jour-là, les gendarmes n’ont rien à lui reprocher. Ils le laissent partir, sans doute à regret. Et ils avisent le service de police judiciaire.

C’est le début de la traque du gang des Lyonnais. Elle durera plusieurs années.

Aussitôt informé, avant même d’être officiellement saisi de l’enquête, le chef du groupe de répression du banditisme de Lyon, le commissaire Georges Nicolaï, entre en scène. Au bout de quelques semaines, le noyau de l’équipe est identifié. Outre Edmond Vidal, dit Momon, il y a Pierre Zakarian, dit Pipo, et Michel Zimetzoglou, alias Le Grec. Ces deux derniers sont associés dans la gérance d’un restaurant du quartier Saint-Jean de Lyon, « Le Tire-Bouchon », avec Joseph Vidal, dit Galane, le frère du précédent.

À cette époque, une affaire de proxénétisme éclabousse la police lyonnaise. Les commissaires Louis Tonnot, de la sûreté urbaine, et Charles Javilliey, de la PJ, sont soupçonnés de corruption. Javilliey, spécialisé dans la lutte contre le grand banditisme, possède pourtant un palmarès impressionnant. Il se défend comme un beau diable. Il affirme que ses relations avec le milieu, voire ses petits arrangements, sont le prix à payer pour obtenir des tuyaux. Rien n’y fait. Il est incarcéré. Condamné en première instance, il sera finalement relaxé devant la Cour d’appel en 1974. Ce charivari fait bien les affaires des truands et notamment d’un certain Jean Augé, dit Petit-Jeannot, le parrain du milieu lyonnais. Celui qui tire les ficelles. On peut se demander si quelqu’un bénéficie aujourd’hui de l’incarcération du commissaire Michel Neyret…

Jean Augé a été collabo durant la guerre, mais, lorsque le vent a tourné, il est entré dans un bar et il a tué deux Allemands – au hasard. Ce qui a fait de lui un héros. Reconverti au Gaullisme, il est rapidement devenu le responsable du SAC (Service d’action civique) pour toute la région. Durant la guerre d’Algérie, il a fait partie de cette police parallèle qui se livrait aux pires exactions : exécutions sommaires, torture… Ses amis lui avaient gentiment attribué le sobriquet de « Jeannot la Cuillère », car dans les interrogatoires, il utilisait cet ustensile pour énucléer ses victimes. On dit de lui qu’avec son complice, un ancien sous-officier, il préparait ses coups comme un chef d’état-major. Il a été le mentor d’Edmond Vidal et probablement le cerveau du hold-up de l’hôtel des postes de Strasbourg. Quasi une opération commando. Après son arrestation, comme beaucoup de truands, Edmond Vidal a d’ailleurs tenté de politiser ses méfaits en revendiquant des centaines d’opérations pour le compte du SAC. Ce qui n’a jamais été confirmé. Petit-Jeannot a été abattu en juin 1973 alors qu’il se rendait à son club de tennis.

Les malheurs du commissaire Javilliey n’empêchent pas Pierre Richard, le n°2 de la PJ, de se frotter aux informateurs. Et il obtient de l’un d’eux un tuyau sur le prochain coup que prépare le gang des Lyonnais. L’idée de faire un flag fait toujours bander les flics. Plus de cent policiers travaillent jour et nuit pendant plus d’un mois et demi sur Momon et sa bande. Des surveillances, des filatures, des écoutes sauvages, et même la sonorisation, avec l’aide de la DST, du domicile de certains suspects – à l’époque, en toute illégalité. Mais rien ne va comme prévu. Peut-être un problème de commandement… ou de sous. Finalement, Honoré Gévaudan, le directeur des affaires criminelles de la PJ, donne l’ordre d’arrêter les frais et de « casser » l’affaire. C’est l’opération « chacal ». Et c’est quitte ou double, car les preuves sont bien minces… Le véhicule d’Edmond Vidal est repéré devant le domicile de sa compagne, Jeanne Biskup, dite Janou, à Sainte-Foy-lès-Lyon. Lorsque le couple sort, tous deux sont interpellés. En douceur. Momon n’est pas armé. Dans la foulée, le reste de l’équipe est arrêté, à l’exception de l’un d’entre eux, qu’on ne retrouvera jamais. Peut-être l’indic qui a été invité à se mettre au vert avant les hostilités… À moins que ses amis aient découvert le pot aux roses… En tout cas, on n’en a plus jamais entendu parler. Des dizaines d’hommes et de femmes en garde à vue, des perquisitions dans toute la région, des centaines de P-V… Pour les nostalgiques de la fouille à corps, l’un des membres du gang, Pierre Pourrat, alias Le Docteur, tente de s’ouvrir les veines durant sa garde à vue à l’aide d’un canif qu’il avait dissimulé dans son slip. Mais les flics sont à cran. Trop longtemps que ça dure. L’ambiance est virile et certaines auditions sont musclées. On raconte que l’un des juges (il y en avait beaucoup), en voyant la tête légèrement carrée de Momon Vidal, lui aurait demandé s’il voulait déposer une plainte contre les policiers. Il aurait répondu : « Non, Monsieur le juge, c’est une histoire entre hommes ». Je ne sais pas si l’anecdote est vraie, mais c’est le fond du film d’Olivier Marchal : démontrer que les bandits de l’époque avaient un code d’honneur. Le romantisme d’un artiste. Personnellement, je trouve plutôt indécent de faire d’Edmond Vidal un homme d’honneur, comme on a fait de Jacques Mesrine un justicier, ou du terroriste Carlos un Che Guevara. Les années ne peuvent effacer les crimes des uns et des autres. Je n’aime pas les criminels qui se racontent sous prétexte qu’ils ont pris des rides.

