LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Portraits (Page 3 of 5)

Quelques figures du grand banditisme et un bout de leur histoire.

Le livre des armes dans la police

Même s’ils préfèrent ne pas en parler, les policiers entretiennent souvent une relation particulière avec leur arme. Pour Dominique Noël, commandant de police, la question ne se pose pas : c’est un passionné, un collectionneur, un technicien et… un fin tireur qui a gagné par deux fois le prestigieux challenge national de la PJ en équipe. Cet instructeur de tir vient de sortir un livre bourré de photos et d’illustrations qui nous retrace la petite histoire des armes dans la police.

On y découvre ainsi qu’à leur création, les brigades mobiles de Clemenceau, comptent une seule arme pour sept hommes, le fameux revolver d’ordonnance modèle 1892, qui avait la particularité de ne pas faire de fumée. Un revolver écolo, en quelque sorte. Il faudra attendre les exploits criminels de la bande à Bonnot, en 1911, pour que chaque « mobilard » soit doté d’une arme individuelle. Du moins sur le papier, car les finances ne suivent pas. Ainsi, en 1921, il est mentionné dans un rapport que « la situation budgétaire actuelle ne peut malheureusement permettre de couvrir les dépenses très élevées qu’entraînerait l’acquisition des revolvers et des cartouches nécessaires pour armer l’effectif total des brigades… » En fait, les crédits permettent tout au plus l’achat de 2 ou 3 revolvers par brigade. D’où cette idée de génie du ministre de l’Intérieur (qu’en ces temps de disette revenue, je permets de souffler à M. Valls), il propose aux policiers d’acheter leur arme et leurs munitions. Et beaucoup sont d’accord. Ainsi, sur les 22 policiers que compte la brigade de Montpellier, 14 se portent acquéreurs d’un revolver et de 600 cartouches. Ce manque de moyens n’a d’ailleurs pas empêché les brigades du Tigre d’avoir des succès retentissants. Et Paris n’est guère mieux loti.  En 1912, seulement 250 inspecteurs sont équipés de pistolets automatiques. Le fameux Browning 1900, de calibre 7,65, que le catalogue Manu décrit comme « élégant, d’une bonne prise en main avec un pointage naturel, son chien automatiquement réarmé à chaque coup lui valant des départs très doux… Il permet un tir très rapide et soutenu grâce à son alimentation par chargeurs… ». L’ancêtre des pistolets d’aujourd’hui. Une invention de l’américain John Moses Browning. Pourra-t-on  l’acquérir librement en application de la loi du 6 mars 2012 qui va faciliter la vie aux collectionneurs ? Deux conditions pour qu’une arme soit considérée comme une arme de collection : une fabrication avant 1900 et un calibre déclassé – ce qui n’est pas le cas du 7,65. Mais de toutes façons, sauf erreur de ma part, le décret d’application n’est pas paru.

Dans ce livre, Les armes de la police nationale de l’Ancien Régime à nos jours (Histoire et Collections), on découvre l’évolution de l’armement en fonction des problèmes de sécurité liés aux différentes périodes. Rien de nouveau. La plus grande partie de l’ouvrage est néanmoins consacrée aux armes modernes, létales ou non. Et, bien sûr, le fameux pistolet SIG SP 2022 (2022, c’est sa date de péremption, un peu comme les yaourts), y tient la vedette. Mais à la lecture, en s’approchant de notre époque, on voit que les choses s’accélèrent et qu’il existe aujourd’hui une véritable prospection dans ce domaine, comme une quête impossible : l’arme capable de sauver une vie sans en prendre une.

Dominique Noël est aujourd’hui réserviste. Il est directeur technique d’un club de tir privé et instructeur-chef du Centre de tir de Paris et de la police nationale, le stand Foch, comme on l’appelle, dirigé depuis très longtemps par Raymond Sasia. Lequel a préfacé son livre. Pour mémoire, cet ancien gorille du général de Gaulle a profondément modifié l’entraînement des policiers, notamment avec sa méthode (parfois controversée) du tir rapide. Des milliers de flics ont été marqués par la répétition à plus soif des séances de « sortie d’arme », la fameuse « prière », sur le pas de tir.

En tout cas, je partage son opinion : « Ce livre, outre l’aspect technique agrémenté d’une impressionnante iconographie, aborde l’histoire de la police à travers les siècles et apporte ainsi une richesse insoupçonnée qui devrait connaître un réel succès auprès des policiers, collectionneurs et historiens.  »

Je dois dire que ce qui m’a le plus étonné, lorsque j’ai rencontré Dominique Noël, ce n’est pas sa connaissance des armes ou des méthodes d’intervention, mais son émotion contenue lorsqu’il parle du Budukan de Deuil-la-Barre, dans le Val-d’Oise. Cela fait bientôt 30 ans qu’il y enseigne le jiu-jitsu, essentiellement à des ados, et leur comportement, lorsqu’ils montent sur le tatami, est bien loin des clichés habituels. « Un club hyper sympa, dit-il avec une petite flamme dans les yeux, où les pratiquants respectent les principes énoncés dans le code des arts martiaux (salut, respect, etc.). Un vrai bonheur ! »

Le jiu-jitsu comme arme non létale, ce n’est pas mal non plus.

Le roman de la capitaine

« Déconne pas mon pote… » Le gardien de la paix Gérard n’a rien vu du drame, il est arrivé trop tard, mais son collègue est là, étendu sur le sol, inanimé, une plaie à la gorge. « TNZ1, TNZ1… » Il s’époumone dans son talkie-walkie. « TNZ1… Au secours ! ». La scène rappelle cette course-poursuite en 1981 entre deux « cyclos » et un motard, ou plus exactement « une motarde », puisqu’il s’agit d’Inge Viett, cette intellectuelle dézinguée qui n’a pas hésité à tirer sur un policier qui s’approchait d’elle sans méfiance. Il s’appelait Francis Violleau. Il n’est pas mort, mais il est resté près de vingt ans dans un lit d’hôpital, tétraplégique, juste capable de bouger l’extrémité des doigts, avant de s’en aller – pour de bon.

