LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Portraits (Page 2 of 5)

Quelques figures du grand banditisme et un bout de leur histoire.

Le « beau mec » vous salue bien !

Lucien Aimé-Blanc allait avoir 85 ans. Il vient de mourir, probablement fatigué de vivre sans Martine, sa compagne, disparue il y a peu. Lulu, comme ses collègues l’appelaient affectueusement, a été le flic de PJ le plus emblématique et le plus controversé des générations précédentes ; mais il ne laissait jamais personne indifférent.

Il était de ces personnages qui prennent toute la lumière.

Commissaire-adjoint de la Ville de Paris au début des années soixante, François Le Mouël en fait son second, en 1968, pour diriger la brigade antigang qui, au 36 Quai des Orfèvres, vient de remplacer la section de recherche et d’intervention. Par la suite, Lucien le suivra de l’autre côté de la Seine, au 127 Faubourg-Saint-Honoré, siège de l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants). C’est l’époque de la French Connection. Après le coup de sang du président Nixon, l’objectif premier est le démantèlement de l’organisation mafieuse qui, depuis la cité phocéenne, alimente les États-Unis en héroïne. En 1976, durant quelques mois, Aimé-Blanc deviendra responsable de la section stups au SRPJ de Marseille, sa ville natale. Ses relations de confiance avec le juge Pierre Michel (assassiné en 1981) renforceront l’efficacité du système police-justice.

Mais Lucien Aimé-Blanc prendra réellement son envol à partir de janvier 1977, lorsqu’il reviendra au « 127 », comme chef de l’OCRB (Office central pour la répression du banditisme). Assisté du commissaire Charles Pellegrini et d’une poignée d’inspecteurs aux épaules solides, son service sera de toutes les affaires de grand banditisme des années suivantes. On peut dire qu’il fera son domaine personnel de la traque de Jacques Mesrine, remuant tous ses indics pour détecter un bout de piste. Et il en trouvera un qui, indirectement, et après des semaines d’investigations et de surveillances, va lui permettre de localiser la planque de l’ennemi public n°1. Mais Mesrine est devenu un enjeu politique et le directeur central, Maurice Bouvier, coincé entre l’estime qu’il porte à son collaborateur et la crainte d’un dérapage, préfère jouer la prudence : il organise une réunion à laquelle participent entre autres le commissaire Robert Broussard et le procureur de la République de Paris. C’est ainsi que, pour la première fois, j’entends un magistrat affirmer que les policiers se trouvent en état de légitime défense permanent au vu de la dangerosité d’un individu – autrement dit, vous avez le droit de tirer à vue !

C’est exactement ce qui arrivera : le 2 novembre 1979, Jacques Mesrine est criblé de balles au volant de sa voiture. Continue reading

Vétéran de la PJ, Borniche a 100 ans

Roger Borniche ne voulait pas être flic, mais prestidigitateur, ou comédien, ou chanteur. Tout jeune, avec une bande de copains, il court les cachetons, et se produit dans des cabarets de seconde zone ou les boîtes de nuit plus cossus du quartier de Pigalle. Dans sa bande, certains deviendront célèbres : Georgius, Roger Nicolas, Paul Meurisse… Lui, sa vie l’a entraîné dans une autre direction, mais son aventure n’en est pas moins romanesque.

Michèle et Roger Borniche, février 2019 (DR)

Après la guerre éclair, il est démobilisé et, plus pour échapper au STO que par vocation, il passe un concours pour entrer dans la police. L’inspecteur stagiaire Borniche est nommé à la PJ d’Orléans, une ville qu’il ne connaît pas et qui croule sous les bombardements alliés. Son chef de service le reçoit et l’affecte à une brigade spéciale dont la principale mission est de traquer, en étroite collaboration avec la police allemande, les « ennemis intérieurs », essentiellement les FTP, créés par le Parti communiste français clandestin. Pour ces Français engagés qui ne supportent pas le joug allemand, lorsqu’ils sont arrêtés, au mieux, c’est la prison. La législation de l’époque prévoit en effet l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Un truc qui sonne bizarrement aujourd’hui.

Mais Roger Borniche ne peut pas. Il « s’évade » de la police. Il a 23 ans et pas un sou en poche. Continue reading

Guerre froide : Farewell est-il mort pour rien ?

L’Ukraine, la Syrie… La guerre froide renaît de ses cendres. Pourtant, depuis la chute du mur de Berlin, on avait bien cru ne jamais revoir ça. Dans ce conflit larvé de près d’un demi-siècle entre les deux grandes puissances, un homme de l’ombre a joué un rôle déterminant. Un rôle qui n’est pas sans rappeler celui d’Edward Snowden.

Il s’agit de Vladimir Ippolitovitch Vetrov, un espion russe plus connu sous le nom de code de Farewell.

Farewell VetrovOn a tout dit et écrit sur lui et son histoire, des livres, des films… Alors laissez-moi vous donner ma version. Elle en vaut une autre.

