LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 13 of 25)

Meurtre de Léa : un suspect est arrêté, il ne sera peut-être pas jugé

Il n’y a pas de haine dans les propos de Karine Bonhoure. L’assassin présumé de sa fille a été arrêté ; elle veut juste qu’il soit jugé. Ce qui semble la moindre des choses. Et pourtant, aujourd’hui, rien n’est sûr. Les avocats du suspect demandent l’annulation de la garde à vue. Pourtant, policiers et magistrats n’ont commis aucune erreur. Bien au contraire. Alors…

« Peut-on imaginer que l’assassin de ma fille soit libéré avant tout jugement et qu’on annule sa détention provisoire ? » me demande-t-elle au téléphone. Et elle me lit la requête des avocats, Me Amel Belloulou-Amara et Laurent Epailly : annulation des auditions faites par les policiers et des interrogatoires du juge, de la perquisition, des saisies, des constatations sur la scène de crime, du rapport médical, etc.

Le suspect, Gérald Seureau, a fait des aveux circonstanciés. Il existe de nombreuses preuves matérielles contre lui qui justifient sa mise en examen pour meurtre aggravé de viols. Et il pourrait être blanchi sans autre forme de procès !

Quel déni de justice.

En cette nuit de la Saint-Sylvestre 2011, une vingtaine de jeunes gens se sont réunis pour le réveillon. Léa et Gérald font connaissance. Elle a 17 ans, il en a 24. Un flirt d’une nuit de fête… A l’aube, ils quittent leurs amis. Tous deux se dirigent vers une propriété en partie buissonneuse où vivent les Sœurs de Saint-François d’Assise. Que s’est-il passé ensuite…

Dans la matinée, la mère de Léa s’inquiète de ne pas voir revenir sa fille. Elle appelle des amis et finit par joindre Seureau – qu’elle ne connaît pas. Il affirme qu’ils se sont séparés vers 6 ou 7 heures du matin. Elle prévient la gendarmerie. Le jeune homme fait la même réponse aux gendarmes. Finalement, vers 21 h, le père se rend au commissariat accompagné de Seureau, qui est le dernier à avoir vu la jeune fille. Il répète ce qu’il a déjà dit : il a quitté Léa vers 6 ou 7 heures. Mais son comportement est bizarre et, lorsqu’il retire l’un de ses gants, les policiers remarquent des traces de griffures sur le haut de sa main. Ils lui demandent des explications. Le jeune homme s’effondre en gémissant : « Je vais aller en prison… Je vais aller en prison… »

À 22 h 45, il est placé en garde à vue. L’OPJ du commissariat informe le barreau pour demander un avocat. Le suspect a craqué, mais lorsqu’il a abandonné Léa, elle était encore en vie. C’est du moins ce qu’il affirme. Et il est d’accord pour accompagner les enquêteurs sur place. Ceux-ci se précipitent. Ils font prévenir l’avocat que, vu l’urgence, ils se transportent sur les lieux de l’agression, du viol, du crime… Ils ne savent pas très bien. Lorsqu’ils arrivent, il est 00 h 35. Léa est morte depuis longtemps. Elle a sans doute agonisé de longues heures. Le procureur, tenu informé, décide de saisir la police judiciaire. Service qui reprend la garde à vue à 1 h 15. Seureau s’entretiendra avec l’avocat de permanence, comme il l’a demandé, durant environ 25 minutes. C’est seulement après qu’il sera interrogé sur le fond. Il passe des aveux complets, d’ailleurs en partie recoupés par ses premières déclarations et par les investigations effectuées durant la garde à vue. Il s’est acharné sur la jeune fille avec une rare violence et il l’a violée à plusieurs reprises. Elle s’est débattue, bien sûr, lui arrachant une gourmette à son nom qu’il porte ordinairement au poignet et qui est retrouvée près du corps. Des tortures qui ont duré longtemps. Un médecin constate les traces de coups et de griffures sur le suspect. Des témoins déclarent avoir vu le jeune homme alors qu’il portait des vêtements déchirés et tâchés de sang. Vêtements qui seront retrouvés lors de la perquisition à son domicile. Des traces de sperme seront même découvertes, plus tard, lors de l’examen clinique du corps de la victime.

Pour les policiers et les magistrats, c’est une affaire carrée : des aveux détaillés et recoupés, des éléments matériels, et même des prélèvements ADN.

Oui, mais…

Trois mois plus tard, sur la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, les parlementaires votent en catastrophe une loi pour modifier les conditions de la garde à vue. Deux points essentiels : la présence de l’avocat durant l’audition d’un suspect et l’obligation de l’informer de son droit à garder le silence. Jusqu’à ce jour, cédant à des lobbys autistes et à la pression de certains syndicats de police, le gouvernement s’était refusé à toute modification. En 2009, Nicolas Sarkozy avait missionné un comité de réflexion sur la justice pénale qui est resté lettre morte. Cette même année, les juges de Bobigny, qui, eux, avaient senti la patate, avaient demandé aux OPJ de suivre les directives européennes en matière de garde à vue. Ils ont à l’époque été fustigés par de nombreux policiers et la chancellerie leur a tourné le dos. Et pourtant, dans au moins deux affaires distinctes, la Cour européenne a estimé que les enquêteurs « auraient dû anticiper l’évolution de la jurisprudence européenne ». Ensuite, mais un peu tard, la Cour de cassation a mis les choses au clair : « Les États sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre une condamnation par celle-ci ou un changement dans leur législation » (Cass., ass. plén., 15 avr. 2011).

En ce qui concerne la présence de l’avocat, la clé de la jurisprudence européenne tient dans le célèbre arrêt Salduz : pour qu’un procès soit équitable, il faut que le suspect ait accès à un avocat dès le premier « interrogatoire » de police – « sauf à démontrer à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

Or, dans l’affaire du meurtre de Léa, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Montpellier a estimé que les policiers et les magistrats avaient respecté la procédure telle qu’elle existait au début de l’année 2011. Et que l’application rétroactive de la loi sur la garde à vue pouvait générer un trouble à l’ordre public. On parle dans ce cas de « sécurité juridique » : protéger les citoyens contre les effets non souhaités du droit.

Les avocats de Seureau ont alors porté l’affaire devant la Cour de cassation qui, le 17 janvier 2012, a cassé la décision de la Cour d’appel. Pour la juridiction suprême, les premières déclarations du suspect sont justifiées par la nécessité de rechercher une personne en péril, ce qui légitime à la fois l’absence de l’avocat et l’absence de notification du droit de se taire. En revanche, les auditions réalisées ensuite sont irrégulières. Une petite phrase qui vise expressément les aveux recueillis par la police judiciaire. En clair, il semblerait donc que la partie de la procédure qui précède la découverte du corps reste valable. Quant au reste…

C’est à présent à la chambre d’instruction de la cour d’appel de Toulouse de se prononcer*. L’audience qui devait se tenir le 8 mars a été repoussée au 26 avril 2012. Il lui appartiendra de déterminer précisément quels procès-verbaux doivent être annulés. Les aveux, c’est sûr, mais quid des autres actes concomitants effectués durant l’enquête en crime flagrant ? Et l’information judiciaire ! Pourrait-elle être invalidée ? C’est le flou juridique.

Il devrait toutefois subsister suffisamment de charges pour envoyer le suspect devant une Cour d’assises. Et il appartiendra au Président de celle-ci de boucher les trous de la procédure. Les policiers, les magistrats, les experts qui ont participé à l’enquête pourront être entendus comme témoins et rapporter ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu. Leurs dépositions marqueront sans doute les jurés. Et si, comme dans l’affaire des enregistrements clandestins effectués au domicile de Mme Bettencourt, ces preuves obtenues « illégalement » étaient néanmoins recevables ?… Eh non ! La décision de la chambre criminelle ne vise que des preuves fournies par une personne privée : un OPJ, lui, est tenu de respecter la loi.

Ce gouvernement se targue de vouloir protéger les victimes. Alors comment admettre que son inertie ait mené la famille de Léa à la situation inverse ? En tardant à aligner la loi française sur les règles européennes, il a placé Karine Bonhoure face à l’absurde. Elle qui s’était tue depuis la mort de sa fille a lancé une pétition sur Facebook afin d’attirer l’attention sur cette situation invraisemblable : un suspect est arrêté, il ne sera peut-être pas jugé.