Durant ces 48 heures de garde à vue, si les clients ne sont guère bavards, les perquisitions sont payantes : 274 scellés. Des armes, des munitions, de l’argent, des cartes routières annotées… Finalement, en rassemblant les pièces du puzzle, 14 vols à main armée sont mis au crédit de l’équipe. Celui de Strasbourg, le hold-up du siècle comme dit la presse, ne fera pas partie du lot. Et comme il se murmure que l’argent (près de 12 millions de francs) aurait renfloué les caisses d’un parti politique, certains laissent entendre que les policiers n’ont pas trop insisté. Ce qui est faux, en tout cas au niveau de l’instruction judiciaire, car le juge François Renaud s’accroche sérieusement à cette piste. Il place tout le monde en détention, notamment Jeanne Biskup, la compagne d’Edmond Vidal, et même son épouse dont il est séparé depuis plus d’un an. Une pratique inhabituelle, à l’époque. Le truand se rebelle et refuse dans ces conditions de répondre aux questions du magistrat. Il veut que sa compagne soit libérée. La presse s’en mêle et critique à mi-mots la dureté de François Renaud. Ainsi, le 27 juin 1975, Le Progrès de Lyon cite les avocats des malfaiteurs qui stigmatisent les  « bons plaisirs que le juge s’octroie » de laisser à l’isolement la dernière femme détenue. Huit jours plus tard, le juge Renaud est assassiné : trois balles de calibre .38 Spécial, dont deux à bout portant. Cela ressemble fort à de l’intimidation. Son successeur ne reprendra pas les recherches sur le SAC et Jeanne Biskup retrouvera la liberté dans les semaines qui suivent la mort du magistrat.

On peut se demander pourquoi Edmond Vidal voulait tant que sa compagne sorte de prison. Il existe une hypothèse : elle aurait su où était dissimulé le butin de la bande. Un magot estimé à 80 millions de francs. Mais un autre personnage devait, lui aussi, être dans la confidence : Nicolas Caclamanos, alias Nick-le-Grec, le conseiller financier de la bande. Et peut-être celui du SAC, avant qu’il ne se fâche avec Jean Augé. Une fâcherie qui a coûté la vie à Petit-Jeannot. Le journaliste d’investigation, Jacques Derogy, celui qui sans doute connaissait le mieux cette affaire, pense que Nick-le-Grec a commandité la mort du juge Renaud. Il en devait une à Momon pour lui avoir fait perdre pas mal d’argent dans une affaire de drogue qui avait mal tourné. L’occasion de se dédouaner. Un personnage ambigu, ce Caclamanos, mi-flic mi-voyou, il jouait sur les deux tableaux. On dit même qu’il roulait pour le Narcotic bureau. Il aurait donc versé 500 000 francs à des tueurs à gages pour liquider François Renaud. Mais dans quel but ? Pour se réhabiliter aux yeux de Momon Vidal ou pour empêcher le juge de mettre le nez dans les affaires du SAC ? Personne ne le sait. Peut-être un peu les deux, comme à son habitude.

Le procès s’ouvre en juin 1977. L’avocat général demande la réclusion criminelle à perpétuité pour Edmond Vidal. Après une longue délibération, vers 22 heures, le verdict tombe : dix ans. Cris de joie et applaudissements dans la salle d’audience. C’est la première fois sans doute que le président d’une Cour d’assises est ovationné par les proches de celui qu’il condamne… Quant à Jeanne Biskup, elle écope de cinq ans de prison dont la moitié avec sursis, ce qui lui permet de sortir libre du tribunal.

Edmond Vidal a été libéré en 1981. Plusieurs membres du gang des Lyonnais ont depuis connu une fin tragique, comme Michel Simetzoglou, ligoté sur un pneu et probablement brûlé vif. On se demande pourquoi. Un désaccord sur le partage du magot, peut-être… Quant à l’enquête sur la mort du juge Renaud, elle n’a jamais abouti.

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Je me suis référé aux livres de MM. Honoré Gévaudan (Ennemis publics, éd. JC Lattès) ; James Sarazin (M… comme milieu, éd. Alain Moreau) ; Jacques Derogy et Jean-Marie Pontaut (Investigation, passion, éd. Fayard).

Dans son émission Vivement dimanche, diffusée sur France 2 le dimanche 27 novembre, Michel Drucker reçoit Olivier Marchal et un panel de « flics à l’ancienne », au front ridé mais à l’œil pétillant.

Le polar à Paris 13

Les auteurs de romans policiers seraient-ils superstitieux ? On pourrait le penser, puisque c’est la mairie du 13° arrondissement de Paris et l’association 813 qui organisent, du 18 au 21 novembre 2011, le festival « Paris Polar ». Si l’on ne compte plus le nombre de salons consacrés au roman policier, dans la capitale, c’est le seul qui semble vouloir résister aux ans : c’est le huitième. Je suppose que le 13° sera un événement exceptionnel…

Demain vendredi, c’est la journée des tables rondes. On doit y parler des femmes qui tuent (10 à 13 % des meurtres, tous pays confondus), avec la projection d’un court-métrage de Stéphane Bourgoin réalisé dans une prison allemande : l’interview d’une tueuse en série. Et, en présence de l’écrivain islandais Arni Thorarinsson, il  sera aussi question du best-seller Millénium et de son effet boule de neige sur le polar nordique.

Samedi après-midi, une quarantaine de romanciers dédicaceront leurs livres. Et dimanche, pour les volontaires, balade dans les « mystères et brouillards du 13° » sur les traces de Léo Malet, le père de Nestor Burma, le célèbre détective de l’agence Fiat Lux.

Un petit mot de l’association 813 qui participe à l’organisation de ce festival. Créée en 1980, elle porte le nom d’un roman de Maurice Leblanc dans lequel il tente de tuer son héros, Arsène Lupin, le gentleman-cambrioleur. L’objectif premier de cette association est de faire partager au plus grand nombre la passion commune de ses membres : la littérature policière.