En 1965, l’URSS installe le personnage dans son ambassade parisienne avec l’étiquette d’attaché « au développement du commerce soviétique avec la France ». Un poste qui lui va comme un gant, puisqu’il est ingénieur électronicien et qu’il parle couramment le français et l’anglais. En fait, c’est un agent du KGB. Continue reading

Entrez ailleurs… pour trouver le cadeau que l’on ne revend pas

La campagne de communication démarrée le mois dernier pour inciter les gens à pousser la porte d’une librairie est pour le moins équivoque. Du genre, allez voir ailleurs… Heureusement, cela n’a pas dissuadé notre Président, à la veille de Noël, de faire ses emplettes à l’Écume des Pages, lieu chébran parisien de la littérature de Saint-Germain-des-Prés. Et même si l’établissement n’a pas souhaité s’étendre sur les livres qu’il a achetés, il y a fort à parier que les deux bestsellers du moment n’étaient pas dans son panier.

Entrez ailleuursSur ce blog, moins introverti que le grand homme, je vais de ce pas vous donner un aperçu de ma rencontre avec trois auteurs…

L’autre jour, Claude Cancès, ancien directeur du 36, me traîne à la FNAC pour m’offrir son dernier ouvrage, La brigade Mondaine, aux éditions Pygmalion. Manque de chance, il n’y est pas. La jolie libraire est désolée. Tous deux parlent littérature (je tiens la bougie), et, avant de se séparer, elle lui demande de lui dédicacer l’un de ses anciens livres. Je raconte l’anecdote car ce sont ces petites choses de la vie qui font qu’un libraire n’est pas un commerçant comme un autre. Continue reading

Monsieur Jo se met à table

De Mesrine à DSK, un livre au titre un rien racoleur (mais nous mettrons ça sur le dos de l’éditeur) dans lequel René-Georges Querry, alias Jo, nous livre les moments forts de sa vie professionnelle. Et dieu sait si elle a été riche et variée : stups, antigang, antiterrorisme, protection des hautes personnalités… Il a même été associé à la préparation de la Coupe du monde de football.

Jo Querry dans les salons du Sénat

Pourtant, en 2002, il quitte la police pour se lancer dans le privé. Il faut dire qu’on lui offre un poste en or : responsable de la sécurité pour le groupe hôtelier Accor. Un poste qui n’existe pas et qu’il faut créer de toutes pièces. Un challenge. Il a quand même dû hésiter… Je me souviens d’un déjeuner avec notre ami commun Ange Mancini, où tous deux s’interrogeaient sur l’orientation à donner à leur carrière. Ils étaient sur les rails pour devenir préfets et ils barguignaient. Pas facile de quitter la boîte ! Querry a démissionné, (avec le grade d’inspecteur général, quand même) et Mancini a sauté le pas. Et comme ce dernier vient de prendre sa retraite (de l’administration), je m’interroge pour savoir s’il va lui aussi nous livrer ses mémoires. Il aurait des choses bien intéressantes à nous raconter…

Jo, on l’attendait sur l’affaire DSK. Il est presque minuit, ce 14 mai 2011, lorsqu’il reçoit un coup de fil dans sa voiture : Dominique Strauss-Kahn a été interpellé à l’aéroport de New York. « Il est accusé, lui dit son interlocuteur, d’agression à caractère sexuel sur une de nos femmes de ménage. » Arrivé chez lui, il appelle Ange Mancini, alors coordonnateur chargé du renseignement à la Présidence, persuadé que celui-ci est déjà au courant. Sauf que ce n’est pas le cas. C’est donc lui qui a informé le premier l’Élysée de l’arrestation du patron du FMI, et ensuite… Ensuite, il a été pris dans un tourbillon de rumeurs qui lui ont mis les nerfs à vif. « Lors de cette affaire DSK, on a épluché mon CV, relevé mon parcours. Mes amitiés professionnelles, mes divers postes, le côté flic de terrain qui voisinait avec des emplois  » sensibles « , notamment au sein du ministère de l’Intérieur… ». On sent qu’il a été meurtri d’être considéré comme complice d’un coup tordu. Dans ce blog, j’ai dit combien j’étais dubitatif sur la version officielle, un rien trop lisse, de cette affaire, mais je dois reconnaître que Querry m’a convaincu en partie qu’il n’y avait pas de complot et que les choses étaient relativement simples. Une sorte d’engrenage. Strauss-Kahn s’est noyé tout seul, et personne ne lui a tendu la main – bien au contraire. Mais, lorsque Querry dit que la DGSE n’a pas ses entrées secrètes dans le groupe Accor, là, j’ai du mal à le croire. Sinon, il faudrait envisager un sérieux recyclage des cadres au sein de notre service de renseignements.

S’il débute son livre par cette épopée humiliante pour DSK, René-Georges Querry le fait pour mieux vider l’abcès. Il revient vite sur ce qui l’intéresse : la PJ. Et comme pas mal de flics, l’affaire qui l’a le plus marqué c’est la traque de Jacques Mesrine. Il est à cette époque l’adjoint de Robert Broussard. Lors de l’opération, place de Clignancourt, il est en planque dans sa GS avec deux piliers de la BRI, Gérard Marlet et Bernard Pire. Lorsqu’il aperçoit le camion piloté par Christian Lambert (l’ex-préfet du 93) débouler à toute allure le boulevard Ornano, il vient se placer sur la droite de la BM dans laquelle se trouve le truand. « Il tourne la tête, me voit avec les autres policiers qui avancent sur sa gauche. Le camion le bloque devant, j’aperçois les fusils qui dépassent. Si le Grand lève les mains… »  Mais il ne l’a pas fait. Il s’est penché pour ramasser quelque chose sous son siège. Et la fusillade a éclaté. « C’est rapide. Je hurle : Halte au feu ! C’est fini. »

Extrait de la photo de la 23° promotion des commissaires de police

Quelques années plus tard, sans doute las de traîner dans les couloirs poussiéreux du quai des Orfèvres, Jo découvre les paillettes des cabinets ministériels. Sur l’album photos inséré dans son livre, on le voit côtoyer les grands de ce monde. Il a été félicité, décoré, jalousé et il a même été viré. Une vie normale, quoi ! Et pourtant, il n’a pas pris la grosse tête.