______

* Le 7 juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse a estimé la garde à vue illégale.

Un nouveau crime dans le code pénal : la disparition forcée

Il ne s’agit pas d’un acte typiquement crapuleux. C’est le fait d’agents de l’État ou du moins de personnages qui agissent en son nom. Des spécialistes des coups tordus que, chez nous, autrefois, du temps de la lutte contre l’OAS, on appelait des barbouzes. La disparition forcée est l’arrestation arbitraire, voire l’enlèvement, d’opposants politiques ou de militants des droits de l’homme, et leur maintien en détention dans un lieu tenu secret.

À ce jour, en France, de tels comportements sont assimilés à des crimes contre l’humanité et sont punis de la réclusion criminelle à perpétuité (art. 212-1, al. 9 du code pénal). Ce n’est pas seulement un article symbolique. Ainsi, actuellement, à la suite d’une plainte déposée par plusieurs associations ou ONG, un juge d’instruction du tribunal de Meaux est en charge d’une enquête sur des exactions commises au Congo. Les faits remontent à mai 1999. En pleine guerre civile, des réfugiés ont voulu profiter d’un couloir sécuritaire pour rejoindre Brazzaville. Des centaines de personnes ont alors été arrêtées pour interrogatoire. On ne les a jamais revues.

Et, en 2010, un procès historique s’est tenu devant la Cour d’assises de Paris pour juger certains des responsables des crimes commis sous la dictature chilienne.

Plus récemment, plusieurs organisations pour la défense des droits de l’homme ont attiré l’attention sur l’Algérie, signalant des arrestations qui pourraient bien ressembler à des disparitions forcées. Comme ce fut le cas en novembre 2011, pour Nouredine Belmouhoub, défenseur des droits de l’homme et porte-parole du Comité de défense des anciens internés des camps de sûreté, séquestré durant trois jours par de pseudo-policiers.

D’après les chiffres des Nations unies, dans 90 pays, sur les cinq continents, ce sont 40 à 50 000 personnes qui auraient disparu depuis 1980. Mais la monstruosité a été atteinte les décennies précédentes en Amérique latine, durant la « guerre sale », alors que les services secrets de plusieurs dictatures militaires coordonnaient leur action répressive. Avec, pour le moins, la complicité passive de la Maison Blanche. Certains pensent d’ailleurs que d’anciens membres de l’OAS réfugiés dans ce coin du monde ont coopéré à cette sauvagerie. Notamment pour mettre en place l’opération Condor, qui rappelait (en plus grand), les « Crevettes Bigeard » : des cadavres, les pieds coulés dans le béton, largués en mer depuis des hélicoptères. Ces faits, reconnus par certains, ont toutefois été démentis par le général Marcel Bigeard lui-même.

Plusieurs pays ont œuvré pour mettre en place une procédure qui viserait à protéger les populations et à réprimer ces actes. Une première résolution en ce sens a été signée en 1978. Finalisée en 2006 par une convention internationale adoptée à la fois par le Conseil des droits de l’homme et par l’Assemblée générale des nations Unies. La France a eu un rôle moteur dans l’histoire de cette convention.  Elle a donné une impulsion à la démarche et elle a présidé les négociations jusqu’à la signature du texte. Aujourd’hui, elle fait partie des dix membres du nouveau comité des Nations unies chargé de faire respecter la Convention et de traiter les plaintes individuelles. À ce jour, 91 États sont signataires.

« Où sont les centaines d’enfants nés en captivité ? » demandent ces femmes.

La première réunion de la « Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées » s’est tenue à New York en mai 2011 sous la présidence de l’Argentine. Elle était parrainée par la présidente de l’ONG des « Grands-mères de la place de Mai », Estella de Carlotto, toujours à la recherche de l’enfant que sa fille a mis au monde alors qu’elle se trouvait en détention, avant d’être assassinée.

La France a été le premier pays d’Europe à ratifier cette convention. Il était donc urgent qu’elle adapte son code pénal et sa procédure pénale. Ce qui, entre parenthèses, aurait dû être fait en 2011. Le mois dernier, au nom du gouvernement, Michel Mercier, le garde des Sceaux, a déposé un projet de loi en ce sens. Un peu noyé, il faut le dire, parmi d’autres modifications comme le jugement, l’exécution des peines ou l’extradition des étrangers dans le cadre d’une meilleure coopération judiciaire au sein de l’Europe. Mme Le Pen sera sans doute contente d’apprendre que les étrangers pourront exécuter leur peine en dehors de l’Hexagone. Sous certaines conditions, va sans dire. D’autre part, le fonctionnement d’EUROJUST sera repoli, principalement au niveau de l’information au sein de l’Union. Par exemple, une fois la loi adoptée, EUROJUST pourra consulter les principaux fichiers français.

Cette  nouvelle infraction criminelle sera inscrite dans le code pénal sous le titre « Des atteintes à la personne constituées par les disparitions forcées ». La peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté qui pourra aller jusqu’à 22 ans.

La disparition forcée est nécessairement commise par des agents de l’État ou sous l’autorité de l’État et, que l’on soit en haut ou en bas de la hiérarchie, le simple fait d’être au courant et de n’avoir rien fait pour l’empêcher est considéré comme de la complicité. Il y a donc implicitement dans le texte, nécessité de désobéir, de s’opposer, ou du moins de dénoncer. Quel que soit le pays où les faits ont été commis, les juridictions françaises sont compétentes à partir du moment où les suspects se trouvent sur le territoire national.  Les personnes morales peuvent également être poursuivies.  La peine et l’action publique se prescrivent par 30 ans, comme en matière de terrorisme ou de trafic de stups. Alors qu’aujourd’hui, considérés comme des crimes contre l’humanité, ces agissements sont normalement imprescriptibles. Les disparitions forcées commises avant 1982 ne pourront donc plus faire l’objet de poursuites pénales si aucune procédure n’a été engagée.

Pour mieux matérialiser la portée de cette loi, si elle avait existé lors de l’enlèvement de Ben Barka, en 1965, devant la brasserie Lipp, à Paris, les deux policiers français mis en cause auraient risqué perpette. Ils ont pris 8 ans et 6 ans. Et les juges auraient pu remonter la hiérarchie… Jusqu’à quel niveau… ? Je ne sais pas. De toute façon, à un moment ou à un autre, ils se seraient heurtés au « secret défense ».

Quant aux crimes et délits commis durant la guerre d’Algérie, on oublie. Ils ont fait l’objet d’une loi d’amnistie votée le 31 juillet 1968. Le texte vise même expressément les infractions commises par les militaires.

Notre histoire est une leçon.

Affaire Neyret : la procédure a-t-elle été bâclée ?

En tout cas, c’est ce que pensent les avocats. Ils ont saisi la Cour d’appel et demandent ni plus ni moins l’annulation du dossier. Les magistrats de la chambre d’instruction ont reporté au 5 avril prochain l’examen des différentes demandes. Ils pourraient les rejeter en bloc, invalider certains actes de la procédure ou, éventuellement, l’annuler en entier. Voilà de quoi faire rêver Michel Neyret dans sa cellule !

Cela semble toutefois peu probable. Il faut en effet se souvenir que l’affaire a été traitée par l’Inspection générale des services (IGS), donc (on l’espère) par des policiers d’un haut niveau procédural ; et par la Juridiction interrégionale spécialisée de Paris (JIRS), composée de magistrats triés sur le volet. On peut donc penser que le dossier est bien saucissonné.

À moins que…

Si l’on en croit Le Point qui, depuis le début, suit l’enquête de très près, certains éléments soulevés par les avocats semblent néanmoins sérieux.

Si j’ai bien compris, une grande partie des faits reprochés aux protagonistes de cette affaire repose sur des écoutes téléphoniques. Des écoutes capricieuses, à en croire Me Kaminski, l’avocat de Stéphane Alzraa (celui qui aurait fait profiter de ses largesses le commissaire Neyret).  C’est lui qui a porté la première estocade : son client a été entendu sur des écoutes téléphoniques qui n’étaient pas dans la procédure. Ce qui pose un vrai problème. Car on peut soit en déduire qu’il s’agissait d’écoutes administratives (donc en principe inutilisables en justice), soit que c’est le souk dans la procédure.