Dans un roman, surtout un premier roman, presque à l’insu de son auteur, de vieux souvenirs ressurgissent. De ces choses qui vous ont marqué. Quand Christine Rogier parle de cette affaire, elle a les yeux qui brillent un peu trop…

À l’époque, elle était toute jeune. Mais lorsqu’elle a débuté, gardien de la paix à la circulation, les anciens lui ont raconté cette histoire, pour la mettre en garde, lui apprendre la prudence. Huit ans à la circul’, à faire le « ventilo au milieu des carrefours ». Un métier difficile : chaud l’été, froid l’hiver et toujours les gaz d’échappement… Mais ça lui plaisait bien : « J’étais autonome et indépendante », dit-elle. Puis elle a passé le concours de lieutenant de police. Elle aurait préféré officier de paix, mais ce grade a été supprimé en 1995. Tout un symbole.

« C’est l’histoire banale de trois flics (…) Du gardien au commissaire, ils sont scénaristes, acteurs, souffleurs, projectionnistes ou décorateurs d’un spectacle mis en scène par la vie… », c’est ainsi qu’elle attaque son Mercredeuils, trois flics face au destin, aux éditions AO. Il y a D’jorge, Piou-Piou et Sophie-la-Cap. Ils ne sont pas du 36, ils ne font pas partie d’un service prestigieux, non, ils bossent à l’unité d’investigation d’un central parisien. De la police de terrain. Au jour le jour. Comme elle, dans ce commissariat du centre de Paris, où elle est affectée.

Beaucoup de cadavres dans ce polar, un par mois. Sauf qu’ils sont morts depuis longtemps et qu’ils fleurissent aux quatre coins de la capitale pour former peu à peu une étrange figure : un hexagone. Qui peut être le barjot à l’origine de ce jeu macabre ?

« Le voyage, les pensées et l’impertinente affaire épuisent Sophie. Elle aime l’espace, la lenteur, la paix, la douceur. Une bouffée de nicotine, l’œil par-dessus les toits, Sophie cherche à suspendre ses rêves au-dessus du zinc et des ardoises, histoire de dérouiller ses idées, d’enterrer la gêne de ces cadavres dansant le jour dans son boulot, hantant de cauchemars ses nuits agitées. »

Dans ce livre, ce qui marque surtout, c’est l’atmosphère, cette atmosphère inclassable d’un service de police. Et le style. Car Christine Rogier a une manière d’écrire très personnelle, avec des tournures de phrases parfois un peu déroutantes, mais où les mots claquent pour mieux souligner une scène, une idée, ou un état d’âme : « Je ne suis pas plus capable ou incapable de résoudre les mystères de l’esprit humain tortueux. Et puis, je ne suis pas payée pour ça ; juste là pour clarifier des affaires criminelles qui n’ont pas dû changer depuis la nuit des temps ! » Ou sa révolte contre l’administration, ou autre chose, je ne sais pas : « On a le droit de ne pas se laisser faire (…) L’humiliation avant l’humilité, c’est pas ma tasse ».

Mais je me demande bien où elle est allée dénicher cet ancien policier qui serait, parait-il, « guichetier du Monde » (et non au Monde) !

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Christine Rogier signera son roman le samedi 11 juin, de 10h à 18h à la libraire Agora presse et cætera, 57 cours Vitton, Lyon 6°.

L'histoire de Marseille, de sa police et de sa pègre

« Marseille a un territoire trois ou quatre fois plus grand que Paris et il n’y a que trois cents agents de ville. Aussi, sur la Canebière, on vole et on détrousse les gens en plein jour. Il est évident que cela ne peut plus durer… » C’était en 1907. Le le-vieux-port_carte-postale.1304244402.jpgtribun Georges Clemenceau harangue les députés. Il plaide pour une police plus mobile, mieux équipée, adaptée à la société moderne. L’année suivante, la police marseillaise est étatisée. Les effectifs augmentent de 20 % et le budget fait un bond de 70 %.

De quoi rêver. Car si aujourd’hui le discours sur l’insécurité n’a guère évolué, en dehors du Grand Paris, de nombreuses villes ont vu les effectifs de la police ou de la gendarmerie fondre de 10 à 40 %.

Alors, pour nous évader un peu de nos soucis au jour le jour, et surtout de la mythologie du quai des Orfèvres, voici l’histoire vraie de la police de Marseille et de sa pègre, racontée par Alain Tourre, qui, à la différence de la plupart de ces flics qui prennent la plume n’a jamais traîné ses guêtres dans les couloirs du 36.

Dans son livre, Histoire de l’Évêché, écrit avec la collaboration de Danielle Thiéry et Christophe d’Antonio (Éd. Jacob-Duvernet), il nous relate les principaux événements du début du siècle précédent à nos jours : guerre des polices, règlements de comptes, trafic de toutes sortes, liens du milieu et de la politique, etc. La liste est longue. Certaines histoires dont on n’a jamais entendu parler, comme les bandits fantômes de Pégomas, ou l’attaque du train 261. Ou d’autres, bien plus célèbres, comme le vol des bijoux de la Bégum ou le démantèlement de la French Connection.

C’est en 1908 que le commissariat central de Marseille s’installe à l’Évêché, un édifice bâti au XVII° siècle pour servir de résidence aux évêques. Un symbole fort, trois ans après le vote de la loi sur la séparation de l’Église et de l’État. La toute nouvelle brigade mobile, qui porte le n° 9, elle, doit se contenter des locaux laissés vacants gare Saint-Charles. Ce n’est qu’en 1910, qu’elle rejoindra cet « hôtel de police » un peu particulier.  Où elle est toujours. Entre temps, la 9° est devenue le service régional de PJ, puis, plus récemment, une direction interrégionale.

alain-tourre.1304244506.jpgAlain Tourre a été le patron du SRPJ de Marseille. Il a également été un spécialiste de la lutte antidrogue. Aussi est-il bien placé pour nous parler de Marseille, plaque tournante du trafic international et région de prédilection des laboratoires clandestins ; ou encore de l’assassinat du juge Michel, lequel est directement lié au trafic de stupéfiants.

En lisant l’enquête sur l’affaire Ranucci, telle que l’auteur nous la raconte, j’ai été stupéfait de découvrir les charges qui pèsent contre lui, moi qui, comme beaucoup, avais un doute sur la culpabilité du condamné. Comment peut-on penser un instant qu’il s’agit d’une erreur judiciaire ?  Le débat sur la peine de mort a pris le pas sur tout le reste.