Quant aux policiers, s’ils sont très présents dans la publication de documents ou de récits, ils sont peu nombreux à avoir franchi le pas de la fiction. En cherchant bien dans la liste des participants, on doit quand même pouvoir en trouver un ou deux. Et même un juge…

 

Écolos : la police en vert

À l’automne, Europe Écologie les Verts (EELV) devrait sortir un programme de gouvernement dans lequel – c’est une première – la sécurité tiendra une place marquante. En attendant, histoire de se mettre en bouche, un petit recueil des « meilleures idées » vient de paraître : La sécurité urbaine en questions. Un projet coordonné par le Cédis, le centre de formation agréé pour les élus locaux, rédigé par des chercheurs et des élus, sous la direction d’Anne Wyvekens, directrice de recherche au CNRS.

Il s’agit d’une boîte à outils pour les écologistes, lesquels ont parfois un peu de mal à faire coïncider leur idéologie avec les contraintes liées à la sécurité, comme restreindre certaines libertés, voire tout simplement réprimer : « Difficile de mettre fin à la violence tout en s’affirmant non violent », peut-on lire dans ce document. Pourtant, le temps de l’angélisme est bien passé. La nouvelle génération des Verts a les pieds sur terre, comme Émilie Thérouin, adjointe au Maire d’Amiens, chargée de la sécurité et de la prévention des risques urbains. La seule élue écologiste responsable de la sécurité dans une ville de gauche.

Même s’il n’existe pas de structures, comme au PS, c’est un peu la Madame Sécurité des écolos, où elle œuvre la main dans la main avec Pierre Januel, coresponsable de la Commission Justice d’EELV. Pour elle, le maire doit être au centre de la sécurité sur le plan local, ce qu’on peut appeler la police au quotidien, sans toutefois que le premier magistrat de la commune ne s’implique dans la chaîne pénale. Une différence notable avec le Monsieur Sécurité du PS, Jean-Jacques Urvoas. Les Comités de liaisons police(s)/population pourraient être la base de cette gouvernance locale de la sécurité que les écologistes appellent de leurs vœux. Le premier s’est tenu à Amiens-nord à la suite des violences urbaines du printemps 2009. Il s’agit de rapprocher les habitants des quartiers « chauds » des services de police. Et de les faire participer à leur propre sécurité en instaurant une confiance à tous les niveaux. C’est le contre-pied de la politique actuelle basée sur la tolérance zéro et la confrontation permanente, comme s’il s’agissait de savoir qui a la plus grosse. Aujourd’hui, regrette Christian Mouhanna (CESDIP-CNRS) : « Il n’est plus question de médiation ou de prévention par les gardiens de la paix, il faut de la répression chiffrée ». La volonté actuelle est d’ailleurs d’entraîner les polices municipales dans ce scénario, d’où la décision d’attribuer la qualité d’OPJ à certains de ses membres. Un projet retoqué par le Conseil constitutionnel.

Extrait du document « Orientation du projet Europe Écologie - Les Verts 2012 »

Si en 2012 il y a alternance politique, les policiers municipaux devront se faire une raison, ils reviendront à leurs missions de base, réputées moins dangereuses, et se contenteront sans doute d’un armement de 6° catégorie. Donc, pas d’armes à feu, ni Flash-ball ni Taser, mais en revanche des moyens de protection adéquats.

Pour résumer la doctrine écologiste, du moins telle que je l’ai comprise, le maintien de l’ordre et la police répressive doivent rester du domaine exclusif de l’État, car lui seul a le « monopole de la coercition légitime ». Raison pour laquelle, les policiers et les gendarmes sont armés. Il en va différemment pour les policiers municipaux. Ils ne doivent pas être les duplicatas de leurs collègues de la Nationale mais au contraire montrer leur originalité et leur différence, en fonction de la commune où ils exercent. EELV est très proche du PS sur ce sujet, que l’on parle de police de proximité (même si le mot est tabou), de police du quotidien ou de tranquillité publique. Un directeur de la tranquillité publique, comme à Nantes, ça a de la gueule, non !

Quant aux préfets, ils devraient dépendre du Premier ministre et non du ministre de l’Intérieur, nous dit le pré-projet écolo. Car ils sont les représentants de l’État dans le département et non d’un seul ministre, et pourtant, ils consacrent le plus clair de leur activité aux problèmes de sécurité, au détriment des autres services de l’État. De nos jours, que ce soit dans la justice, la police ou la gendarmerie, plus personne n’agit, tout le monde réagit. La pression écrase. Les préfets de département, assis sur des sièges éjectables, sont devenus des chefs de police – d’ailleurs certains sont d’anciens chefs de police.

Le programme sécurité d’EELV devrait finalement être très proche de celui du PS. D’ailleurs, la semaine dernière, une première réunion de travail s’est tenue entre les deux mouvements politiques « sur l’établissement du volet « sécurité » d’une éventuelle plate-forme gouvernementale pour la prochaine législature », écrit Jean-Jacques Urvoas sur son blog. Il existe quelques différences, m’a dit Émilie Thérouin, comme par exemple la création d’un grand ministère de la Règle et du Droit qui regrouperait justice et police, projet cher au député du Finistère qui ne semble pas faire école chez les Verts. Peut-être que la candidate Éva Joly a des idées plus personnelles sur le sujet…

PS : la police en rose

« L’intérêt d’une démocratie commande toujours d’élever le niveau de la police et non de l’abaisser », nous dit le député Jean-Jacques Urvoas. Dans son livre, 11 propositions chocs pour rétablir la sécurité, il appuie là où ça fait mal : « La lutte doit être menée contre la délinquance, mais avec les citoyens ». D’après un sondage récent, 58 % des Français seraient satisfaits de leur police, alors qu’ils étaient 77 % il y a cinq ans. Et pourtant, dans ce même sondage, ceux qui ont eu affaire à la police sont contents du « service rendu » à 73 %. « Ces chiffres traduisent la relation complexe que les Français ont nouée avec ceux qui sont en charge de les protéger… » Ce que l’on constate fréquemment en lisant les commentaires sur ce blog.