Je dois avouer que la deuxième version me plaît bien. Car, en fait, il est extrêmement difficile de s’y retrouver lorsqu’une douzaine d’individus sont placés sur écoute simultanément. Cela est vrai pour les policiers qui doivent faire la part des choses dans un flonflon de mots souvent anodins, et encore plus pour les juges qui, eux, doivent se faire une opinion sur des propos extraits d’une ou plusieurs conversations. Ainsi, lorsque les avocats relèvent que les premières écoutes téléphoniques sont antérieures à l’ouverture de l’information judiciaire, indéniablement, ils marquent un point. Il semblerait que ces enregistrements aient été effectués par la brigade des stups, alors qu’elle travaillait sur une autre affaire. Si c’est le cas, comme il s’agit d’éléments pouvant faire penser à un crime ou un délit qui ne concerne pas leur enquête, ils ne peuvent en faire état dans leur procédure. La bonne règle veut alors que l’on en avise le procureur qui juge de l’opportunité d’ouvrir une enquête préliminaire. Mais, dans le cas présent, les faits se passent à Lyon, le proc de Paris n’est donc pas « territorialement » compétent. Il doit passer le relais. Et s’il craint des fuites, car l’affaire pourrait mettre en cause des policiers, voire des magistrats, il lui reste la possibilité de saisir un service à compétence nationale, comme l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ou un office central de la police judiciaire.

Or, la question que l’on se pose depuis le début de cette affaire, c’est pourquoi avoir saisi les policiers parisiens d’une affaire pour laquelle ils n’avaient pas compétence ? La question reste sans réponse. Mais le sentiment de nombreux policiers de province est double. Un, il y a eu méfiance des autorités vis-à-vis des policiers qui n’appartiennent pas au sérail (la PP) ; deux, l’IGS sait montrer beaucoup de « souplesse » dans ses enquêtes. Opinion renforcée par des affaires récentes, comme celle du trafic supposé de titres de séjour ou même l’affaire des fadettes d’un journaliste du Monde.

Me Kaminski, a donc aujourd’hui beau jeu de dire que les critères de compétence du parquet et du juge d’instruction n’ont pas été respectés, « puisqu’aucune des infractions n’a été commise à Paris, aucun des suspects n’y réside et qu’ils ont tous été interpellés en province ».

Cela suffit-il à faire tomber la procédure ? Pour les avocats du commissaire Christophe Gavat, l’ancien chef de la PJ de Grenoble, la question ne se pose même pas, car ils se demandent encore pourquoi leur client a été mis en examen. Pour eux, le dossier est vide.  Le policier est soupçonné d’avoir détourné des scellés (de drogue), à la demande de Michel Neyret, afin de rétribuer des indicateurs. L’air de rien, lors de son arrestation, France 3 a rappelé que ce commissaire atypique (il veut être comédien), lorsqu’il était en poste à Perpignan, a arrêté le maire UMP de Saint-Cyprien, lequel s’est suicidé en prison. Et que dans une affaire de trafic de cocaïne, il a également mis en garde à vue un autre élu de ce parti politique. « Le fait qu’il se soit attaqué à des notables de l’UMP peut-il expliquer les déboires qu’il connaît aujourd’hui ? » s’interroge innocemment le journaliste.

Cette histoire peut-elle avoir un lien avec les idées politiques des uns ou des autres ?  Je ne veux pas le croire. Mais si Michel Neyret et ses collègues avaient eu le « bon » profil, les enquêteurs auraient peut-être reçu la consigne d’y aller avec des gants… Alors que là, le directeur central de la PJ leur a tenu la tête sous l’eau, tandis que des fuites dans la presse faisaient monter la pression. Et, dès la fin de sa garde à vue, Michel Neyret a été suspendu par le ministre de l’Intérieur. « Il ne faut jamais faire quoi que ce soit d’illégal », a virilement déclaré Claude Guéant sur France 2. Depuis, d’autres policiers ont eu un traitement moins ferme.

Alors ce dossier, vide, bâclé ou solide ? Je n’en sais rien. Il faut attendre la décision de la chambre d’instruction de la Cour d’appel. Et dans quelques mois, ou des années, la justice passera, et nous saurons peut-être si autre chose se cachait derrière l’apparence des faits. Mais avec le temps, cela n’intéressera plus personne.

Du petit cadeau à la corruption

« Il n’y a aucune preuve contre moi… », a dit M. Éric Woerth, à la suite de sa mise en examen pour deux délits qui visent des faits liés à sa carrière politique. Il a peut-être raison, car les infractions qui consistent à user de son influence pour obtenir un service, un avantage, voire de l’argent, sont parmi les plus difficiles à réprimer. Qu’il s’agisse de corruption ou de ces délits dits d’atteinte à la probité, comme le trafic d’influence, le favoritisme, le détournement de fonds publics, etc. D’autant que dans ces affaires, les protagonistes sont d’accord entre eux et chacun y trouve son compte. Non seulement il n’y a pas de victime « physique », mais, le plus souvent, tous les participants tombent sous le coup de la loi. Donc, aucun n’a intérêt à dévoiler le pot aux roses.

Si, la plupart du temps, ces dossiers sont mis à jour par des journalistes, ils ne peuvent aboutir que par la pugnacité de certains juges d’instruction. En d’autres temps, Mme Eva Joly disait d’ailleurs que ces enquêtes (je crois qu’elle parlait de l’affaire Elf) ne pourraient pas sortir dans un système judiciaire du type accusatoire. Et même l’avocat général Philippe Bilger, qui voulait « achever le juge d’instruction », a fait machine arrière, déclarant dans Marianne2 : « Je n’ose imaginer ce qu’aurait été la justice actuellement si nous n’avions pas des juges d’instruction… »

Ces infractions sont liées au pouvoir. Elles ne concernent pas que les élus ou les membres du gouvernement, mais tous les gens qui détiennent une parcelle de pouvoir – comme les fonctionnaires. À noter qu’une loi de juillet 2005 a introduit la corruption privée dans le Code pénal.

L’agent public est soumis à une obligation de moralité qui lui interdit d’accepter un cadeau susceptible de mettre en doute son impartialité ou sa probité. S’il passe outre, il peut tomber sous le coup de la loi. Pourtant, tout est dans la mesure. Il ne viendrait à l’idée de personne de chercher des poux dans la tête au facteur qui sonne à notre porte, en fin d’année, pour « vendre » ses calendriers ? Certains pays, notamment en Afrique, interdisent aux fonctionnaires d’accepter le moindre cadeau, alors que d’autres, comme la Suisse, admettent le « cadeau de peu de valeur offert par courtoisie » (canton de Berne). Le code de déontologie américain donne, lui, toute une liste de petits cadeaux que le fonctionnaire peut accepter. Alors que pour le voisin canadien, tout présent doit être retourné au donateur ou à l’État.
« Par essence, si le cadeau est banalisé, voire systématisé, cela signifie que le système en lui-même est corrompu », dit Frédéric Colin, Maître de conférences à l’Université Paul-Cézanne à Aix-en-Provence (Actualité juridique – Fonctions publiques, chez Dalloz).

Pour le policier français, la bonne règle voudrait qu’il n’accepte aucun cadeau ni aucune récompense. Il n’est pourtant pas inhabituel que la victime d’un vol, par exemple, tienne à montrer sa reconnaissance aux enquêteurs qui ont retrouvé ses bijoux, ses tableaux… C’est ainsi que l’ancien Orphelinat de la police (aujourd’hui Orpheopolis) a reçu parfois des donations d’une valeur assez inhabituelle. Je me souviens d’une anecdote… Le producteur de la série télévisée du Commissaire Moulin avait obtenu l’autorisation (rare) de tourner quelques séquences dans la cour mythique du 36. Et, pour remercier, il avait pris l’initiative de faire parvenir au directeur de la PJ une caisse de champagne. Celle-ci lui avait été retournée avec un mot sec, du genre : Un policier n’accepte pas de cadeau. Tout le monde n’a pas forcément le charisme de M. Jean-Pierre Sanguy, puisque c’est de lui dont il s’agit. Pour la petite histoire, c’est ce même personnage qui, quelques années auparavant, dans une affaire dramatique qui avait sérieusement perturbé la brigade antigang de Nice, et qui s’était traduite par la mort d’un jeune gardien de la paix, avait écrit au magistrat pour lui demander d’être inculpé au même titre que ses hommes. Alors que l’information judiciaire avait été ouverte pour assassinat.