Lorsque j’ai demandé à Tourre les affaires qui l’avaient le plus marqué, lui qui a dirigé des services importants et qui a même été le candidat français pour prendre la tête d’Europol, n’a pas hésité un instant : les enquêtes où les victimes sont des enfants. Et en particulier une, qui à ce jour n’a pas été résolue : l’assassinat de Sabine Dumont, le 27 juin 1987, à Bièvres, dans l’Essonne. Cette petite fille de 9 ans a été enlevée en pleine journée près de son domicile et son corps entièrement dénudé a été retrouvé au bord de la RN 118, à cinq kilomètres de là. Un rapprochement avait été fait avec le meurtre de trois autres fillettes commis à la même époque. Mais il semble bien (c’est une opinion personnelle) que la dispersion des moyens entre les services enquêteurs et les juges d’instruction n’ait pas facilité les choses. « J’y pense toujours… je revois encore le visage de cette gamine, belle comme tout… », m’a confié Alain Tourre.

Peut-être un jour écrira-t-il un livre de souvenirs sur certaines de ses enquêtes, de celles que l’on ressasse avec le temps, et sur lesquelles parfois on s’interroge – comme le meurtre de la petite Sabine ou l’affaire Boulin… histoire-de-leveche.1304244603.jpg

Je vais être franc, dans les dernières pages d’Histoire de l’Évêché, on sent la pression d’un éditeur trop impatient, mais tel qu’il est, avec ses imperfections, c’est un véritable document sur la police et la pègre de Marseille. Un livre de référence qui se lit avec attention, qui force à la réflexion, et que l’on va conserver précieusement dans sa bibliothèque.

La chute d’Henri Botey, le parrain de Pigalle

On le surnommait le «  premier proxénète de France », il a fait la Une des journaux dans les années 80 et si les macchabées ont jalonné son environnement, lui s’en est toujours sorti. Même si parfois les balles ont sifflé à ses oreilles. Aujourd’hui, à agecanonix_asterix..jpg77 ans, il encourt dix ans de prison, en tant que tenancier (en sous-marin) de deux bars de Pigalle où les hôtesses, dit-on, travaillaient au bouchon. « Le client devait payer une bouteille de champagne, facturée entre 200 € et 300 € avant de pouvoir monter avec une fille. Il devait ensuite débourser 200 € pour la passe », raconte Le Parisien.

Un drôle de personnage que ce Botey. Pendant des dizaines d’années, lui et sa femme, Carmen, ont tenu le haut du pavé du Paris des noctambules. Pratiquement aucune boîte de nuit, aucun bar louche, pas un hôtel de passes de la capitale n’échappaient alors à l’emprise du couple – même s’il ne possédait aucun titre de propriété. Et cela semblait dans l’ordre des choses. Les policiers laissaient faire, certains même en croquaient, et les politiques y trouvaient leurs comptes. À tel point que Mitterrand, au début de son premier mandat, s’en étonne et tonne. Il charge Pierre Touraine, le directeur de la PJ parisienne, de faire le ménage. Ce qui va entraîner pas mal de remous. Car bien sûr, ce proxénétisme quasi officiel, transformé en un business lucratif où chacun s’y retrouve, n’est possible que si les autorités ferment les yeux. Une myopie justifiée par la mine de renseignements que les RG soutirent à ces messieurs-dames et, plus curieusement, par la préservation du folklore crapoteux de Pigalle.

Quand même, le proxénétisme classé patrimoine national, cela laisse rêveur…

Pour être honnête, il n’est pas exclu qu’avant Mitterrand, Giscard d’Estaing ait eu lui aussi la même attitude. On dit que le réseau de Botey l’avait activement soutenu lors de sa campagne électorale. En tout cas, peu après les élections de 1974, il y a remise à l’heure : le seigneur des julots se retrouve dans le collimateur de la Brigade mondaine, avec à la clé une inculpation pour proxénétisme. Une procédure toutefois gentillette, avec au passage un sérieux redressement fiscal. Un bon moyen de pression. Une somme qui équivaudrait à près de 3 millions d’euros, qu’il aurait, murmure-t-on, intelligemment négociée…

Et ses affaires reprennent. Mais dans la police, certains commencent à traîner les pieds. Ils ont du mal à comprendre la protection dont bénéficient les époux Botey. Mauvais flics, va ! Entre la BSP, le nouveau nom de la brigade mondaine, et les services de la rue du Faubourg-Saint-Honoré (l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains), le torchon brûle. Et les chefs de service ont bien du mal à éviter les chausse-trappes parfois tendues par leurs propres collègues. Comme toujours en cas de guéguerre des polices, les informateurs sont pressurés. Du coup, les proxénètes ne savent plus à quel saint se vouer et leur situation devient moins confortable. Ce qui n’est pas bon pour les affaires. Côté positif : quelques flics ripoux, victimes collatérales de ce manège, sont priés de faire leurs valises.

Mais pas à dire, sous la gauche, il devient plus difficile de gérer sa petite entreprise, car les protecteurs de Botey ne sont plus aux manettes. Du coup, il se trouve affaibli. Et dans le milieu, c’est comme dans la jungle, cela ne pardonne pas. Ou tu es prédateur ou tu te retrouves au mauvais bout de la chaîne alimentaire. En 1987, l’un de ses anciens employés, Alain Picaud, pense qu’il est grand temps pour le vieux (il a 54 ans) de prendre sa retraite. Ce qui ne serait pas très inquiétant si derrière ne se dessinait l’ombre de Jacky Imbert, alias Le Mat. Botey demande protection à André Gau, dit Dédé Gode, qui a le tort de ne pas prendre l’affaire au sérieux. Lui qui est l’un des derniers survivants de la guerre des gangs entre Tany Zampa, Francis le Belge, les frères Zemour et le clan des Siciliens, va mourir bêtement dans une cabine téléphonique de Neuilly, flingué par un demi-sel. Picaud sera d’ailleurs arrêté peu après et passera aux aveux sans trop se faire prier.

Quant à Botey, qui se trouvait également dans la cabine téléphonique, il s’en sort indemne (voir sur ce blog « La petite histoire de la PJ »).