Au fil des pages de son livre, derrière des propositions audacieuses, certains diront utopistes, M. Urvoas démolit la politique de la droite en matière de sécurité, fer de lance de la campagne présidentielle de 2007.

On feuillette ensemble…

Rapprochement police-justice – Il ne s’agit pas de rattacher la police à la justice, comme viennent de le faire les Pays-Bas, et comme le souhaitent de nombreux magistrats, mais de les raccrocher à une même structure : un « Grand ministère de la Règle et du droit » regroupant les compétences relatives à la justice et à la sécurité… ». Pas si simple. Le policier dépend du ministre de l’Intérieur, mais, lorsqu’il rédige un procès-verbal, en théorie, il rend des comptes au procureur ou au juge d’instruction, donc au ministre de la Justice. Toutefois, dans un commissariat, il existe bien d’autres tâches. En réalité, la question d’un rapprochement police-justice se pose depuis longtemps pour les services qui ne font « que » de la police judiciaire, comme les brigades du quai des Orfèvres ou, en province, les directions régionales.

Les flics dans la rue ! – Il faut « décharger les policiers et les gendarmes des tâches administratives ». Et pour cela, il faut recruter des « petites mains ». Aujourd’hui, les personnels administratifs représentent environ 10 % de l’ensemble des effectifs, alors que chez nos voisins européens, ils sont plus proches des 30 %. En Seine-Saint-Denis, les personnels de soutien ne seraient même que 5 %. Conclusion, 25 % du travail administratif serait effectué par des policiers. Mathématiquement, cela voudrait dire qu’un policier sur quatre n’est pas sur le terrain, et que la volonté du préfet Christian Lambert de mettre les « flics dans la rue » n’est qu’un vœu pieux. D’ici qu’il devienne socialiste…

Alors qu’aujourd’hui, on ne parle que d’argent, l’intérêt est évident : un personnel administratif coûte deux à trois fois moins cher et il ne faut que quelques semaines pour le former. Je suggère une autre piste pour mettre les flics sur le terrain : simplifier la procédure pénale qui date d’une époque où l’on tapait à deux doigts sur le clavier d’une « batteuse » et où l’avocat était gentiment prié d’aller voir ailleurs.

Alain Bauer va-t-il prendre sa retraite ? – Neuf millions d’euros de frais de fonctionnement, 81 personnes… À quoi peut bien servir l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), s’interroge le député socialiste ? Et l’observatoire de la délinquance (ONDRP) n’est-il pas un instrument destiné à rendre crédible les politiques de sécurité du gouvernement… « Depuis sa création, il n’a été capable de proposer que des analyses secondaires sur les statistiques de police et de gendarmerie ». C’est donc l’INSEE qui pourrait prendre la relève, avec notamment des enquêtes de victimisation. Et une idée originale : la création d’une fondation, rattachée à l’École Nationale supérieure de police, dont la vocation première serait de penser la sécurité de demain. Ce qui, il faut bien le dire, nous changerait de ces réactions à fleur de peau, prises sous le coup de l’émotion d’un fait divers tragique.

La fin de la préfecture de police de Paris – « État dans l’État, « république de Lutèce », la PP a une histoire faite de sédimentations (…) Une hérésie juridique qu’il est urgent d’abolir ». Là, c’est le prof de droit qui refait surface. Il prend le contrepied de la politique actuelle, puisque, depuis la signature du décret présidentiel de 2009 qui étend sa compétence aux départements limitrophes à la capitale, le préfet de police de Paris (également préfet de la zone de défense d’Île-de-France) n’a jamais été aussi puissant. Et de relancer une idée, qui va plaire aux inspecteurs de sécurité de la Ville : donner au maire de Paris les mêmes pouvoirs de police que les autres maires.

Des maires « sherifs » – « Pourquoi faudrait-il que la police des villes relève de l’État ? » s’interroge M. Urvoas. Pour lui, les maires doivent être « les véritables coordonnateurs des actions locales de sécurité, répression comprise »… Les seuls services sur lesquels il est légitime que l’État exerce une compétence exclusive sont la police de l’Air et des Frontières (DCPAF), les CRS et la direction centrale du renseignement. La DCRI sauvée par les socialistes, je n’y aurais pas crû.

Et les polices municipales ? – « Le rôle de la police municipale n’est pas de se substituer à la police nationale mais de tisser un lien de confiance avec la population, conformément à une approche préventive clairement établie ». Sa mission première est donc d’assurer la tranquillité publique, celle qui contribue à la qualité de vie dans la ville (exécution des arrêtés du maire, nuisances sonores, voies de faits dans une cage d’escalier ou les parties communes d’un immeuble, etc.), et non pas de faire le boulot de la police nationale. Et, pour éviter tout amalgame, leur uniforme doit être différent. Bien entendu, contrairement à la position de Manuel Valls, ils n’ont pas à être armés, sauf, éventuellement, avec des armes de défense de 6° catégorie (bâtons, bombes lacrymo….)