Et, lorsqu’on se tourne vers la presse, le quatrième pouvoir, les choses ne sont pas plus évidentes. Si la plupart des rédactions mettent en commun les cadeaux que les journalistes reçoivent, c’est à l’initiative de chacun. Je crois savoir que cela se passe ainsi au Monde, notamment pour les livres envoyés par les éditeurs. Dans un autre journal, en fin d’année, une amie a reçu une caisse de bons vins. Situation embarrassante, lorsqu’on a le code de déontologie comme livre de chevet… Difficile de retourner le présent sans froisser le donateur. Discrètement, elle a fait suivre la caisse au comité d’entreprise. J’espère qu’ils en ont fait bon usage… Mais quid de ces voyages de presse offerts par des annonceurs publicitaires ! Ou de ces journalistes ou pseudo-journalistes qui chaque année figurent sur la liste de la promotion à la Légion d’honneur ! Il n’y a pas de honte, disent certains, à accepter une médaille. Et pourtant, M. Woerth est bien soupçonné d’avoir utilisé ce stratagème pour faire embaucher son épouse par Patrice de Maistres, le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt. Heureusement, certaines journalistes ont une autre opinion de leur métier. Comme Françoise Fressoz et Marie-Ève Malouines qui en janvier 2009 ont refusé cette distinction.

Pour les fonctionnaires, les limites entre le pénal et l’administratif sont parfois bien floues. Ainsi, lorsque l’on nous dit que le commissaire Michel Neyret s’est fait offrir un voyage au Maroc, que faut-il en penser ? Eh bien, s’il a accepté ce cadeau en échange ou en remerciement d’un service, c’est de la corruption passive (corruption active pour le corrupteur). Mais s’il n’existait aucune contrepartie à ce cadeau, alors, cela ne regarde pas le juge. Il s’agit d’une faute qui entraine une sanction administrative.

Pas facile de démêler l’écheveau. Et il faut bien reconnaître que la France est un peu à la traîne pour lutter contre la corruption. D’autant que la prolifération du « Secret défense » a encore compliqué les choses. Le FBI, par exemple, n’hésite pas à utiliser tous les moyens pour parvenir au flagrant délit. La preuve absolue en la matière. Chez nous, il n’y a guère d’exemple. L’affaire Schuller, peut-être, en 1995. Dans laquelle, une information recueillie par le juge Éric Halphen a permis aux enquêteurs de surprendre une remise de fonds de la main à la main. Il s’agissait, on s’en souvient, de l’affaire des HLM de la Ville de Paris (résumé sur Wikipédia). La création de la brigade centrale de lutte contre la corruption (BCLC) date seulement de 2004. Mais, à ce jour, on ne lui a jamais donné les moyens suffisants pour être véritablement performante. Elle compterait cinq fois moins d’enquêteurs que son équivalent en Belgique. Pire, ces dernières années, la sous-direction des affaires économiques et financières a plus ou moins été démantelée. Bien sûr, il y a Tracfin. Mais ce service ne brille pas par sa transparence. D’ailleurs n’est-il pas assimilé à un service secret ? Je pose seulement la question… Transparence International France remarque que seulement deux condamnations mineures ont été prononcées à ce jour au titre de la Convention sur la corruption entrée en vigueur il y a dix ans. Alors que dans le même temps, l’Allemagne a prononcé 42 condamnations et les États-Unis, 88.

Alors, soit nous sommes un pays particulièrement vertueux, soit, malgré les effets de manche et les mouvements d’épaule, la volonté politique n’y est pas.

Les Anonymous peuvent-ils manifester masqués ?

Ils appellent à la manifestation aujourd’hui 28 janvier 2012. Les Anonymous se présentent comme des « hacktivistes » et ambitionnent de protéger l’Internet de toute censure, qu’elle soit politique ou commerciale. Mais là, ils veulent lever la tête de leur écran pour descendre dans la rue.

Ils peuvent le faire, mais à condition de tomber le masque.

En effet, à la suite des manifestations de Strasbourg, en avril 2009, en marge du sommet de l’OTAN, le gouvernement a décidé de poursuivre les manifestants masqués. Pas de loi, mais un décret en date du 19 juin 2009, plaisamment baptisé « décret anti-cagoules ». Le Code pénal a donc été enjolivé de l’article R-645-14. Il prévoit une amende de 1 500 € pour toute personne qui, dans une manif ou à proximité immédiate, dissimule volontairement son visage afin de ne pas être identifiée « dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public ». La peine est doublée en cas de récidive. Et si le manifestant commettait un délit (violences, casse, etc.), cela aggraverait sérieusement son cas.
Mais le texte est ambigu. Il semble bien que le simple fait de dissimuler son visage ne soit pas suffisant pour constituer l’infraction. Il faut le faire avec l’intention d’échapper à toute identification et en agissant de telle manière que les autorités puissent craindre un trouble à l’ordre public. Deux éléments subjectifs qui rendent les poursuites délicates…

S’emmitoufler pour lutter contre le froid, se protéger des gaz lacrymogènes, etc. peut très bien justifier qu’on dissimule son visage. Autrement dit, il peut exister un motif légitime.

On peut également se demander ce que signifie la dérogation qui vise des « usages locaux »… Des médecins et des infirmiers, par exemple, qui manifesteraient devant leur hôpital avec leur masque médical tomberaient-ils sous le coup de la loi ?

La question se pose de la même manière pour les Anonymous. Si, dans une manif, seulement quelques dizaines de personnes sont masquées, elles ont de fortes chances d’être interpellées. Mais si, dans un rassemblement pacifique, sans casse, sans violence…, tout le monde porte le masque de Guy Fawkes, doit-on considérer que les manifestants cherchent à cacher leur identité ou simplement qu’ils affichent le symbole de leur mouvement ?

Intellectuellement, on peut se poser la question, mais sur le terrain, ce sont les responsables du maintien de l’ordre qui prendront la décision. Ce qui ne sera pas, on s’en doute, à l’avantage des manifestants. Toutefois, devant le juge, il pourrait bien en être autrement. Et ce texte, volontairement évasif, pris pour faciliter le travail des forces de sécurité, jouerait alors en faveur du justiciable.

L’image écornée des procureurs

Dans l’affaire des fadettes du Monde, le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, a beau batailler, il n’en a pas moins été mis en examen, comme n’importe quel pékin, comme n’importe quel flic. Et l’on ne peut pas dire que ses collègues se démènent pour prendre sa défense. Il faut reconnaître que ses arguments manquent plutôt de crédibilité et surtout de panache, notamment lorsqu’il charge les policiers, dont, de par la loi, il est le patron.

Voilà une affaire qui ne va pas redorer le blason des procureurs. Déjà qu’ils n’ont pas le moral…

Ainsi, le mois dernier, lors de leur conférence nationale, ils avaient clairement manifesté leur amertume. Ils supportent de plus en plus difficilement d’être considérés comme de simples fonctionnaires, aux ordres du pouvoir exécutif. Ils réclament en priorité un statut qui ne remette pas en cause leur qualité de magistrat.

Ce n’est pas à l’ordre du jour.

Ainsi, le garde des Sceaux a mis un an avant de répondre à un député qui s’inquiétait de savoir si la réforme de la procédure pénale était d’actualité, notamment « la réforme du statut du parquet, pour qu’il soit réellement indépendant de l’exécutif » – et si le gouvernement entendait supprimer les instructions aux procureurs et modifier leur mode de nomination. Réponse embrouillée pour défendre le statut actuel du procureur, et claire pour le reste : « Il n’est pas envisagé par le gouvernement de supprimer les instructions individuelles, ni de modifier le mode de nomination des magistrats du parquet. »

Dont acte.