Tous les deux, on se connaît depuis les bancs de l’école de police et ce que j’ai toujours apprécié chez lui, c’est son humour au deuxième degré et cette façon de faire des choses sérieuses sans se prendre au sérieux.

Mis en examen dans l’affaire Neyret, un policier raconte…

« Il y avait quelque chose de surréaliste dans cette scène. Le juge seul derrière son grand bureau vide, à sa droite son greffier, encombré de dossiers, derrière l’écran mes deux avocats dans leur belle robe noire (…)  Il a croisé les mains sur son grand bureau vide, m’a fixé droit dans les yeux. J’ai soutenu son regard. Une tentative d’intimidation comme dans les cours d’école. C’est toujours plus facile de jouer, quand on est sûr de gagner. Il m’a mis en examen pour trafic de stupéfiants (…) détournement de scellés, vols en réunion et association de malfaiteurs… »

Christophe Gavat n’est pas allé en prison. Il était tellement soulagé, qu’il a serré la main du magistrat. En lisant son livre, 96 heures – Un commissaire en garde à vue, aux éditions Michalon, j’ai eu l’impression qu’il regrettait son geste… Il a néanmoins fait l’objet d’un contrôle judiciaire drastique qui lui interdisait d’exercer son métier, d’adresser la parole à ses collègues, à ses amis, et même de se déplacer. « Cette affaire m’a changé. Je me suis rendu compte à quel point la machine judiciaire pouvait broyer les hommes. C’est une mécanique de précision déshumanisée. La chance pour le juge d’instruction dans cette affaire, c’est qu’aucun policier ne se soit suicidé. Parce que le suicide, j’y ai pensé. » Les juges ont-ils conscience de la portée de leurs décisions ? Psychologiquement, un contrôle judiciaire peut être plus dur à supporter que la prison, car on est tout seul. Enfin, je dis ça, mais je n’ai vécu ni l’un ni l’autre.

Fortement marqué par cette expérience, depuis la Guyane, là où il exerce aujourd’hui les fonctions de sous-directeur de la police de l’air et des frontières, Christophe Gavat n’a trouvé qu’un moyen pour tirer un trait sur cette période : écrire. Écrire son histoire, son ressenti, son amertume, sa désillusion. Un peu comme un amoureux éconduit fait un poème à sa bien-aimée.

Le 29 septembre 2011, lorsque « l’affaire » a éclaté, il dirigeait l’antenne de PJ de Grenoble. Michel Neyret était donc son patron direct. L’info tourne en boucle sur les ondes et dans sa tête.  « Michel, mon chef, mon modèle », arrêté !… Il ne comprend pas, mais l’idée ne l’effleure même pas qu’il pourrait à son tour être visé par l’enquête. Ou tout au plus comme témoin. Et pourtant…

Le soir, il dîne avec ses parents. L’ambiance n’y est pas. Le téléphone sonne. C’est un copain de promo : « Christophe, j’ai consulté Internet. Ton nom complet est sur les sites. Ils disent que demain à dix heures, tu seras placé en garde à vue… » C’est ainsi qu’il apprend qu’il est sur la liste de l’IGS. « Putain, c’est quoi ce bordel ! (…) La presse au courant. Au courant des futurs gardés à vue par la police des polices (…) Trop forts ces journalistes ! »

Le lendemain à l’aube, il prend le TGV pour Lyon.

Toute l’enquête des bœufs-carottes sera ainsi en live dans les journaux, à la radio, à la télé, sur le Web. Chacun y allant de ses phantasmes. À se demander si certains journalistes n’avaient pas connaissance de la procédure avant les magistrats. Les policiers de l’IGS (à l’époque très proche du Pouvoir) avaient-ils des consignes pour agir de cette manière ? Cette enquête a-t-elle servi d’écran de fumée alors que, dans l’affaire Bettencourt, l’information judiciaire venait d’être dépaysée à Bordeaux et que les soupçons d’un abus de faiblesse au préjudice de la milliardaire commençaient à prendre corps ? Christophe Gavat est mis en cause pour n’avoir pas osé dire non à son chef. Les charges contre lui se résument à deux ou trois coups de fil de Michel Neyret, alors que celui-ci était sur écoute. L’un d’eux, en particulier, lorsqu’il lui demande si, dans sa dernière affaire de stups, il a pu mettre un peu de « produit » de côté pour l’un de ses « amigos » – Et il n’a pas osé l’envoyer se faire foutre. « Oui, oui, qu’il a répondu. C’est fait ! » – Mais pour autant, il ne l’a pas fait. Il n’a pas obéi.