CRS… PS ! – Environ 27 000 policiers et gendarmes sont chargés du maintien de l’ordre, mais, en fait, cela représenterait moins de 20 % de leur activité. Ce qui en période de disette ne semble pas très rationnel. L’idée serait de doter les escadrons de gendarmes mobiles de moyens plus importants, notamment héliportés et aéroportés, et de les réserver pour le maintien de l’ordre. Tandis que les CRS se spécialiseraient dans la lutte contre les violences urbaines au niveau de la région. Ils seraient convertis en « FRS (forces régionales de sécurité) placées sous la responsabilité des directeurs régionaux de la police nationale… »

Les gendarmes resteront à l’Intérieur – M. Urvoas sait que de nombreux gendarmes souhaitent se détacher de la place Beauvau. Il prend des gants pour dire que cela ne sera pas le cas : « Rien ne serait plus irresponsable à cet égard que de les jeter à nouveau au cœur d’un cyclone de changements qui, loin d’apporter une quelconque plus-value opérationnelle, pourrait bien se traduire, au contraire, par une véritable régression dont l’unique effet serait de renforcer leur amertume et le sentiment qui les assaille trop souvent d’être incompris du pouvoir politique ». Ils conserveront donc leur statut militaire, au sein du ministère de l’Intérieur, qui, si j’ai bien suivi, pourrait devenir un Grand ministère de la Règle et du droit. La gendarmerie devrait être mieux représentée au sein des hautes instances politiques mais c’est une autorité civile qui en assurerait la direction : « Une voix forte pour défendre leur intérêts et restaurer leurs capacités d’action ».

Jean-Jacques Urvoas ne veut plus d’une « grande muette », mais au contraire d’une police ouverte, dont l’image ne dépend pas seulement d’un représentant syndical interviewé sur un coin de trottoir. L’enjeu est de passer « d’une police crainte et dénigrée à une police respectée et valorisée. » Comment ne pas être d’accord ? Mais les anciens, comme moi, resteront dubitatifs. Ils se souviennent encore des belles promesses, des belles déclarations des années 80, pour arriver, en quelques années, à déstabiliser profondément cette vieille maison, qui pensait pourtant en avoir vu d’autres. Espérons que le prochain président de la République comprendra que la police ne doit être ni un pouvoir ni servir un pouvoir.

Le roman de la capitaine

« Déconne pas mon pote… » Le gardien de la paix Gérard n’a rien vu du drame, il est arrivé trop tard, mais son collègue est là, étendu sur le sol, inanimé, une plaie à la gorge. « TNZ1, TNZ1… » Il s’époumone dans son talkie-walkie. « TNZ1… Au secours ! ». La scène rappelle cette course-poursuite en 1981 entre deux « cyclos » et un motard, ou plus exactement « une motarde », puisqu’il s’agit d’Inge Viett, cette intellectuelle dézinguée qui n’a pas hésité à tirer sur un policier qui s’approchait d’elle sans méfiance. Il s’appelait Francis Violleau. Il n’est pas mort, mais il est resté près de vingt ans dans un lit d’hôpital, tétraplégique, juste capable de bouger l’extrémité des doigts, avant de s’en aller – pour de bon.

Dans un roman, surtout un premier roman, presque à l’insu de son auteur, de vieux souvenirs ressurgissent. De ces choses qui vous ont marqué. Quand Christine Rogier parle de cette affaire, elle a les yeux qui brillent un peu trop…

À l’époque, elle était toute jeune. Mais lorsqu’elle a débuté, gardien de la paix à la circulation, les anciens lui ont raconté cette histoire, pour la mettre en garde, lui apprendre la prudence. Huit ans à la circul’, à faire le « ventilo au milieu des carrefours ». Un métier difficile : chaud l’été, froid l’hiver et toujours les gaz d’échappement… Mais ça lui plaisait bien : « J’étais autonome et indépendante », dit-elle. Puis elle a passé le concours de lieutenant de police. Elle aurait préféré officier de paix, mais ce grade a été supprimé en 1995. Tout un symbole.

« C’est l’histoire banale de trois flics (…) Du gardien au commissaire, ils sont scénaristes, acteurs, souffleurs, projectionnistes ou décorateurs d’un spectacle mis en scène par la vie… », c’est ainsi qu’elle attaque son Mercredeuils, trois flics face au destin, aux éditions AO. Il y a D’jorge, Piou-Piou et Sophie-la-Cap. Ils ne sont pas du 36, ils ne font pas partie d’un service prestigieux, non, ils bossent à l’unité d’investigation d’un central parisien. De la police de terrain. Au jour le jour. Comme elle, dans ce commissariat du centre de Paris, où elle est affectée.

Beaucoup de cadavres dans ce polar, un par mois. Sauf qu’ils sont morts depuis longtemps et qu’ils fleurissent aux quatre coins de la capitale pour former peu à peu une étrange figure : un hexagone. Qui peut être le barjot à l’origine de ce jeu macabre ?

« Le voyage, les pensées et l’impertinente affaire épuisent Sophie. Elle aime l’espace, la lenteur, la paix, la douceur. Une bouffée de nicotine, l’œil par-dessus les toits, Sophie cherche à suspendre ses rêves au-dessus du zinc et des ardoises, histoire de dérouiller ses idées, d’enterrer la gêne de ces cadavres dansant le jour dans son boulot, hantant de cauchemars ses nuits agitées. »

Dans ce livre, ce qui marque surtout, c’est l’atmosphère, cette atmosphère inclassable d’un service de police. Et le style. Car Christine Rogier a une manière d’écrire très personnelle, avec des tournures de phrases parfois un peu déroutantes, mais où les mots claquent pour mieux souligner une scène, une idée, ou un état d’âme : « Je ne suis pas plus capable ou incapable de résoudre les mystères de l’esprit humain tortueux. Et puis, je ne suis pas payée pour ça ; juste là pour clarifier des affaires criminelles qui n’ont pas dû changer depuis la nuit des temps ! » Ou sa révolte contre l’administration, ou autre chose, je ne sais pas : « On a le droit de ne pas se laisser faire (…) L’humiliation avant l’humilité, c’est pas ma tasse ».

Mais je me demande bien où elle est allée dénicher cet ancien policier qui serait, parait-il, « guichetier du Monde » (et non au Monde) !

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Christine Rogier signera son roman le samedi 11 juin, de 10h à 18h à la libraire Agora presse et cætera, 57 cours Vitton, Lyon 6°.