Les procureurs dénoncent aussi dans ce… manifeste la profusion des textes qui entraîne une sorte d’insécurité juridique, et enfin, comme beaucoup d’autres, ils rouscaillent sur le manque de moyens et de personnels. Pénurie qui amène les tribunaux à faire appel aux citoyens « délégués du procureur ». Des assistants occasionnels (dans le privé on dirait des intérimaires) habilités à prendre certaines mesures en matière répressive, et rétribués au coup par coup. Pour la petite histoire, il semble d’ailleurs que leurs rémunérations (prises sur les frais de justice) ne supportent aucune charge sociale et ne fassent l’objet d’aucune déclaration fiscale. Ce qui est en contradiction avec la loi.

Mais pourquoi ce malaise chez les procureurs ?

Les replâtrages successifs du Code de procédure pénale y sont pour beaucoup et notamment la place prépondérante prise aujourd’hui par l’enquête préliminaire. Il y a quelques années, on n’aurait jamais lu dans la presse, « le procureur a ouvert une enquête préliminaire ». Celle-ci était le plus souvent laissée à l’initiative du policier. C’était même l’apanage de l’agent de police judiciaire. En effet, nul besoin d’être OPJ car – sauf garde à vue – il n’était pas possible d’utiliser des moyens coercitifs. Je me souviens d’une époque où il était impensable d’obtenir l’identification d’un numéro de téléphone qui ne se trouvait pas dans l’annuaire sans la commission rogatoire d’un juge. Ou de ces heures passées à faire le pied de grue devant une porte en attendant le précieux document qui nous autoriserait à forcer la serrure. Les choses ont bien changé. Depuis 1993, au fil des ans, le législateur a multiplié les hypothèses de contrainte, donnant de plus en plus d’importance à l’enquête préliminaire. Au point que les pouvoirs du procureur se rapprochent aujourd’hui de ceux du juge d’instruction. Mais il est évident qu’il ne peut suivre chaque dossier comme le fait un magistrat instructeur. Il y en a trop. 96% des enquêtes. Il doit donc déléguer largement aux policiers et aux gendarmes. Et l’on voit bien les limites de cette délégation dans l’affaire des fadettes du Monde. Les responsables de l’IGS, sentant la patate, ont demandé au procureur Courroye un ordre écrit. Ce qui, a contrario, signifie que d’ordinaire, cela n’existe pas. Pour bien faire le distinguo, le juge, lorsqu’il charge un OPJ d’une mission précise, en mentionne tous les détails dans sa commission rogatoire. Il engage sa responsabilité. Ici, on arrive à cette situation, où, pour se couvrir, le commissaire Daniel Jacquème, le chef adjoint de l’IGS, fait état dans un procès-verbal, d’instructions téléphoniques lui demandant d’obtenir les textes des SMS échangés par les journalistes. Tout cela ne fait pas très sérieux.

Le procureur a une place prépondérante dans le suivi des enquêtes judiciaires. Il est aux deux bouts de la chaîne. Parfois, il peut même « négocier » une peine. Le bon sens voudrait donc que son statut évolue. C’est, je crois, l’un des engagements de François Hollande. Mais pas seulement. En novembre 2011, le député Jean-Pierre Grand et cinq de ses collègues ont déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un « procureur général de la Nation ». Un chef des procureurs, en quelques sortes, qui serait nommé par le Conseil supérieur de la magistrature et qui ne serait pas révocable par le pouvoir politique. Une avancée sérieuse. D’autant que ce député a été élu sous l’étiquette UMP. Depuis, il faut dire qu’il a été suspendu pour avoir tenu des propos qui contredisaient le président de la République. Ce trublion faisait aussi partie du noyau de parlementaires qui a déposé un amendement à la Loi de Finances pour baisser leur salaire. Amendement rejeté. Depuis, il reverse 10 % de son indemnité au centre d’action sociale de sa commune. Cela vaut bien un petit coup de chapeau.

Bilan : les juges d’instruction condamnés un temps à disparaître sont toujours là. Et de plus en plus de voix s’élèvent pour demander l’indépendance des procureurs. Mais cela n’ira pas tout seul. Des magistrats indépendants, c’est « politiquement » ingérable.

IGS : éclairage sur le rapport de synthèse

La police des polices a-t-elle réellement truqué une procédure judiciaire sur un trafic supposé de titres de séjour, afin de nuire à des fonctionnaires jugés trop à gauche ? Et, si oui, les enquêteurs ont-ils agi sciemment, sur ordre, en se laissant aller à la prévarication ? À lire les articles du Monde, la réponse ne fait guère de doute. Et pourtant, sur le plan juridique, elle n’est pas si claire…

Une grande partie de la contre-enquête est basée sur le rapport de synthèse d’un chef de groupe à l’IGS. Il comporterait des allégations mensongères. Ce commandant de police, aujourd’hui à la retraite, aurait été mis en examen pour faux en écriture publique – infraction criminelle punissable ici de quinze ans de réclusion. Il se défend comme un beau diable, affirmant qu’il ne l’a ni rédigé ni signé. Faisant du même coup porter la suspicion de faux sur ses chefs.

Pataquès à l’IGS. Et, c’est de bonne guerre, les policiers qui ont eu affaire aux Bœufs-carottes, se frottent les mains. Chacun son tour, doivent-ils se dire !

Toutefois, cette enquête pose une interrogation : un rapport de synthèse peut-il être considéré comme une écriture publique ?

Pour Me David Lepidi, qui représente les fonctionnaires faussement accusés, il n’y a pas de doute. Se référant à un arrêt de 2003 de la Cour de cassation, il estime qu’ « un procès-verbal de police constitue une écriture publique, quel que soit son objet ». Pourtant, en 2009, le procureur de Paris, M. Marin, avait refusé d’ouvrir une enquête préliminaire en affirmant qu’un tel document n’ayant aucune valeur probante, il ne peut donc être assimilé à un procès-verbal.

On a l’impression qu’ils ne parlent pas le même langage. Alors, pour y voir clair, il suffit de lire le résumé de la position de la Cour de cassation :

Bulletin criminel 2003 n° 201

Bon, d’accord, on n’y comprend rien. Allez, je me risque à faire une… synthèse :
Dans cette affaire, dont l’origine remonte à 1998, le plaignant contestait, plusieurs années après les faits, un procès-verbal établi par le commissaire de police du 13° arrondissement de Paris, dont le caractère mensonger avait été à l’origine de son placement d’office dans un hôpital psychiatrique. Or, le juge avait refusé de recevoir sa plainte en arguant de la prescription du délit. Mais, pour l’avocat du plaignant, la prescription n’était pas acquise car le procès-verbal constituait un faux en écriture publique, donc une infraction criminelle prescriptible au bout de dix ans seulement. En 2002, la Cour d’appel de Paris confirmait toutefois la décision du juge d’instruction : il n’y avait pas de faux en écriture publique. Mais la Cour de cassation a pris l’exact contre-pied. Elle se fiche de savoir s’il s’agit d’un procès-verbal ou pas. L’objectif du commissaire était d’obtenir la confirmation par le préfet d’une décision de placement d’office. Il agissait donc dans le cadre d’une mission de police administrative en fonction d’une loi qui, à l’époque, donnait (à Paris) au commissaire de police les mêmes pouvoirs que ceux du maire. Donc, en tant que « dépositaire de l’autorité publique », s’il a menti pour faire interner un pauvre bougre, il s’est rendu coupable d’un crime (je ne connais pas la fin de l’histoire).

Alors, qu’en est-il dans l’affaire qui vise l’IGS ? Pour tenter de répondre, il faut comprendre ce qu’est un rapport de synthèse, souvent d’ailleurs appelé « rapport d’ensemble ».

On peut d’abord dire ce qu’il n’est pas : un procès-verbal.

Là, le procureur a raison. Inutile de chercher dans le Code de procédure pénale, ce n’est pas une obligation imposée par le législateur et il ne correspond à aucun acte juridique. C’est en fait un document de travail, un résumé de l’enquête et des éléments recueillis. Il n’est pas inhabituel que l’OPJ fasse état de pistes ou d’hypothèses qui n’ont pas abouti, et qu’il donne, in fine, son avis personnel. Mais surtout, il met en exergue les points essentiels de la procédure (épaisse parfois de plusieurs centimètres) en donnant la référence des procès-verbaux qui s’y rapportent. Certains sont de véritables romans policiers.