Henri Botey n’est pas un dur, mais plutôt un homme d’affaires. Des affaires très spéciales. De mémoire, il n’a jamais été inscrit au fichier du grand banditisme. Et le fait d’apprendre aujourd’hui qu’il a tenu Marine Le Pen sur les fonts baptismaux a dû en faire sourire plus d’un : d’anciens truands, d’anciens policiers, et surtout de très actuels politiciens qui en ont sans doute marre de voir la squelette_blog-a-la-fortune-du-mot.1302851977.jpgdame s’envoler dans les sondages…

Décidemment, ces temps-ci, les vieux truands sont sur la sellette. Comme si la PJ raclait ses fonds de tiroir. A moins qu’à la DCRI  on soit en train d’expurger l’ancien fichier des RG… Entre nous, j’ai comme l’impression que dans les mois à venir, bien d’autres squelettes vont sortir des placards.

Le beau mec est mort de vieillesse

C’était il y a quelques jours, dans le service de gériatrie d’un hôpital parisien. Sans être le parangon de la série de France 2, c’était vraiment un beau mec, à l’ancienne, capable du pire comme du meilleur. Quand j’ai débarqué en PJ, dans le petit monde du banditisme, les anciens m’ont rebattu les oreilles des exploits de extrait-image-le-deuxieme-souffle.1301126910.jpgMonsieur Madeleine, comme disaient les flics qui avaient lu Victor Hugo (si si, y en avait !).

Bernard Madeleine est né après la Première Guerre mondiale, à Le Fresne-Camilly, dans le Calvados. Je ne connais pas ses états de service durant « la suivante », mais dans son livre, Monsieur Madeleine, aux éditions du Rocher (écrit sous la pression amicale d’Alphonse Boudard et préfacé par José Giovanni), il raconte que s’il a commis un hold-up, après la débâcle de l’armée française, c’était pour se payer le voyage vers Londres, via l’Algérie, où il comptait rejoindre De gaulle (archives Le Parisien ). James Sarazin dans Dossier M… comme milieu (Éd. Alain Moreau) est moins musical. Pour lui, Madeleine a commencé sa carrière en se livrant à de petits cambriolages, comme la plupart des truands, puis son activité s’est recentrée sur les escroqueries « aux faux policiers ». Faut dire que les cartes bleu-blanc-rouge circulaient pas mal, à cette époque. Une chose est sûre, il a fini par se faire coincer : dix ans de travaux forcés.

Pour un jeune homme qui avait passé une partie de sa jeunesse au bagne pour enfants, l’addition a dû paraître salée.

Aussi, en 1960, on peut imaginer qu’il avait une revanche à prendre sur la société. Il se spécialise alors dans les agressions à main armée, et, avec sa bande, se livre à une série de braquages, certains plutôt violents.  Les policiers en recensent une quinzaine, dont neuf où il est directement mis en cause. Et une demi-douzaine de blessés parmi les victimes.

Ses lieutenants sont les frères Noël qui, lors de leur arrestation, seront trouvés en possession d’un important lot de diamants provenant d’un fabuleux hold-up commis à Milan, en Italie.

Madeleine est arrêté en juin 1964, à Soulac, en Gironde, au Whisky à gogo, bar où il sirote un verre avec deux de ses complices. Pour les flics de l’antigang, c’est une belle prise. Ils comparent Madeleine à Pierre Loutrel, dit Pierrot le fou ou à Émile Buisson, l’ennemi public n°1 des années cinquante. Jugé en 1968, il prend perpète.

José  Giovanni, qui a été un proche de Madeleine avant de se reconvertir dans l’écriture et le cinéma, se serait inspiré du personnage pour écrire Le deuxième souffle, livre qui a été adapté par deux fois au cinéma. Dans le premier, Lino Ventura était Gustave Minda, dit Gu. Et Paul Meurisse interprète celui qui le traque, l’énigmatique commissaire Blot.

C’est un autre ancien truand, Michel Houdart, qu’un procureur avait surnommé « le Robin du Bois de St-Amand », qui m’a informé de la mort de Madeleine. Même s’ils n’étaient pas de la même génération, tous deux ont eu un passé commun.

« À 64 balais, Bernard remonte au braquage sur une affaire que j’avais montée, me dit Michel Houdart, parce que, entre le gang pressenti pour le taper et moi, le courant ne passait pas vraiment… Le chef en était l’un de ses autres fils spirituels… Du coup, le Vieux a décidé de remonter sur le tas après avoir vu un flic en service m’apporter de fausses plaques d’immatriculation… »

C’était à la poste de Châtelineau, en décembre 1982. L’un des premiers hold-up avec prise d’otages commis en Belgique. Les braqueurs enlèvent le directeur et séquestrent sa famille le temps de se faire ouvrir les coffres-forts. Un butin équivalant à plusieurs centaines de milliers d’euros.

Mais le coup se termine mal, du moins pour les truands. Le grain de sable. L’un des leurs, Francis Bindewald, grand seigneur, mais pied-nickelé, avait tenu à régler la boisson qu’il avait consommée à la cantine de la poste – et il oublie son portefeuille. Rapidement, une demi-douzaine de personnes se retrouvent sous les verrous. Madeleine écope de 15 ans, le policier véreux en prend 20, quant à Michel Houdart, il est condamné à mort.

Pourtant, Madeleine aurait pu passer au travers, car ses amis l’avaient poussé à s’exiler en Amérique du Sud avec son butin. Pensant qu’il était bien trop connu des poulagas pour ne pas être suspecté. Ce qui était vrai. Il a refusé, pour ne pas abandonner sa vieille mère.

L’affaire n’est pas close pour autant. Non seulement Houdart réussit à s’évader, mais la justice belge, qui s’était un peu emmêlée les pinceaux dans la procédure frontalière, se trouve plongée dans un imbroglio juridique invraisemblable.

Nouveau procès en 1991, en France cette fois. Bernard Madeleine, qui a purgé sa peine (remises comprises), vient témoigner. Il a alors 70 ans (46 en prison). Beau mec, jusqu’au bout des ongles, il fait un numéro de flûtiste devant le jury et endosse l’entière responsabilité du braquage. Il déclare : « Je suis de la vieille école. Celle qui ne tuait pas, qui ne blessait pas, et qui ne citait jamais les noms des camarades… ». Quant à Michel Houdart, en réponse aux témoins qui le chargeaient, il répond : « Je conteste certains faits, mais je respecte l’homme et la femme qui viennent de témoigner. Car ce sont les victimes. » (citations Lesoir.be).