L'histoire de Marseille, de sa police et de sa pègre

« Marseille a un territoire trois ou quatre fois plus grand que Paris et il n’y a que trois cents agents de ville. Aussi, sur la Canebière, on vole et on détrousse les gens en plein jour. Il est évident que cela ne peut plus durer… » C’était en 1907. Le le-vieux-port_carte-postale.1304244402.jpgtribun Georges Clemenceau harangue les députés. Il plaide pour une police plus mobile, mieux équipée, adaptée à la société moderne. L’année suivante, la police marseillaise est étatisée. Les effectifs augmentent de 20 % et le budget fait un bond de 70 %.

De quoi rêver. Car si aujourd’hui le discours sur l’insécurité n’a guère évolué, en dehors du Grand Paris, de nombreuses villes ont vu les effectifs de la police ou de la gendarmerie fondre de 10 à 40 %.

Alors, pour nous évader un peu de nos soucis au jour le jour, et surtout de la mythologie du quai des Orfèvres, voici l’histoire vraie de la police de Marseille et de sa pègre, racontée par Alain Tourre, qui, à la différence de la plupart de ces flics qui prennent la plume n’a jamais traîné ses guêtres dans les couloirs du 36.

Dans son livre, Histoire de l’Évêché, écrit avec la collaboration de Danielle Thiéry et Christophe d’Antonio (Éd. Jacob-Duvernet), il nous relate les principaux événements du début du siècle précédent à nos jours : guerre des polices, règlements de comptes, trafic de toutes sortes, liens du milieu et de la politique, etc. La liste est longue. Certaines histoires dont on n’a jamais entendu parler, comme les bandits fantômes de Pégomas, ou l’attaque du train 261. Ou d’autres, bien plus célèbres, comme le vol des bijoux de la Bégum ou le démantèlement de la French Connection.

C’est en 1908 que le commissariat central de Marseille s’installe à l’Évêché, un édifice bâti au XVII° siècle pour servir de résidence aux évêques. Un symbole fort, trois ans après le vote de la loi sur la séparation de l’Église et de l’État. La toute nouvelle brigade mobile, qui porte le n° 9, elle, doit se contenter des locaux laissés vacants gare Saint-Charles. Ce n’est qu’en 1910, qu’elle rejoindra cet « hôtel de police » un peu particulier.  Où elle est toujours. Entre temps, la 9° est devenue le service régional de PJ, puis, plus récemment, une direction interrégionale.

alain-tourre.1304244506.jpgAlain Tourre a été le patron du SRPJ de Marseille. Il a également été un spécialiste de la lutte antidrogue. Aussi est-il bien placé pour nous parler de Marseille, plaque tournante du trafic international et région de prédilection des laboratoires clandestins ; ou encore de l’assassinat du juge Michel, lequel est directement lié au trafic de stupéfiants.

En lisant l’enquête sur l’affaire Ranucci, telle que l’auteur nous la raconte, j’ai été stupéfait de découvrir les charges qui pèsent contre lui, moi qui, comme beaucoup, avais un doute sur la culpabilité du condamné. Comment peut-on penser un instant qu’il s’agit d’une erreur judiciaire ?  Le débat sur la peine de mort a pris le pas sur tout le reste.

Lorsque j’ai demandé à Tourre les affaires qui l’avaient le plus marqué, lui qui a dirigé des services importants et qui a même été le candidat français pour prendre la tête d’Europol, n’a pas hésité un instant : les enquêtes où les victimes sont des enfants. Et en particulier une, qui à ce jour n’a pas été résolue : l’assassinat de Sabine Dumont, le 27 juin 1987, à Bièvres, dans l’Essonne. Cette petite fille de 9 ans a été enlevée en pleine journée près de son domicile et son corps entièrement dénudé a été retrouvé au bord de la RN 118, à cinq kilomètres de là. Un rapprochement avait été fait avec le meurtre de trois autres fillettes commis à la même époque. Mais il semble bien (c’est une opinion personnelle) que la dispersion des moyens entre les services enquêteurs et les juges d’instruction n’ait pas facilité les choses. « J’y pense toujours… je revois encore le visage de cette gamine, belle comme tout… », m’a confié Alain Tourre.

Peut-être un jour écrira-t-il un livre de souvenirs sur certaines de ses enquêtes, de celles que l’on ressasse avec le temps, et sur lesquelles parfois on s’interroge – comme le meurtre de la petite Sabine ou l’affaire Boulin… histoire-de-leveche.1304244603.jpg

Je vais être franc, dans les dernières pages d’Histoire de l’Évêché, on sent la pression d’un éditeur trop impatient, mais tel qu’il est, avec ses imperfections, c’est un véritable document sur la police et la pègre de Marseille. Un livre de référence qui se lit avec attention, qui force à la réflexion, et que l’on va conserver précieusement dans sa bibliothèque.

Sécurité : le prix de la peur

Nos angoisses sont devenues une marchandise. Et la peur, un business lucratif où se côtoient affairistes et politiques. Chacun se renvoyant la balle à tour de rôle pour nous faire miroiter une sécurité illusoire qui ne peut exister qu’au pays imaginaire. Mais, à trop nous cocooner, on nous a rendus vulnérables.

peur_site-paroisse-protestante-de-boofzheim.1300183679.jpgSommes-nous encore capables de surmonter nos peurs ?

Dans un petit livre dérangeant, Les marchands de peur (Ed. Libertalia), un chercheur, Mathieu Rigouste, décortique à sa manière le mécanisme de cette anxiété, instillée comme un goutte-à-goutte au sein de la société. « Transformée en marchandise, nous dit-il, la peur constitue désormais un secteur d’activité de commerçants. » Les marchands d’armes du siècle ont fait leurs choux gras, mais les conflits traditionnels se font rares. La guerre ne nourrit plus son homme. Il a donc fallu se trouver d’autres ennemis, parfois virtuels, et qui se cachent derrière des mots chocs : « invasion migratoire », « islamisation de la nation », « bandes juvéniles du crime organisé », etc.