La drogue avait d’ailleurs été brûlée à la déchetterie, selon la procédure habituelle, devant témoins, chacun ayant signé le procès-verbal de destruction. La suspicion du juge d’instruction est-elle là ? D’ailleurs, je crois que les policiers devraient refuser de détruire un scellé. Après tout, un scellé judiciaire est placé sous la responsabilité du Greffe du tribunal et il appartient à la Justice de s’en dépatouiller.

Lorsqu’il se présente pour passer au « tourniquet », Gavat est serein : « Je n’ai jamais remis de came à un indicateur », écrit-il.

Christophe Gavat en opération Harpie en Guyane
(avec son aimable autorisation)

À Lyon, il est reçu par Christian Lothion, le directeur de la PJ. « Je vais pas vous la faire à l’envers, lui dit celui-ci, Michel est accroché. Ils le tiennent. Pour vous, je ne sais pas ce qu’il y a exactement dans le dossier. Mais il semble que ce soit plus fragile (…) Sauvez vos couilles de là. Tant qu’on le pourra, on sera derrière vous. »

« À l’époque, dit Christophe Gavat, je n’ai pas compris tous les messages qu’il a voulu me faire passer, ils ont pris un sens plus tard, mais je dois reconnaître qu’il a toujours été là. »

Plus tard, c’est maintenant. Il ne sait toujours pas ce que l’on lui reproche. Son dossier lambine à l’instruction. Le juge ne semble pas pressé, puisque, en 18 mois, les policiers de l’IGS n’ont pas eu le temps de lui retourner sa commission rogatoire – et que cela ne le dérange pas.

Ce livre était forcément difficile à écrire, et le lecteur a parfois du mal à suivre, à s’accrocher aux allers-retours de l’auteur, tant il a de choses à dire. Mais c’est un livre chargé d’émotion. Bien sûr, Christophe Gavat a dû se limiter à son propre vécu, revenant   sur les enquêtes qui l’ont le plus marqué. On peut se sentir un peu frustré. On aimerait en savoir plus sur l’affaire de Lyon. Percer les arcanes. Mais déjà, comme ça, en le publiant, il a pris d’énormes risques. Une manière de fermer la porte de l’Intérieur pour mieux l’ouvrir sur l’extérieur. Et là, je sais de quoi je parle. A son âge, j’ai fait la même chose.

J’ai l’impression que le commissaire Gavat pourrait bien reprendre le fil d’un vieux rêve : le théâtre, le cinéma… Il ne sera pas tout seul : des amis l’attendent, comme Olivier Marchal et Bruno Wolkowitch, les deux flics de la pièce Pluie d’enfer.

Les tribulations d’un narco-pilote de brousse

Ce 18 novembre 1992, Raymond Boulanger met toute la gomme pour faire décoller son Convair 580. Agrippé au manche à balai, il sait que son avion est trop chargé. Entre le « fret » et la quarantaine de barils d’essence, il est trop lourd de plusieurs tonnes. À peine éclairée, la piste défile sous les roues et, tout au bout, si ça passe pas : la mer. Le temps menace sur la péninsule de Guarija, tout au nord de la Colombie. In extremis, les roues se soulèvent. Tel qu’on l’imagine, Raymond Boulanger a dû éclater d’un rire – « tonitruand » !

Il y a quelques jours, il est sorti de prison. C’est sans doute le plus important passeur de drogue jamais arrêté : 4 343 kilos de cocaïne.

Celui que l’on a surnommé le pilote de Casey est né en 1948, à Rimouski, au Québec. Il a passé son enfance pratiquement sur un aéroport, où sa mère dirigeait une école. « J’ai commencé à voler sur les genoux de mon père, j’avais 8 ou 9 ans », aime-t-il à raconter. Mais c’est en Écosse qu’il a passé son brevet de pilote. Il avait 16 ans.

Un sacré bonhomme, quand même ! Belmondo des années 70. Il aurait été contacté par le cartel de Cali, l’un des plus importants réseaux mafieux de l’Amérique du Sud (démantelé en 1995), alors qu’il travaillait pour la CIA. L’agence appréciait ses qualités de pilote de brousse. On dit même qu’il aurait accompli quelques raids armés pour le compte des services secrets américains lorsque ceux-ci, de crainte de voir s’instaurer un régime communiste au Nicaragua, cherchaient à neutraliser les guérilleros de Daniel Ortega.