L’objectif est donc de dresser un tableau de l’affaire pour que le magistrat puisse en saisir les grandes lignes. Mais il lui appartient – évidemment – de vérifier chaque élément en se reportant aux P-V correspondants. Ainsi que le précise l’art. 81 du CPP : « Le juge d’instruction doit vérifier les éléments d’information ainsi recueillis. ». Ce n’est qu’ensuite, lorsque le juge lui aura donné une cote, que ce document fera partie intégrante du dossier judiciaire. Et rien n’empêche le magistrat instructeur d’interroger l’enquêteur pour lui demander des explications.

La meilleure preuve que ce rapport n’est pas un P-V, c’est qu’il est ordinairement rédigé à l’attention du chef de service. « J’ai l’honneur de vous rendre compte de l’enquête effectuée, conformément à vos instructions et en exécution de la commission rogatoire de M…, juge d’instruction à…, etc. » Et ledit chef de service appose son grigri pour faire suivre. En police judiciaire, par exemple, lorsque plusieurs groupes travaillent sur la même affaire, il est souvent rédigé au nom du patron.

Alors, ce document peut-il être considéré comme une « écriture publique » ?

Franchement, je ne le crois pas. Car ce n’est pas non plus un écrit qui entraîne une décision d’ordre public. Il ne vaut que simple information. Et aucune mesure – en principe – ne devrait être prise à sa simple lecture. Mais comme il existe une certaine ambiguïté, il est bien que la justice suive son cours. Gageons que l’affaire remontera en appel et peut-être en cassation. Et nous aurons une réponse claire sur la valeur juridique du rapport de synthèse.

Et si la justice devait confirmer le crime de faux en écriture publique, il appartiendrait aux écoles de police de revoir leur copie, soit en invitant leurs élèves à se limiter à la transmission de la procédure sans aucun résumé de l’affaire, soit en changeant la forme et l’esprit dudit rapport.

En attendant, si cette magouille de l’IGS était confirmée, on ne peut imaginer un instant que l’affaire s’arrête là. Il faudra bien s’interroger sur l’existence d’une institution qui traite à la fois les affaires disciplinaires et les affaires pénales. Même si l’enquête en cours se termine par un flop.

 

Le gang des Lyonnais : un flash-back troublant

Alors que le film d’Olivier Marchal, Les Lyonnais, va sortir sur les écrans, Francis Renaud, le fils du juge assassiné en 1975, publie un livre qui laisse entendre que son père aurait pu être victime du gang de Momon Vidal. Cela nous ramène près de 40 ans en arrière : Nick-le-Grec supplante Jeannot la Cuillère et deux commissaires de police, dont Charles Javilliey, un as de la PJ, se retrouvent derrière les barreaux. Comme Michel Neyret aujourd’hui.

Tout cela mérite bien un petit flash-back…

En 1971, parmi la centaine de hold-up comptabilisés dans la région Rhône-Alpes, au moins cinq sont attribués à une même équipe : des individus lourdement armés, grimés ou masqués, chacun revêtu d’une blouse bleue. Et à chaque fois, ils prennent la fuite à bord d’une Renault Estafette. Au mois d’août, grâce à un coup de téléphone anonyme, les gendarmes de Bourg-en-Bresse retrouvent le véhicule. Ils découvrent à l’intérieur un véritable arsenal : des armes de tous calibres, des munitions, des cagoules, des postiches, etc. Tout laisse à penser que les malfaiteurs ont pris la sage décision d’arrêter les frais, de prendre leur retraite. Et, avant de tirer leur révérence, comme un dernier pied de nez, ils font don de leurs outils de travail à la maréchaussée. En fait, ils sont juste partis en vacances. En septembre, le ballet reprend, avec du matériel tout neuf. En février 1972, quatre hommes armés attaquent un transporteur de fonds sur le parking du Carrefour de Vénissieux. Les convoyeurs résistent. Fusillade. L’un des bandits est blessé, mais les malfaiteurs parviennent à s’enfuir avec un butin qui frôle le million de francs. Le lendemain, les gendarmes surprennent un étrange manège : ce qui semble bien être un transbordement entre une Estafette et une BMW. À la vue des képis, l’Estafette prend le large, tandis que le conducteur de la puissante BM s’embourbe dans la terre meuble du chemin. L’homme est interpellé. Il s’agit d’un gitan de 27 ans : Edmond Vidal. Il se dit ferrailleur. En 1967, il a été condamné à cinq ans de réclusion pour une agression à main armée contre un bar de Lyon en compagnie d’un truand bien connu : Jean-Pierre Gandeboeuf. Mais ce jour-là, les gendarmes n’ont rien à lui reprocher. Ils le laissent partir, sans doute à regret. Et ils avisent le service de police judiciaire.

C’est le début de la traque du gang des Lyonnais. Elle durera plusieurs années.

Aussitôt informé, avant même d’être officiellement saisi de l’enquête, le chef du groupe de répression du banditisme de Lyon, le commissaire Georges Nicolaï, entre en scène. Au bout de quelques semaines, le noyau de l’équipe est identifié. Outre Edmond Vidal, dit Momon, il y a Pierre Zakarian, dit Pipo, et Michel Zimetzoglou, alias Le Grec. Ces deux derniers sont associés dans la gérance d’un restaurant du quartier Saint-Jean de Lyon, « Le Tire-Bouchon », avec Joseph Vidal, dit Galane, le frère du précédent.

À cette époque, une affaire de proxénétisme éclabousse la police lyonnaise. Les commissaires Louis Tonnot, de la sûreté urbaine, et Charles Javilliey, de la PJ, sont soupçonnés de corruption. Javilliey, spécialisé dans la lutte contre le grand banditisme, possède pourtant un palmarès impressionnant. Il se défend comme un beau diable. Il affirme que ses relations avec le milieu, voire ses petits arrangements, sont le prix à payer pour obtenir des tuyaux. Rien n’y fait. Il est incarcéré. Condamné en première instance, il sera finalement relaxé devant la Cour d’appel en 1974. Ce charivari fait bien les affaires des truands et notamment d’un certain Jean Augé, dit Petit-Jeannot, le parrain du milieu lyonnais. Celui qui tire les ficelles. On peut se demander si quelqu’un bénéficie aujourd’hui de l’incarcération du commissaire Michel Neyret…

Jean Augé a été collabo durant la guerre, mais, lorsque le vent a tourné, il est entré dans un bar et il a tué deux Allemands – au hasard. Ce qui a fait de lui un héros. Reconverti au Gaullisme, il est rapidement devenu le responsable du SAC (Service d’action civique) pour toute la région. Durant la guerre d’Algérie, il a fait partie de cette police parallèle qui se livrait aux pires exactions : exécutions sommaires, torture… Ses amis lui avaient gentiment attribué le sobriquet de « Jeannot la Cuillère », car dans les interrogatoires, il utilisait cet ustensile pour énucléer ses victimes. On dit de lui qu’avec son complice, un ancien sous-officier, il préparait ses coups comme un chef d’état-major. Il a été le mentor d’Edmond Vidal et probablement le cerveau du hold-up de l’hôtel des postes de Strasbourg. Quasi une opération commando. Après son arrestation, comme beaucoup de truands, Edmond Vidal a d’ailleurs tenté de politiser ses méfaits en revendiquant des centaines d’opérations pour le compte du SAC. Ce qui n’a jamais été confirmé. Petit-Jeannot a été abattu en juin 1973 alors qu’il se rendait à son club de tennis.