Ces risques existent. Il serait à mon avis bien naïf de les balayer, mais où est le vaccin ? Des sommes considérables ont été dépensées pour éviter une épidémie de grippe – qui s’est avérée imaginaire. On a donc investi dans la prévention d’un risque. Combien pour prévenir les délits et les crimes ? La politique sécuritaire n’est aujourd’hui que répressive, et si l’on nous vante (à tort, d’ailleurs) l’aspect préventif de la vidéosurveillance/ protection, ne serait-ce pas en raison du marché que cela représente ? En fait, la sécurité recouvre les deux créneaux favoris des décideurs : l’argent et la politique.

Dans la ligne de mire de Mathieu Rigouste, on trouve « la bande à Bauer ». Par prudence (toujours, cette peur !), je ne reprendrai pas ses propos. Tout le monde mickey_parapluie.1300183774.gifconnaît Alain Bauer, dont on dit qu’il a l’oreille du président Sarkozy. Pour lui, pas de potion magique : il est tombé dans la gamelle sécuritaire lorsqu’il était jeunot. Après avoir participé à la fondation des jeunesses rocardiennes, en 1988, une fois Michel Rocard Premier ministre, il a été bombardé chargé de mission pour s’occuper notamment des questions de police. Il avait 26 ans.

Et pour mieux appuyer sa démonstration, Rigouste le cite : « Le crime n’est pas en récession. C’est un secteur extrêmement porteur. Il faut investir dedans… »

Raison pour laquelle, sans doute, Bauer a investi dans l’achat d’une quarantaine d’exemplaires d’un livre confidentiel, L’insurrection qui vient (Ed. La Fabrique), attribué à Julien Coupat (ce qu’il a toujours nié), flairant, derrière les mots, les éléments d’un « processus intellectuel qui ressemble extraordinairement aux origines d’Action directe » (source Wikipédia). On connaît la suite : des surveillances, des semaines de filatures, puis arrestations hypermédiatisées à Tarnac, sur le plateau de Millevaches, d’une bande d’intellos en mal de société. Incarcérations, libérations. Au fait, à quand le jugement ? Après ou avant les élections ?

La menace de l’ultragauche. Une sorte d’apothéose du jeu cérébral de l’insécurité, où l’on voit une menace virtuelle aboutir à des poursuites judiciaires sur un réseau de « préterroristes » soupçonnés d’avoir eu l’intention de commettre des attentats. Une « radicalisation ressentie », avait finement déclaré MAM, alors ministre de l’Intérieur (lire l’article de Rue89).

Mathieu Rigouste ratisse large. Il nous parle des réseaux clandestins formés à la Libération par le service action de la CIA dans le cadre de la lutte contre le communisme. Les « stay-behind » (les restés dans l’ombre) dans lesquels on trouve pêle-mêle des policiers, des militaires, des barbouzes, des truands et des hommes politiques, tous prêts à la contre-révolution pour le cas où le communisme s’imposerait. Ce qui nous fait furieusement penser au SAC. Pour lui, démonstration à l’appui, les attentats des années 70 en Italie ne sont le fait ni des brigades rouges ni des anarchistes, mais ils « ont été réalisés par des réseaux d’extrême droite anticommunistes instrumentalisés par une partie des services secrets ».

Dans ce livre, on n’est pas obligé de tout prendre à la livre-les-marchands-de-peur.1300183893.giflettre, mais après l’avoir lu, il y a des choses que l’on comprend mieux. Et c’est déjà pas si mal.

En le refermant, je remâchais ce commentaire d’un journaliste de la BBC, présent au Japon lors du séisme : « Une minute « after the big hit », les piétons attendaient calmement que leur feu passe au vert avant de traverser la rue ». Quel sang-froid ! Et sans faire de parallèle avec ce qui précède, je me demandais comment nous aurions réagi, comment nos autorités auraient réagi, devant une telle catastrophe…

Aff. Le Roux : un vieux truand balance

Dans un livre à sortir, modestement titré Confessions d’un caïd, un truand sur le retour raconte ses exploits. Son nom ne vous dira rien, à moi non plus d’ailleurs, car j’ai eu beau me triturer les cellules grises à m’en flouser le caberlot, je n’ai pas le souvenir de ce monsieur de 75 balais, qui aurait fricoté avec la French agecanonix_asterix.1299313600.jpgConnection. Un proche de Tany Zampa ou de Francis le Belge, sans doute, mais en plus intelligent, car il aura su rester dans l’anonymat, le bougre ! Mais comme avec l’âge (même si je suis un jeunot par rapport à Jacques Chirac), mes facultés pourraient être mises en défaut, j’ai parcouru la nomenclature d’un livre qui fait référence en la matière, celui d’un autre ancien, mais lui du journal Le Monde, James Sarazin, dans Dossier M… comme milieu (Éd. Alain Moreau, 1977). Bon, pas de Hernandez non plus. Alors, j’ai feuilleté le fichier du grand banditisme des années 70/80, et toujours rien. Pas à dire, le bonhomme, il est fort !

À en croire la presse, l’un de ses amis se serait vanté auprès de lui d’avoir trucidé Agnès Le Roux. On ne va pas reprendre la chronologie de cette affaire à tiroirs (secrets), j’en ai longuement parlé sur ce blog. Pour faire simple, disons que l’une des héritières de l’héritière du casino Le Palais de la Méditerranée, à Nice, a mystérieusement disparu en 1977, après avoir cédé ses parts à un sombre individu que l’on disait proche de la mafia italienne. Dans ce meurtre sans cadavre, il fallait un méchant, et c’est un avocat, Maurice Agnelet, qui a assumé le rôle. Après un gymkhana juridique de 30 ans, et après avoir été jugé innocent par le jury d’une cour d’assises, il a finalement écopé de 20 ans devant une autre Cour d’assises, victime, si l’on peut dire, d’un acharnement judiciaire hors du commun. L’affaire Agnelet est aujourd’hui un cas d’école.