Il a pris cinq ans. Ce qui est quand même mieux que la peine de mort. Il m’a dit : « Je suis un rebelle, un révolté, un emmerdeur…   comme tu voudras…   mais je n’ai pas du tout l’âme d’un truand oulivre-madeleine.1301125096.jpg d’un arnaqueur… Exactement comme Bernard Madeleine, d’où notre estime réciproque… »

Je laisse à chacun le soin d’apprécier… ou de juger. On a tellement pris l’habitude ces temps-ci des jugements à l’emporte-pièce… Quant à moi, je fais partie de cette génération de flics qui n’avaient pas d’ennemis, mais uniquement des adversaires. Et lorsqu’un délinquant a purgé sa peine, je crois qu’il a le droit au même respect qu’un autre. Et même plus qu’un autre, s’il choisit le droit chemin. Car c’est plus difficile pour lui.

Flic et romancier

Il paraît que les policiers ont la plume facile. Une manie qui vient probablement de cette fameuse procédure écrite, ce système ancestral, hérité du Code d’instruction criminelle, dont, malgré les techniques modernes, on n’arrive pas à se défaire. Mais le plus souvent, il s’agit de livres de souvenirs, baignés parfois de nostalgie ou d’arrogance, selon le caractère de chacun.

herve-jourdain.jpgHervé Jourdain, lui, donne dans le roman policier. Il se sert évidemment de ses connaissances et de son expérience pour raconter ses histoires, mais surtout, il restitue, peut-être à son insu, les sentiments, les émotions, voire les traumatismes, de ce métier hors du commun : flic à la crim’.

Dans la vie de tous les jours, il est capitaine de police. Mais s’il y a un endroit où ce grade militaire n’a aucun sens, c’est bien quai des Orfèvres.

Lorsque toute fraîche sortie de l’école de police, Nora Belhali débarque à la brigade des mineurs, elle se fait briefer par les anciens. Ici pas de cowboys. Son chef de groupe lui conseille d’entrée de mettre son arme au coffre « vu qu’on  est la plupart du temps derrière son ordinateur ». Il lui remet un dépliant sur l’organisation du service et un bitumard (plan de ville), avant de l’inviter à déjeuner au Rat mort, le restaurant administratif qui se trouve derrière Notre-Dame. « Ça fait bizarre, écrit-elle dans son journal intime, parce que tout le monde se tutoie. J’ai vraiment du mal avec les officiers. D’autant qu’à l’école, c’était complètement proscrit. Il paraît que c’est comme ça, même les vieux commandants, il faut les tutoyer. »

Quelques années plus tard, devenue OPJ, Nora Belhali est aspirée à la crim’, dans l’équipe de Daniel Duhamel, alias Scarface, dont on a fait la connaissance dans Sang d’encre au 36 (qui vient d’être réédité en poche). Dans ce premier livre, l’auteur nous faisait participer à une enquête sur un serial killer. Ici, dans Psychose au 36 (Éd. Les Nouveaux Auteurs), il s’agit d’une vengeance qui trouve son origine dans une affaire dont la jeune femme s’est occupée alors qu’elle était jeune enquêtrice.

On découvre au fil des pages le travail (peu connu) des policiers de la brigade des mineurs : violences, pédophilie, infanticide… De quoi donner le vertige. Hervé Jourdain a pratiqué durant plusieurs années. Je lui ai demandé d’évoquer cette expérience…  « J’en garde un souvenir très fort, marqué par des affaires inextricables, parfois indicibles, dit-il (…) Au début, on a tendance à s’attacher aux victimes, pris dans l’empathie, dans un désir de les sortir de leurs souffrances. Mais on s’aperçoit vite que les réponses judiciaires ne suffisent pas tout le temps à les guérir. Et puis, paradoxalement, il y a de belles réussites ponctuées par des aveux (la fameuse bascule en forme de confession lorsque le mis en cause cède après des heures d’interrogatoire) et surtout la complicité avec des collègues  qui deviennent nécessairement de très bons amis, qui en savent long sur votre vie. En termes de sociologie et de psychologie, la brigade des mineurs est pour moi l’école de la police judiciaire la plus complète. Il faut beaucoup de recul pour pénétrer le cœur d’une famille sans trop la froisser. »

La lecture de ce roman se fait en deux temps. On passe du journal intime de Nora, donc des faits déjà lointains, aux événements présents.psychose-au-36_jourdain.1298457587.jpg Ce qui demande une période d’adaptation. Au début, c’est un peu frustrant, tellement l’envie est grande d’entrer plus vite dans l’intrigue. Mais en même temps on découvre tant de choses sur les techniques actuelles de la police judiciaire, que l’on zappe sur cette petite gêne. Ensuite, après le premier cadavre, on accroche dans l’histoire et on n’en sort pas. Et se régalant au passage de la rivalité entre les bœuf-carottes et les vieux routiers de la crim’.

Un truand décoré par Sarkozy !?

François Marcantoni, alias Monsieur François, va être décoré de la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy. C’est du moins ce que nous annonce France Soir, dans une brève du 3 tintin_lepost.1273041078.jpgmai 2010. Vous me direz, rien d’original… Sauf que cette fois, le récipiendaire n’est pas n’importe qui, et la nouvelle a dû faire bondir plus d’un flic de ma génération.

Car si aujourd’hui, Marcantoni est un vieux monsieur – il aura 90 ans à la fin du mois – qui coule une retraite paisible dans sa résidence de l’ouest de la région parisienne, il n’en a pas toujours été ainsi…

En 1942, il est ouvrier artificier à l’arsenal de Toulon, et il participe au sabordage de la Flotte française. L’année suivante, il fuit le travail obligatoire (STO) et s’enrôle dans la Résistance. marcantoni_france-soir-copie.1273041392.JPGSon passé de résistant sera d’ailleurs reconnu par la suite, notamment son adhésion aux Forces françaises de l’intérieur (FFI) entre janvier 43 et mai 44 – mois où il sera interpellé par la police parisienne au volant d’une voiture volée. Sans doute pour se dédouaner, il raconte alors qu’il est en mission pour la Gestapo (après la guerre, il dira que c’était pour la Résistance). Une histoire pas très claire pour laquelle il écopera de dix mois de prison. Sa première condamnation.