Les malheurs du commissaire Javilliey n’empêchent pas Pierre Richard, le n°2 de la PJ, de se frotter aux informateurs. Et il obtient de l’un d’eux un tuyau sur le prochain coup que prépare le gang des Lyonnais. L’idée de faire un flag fait toujours bander les flics. Plus de cent policiers travaillent jour et nuit pendant plus d’un mois et demi sur Momon et sa bande. Des surveillances, des filatures, des écoutes sauvages, et même la sonorisation, avec l’aide de la DST, du domicile de certains suspects – à l’époque, en toute illégalité. Mais rien ne va comme prévu. Peut-être un problème de commandement… ou de sous. Finalement, Honoré Gévaudan, le directeur des affaires criminelles de la PJ, donne l’ordre d’arrêter les frais et de « casser » l’affaire. C’est l’opération « chacal ». Et c’est quitte ou double, car les preuves sont bien minces… Le véhicule d’Edmond Vidal est repéré devant le domicile de sa compagne, Jeanne Biskup, dite Janou, à Sainte-Foy-lès-Lyon. Lorsque le couple sort, tous deux sont interpellés. En douceur. Momon n’est pas armé. Dans la foulée, le reste de l’équipe est arrêté, à l’exception de l’un d’entre eux, qu’on ne retrouvera jamais. Peut-être l’indic qui a été invité à se mettre au vert avant les hostilités… À moins que ses amis aient découvert le pot aux roses… En tout cas, on n’en a plus jamais entendu parler. Des dizaines d’hommes et de femmes en garde à vue, des perquisitions dans toute la région, des centaines de P-V… Pour les nostalgiques de la fouille à corps, l’un des membres du gang, Pierre Pourrat, alias Le Docteur, tente de s’ouvrir les veines durant sa garde à vue à l’aide d’un canif qu’il avait dissimulé dans son slip. Mais les flics sont à cran. Trop longtemps que ça dure. L’ambiance est virile et certaines auditions sont musclées. On raconte que l’un des juges (il y en avait beaucoup), en voyant la tête légèrement carrée de Momon Vidal, lui aurait demandé s’il voulait déposer une plainte contre les policiers. Il aurait répondu : « Non, Monsieur le juge, c’est une histoire entre hommes ». Je ne sais pas si l’anecdote est vraie, mais c’est le fond du film d’Olivier Marchal : démontrer que les bandits de l’époque avaient un code d’honneur. Le romantisme d’un artiste. Personnellement, je trouve plutôt indécent de faire d’Edmond Vidal un homme d’honneur, comme on a fait de Jacques Mesrine un justicier, ou du terroriste Carlos un Che Guevara. Les années ne peuvent effacer les crimes des uns et des autres. Je n’aime pas les criminels qui se racontent sous prétexte qu’ils ont pris des rides.

Durant ces 48 heures de garde à vue, si les clients ne sont guère bavards, les perquisitions sont payantes : 274 scellés. Des armes, des munitions, de l’argent, des cartes routières annotées… Finalement, en rassemblant les pièces du puzzle, 14 vols à main armée sont mis au crédit de l’équipe. Celui de Strasbourg, le hold-up du siècle comme dit la presse, ne fera pas partie du lot. Et comme il se murmure que l’argent (près de 12 millions de francs) aurait renfloué les caisses d’un parti politique, certains laissent entendre que les policiers n’ont pas trop insisté. Ce qui est faux, en tout cas au niveau de l’instruction judiciaire, car le juge François Renaud s’accroche sérieusement à cette piste. Il place tout le monde en détention, notamment Jeanne Biskup, la compagne d’Edmond Vidal, et même son épouse dont il est séparé depuis plus d’un an. Une pratique inhabituelle, à l’époque. Le truand se rebelle et refuse dans ces conditions de répondre aux questions du magistrat. Il veut que sa compagne soit libérée. La presse s’en mêle et critique à mi-mots la dureté de François Renaud. Ainsi, le 27 juin 1975, Le Progrès de Lyon cite les avocats des malfaiteurs qui stigmatisent les  « bons plaisirs que le juge s’octroie » de laisser à l’isolement la dernière femme détenue. Huit jours plus tard, le juge Renaud est assassiné : trois balles de calibre .38 Spécial, dont deux à bout portant. Cela ressemble fort à de l’intimidation. Son successeur ne reprendra pas les recherches sur le SAC et Jeanne Biskup retrouvera la liberté dans les semaines qui suivent la mort du magistrat.

On peut se demander pourquoi Edmond Vidal voulait tant que sa compagne sorte de prison. Il existe une hypothèse : elle aurait su où était dissimulé le butin de la bande. Un magot estimé à 80 millions de francs. Mais un autre personnage devait, lui aussi, être dans la confidence : Nicolas Caclamanos, alias Nick-le-Grec, le conseiller financier de la bande. Et peut-être celui du SAC, avant qu’il ne se fâche avec Jean Augé. Une fâcherie qui a coûté la vie à Petit-Jeannot. Le journaliste d’investigation, Jacques Derogy, celui qui sans doute connaissait le mieux cette affaire, pense que Nick-le-Grec a commandité la mort du juge Renaud. Il en devait une à Momon pour lui avoir fait perdre pas mal d’argent dans une affaire de drogue qui avait mal tourné. L’occasion de se dédouaner. Un personnage ambigu, ce Caclamanos, mi-flic mi-voyou, il jouait sur les deux tableaux. On dit même qu’il roulait pour le Narcotic bureau. Il aurait donc versé 500 000 francs à des tueurs à gages pour liquider François Renaud. Mais dans quel but ? Pour se réhabiliter aux yeux de Momon Vidal ou pour empêcher le juge de mettre le nez dans les affaires du SAC ? Personne ne le sait. Peut-être un peu les deux, comme à son habitude.

Le procès s’ouvre en juin 1977. L’avocat général demande la réclusion criminelle à perpétuité pour Edmond Vidal. Après une longue délibération, vers 22 heures, le verdict tombe : dix ans. Cris de joie et applaudissements dans la salle d’audience. C’est la première fois sans doute que le président d’une Cour d’assises est ovationné par les proches de celui qu’il condamne… Quant à Jeanne Biskup, elle écope de cinq ans de prison dont la moitié avec sursis, ce qui lui permet de sortir libre du tribunal.

Edmond Vidal a été libéré en 1981. Plusieurs membres du gang des Lyonnais ont depuis connu une fin tragique, comme Michel Simetzoglou, ligoté sur un pneu et probablement brûlé vif. On se demande pourquoi. Un désaccord sur le partage du magot, peut-être… Quant à l’enquête sur la mort du juge Renaud, elle n’a jamais abouti.

___________

Je me suis référé aux livres de MM. Honoré Gévaudan (Ennemis publics, éd. JC Lattès) ; James Sarazin (M… comme milieu, éd. Alain Moreau) ; Jacques Derogy et Jean-Marie Pontaut (Investigation, passion, éd. Fayard).

Dans son émission Vivement dimanche, diffusée sur France 2 le dimanche 27 novembre, Michel Drucker reçoit Olivier Marchal et un panel de « flics à l’ancienne », au front ridé mais à l’œil pétillant.

La Guyane en proie à la violence et à l'insécurité

Vendredi dernier, cinq employés d’une exploitation d’or de l’ouest guyanais ont été attaqués par un groupe armé alors qu’ils circulaient dans un pick-up. Un homme de 67 ans, d’origine luxembourgeoise, a été tué et un second blessé. Les gangsters étaient à la recherche du précieux métal jaune. Ils sont repartis bredouilles. La veille, toujours dans l’ouest de la Guyane, lors d’une opération menée contre un site d’orpaillage illégal, une fusillade a éclaté : un homme a été tué et le gilet pare-balles d’un gendarme a bloqué une balle de calibre .38.

La hausse de l’or est-elle en train de transformer la Guyane en Far-West ?  Ce département français n’a hélas pas attendu les incartades de la finance mondiale pour connaître l’insécurité.  Déjà, il y a cinq ou six ans, un rapport de police estimait que le tiers des homicides était lié à l’or. Et le préfet Ange Mancini, alors qu’il était en poste à Cayenne, avait prévu la mise en place d’un GIR (Groupement d’intervention régional) avec notamment pour objectifs de lutter contre l’orpaillage illégal et l’immigration clandestine. Car, sur les chantiers aurifères sauvages, la plupart des travailleurs seraient brésiliens, entre 3 et 15.000, selon les sources.  Quant au trafic, il semble bien qu’il se fasse via la République du Suriname (ancienne Guyane néerlandaise), dont la frontière débute au nord, à l’embouchure du Maroni. Pays avec lequel il existe pourtant un accord de coopération policière.