Une fois en altitude, la tension retombée, Raymond Boulanger se connecte pour capter le trafic des autorités. Un « drug flight »  est signalé. Peu après, par radio, l’un des membres du cartel lui lance « Tieni cola ! (T’as une queue !) ». Aussitôt, il change son plan de vol et bifurque vers l’est, au-dessus de l’Atlantique. Mais cette fois, c’est la météo qui s’en mêle. Une tempête à environ 200 miles au nord-est des Bermudes, avec un vent de face de 150 nœuds. Pendant plus d’une heure, dans le cockpit, le pilote et le copilote se battent contre les éléments déchainés, tandis qu’à l’arrière, les deux membres de l’équipage transvasent le carburant des barils aux réservoirs à  l’aide d’un système de tuyauterie rudimentaire. L’avion pique alors vers la Nouvelle-Écosse. Soudain, un nouveau danger surgit ! Boulanger surprend les échanges radio de deux F-18 de l’armée canadienne. Les pilotes informent leur PC qu’ils ont capté le suspect sur leur radar. « Ils volaient à une vitesse de 1.8 mach. Ce qui n’était pas une manœuvre brillante parce qu’ils ont gaspillé du carburant pour rien. Ils auraient pu attendre et m’intercepter lorsque j’étais proche du Nouveau-Brunswick », dit-il. Effectivement, l’un des appareils est contraint de cesser la poursuite. L’autre s’approche alors tout près de l’avion-cargo. « Il était au bout de mon aile. Le pilote me faisait signe de descendre avec le pouce en bas. » On imagine la réponse du ruffian, le médius en haut. Mais il se contente de rapporter qu’il a fait un « bye-bye » ironique au pilote de chasse, sachant qu’il devait décrocher à son tour au risque de n’avoir plus assez de carburant pour retourner à sa base.

Neuf heures après son décollage, Raymond Boulanger atteint enfin le Québec et atterrit sans encombre à Casey, sur une vieille piste abandonnée. Plus tard, c’est une histoire qu’il racontera à ses enfants dans le lieu paradisiaque où, sans doute, il compte se retirer, fortune faite. Car ce convoyage doit lui rapporter gros : 5 millions de dollars pour le vol et 2 % du total de la vente, un montant estimé selon certains à un milliard de dollars et selon d’autres à 2.5 milliards. Les hommes de Vito Rizzuto, le chef de la mafia québécoise, doivent l’attendre, prêts à charger la marchandise sur des camions, comme la dernière fois. Un autre voyage, quelques mois auparavant, seulement 500 kilos de came. Il pilotait alors un petit avion dont les sièges avaient été remplacés par des jerrycans d’essence. En une demi-heure, la cargaison avait été débarquée et il avait pu reprendre les airs. Ni vu ni connu. Un coup d’essai, mais pas un coup pour rien, car il avait quand même encaissé 1.5 million de dollars.

Mais cette fois, il n’y a personne. Les hommes de la mafia québécoise ont préféré ne pas trop traîner dans le secteur. Les quatre trafiquants poireautent en vain une bonne heure. Puis, ils décident de faire du stop pour rejoindre un lieu habité. De là, ils téléphonent à leurs complices, mais personne ne répond. Déconfits, ils reviennent près de l’avion. Impossible de redécoller. Ils sont bloqués. En désespoir de cause, Boulanger retourne au garage d’où il a téléphoné tout à l’heure pour commander un avion-taxi. Serviable (avec toutefois un gros pourboire à la clé), le mécanicien les ramène sur la piste d’atterrissage. Une vingtaine de minutes plus tard, les deux F-18 font un rase-motte au-dessus de leur tête. « J’ai alors su que tout était fini », dit Raymond Boulanger. Les trois Colombiens ont dû penser la même chose car ils grimpent dans le pick-up du garagiste et démarrent à toute allure. Ils ne vont pas loin, le véhicule s’enlise dans la neige. Ils l’abandonnent et prennent la fuite à pied. En sandales. Il fait -30°. Je suis sûr qu’ils ont dû être heureux de voir les policiers arriver ! Lorsqu’ils leur mettent la main au collet, ils sont quasi morts de froid.

Plus loin, deux hommes ont également été arrêtés à un barrage routier, dont l’un Christian Deschênes, est un associé de Vito Rizzuto (dont le père a été abattu en novembre 2010).

Boulanger, lui, est resté sur place.

Le Corvair 580 de R. Boulanger (capture d’écran TVA-Nouvelles)

Il contemple son avion et son précieux chargement. Il a du mal à quitter ses rêves. Puis, il réagit. Il tente de trouver quelqu’un pour le conduire à Montréal. Personne n’accepte : la GRC (gendarmerie royale du Canada) a donné des consignes. Il est tellement sûr de se faire arrêter, qu’il enterre l’argent qu’il a sur lui, environ deux millions de pesos.

Alors, il s’assoit et sirote un café. Lorsque les gendarmes arrivent, il ne cherche pas à s’enfuir. Il est mené au camp forestier, transformé en prison provisoire. Lorsqu’il en sort, solidement encadré, pour être conduit à Montréal, son clin d’œil aux journalistes va le rendre célèbre.

Jugé l’année suivante, il écope de 23 ans d’emprisonnement. La plus lourde peine jamais infligée au Canada pour un trafiquant de stups. Il aurait sans doute pu négocier en donnant quelques noms, mais il s’est tu. Et son silence lui a valu la reconnaissance tout aussi silencieuse mais néanmoins efficace des narcotrafiquants.

En 1998, il profite d’une permission de 4 jours pour se faire la belle. Il retourne en Colombie où il prépare un « voyage » pour le compte des FARC, mais un pneu de son avion éclate au décollage. Le temps de la réparation, alors qu’il se promène en ville, il est kidnappé par un autre groupe de rebelles qui le prennent pour un Gringo. C’est la mafia qui aurait payé sa rançon (mais où commence la légende ?). En tout cas, 18 mois après son évasion, la police colombienne lui met le grappin dessus et il est extradé vers le Canada.