Dans ses mémoires, il raconte qu’à la Libération, il s’en prend aux fortunes mal acquises, autrement dit, il se livre à un petit jeu à la mode à cette époque qui consiste à racketter les Collabos.

Puis, dans les années qui suivent, sa vie est parsemée d’arrestations, de contrôles et de petites peines de prison. Jusqu’en 1951. Année où l’un de ses amis, Leybus Schlimer, dit Léon le Juif, est arrêté par la 1ère brigade mobile pour un hold-up  à la Banque Algérienne de Paris. À l’époque, ce service de police judiciaire de la sûreté nationale est particulièrement redouté du milieu, car bien peu de truands ont su résister aux interrogatoires du groupe chargé de la répression du banditisme. On dit de ces policiers qu’ils manquaient de psychologie…

En tout cas, Léon le Juif balance Marcantoni. Lequel prendra cinq ans. Il en fera trois. Quant au beau Léon, il succombera à une overdose de plomb, une semaine après sa sortie de prison. Son assassin ne sera jamais identifié.

Courant 53, Marcantoni fait la connaissance, dans un bar de Toulon tenu par son frère, d’un jeune mataf un rien désœuvré qui revient d’Indochine : Alain Delon. Ils resteront amis. Et plus tard, devenu une star, Delon lui fera découvrir le monde du showbiz. Mais, même s’il se dit alors producteur, Marcantoni ne quitte pas le milieu du banditisme. On le dit très proche de la bande des Trois Canards. Une équipe à tiroirs spécialisée dans les braquages et le racket, et ainsi surnommée pour ses séances « gestapistes » dans la cave du bar de ce nom.

En prenant de la bouteille, le personnage devient cependant plus prudent. Et même si son nom apparaît dans des enquêtes concernant des règlements de comptes, des vols ou des histoires de fausse monnaie, il parvient le plus souvent à passer à travers les mailles du filet. Comme beaucoup de Corses, on dit aussi qu’il a été « Algérie française » et proche de l’OAS, mais il s’est toujours défendu d’avoir été une barbouze.

Dans les années 60, peu à peu, il se retire des affaires. S’il ne devient pas un parrain, dans le milieu, on le considère plus ou moins comme un sage. On le gratifie du surnom de « Commandant ».

Sa vie bascule vraiment un matin d’octobre 68, lorsqu’on retrouve le corps de Stéfan Markovic enveloppé dans une housse de matelas sur une décharge publique d’Élancourt, dans les Yvelines. Or cet homme est depuis trois ans le garde du corps d’Alain et de Nathalie Delon. Et quelques jours plus tard, les enquêteurs de la PJ de Versailles (l’ancienne 1ère brigade mobile) prennent connaissance d’une lettre du mort dans laquelle il déclare que s’il lui arrive malheur, les soupçons devront se porter sur Marcantoni et les époux Delon. Peu après, des photos circulent sous le manteau représentant des personnalités de la politique, du spectacle, des médias et autres, en pleine action lors de soirées fines. Partouzes dont Markovic est l’un des organisateurs. Et l’affaire prend une tournure vraiment politique lorsque parmi ces photos, on découvre l’épouse de Georges Pompidou, l’ancien Premier ministre qui vient d’être remercié par le général de Gaulle.

On dira par la suite qu’il s’agissait d’un montage du SDECE, le service secret français, pour déstabiliser Pompidou, devenu un concurrent du grand Charles. Le fait est qu’une fois élu président de la République, Pompidou va dissoudre ce service.

Quant à Marcantoni, il se défend de toute accusation. Il ne cède rien. Pourtant, les enquêteurs ont des billes. Ils ont effectué un travail de fourmi, notamment sur la housse de matelas qui enveloppait le corps de Markovic. En partant de plus de 800 acquéreurs de matelas Treca, ils parviennent à sept noms, sept suspects, dont Marcantoni. Sept ans plus tard, malgré un sérieux faisceau de présomptions, le procureur de Versailles, Pierre Bezio, rendra pourtant un non-lieu. On dit que le Premier ministre, Jacques Chirac, n’était pas chaud pour que cette affaire revienne à la une de l’actualité… C’était en tout cas l’avis de Me Roland Dumas, l’avocat du frère de la victime.

Va savoir.

marcantoni_france-3.1273041506.jpgFrançois Marcantoni est devenu au fil des ans un personnage charismatique. Pour avoir déjeuné avec lui il y a quelques années, alors que nous n’étions plus « aux affaires », ni lui ni moi, je dois reconnaître que le bonhomme a quelque chose d’assez fascinant, comme un mystère qui l’entoure, qu’il entretient d’ailleurs habilement. Ses dons de conteur y sont pour beaucoup.

Mais personne ne peut renier son passé. Les quinze mois au service de la France, dans les FFI, peuvent-ils effacer une vie de truand…

Désolé, Monsieur François, je crois que pour vous, « la rouge » n’est pas de mise. Et d’ailleurs, cela nuirait à votre légende.

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Quelque part une petite école… a été lu 8 546 fois et a suscité 22 commentaires.

Un flic évoque Thierry Jonquet

Hervé Jourdain appartient à un groupe de la brigade criminelle de Paris. Il vient de sortir son premier polar*, et lorsque nous en avons discuté, il m’a raconté que le goût de l’écriture lui était venu en lisant Thierry Jonquet. J’ai pensé qu’il était mieux placé que moi pour en parler…

« Ils étaient là, pataugeant dans la boue, hébétés, certains pleurants, d’autres hagards, les mains thierry-jonquet.jpgtremblantes, la gorge nouée par le dégoût, la pitié, la colère, la honte, un mélange confus de ces sentiments si voisins, tous à scruter le ciel gris-bleu, dans ce matin de printemps, tous à songer à ce qu’ils avaient fait une demi-heure, une heure plus tôt, quand le téléphone avait sonné chez eux pour les tirer du sommeil et les convoquer devant cette maisonnette d’apparence si banale, dressée au fond d’un terrain vague. »

C’est par ces mots que Thierry Jonquet, décédé dimanche dernier dans un hôpital parisien à l’âge de 55 ans, débutait Moloch, paru en 1998 chez Gallimard dans la collection Série noire. Ils, ce sont Dimeglio, le bon père de famille, le frêle inspecteur Dansel toujours vêtu de costumes noirs, le jeune israélite Choukroun, et bien sûr le chef de groupe, le bourru Rovère, merveilleusement interprété par Jean-François Balmer dans les épisodes de Boulevard du Palais, des flics de la brigade criminelle déjà croisés cinq ans plus tôt dans Les orpailleurs. Ils, ce sont des flics qui travaillent en équipe, des orfèvres de la procédure qui vont gamberger, fouiner, douter, renifler durant de nombreux jours sous le contrôle de la charmante et fragile juge d’instruction parisienne, Nadia Lintz. 