Donc, nous raconte le sieur Hernandez, alias Gros Pierrot, l’un de ses amis, Jean Lucchesi, lui aurait confié être l’auteur de ce crime, dans le cadre d’un contrat. Il aurait jeté le corps d’Agnès aux Goudes, dans les calanques de Marseille, un endroit où, pour la petite histoire, Jean-Pierre Melville aimait tourner ses films.  Et son Range Rover, recherché dans toute l’Europe, aurait tout bonnement été compacté dans un garage marseillais. Son copain Jeannot lui aurait raconté tout ça juste avant de mourir, en 1987. Et depuis, « le vieillard repentant » vit avec ce fardeau, partagé entre le souci de ne pas salir la mémoire de son ami, et le calvaire de savoir un innocent en prison.

Finalement, il a craqué, et il a tout balancé dans ce livre de souvenirs qui doit paraître ces tout prochains jours. Avec en caution, rire_bondyblog.1299313434.pngparaît-il, la préface de Lucien Aimé-Blanc, l’un des grands patrons de l’ex-office du banditisme.

Je me demande ce qu’ils ont tous, ces anciens voyous, à vouloir raconter leurs faits d’armes comme s’ils avaient fait la guerre… Le syndrome Mesrine peut-être ! En tout cas, à la différence de cet Amigo (La vérité sur le casse de Nice) qui se vante d’avoir participé au fric-frac de la Société générale, en crachant au passage dans la gamelle d’Albert Spaggiari, et en oubliant que le recel est un délit permanent, donc imprescriptible ; Jean-Pierre Hernandez, lui, ne risque rien. En France, sauf cas particuliers, la non-dénonciation d’un criminel n’est pas punissable.

Flic et romancier

Il paraît que les policiers ont la plume facile. Une manie qui vient probablement de cette fameuse procédure écrite, ce système ancestral, hérité du Code d’instruction criminelle, dont, malgré les techniques modernes, on n’arrive pas à se défaire. Mais le plus souvent, il s’agit de livres de souvenirs, baignés parfois de nostalgie ou d’arrogance, selon le caractère de chacun.

herve-jourdain.jpgHervé Jourdain, lui, donne dans le roman policier. Il se sert évidemment de ses connaissances et de son expérience pour raconter ses histoires, mais surtout, il restitue, peut-être à son insu, les sentiments, les émotions, voire les traumatismes, de ce métier hors du commun : flic à la crim’.

Dans la vie de tous les jours, il est capitaine de police. Mais s’il y a un endroit où ce grade militaire n’a aucun sens, c’est bien quai des Orfèvres.

Lorsque toute fraîche sortie de l’école de police, Nora Belhali débarque à la brigade des mineurs, elle se fait briefer par les anciens. Ici pas de cowboys. Son chef de groupe lui conseille d’entrée de mettre son arme au coffre « vu qu’on  est la plupart du temps derrière son ordinateur ». Il lui remet un dépliant sur l’organisation du service et un bitumard (plan de ville), avant de l’inviter à déjeuner au Rat mort, le restaurant administratif qui se trouve derrière Notre-Dame. « Ça fait bizarre, écrit-elle dans son journal intime, parce que tout le monde se tutoie. J’ai vraiment du mal avec les officiers. D’autant qu’à l’école, c’était complètement proscrit. Il paraît que c’est comme ça, même les vieux commandants, il faut les tutoyer. »

Quelques années plus tard, devenue OPJ, Nora Belhali est aspirée à la crim’, dans l’équipe de Daniel Duhamel, alias Scarface, dont on a fait la connaissance dans Sang d’encre au 36 (qui vient d’être réédité en poche). Dans ce premier livre, l’auteur nous faisait participer à une enquête sur un serial killer. Ici, dans Psychose au 36 (Éd. Les Nouveaux Auteurs), il s’agit d’une vengeance qui trouve son origine dans une affaire dont la jeune femme s’est occupée alors qu’elle était jeune enquêtrice.

On découvre au fil des pages le travail (peu connu) des policiers de la brigade des mineurs : violences, pédophilie, infanticide… De quoi donner le vertige. Hervé Jourdain a pratiqué durant plusieurs années. Je lui ai demandé d’évoquer cette expérience…  « J’en garde un souvenir très fort, marqué par des affaires inextricables, parfois indicibles, dit-il (…) Au début, on a tendance à s’attacher aux victimes, pris dans l’empathie, dans un désir de les sortir de leurs souffrances. Mais on s’aperçoit vite que les réponses judiciaires ne suffisent pas tout le temps à les guérir. Et puis, paradoxalement, il y a de belles réussites ponctuées par des aveux (la fameuse bascule en forme de confession lorsque le mis en cause cède après des heures d’interrogatoire) et surtout la complicité avec des collègues  qui deviennent nécessairement de très bons amis, qui en savent long sur votre vie. En termes de sociologie et de psychologie, la brigade des mineurs est pour moi l’école de la police judiciaire la plus complète. Il faut beaucoup de recul pour pénétrer le cœur d’une famille sans trop la froisser. »

La lecture de ce roman se fait en deux temps. On passe du journal intime de Nora, donc des faits déjà lointains, aux événements présents.psychose-au-36_jourdain.1298457587.jpg Ce qui demande une période d’adaptation. Au début, c’est un peu frustrant, tellement l’envie est grande d’entrer plus vite dans l’intrigue. Mais en même temps on découvre tant de choses sur les techniques actuelles de la police judiciaire, que l’on zappe sur cette petite gêne. Ensuite, après le premier cadavre, on accroche dans l’histoire et on n’en sort pas. Et se régalant au passage de la rivalité entre les bœuf-carottes et les vieux routiers de la crim’.

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