D’après un rapport du Sénat de février 2011, ce sont dix tonnes d’or qui seraient extraites annuellement par les clandestins. Trois fois plus que la production légale. À comparer (sans aucune moquerie) aux dix kilos saisis lors des opérations de contrôle… Car, dans cette région couverte à 96 % d’une forêt équatoriale, c’est mission impossible. On comprend bien que dans ce business frauduleux, ce ne sont pas les malheureux qui grattouillent le sable qui s’enrichissent, mais ceux qui les exploitent. Il existe donc une économie souterraine. Et le meilleur moyen de lutter contre ce fléau serait de prendre le problème par le haut. Pas facile. En attendant, et même si l’armée participe au maintien de l’ordre, les gendarmes font ce qu’ils peuvent. Je crois (c’est une opinion personnelle) qu’ils attendent surtout un sérieux renfort en matériel. Notamment des hélicoptères. Vous imaginez une intervention « urgente » dans la brousse à bord d’une barcasse à moteur…

Mais la violence ne se limite pas à la jungle. Les villes aussi la subissent. Il y a une dizaine de jours, c’est un bijoutier qui a été agressé à son domicile. Paulin Clet, un homme de 89 ans. Il a été étranglé. « Cet acte odieux ne doit cependant pas être regardé comme caractéristique de la délinquance en Guyane », a déclaré le préfet, rappelant au passage que le nombre de policiers et gendarmes a augmenté de près de 20% en six ans et que le taux des agressions crapuleuses est en nette diminution depuis le début de l’année. Des paroles pour rassurer. Mais à la vérité, il semble bien que les Guyanais aient de plus en plus de mal à supporter l’insécurité. À tel point que certains envisagent sérieusement d’organiser leur auto-défense, voire de se faire justice. Le sénateur Georges Patient vient d’ailleurs de poser une question orale au ministre de l’Intérieur, rappelant que « la Guyane connaît une effrayante recrudescence des crimes et des agressions violentes. Une réalité qui se généralise sur tout le territoire : des communes, qui, hier encore étaient connues pour être des havres de paix, sont aussi touchées par ce fléau. Pas un jour sans qu’un crime, qu’un braquage ne soient commis (…). Face à cette poussée de la violence et à l’incapacité des pouvoirs publics à l’endiguer, la tentation de se faire justice est de plus en plus prégnante dans la population guyanaise. » De son côté, la députée Chantal Berthelot avait réagi peu avant en se référant à l’agression dont a été victime Maurice Methon, un restaurateur bien connu, âgé de 70 ans. Enlevé dans son établissement par trois hommes armés, il a été exécuté de deux balles et son corps calciné a été retrouvé dans son 4×4.  Elle a saisi le Premier ministre en déposant une question écrite : « Depuis plusieurs semaines des meurtres odieux et des actes de violence se sont multipliés faisant monter la colère et l’indignation dans la population [qui] se sent démunie, voire abandonnée, face à cette violence. La tentation de l’auto-défense est diffuse et une réponse forte de l’État s’impose pour arrêter cet engrenage dangereux… »

Même si, dans ces deux affaires criminelles, les soupçons se portent sur des proches des victimes, la réaction des élus et de la population montre combien les gens ont les nerfs à fleur de peau. Pour les sénateurs, la réponse n’est pas uniquement policière et militaire. Il faudrait, disent-ils, envisager une approche plus globale, voire internationale, pour trouver « une solution pérenne aux questions de sécurité et de développement que connaît la Guyane ».

La première pépite découverte en Guyane remonte à 1854. Au rythme de l’exploitation actuelle, le potentiel aurifère serait de 15 à 20 ans. Il faut prendre l’avertissement des élus au sérieux, car il est probable que les habitants de la région n’attendront pas aussi longtemps avant de manifester leur mécontentement.

Une lueur d’espoir : les structures judiciaires pourraient être renforcées. Si tout va bien, l’année prochaine, Cayenne possédera sa propre Cour d’appel, alors qu’aujourd’hui, il n’y a qu’une chambre détachée de Fort-de-France. Une promesse tenue du président Sarkozy, même si, à ma connaissance, aucun budget de fonctionnement n’est pour l’instant prévu. On parle d’une dizaine de magistrats. Il ne reste plus qu’à trouver des volontaires…

Deux flics face à la présomption d’innocence

« Respectons la présomption d’innocence, a dit le ministre de l’Intérieur, et souvenons-nous que la mise en examen n’est pas une reconnaissance de culpabilité. » Les paroles fortes d’un patron qui soutient ses hommes ! Propos d’ailleurs confirmés par le Premier ministre. Tous deux parlaient de Bernard Squarcini, le directeur de la DCRI. Mais au début du mois, M. Guéant tenait un autre langage. Il fallait alors tirer toutes les conséquences de la mise en examen de Michel Neyret : « Je vais le suspendre dès aujourd’hui ». Décision identique pour d’autres policiers lyonnais ou grenoblois qui, eux, n’avaient pas été placés sous main de justice.

Vous me direz, aucune comparaison possible entre le fait de détourner la loi pour piocher dans les fadettes d’un journaliste et détourner la loi pour arrêter de dangereux malfaiteurs…

On peut voir ça comme ça… Pourtant, sans chercher à défendre à tout prix le commissaire Neyret, après un déchaînement médiatique orchestré par des fuites dans la presse alors même qu’il était en garde à vue, il semble bien que l’affaire peu à peu se dégonfle. Et de nombreux policiers se posent encore des questions sur le pourquoi du comment. Certains bâtissent même des hypothèses…

L’histoire qui fait recette aujourd’hui est celle d’un règlement de comptes entre la douane et la PJ. Je raconte, mais à chacun de décortiquer. Après tout, je ne peux pas faire tout le boulot, hein !

Donc, les enquêteurs de la douane n’appréciaient pas trop les méthodes du policier, très copiées-collées sur les leurs, mais trop artisanales, et dès lors dangereuses. Et ils auraient rédigé plusieurs rapports à leur hiérarchie pour tirer la sonnette d’alarme. Sans écho. Probablement que le ministre du budget de l’époque, M. Woerth n’avait pas envie de faire déplaisir à son collègue de l’Intérieur, M. Hortefeux. À moins que dans les hautes sphères de la police on ait préféré ne pas trop s’interroger sur les méthodes de la PJ lyonnaise. Une hypocrisie qui aujourd’hui en agace pas mal.

Mais comme le temps, les hommes passent… Et il se raconte que, plus récemment, le commissaire Neyret aurait soufflé une affaire sous le nez des douaniers. D’où un nouveau rapport excédé. Lequel serait arrivé sur le bureau du ministre de tutelle, M. Baroin. Qui, peut-être par nostalgie de son bref passage place Beauvau, lorsqu’il a remplacé Nicolas Sarkozy, tilte sur le dossier. En tout cas, il exige des faits précis. Opportunément, l’un des indics de Michel Neyret fait alors l’objet d’un contrôle fiscal. Petite pression, et l’indic de la police devient l’indic des douanes. Et comme l’un des noms cités par cet « aviseur » apparaît dans la procédure qui a conduit à une saisie importante de cocaïne à Neuilly, la préfecture de police est destinataire du dossier. Et le ministre de l’Intérieur ne peut que s’incliner. Il accepte même que l’Inspection générale de la PN, le seul service normalement compétent, soit tenu à l’écart de l’enquête. Inutile de dire que du côté de l’IGPN, on apprécie moyennement.

Une information judiciaire est donc ouverte contre X. pour trafic d’influence, trafic de stups, association de malfaiteurs, etc., juste avant que François Baroin ne quitte ses fonctions pour prendre le portefeuille de ministre de l’Économie et des Finances. Comme une petite bombe qu’il laisserait entre les mains de Claude Guéant.

Existe-t-il un soupçon de vérité dans ces allégations ? Je n’en sais rien. Il s’agit peut-être de la trame d’une fiction, un nouveau film pour Olivier Marchal. Il est vrai que les faits-divers sont aujourd’hui vécus comme des séries télévisées. On ouvre le journal, son ordi ou son poste, impatients de connaître la suite. Alors, de temps en temps, on a envie de participer. Après tout, c’est humain.

Une seule certitude : deux grands chefs de police viennent d’être mis en examen, et la différence de traitement entre les deux est… déplacée. Le message est mauvais, pour tout le monde, mais surtout pour les policiers de base.

« Older posts Newer posts »

© 2025 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