Certains s’accordent à dire que Jonquet a réinventé le polar noir en l’enracinant dans la critique sociale. D’autres disent qu’il était un auteur polémiste. J’y vois surtout un écrivain engagé, un auteur courageux qui, dès le début des années 1980, réglait ses comptes avec ses vieux camarades dans son roman de politique-fiction intitulé Du passé faisons table rase. Son dernier roman noir – Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte – est révélateur de cette prise de risque. Cet amoureux de Belleville n’hésitait pas à s’y mettre en danger, dressant un tableau très réaliste de la banlieue où « Gaulois » de centre-ville et « Bronzés » des barres HLM ne se mélangeaient surtout pas, où une jeune enseignante de ZEP était confrontée à l’antisémitisme, où les gamins de cité, en perte de repères, étaient inexorablement attirés par les trompettes du djihad. 

Entre-temps, inspiré entre autres par l’affaire Kaskaz et le syndrome de Münchhausen – une sordide affaire d’empoisonnement d’un fils par sa mère qui vaudront un procès à Jonquet et à son éditeur – il  poursuivra son œuvre sans relâche. Peinture sociale dérangeante pour certains, sans concessions pour d’autres, Jonquet est surtout un écrivain scrupuleux, soucieux du détail, respectueux du fonctionnement policier et judiciaire. C’est son réalisme procédural, et la description de flics humains, certains pleurants, d’autres hagards, les mains tremblantes, la gorge nouée par le dégoût, la pitié, la colère, la honte… qui m’ont donné envie d’écrire.

J’entends encore dans ses mots les chants liturgiques émanant du Dépôt de la préfecture de police, les religieuses de la congrégation des sœurs de Marie-Joseph et de la Miséricorde priant chaque dimanche matin dans la chapelle attenante aux cellules réservées aux détenues. Ça ne s’invente pas. Jonquet était un bosseur. Il est le premier, le seul à ma connaissance, qui ait décrit aussi fidèlement le fonctionnement d’un groupe d’enquêteurs de la police judiciaire. Un collectif au service de la justice, au service de la jeune Nadia Lintz. Je l’affirme, c’est lui qui m’a donné l’envie d’écrire. Aujourd’hui, pourtant, j’ai un regret : celui de ne jamais l’avoir remercié.

Hervé Jourdain
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* Sang d’encre au 36 (éd. Les Nouveaux auteurs) sur ce blog – ou sur le blog de l’auteur .

Un grand flic casse sa pipe

maurice-bouvier.1249455761.jpgSa bouffarde était célèbre. Lorsqu’on entrait dans son bureau, on serrait les fesses. Le nez plongé dans un dossier, il ne vous regardait même pas. Et vous étiez là, à danser d’un pied sur l’autre, à vous demander quelle bêtise vous aviez pu faire pour être convoqué chez « le vieux ». Puis Maurice Bouvier, car c’est de lui qu’il s’agit, levait la tête. À travers les verres épais de ses lunettes impossible de deviner ses intentions. On distinguait à peine ses yeux. Si enfin il vous faisait signe de vous asseoir, vous vous disiez que pour cette fois vous aviez sauvé votre peau…

Maurice Bouvier est mort la semaine dernière. Il avait 89 ans. Une courte dépêche de l’AFP, quelques lignes dans des journaux de province… Pourtant, cet homme a été l’un des piliers de la PJ pendant plusieurs décennies.

La brigade criminelle lui doit sans doute beaucoup. Il a été l’initiateur « du principe du rouleau compresseur » qui veut que dans une enquête criminelle, on vérifie tout. Après l’attentat du Petit-Clamart, dirigé contre Charles de Gaulle, il a usé ses hommes jusqu’à la corde : des milliers de vérifications, et à chaque fois, un procès-verbal de plus dans un dossier déjà pharamineux. C’est du moins ce qu’on racontait dans les écoles de police.

Lorsqu’il a été nommé directeur central, en 1974, en remplacement du préfet Solier, je ne suis pas sûr qu’il ait beaucoup insisté pour mettre en place la réforme de la PJ que celui-ci avait initiée : la création de directions interrégionales (réforme devenue effective en 2004). J’ai l’impression qu’il était plutôt partisan de la départementalisation, comme d’ailleurs son successeur, Michel Guyot. Mais c’est un avis personnel, je me trompe peut-être.

Bouvier était droit dans ses bottes. Un vrai patron de PJ, capable de tenir tête au staff qui entoure un ministre. Et parfois d’une mauvaise foi absolue. Il n’a jamais admis, par exemple, que la localisation de Jacques Mesrine dans le 18° arrondissement de Paris, venait d’un tuyau de l’office du banditisme et non du 36.

Car pour lui, comme pour beaucoup de policiers de sa génération, il y avait toujours les flics de la PP (préfecture de police) et les autres, ceux de l’ex-SN (sûreté nationale). Et pourtant sur le papier la fusion des deux corps date de 1966…

Ce que retiennent les fonctionnaires qui ont servi sous ses ordres, ce sont ses silences… de grands blancs impressionnants, surtout au téléphone, et aussi la sulfureuse… « question qui tue ».