En 2001, alors qu’il effectue des travaux pour la communauté, il rebelote. Une deuxième cavale au cours de laquelle on ne sait pas trop ce qu’il a fait. Il serait allé au Mexique pour mettre de l’ordre dans ses affaires. Un business plus classique, peut-être ! Il est finalement arrêté à Montréal, où il est venu voir son père, malade.

À 65 ans, cet aventurier remplit en prison la modeste fonction de commis à l’entretien. Pour un salaire de 6.95 dollars par jour. Dans sa cellule, il découvre le plaisir de peindre. À des journalistes venus l’interviewer, il déclare « Je suis tellement proche de la fin et j’ai payé le bill. Les vols pour les cartels, ça a été une partie de ma vie, mais c’est enterré. C’est fini ». Pourtant, il ne regrette rien, si ce n’est de s’être fait prendre. Il n’a aucun problème avec ses valeurs morales, « pas plus que les gouvernements ailleurs dans le monde […] dans leur soi-disant démocratie ». Raymond Boulanger milite dans un mouvement pour la décriminalisation des drogues.

Il affirme qu’il a des rêves simples, comme aller à la pêche ou retaper de vieux coucous. Il envisage d’ailleurs d’acheter une maison en Gaspésie. Ne dit-on pas que c’est la terre d’accueil des Micmacs !

Plume de poulets

Les policiers aiment se raconter. Souvent, ils retracent leurs propres expériences et parfois celles des autres, mais assez peu se risquent à la fiction. Certains se sont néanmoins jetés dans le roman ou le scénario, parfois sous des pseudos. Avec plus ou moins de succès. Et je sais de quoi je parle.

On peut se dire que la vie d’un flic est pleine de la vie des autres – souvent dans ce qu’elle a de plus tragique. Mais cela ne suffit pas à justifier ce besoin d’aligner des mots. En fait, je crois qu’il y a une autre raison. Le policier fait partie d’une drôle d’espèce : il passe une partie de son temps à raconter par écrit ce qu’il a fait durant l’autre partie. Surtout en PJ, où chaque acte fait l’objet d’un procès-verbal : déplacements, constatations, perquisitions, arrestations, autopsies, etc.  Et à la finale, l’OPJ doit encore résumer l’ensemble de son enquête avant de la transmettre au magistrat compétent. Parfois une chronologie de plusieurs dizaines de pages. Certains de ces « rapports de synthèse » sont d’ailleurs de véritables petits bijoux.

Si la plupart attendent d’avoir quitté la Maison pour prendre la plume, Danielle Thiéry n’a pas su temporiser. Son premier livre date de 1995, alors qu’elle est détachée à Air France. En 1997, elle publie La petite-fille de Marie Gare, chez Robert Laffont, qui servira de bible à la série télévisée Quai n° 1. Série dans laquelle on découvre un autre flic, Olivier Marchal. Depuis, elle n’a jamais faibli. Aujourd’hui, Danielle Thiéry est la lauréate du Prix du Quai des Orfèvres pour son manuscrit Des clous dans le cœur, publié chez Fayard. Dans son récit, on suit pas à pas un groupe de la division des affaires criminelle de la PJ de Versailles (ce qui nous change du 36) qui se dépatouille d’une enquête sur la mort mystérieuse d’une star du show-biz, un rocker sur le retour. « Le corps est allongé face contre terre entre un canapé de style anglais et une table basse chargée de revues et de vaisselle sale… ». L’enquête va se télescoper avec un vieux dossier jamais refermé. Une affaire qui a profondément marqué le personnage central du roman, le commandant Maxime Revel, et qui lui reste plantée dans le cœur comme un clou.

Le prix du quai des Orfèvres est décerné chaque année par un jury composé de policiers, de magistrats et de journalistes. Ce ne sont pas toujours des chefs-d’œuvre, mais ce prix est le seul à ma connaissance à être attribué sur manuscrit. Il s’adresse donc aussi bien aux auteurs confirmés qu’à ceux qui n’ont pas réussi à forcer la porte d’un éditeur. En tout cas, cette année, c’est un bon cru. Très bizarrement, le plus prenant ce n’est pas l’histoire, mais le  réalisme de l’enquête, sa technicité, et aussi la nature des personnages. On les suit et on a un peu l’impression de faire partie du 19 (avenue de Paris) et de pénétrer avec eux dans ces anciennes écuries de Versailles, classées monument historique, où est installée la direction régionale de la PJ.

L’année dernière, le prix avait été attribué à un avocat, Pierre Borromée, pour son livre L’hermine était pourpre, toujours chez Fayard. Une sorte d’exclusivité pour cette maison d’édition, qui s’engage, en contrepartie à une diffusion de 50 000 exemplaires. Ce qui est quand même exceptionnel.

Jean-Pierre Pochon, lui, n’a pas cherché à décrocher un prix. D’ailleurs, son livre, Sonate pour un espion, chez Robert Laffont, n’est pas un polar, mais un roman d’espionnage. Enfin, quand je dis roman…

C’est l’histoire d’un agent double, un espion tchécoslovaque en poste à Paris dans les années 80, qui décide de virer de bord. Lors d’une réception dans une ambassade, il glisse une enveloppe dans la poche du manteau d’un officier de l’armée française. Elle contient une cassette et un petit mot : à remettre à la DST. En écoutant l’enregistrement, le sous-directeur du contre-espionnage pense à une bonne blague. Il s’agit d’une sonate pour piano du compositeur tchèque Leos Janacek . Mais après la musique, en fin de bande, il y a l’enregistrement d’une conversation. C’est ainsi que le bébé arrive sur le bureau du commissaire Maxime Jaussan qui dirige la division axée sur les pays satellites de l’URSS. Un poste que justement Jean-Pierre Pochon a occupé durant plusieurs années. L’agent double restera un mystère. À la Direction de la surveillance du territoire, il est surnommé Leos, et, pour respecter la parole donnée, jamais personne ne tentera de l’identifier. Ses informations transiteront toujours par une boîte aux lettres morte, un trou dans un mur. Puis, il y a eu l’implosion du bloc communiste… Jean-Pierre Pochon nous entraîne dans le monde feutré de la rue Nélaton, là où se trouvait la DST avant que Nicolas Sarkozy ne décide de la création de la DCRI. Il nous fait découvrir un service de police bien différent des stéréotypes, un service de police où les cellules de garde à vue étaient le plus souvent vides. Dans la revue de la Défense nationale, le commissaire Jean-Paul Mauriat écrivait, il y a de cela près de 50 ans : « Le crime que nous poursuivons est un crime sans cadavre et sans indice. Le raisonnement sera le seul fil conducteur… »

Christine Rogier est capitaine de police dans un commissariat parisien mais, comme Danielle Thiéry, l’envie d’écrire la tarabuste. Pas question d’attendre la retraite ! Après un premier roman aux éditions AO, elle vient de sortir La Cristaine ou Journal d’une fliquette, chez Jacob-Duvernet. Avec son style très particulier, elle nous raconte son métier, mais aussi, dans les années 80/90, les difficultés pour une femme de s’imposer dans un milieu encore très macho. Lorsqu’elle a passé son concours de gardien de la paix, l’inspectrice qui surveille les épreuves lui confie : « Ça peut être bien [pour une femme]. Mais il faut toujours en faire plus pour obtenir le même résultat ! » Je ne suis pas sûr que ce ne soit pas toujours le cas pour les policières qui sont sur le terrain…

Depuis plus de 20 ans, Christine Rogier fréquente les commissariats parisiens. Une véritable loge sur la misère humaine. Homme ou femme, même si on aime son job, cela finit par atteindre le moral. C’est du moins ce que l’on ressent à la lecture de son livre. « Les quelques années qu’il me reste à accomplir peuvent passer vite. Je ne sais pas ce que va devenir le métier d’ici là ; ni même ce que j’en penserai… Je peux me remettre à rêver. Un jour, je raccrocherai ma tenue définitivement, comme des chaussons de danse, après une fracture irrévocable. »

Chez le même éditeur, qui a publié de nombreux livres de policiers, on peut aussi s’intéresser à une BD, Le mystère HB. C’est le compte-rendu de la prise d’otages à la maternelle de Neuilly. Le 13 mai 1993, une vingtaine d’enfants et leur maîtresse sont retenus  dans leur classe par un individu qui menace de tout faire exploser. L’histoire est racontée par Claude Cancès, alors directeur de la PJ parisienne. « Une affaire qui, par sa dimension dramatique, reste une de celles que j’ai le plus intensément vécue… » On y découvre certains éléments qui sont peu connus et notamment le déroulé de l’intervention de Nicolas Sarkozy, alors maire de la commune. Les images et un plan des lieux permettent de mieux comprendre la chronologie des faits, et s’il est amusant aujourd’hui de mettre un nom sur chacun des participants, on comprend mieux leurs hésitations à décider entre intervention et négociation.

Il y a sans doute d’autres livres de policiers qui sont sortis récemment. Mais on ne peut pas tout lire !  En tout cas, ça fait du bien de se détacher de l’actu.

Bon anniversaire, Monsieur Kalachnikov !

En ce 10 novembre, il fête ses 93 ans. Il était tout jeunot lorsqu’il a inventé le fusil-mitrailleur qui va symboliser une époque. L’arme de toutes les révolutions. Que l’on retrouve aujourd’hui chez nous, dans les guéguerres des cités.

L’histoire de Mikhaïl Timofeïevitch Kalachnikov ne démarre pas sur les bancs de l’école. Né le 10 novembre 1919, près de la frontière chinoise, d’une famille paysanne, il est le 17e d’une fratrie de 19 (Wikipédia). Pour le régime communiste, son père est un koulak. Autrement dit un paysan qui se serait enrichi sur le dos des travailleurs. Lui et sa famille sont déportés en Sibérie. Mikhaïl a 11 ans. Il voit mourir ses frères et ses sœurs. Sept seulement ont survécu. À 15 ans, il s’évade. Repris deux ans plus tard, il s’évade de nouveau. Il se fait alors embaucher dans un atelier des chemins de fer et se découvre une véritable passion pour la mécanique. À 19 ans il dépose son premier brevet : un dispositif pour mesurer le kilométrage et la consommation des véhicules, juste avant de partir pour remplir ses obligations militaires. Il est affecté dans les chars. Lors de son stage de formation, il impressionne ses instructeurs par l’effervescence de ses idées. Dès qu’il découvre un nouvel outil, un nouveau dispositif…, il cherche à améliorer son fonctionnement. Comme il le fit avec le Tokarev T33. Un pistolet qui restera en dotation dans la police et dans l’armée jusqu’aux années 60.