Imaginez la scène… Le jeune policier se dandine devant « le taulier », il s’explique, il avance ses arguments, et chacune de ses phrases est suivie d’un long silence… Bouvier le fixe. Parfois, on a l’impression que l’œil est malicieux. Il est dans son rôle, et je crois qu’il le sait. La pipe coincée entre ses dents jaunies par le tabac (enfin là, j’imagine, car je ne l’ai jamais vu sourire), il se dissimule derrière un nuage de fumée. « Bon ! » qu’il fait en conclusion. Puis, au moment où le jeunot se retire, qu’il laisse échapper un soupir de soulagement, persuadé que son calvaire est terminé, tel Columbo, Bouvier le rappelle et lui balance une question complètement imprévisible. L’autre, douché, s’excuse…, bafouille une réponse…, marche à reculons… De l’autre côté de la porte capitonnée de petits malins ne veulent pas rater sa sortie. « Alors, c’était quoi… la question qui tue ? »

Lors de l’arrivée de Gaston Defferre au ministère de l’Intérieur, en 1981, Maurice Bouvier a été nommé inspecteur général de l’administration (l’équivalent d’un préfet), soi-disant pour y effectuer des audits sur la police. Ce qu’il a fait avec sa rigueur habituelle.

À l’époque, ça flottait pas mal dans la police. Defferre peinait à juguler le mécontentement de ses troupes. Les syndicats se plaignaient d’un excès de travail tandis que les patrons de sécurité publique ne parvenaient plus à boucler une feuille de service. Les mauvaises langues disaient même que certains flicards avaient deux boulots. Le ministre a voulu connaître le logo-dcpj_moretti.1249455872.jpgnombre d’heures réellement travaillées par les policiers en tenue. Un sujet chaud. Il faut dire qu’entre les jours fériés et les week-ends travaillés, les heures de nuit, les rappels, les contraintes, les compensateurs, les congés, les absences maladies, etc., personne n’y comprenait rien.

Bouvier a effectué une tournée à travers la France, mais lorsqu’il a remis le résultat de son audit, les chiffres étaient tellement parlants qu’on dit que Defferre a sauté en l’air en s’exclamant : « Je ne peux pas utiliser ça !… Vous voulez me faire sauter, ou quoi ! ».

Mais Bouvier n’a pas changé une virgule à son audit et Defferre ne lui en a plus jamais demandé d’autres.

Le retour des gentlemen cambrioleurs

arsene-lupin.gifOn voudrait nous faire croire qu’on vit dans un monde où l’on doit craindre en permanence pour sa vie ou pour ses biens. Pourtant, hier, un homme a fait main basse sur des bijoux d’une grande valeur – sans violence. Certes il tenait une arme à la main, mais sa meilleure arme n’était-elle pas plutôt cette psychose sécuritaire dont on nous rebat les oreilles et qui nous paralyse de trouille ?

Il a une cinquantaine d’années. Il est élégant, et il a troqué le haut-de-forme cher à Arsène Lupin contre un borsalino des années 30. Le portier du grand joaillier Chopard lui ouvre sans hésiter. En ce début de week-end de Pentecôtes, Paris a un petit air de vacances.

L’homme ne perd pas son temps. Il menace les trois employés et repart avec son butin. L’histoire ne dit pas s’il salue en soulevant son borsalino…

Cette histoire me fait penser à celle de Bruno Sulak. Dans les années 80, c’est avec un sang froid identique qu’il avait dévalisé une bonne dizaine de bijouteries. Lorsqu’il braque le joaillier Van Gold, le quartier est… bleu de flics en raison de la visite du chancelier allemand Helmut Kohl. À Cannes, c’est en short et la raquette de tennis sous le bras qu’il se présente chez Cartier. Victime pour la deuxième fois de ce bandit hors du commun, le P-DG de Cartier, Alain-Dominique Perrin, beau joueur et pragmatique déclare alors : « C’est une mémorisation visuelle du nom Cartier comme aucune campagne ne pourrait la créer. »

joailleries-de-la-place-vendome_dessin_lesechos.jpg

Personnellement, c’est en 1982 que je fais la connaissance de Bruno Sulak. Après des mois d’enquête, de surveillances, de filatures, un groupe de l’OCRB (office du banditisme) lui met la main dessus alors qu’il vient rendre visite à sa maîtresse. Une garde à vue de 48 heures dans une ambiance bon enfant. Il avoue une quinzaine de hold-up, se refusant néanmoins à désigner ses complices. C’est un type plutôt sympa et atypique par rapport aux braqueurs qu’on rencontre habituellement. Il parle volontiers, de tout et de rien. Alors qu’il part pour des années de prison, il prévient : « Je m’évaderai, n’ayez crainte ! »

Sept mois plus tard, deux hommes braquent les gendarmes qui l’escortent lors d’un transfert par train. C’est peu après qu’il commence à me téléphoner. Dorénavant, il est connu. Il soigne son image. À l’inverse d’un Mesrine, il se veut romanesque. « Je ne vole qu’aux riches », dit-il. Mais il s’accommode mal de cette cavale permanente. Il a besoin d’une vie sociale, mais ce n’est pas facile : on est toujours derrière lui. Cela l’oblige à souvent changer d’identité, à changer de vie, à abandonner ses amis… En fait, il est enfermé dehors.

Arsène Lupin, le héros de Maurice Leblanc, n’utilisait pas la violence. Il préférait se servir de ses neurones, de son charme et de la naïveté des autres. N’empêche, si ma mémoire est bonne, que de temps à autre il sortait une arme de sa poche…

bruno-sulak_garde-a-vue_perso.jpgTout comme lui Sulak se voulait un voleur aux mains propres. Il disait qu’il ne ferait pas de mal à une mouche. Je le crois. Pourtant un jour, au cours d’un braquage à Thionville, l’affaire tourne mal et pour s’enfuir il prend un otage et menace les policiers avec une grenade dégoupillée. « T’as raison, me dit-il le lendemain au téléphone, je suis un danger pour la société. ». Et il me donne rendez-vous dans un bar : « Tu viens seul, hein !… ». Je me dis qu’il veut peut-être négocier quelque chose. Mais il n’y a rien à négocier. La société ne lui fera aucun cadeau. Il doit en être conscient, puisqu’il ne vient pas. « Je t’ai vu, à la terrasse du café, mais… ».

Il n’y a pas de morale à mon histoire :

« J’aurais pu être flic », m’a dit un jour Bruno Sulak. Je lui ai répondu que j’aurais pu être truand. Et Marcel Achard aurait ajouté : « C’est toujours par hasard qu’on accomplit son destin ».

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