Mais le 22 juin 1941, c’est l’opération Barbarossa : la Wehrmacht envahit l’URSS. Lors de la bataille de Briansk, destinée à stopper l’avancée allemande vers Moscou, Mikhaïl Kalachnikov est grièvement blessé. Son séjour à l’hôpital lui sera profitable. En effet, les soldats se plaignent de la supériorité de l’armement des forces allemandes. Ils le trouvent bien supérieur à celui de l’Armée rouge. Ce qui titille Mikhaïl. C’est ainsi que lui vient l’idée de créer une arme automatique. Il effectue de nombreuses esquisses sur son lit d’hôpital. À sa sortie, convalescent, il rejoint son ancien atelier aux chemins de fer et se met à bricoler un truc qui ressemble à un fusil d’assaut, même si le terme n’existe pas encore. À l’époque, au mieux, les militaires possèdent des fusils semi-automatiques. Dans les troupes françaises, le fusil Lebel, dont l’invention remonte à 1886, est encore largement utilisé, même s’il est peu à peu remplacé par le MAS 36. Une fois son arme conçue, Mikhaïl ne sait pas trop quoi en faire. À qui la présenter ? Il se rend au commissariat et… il est arrêté pour détention d’arme. Ce sont ses compagnons du Komsomol (les Jeunesses communistes) qui le font libérer. Il est alors convoqué au Parti où un dirigeant lui dit que ce qu’il a fait était bien « même si ton arme n’est pas très belle ». Et il l’expédie faire des études à l’Université. En 1942, Mikhaïl créé un deuxième prototype, plus proche du modèle final, aujourd’hui exposé au musée de Saint-Pétersbourg – et il épouse la dessinatrice industrielle qui l’accompagne dans ses recherches.

L’arme n’a été officiellement déposée qu’en 1947 (son nom officiel est Avtomat Kalachnikova 1947 ou AK-47).

L’AK-47 est conçu pour durer. Et du coup, quelles que soient les conditions (marécages, sable…), il ne s’enraye jamais. C’est cette simplicité et sa robustesse légendaire qui en ont fait l’arme des pauvres. Et sa beauté vient de son succès. Mais rien ne laissait supposer que la kalache deviendrait une star mondiale…

C’est le fusil préféré des guérilleros. « Je suis très fier qu’il soit devenu pour beaucoup symbole de liberté », dit Mikhaïl Kalachnikov. Pas une révolution, pas une rébellion sans des images de combattants agitant leur kalache. Elle était aux premières loges de la révolution libyenne, comme c’est le cas aujourd’hui en Syrie ou au sein des Forces armées révolutionnaires de Colombie. On dit, après le deuxième conflit irakien, que les Américains ont négligé (volontairement ou non) de détruire les importants stocks de kalachnikovs constitués par Saddam Hussein. Ce sont des millions de kalaches qui se seraient évaporées dans la nature. Cette arme est chargée de symbole même pour les grands de ce monde. Ainsi, Salvador Allende se serait suicidé avec l’AK-47 que lui avait offert Fidel Castro et qui portait la dédicace : « À mon ami Allende, de la part de Fidel, qui essaye par des moyens différents d’atteindre les mêmes buts ».

Le modèle actuel de ce fusil d’assaut est l’AK-74. Il est toujours fabriqué dans la même usine, laquelle est sous contrat avec le gouvernement russe. Mais les choses pourraient évoluer, car, si l’AK s’est illustré dans de nombreux conflits, il a fait son temps. Ce que personne n’ose trop dire à son inventeur de crainte de lui faire de la peine. Il est vaguement question d’un nouveau modèle, l’AK-12 (pour 2012), mais l’usine Ismash, à Ijevsk, dans l’Oural, qui fabrique cette arme depuis toujours, serait au bord du dépôt de bilan (son sort semble lié au succès de la nouvelle voiture « low cost », la Lada Granta, dont elle assure la production). D’autant que l’armée russe, d’après un expert, possède un stock d’armes légères « suffisant pour mener plusieurs guerres mondiales ».

Alors que l’inventeur du fusil américain M16 percevait un dollar sur chaque arme qui sortait de l’usine, Mikhaïl Kalachnikov dit, non sans malice, qu’il n’a jamais touché un kopeck de royaltie sur son invention. En revanche, il a été comblé d’honneurs. C’est l’homme le plus décoré de Russie. Il a été fait général en 1994. Et il est devenu une légende.

Monsieur Kalachnikov aime à se raconter, ce qu’il a d’ailleurs fait dans un livre, Ma vie en rafales, sorti au Seuil en 2003. Et même si l’on peut hésiter à montrer de l’admiration pour l’inventeur d’une arme de guerre, on a du mal à ne pas trouver le personnage sympathique. Surtout lorsqu’il confesse : « J’aurais préféré inventer une chose plus utile, par exemple une tondeuse à gazon… »

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