Pendant plus de vingt ans, le casino de Namur a été pillé par ses dirigeants. Une fraude qui se situe dans une fourchette de 49 à 75 millions d’euros. Or le procès qui se tient actuellement en Belgique vise des faits qui ont commencé au début des années quatre-vingt, à l’époque où Gilbert Zemour, une figure du Milieu français, a décidé de faire main basse sur l’établissement namurois. Et il aura fallu attendre le début des années 2000 et la mort de Joseph Khaïda, le maître des lieux, pour que les langues enfin se délient Continue reading
Catégorie : Banditisme (Page 3 of 5)
Au troisième jour du procès des agresseurs de Karim Achoui, le commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre s’est défendu bec et ongles des accusations portées contre lui. Il a nié toute implication dans la tentative d’assassinat dont a été victime l’ancien avocat, en 2007. Par sa carrière, ce commissaire a gagné qu’on l’écoute. Et il faut avouer que l’idée d’un complot fomenté par la police judiciaire pour éliminer un avocat au talent trop dérangeant ne tient guère la route. Même si le scénario ne manque pas d’originalité…
Stéphane Lapeyre a permis l’identification et l’arrestation des accusés qui doivent répondre de tentative d’assassinat ou de complicité, en désignant, comme tireur présumé, l’un de ses anciens indics, Ruddy Terranova. Continue reading
Le seul élément concret du remue-ménage de ces jours derniers sur la « violence à Marseille » se limite à la promesse d’effectifs supplémentaires d’ici à la fin de l’année. Et des ambitions, à très long terme, qui ressemblent fort à un ixième plan de la ville.
On est donc en train de refaire ce qui n’a jamais marché. Continue reading
Le démantèlement d’un réseau de blanchiment, dans lequel une élue parisienne vient de se faire poisser, nous fait découvrir un pan de la criminalité peu concerné par les zones de sécurité prioritaires. Ici, pas de Kalachnikov, mais des gens qui se la pètent et qui ont pignon sur rue. On disait autrefois, pas de voleur sans receleur, eh bien, aujourd’hui, on peut dire que tout malfrat qui se respecte doit avoir sa petite blanchisserie. Car le bon argent, sonnant et trébuchant, disparaît peu ou prou de nos porte-monnaie, pour devenir scriptural. Donc « traçable ».
Dans les faits, on peut découper le blanchiment en trois phases :
1/ Le placement, qui consiste à transformer les billets de banque en monnaie électronique ou en d’autres biens, comme des biens immobiliers ou des œuvres d’art.
2/ L’empilage, qui vise à brouiller les pistes en fragmentant cette première activité, et à créer suffisamment d’écrans pour qu’il soit impossible de remonter à la source.
3/ L’intégration, autrement dit l’injection des produits frauduleux (qui ont désormais l’apparence de la légitimité), dans l’économie traditionnelle.
Dans le démantèlement du réseau franco-suisse, les blanchisseurs jouaient sur la crainte du fisc. Crainte que certains banquiers malhonnêtes savent exploiter au mieux de leurs intérêts. Moyennant une honnête commission, ils suggéraient aux détenteurs de comptes en Suisse de leur procurer des liquidités. Puis, moyennant une nouvelle honnête commission, ils proposaient à des intermédiaires douteux de transformer leurs liquidités en lignes de crédit. Florence Lamblin s’en explique ainsi dans Le Parisien : « Avoir un compte en Suisse me paraissait risqué et me mettait mal à l’aise » Mais en même temps, elle craignait de le déclarer au fisc et ne se sentait probablement pas de passer la frontière avec une valise de billets. Un certain Berty prend les choses en main. Le scénario est simple : la dame doit d’abord virer l’intégralité de ses avoirs en Suisse sur un autre compte, également en Suisse. Ensuite, un inconnu lui apportera l’argent liquide à domicile. « Je savais juste que je serais ensuite contactée sur mon portable par un certain Marc pour récupérer les fonds moyennant une commission de 4 % », explique-t-elle. C’est l’étape 1 du processus.
Dans les cités, l’argent de la drogue est blanchi d’une tout autre manière. Il ne semble pas que les truands de quartier aient suffisamment d’entregent pour fréquenter le monde de la finance. Le blanchiment se fait donc souvent via de petits commerces (qui bidonnent leur CA) – du moins pour l’instant. Car si on laisse faire, ces petits truands pourraient grandir… Ou alors, l’argent sale s’expatrie vers des pays moins regardants.
Il faut dire que la France s’est dotée d’un contrôle très strict de la circulation de la monnaie : interdiction de payer en espèces au-delà de 3 000 €. Mais la criminalité n’est pas à l’origine de cette rigueur. La première loi qui limitait les paiements en espèces a été prise sous le gouvernement de Vichy. Ensuite, la règle a perduré. C’est donc un héritage du passé, sur lequel sans arrêt on remet une couche. Après-guerre, la lutte contre l’inflation (sans résultat, d’ailleurs), ensuite la nécessité d’un contrôle fiscal et douanier. Puis, à partir de 1987, c’est la « sécurité » qui a emporté le morceau. Une loi du 31 déc. 1987 prévoit spécifiquement le délit de blanchiment de l’argent de la drogue. Dix ans plus tard (13 mai 1996), l’infraction s’applique à tous les crimes et à tous les délits.
La suspicion autour de l’argent est désormais ancrée dans notre société. Pourtant, il y a quelques mois, le Conseil d’État a déclaré inapplicable la prohibition des paiements en espèces effectués par les professionnels lorsqu’ils se trouvent à l’étranger. Comme un rappel à la réalité. Caroline Kleiner, qui est maître de conférences à la Sorbonne, nous explique dans le Recueil Dalloz (2012 p. 2289) les enjeux économiques de cette défiance un rien paranoïaque. D’un côté, l’interdiction de régler en espèces pénalise nos entreprises lorsqu’elles font du business dans des pays où la monnaie n’est pas convertible sur le marché des changes. Mais de l’autre, cela favorise fortement les affaires des établissements de crédit qui ont le monopole de la gestion des moyens de paiement électronique. Un CA de plusieurs milliards d’euros. En souriant, on pourrait se dire que ce sont les mêmes qui profitent de l’argent du crime et de l’argent de la lutte contre le crime. Un monde parfait.
Le blanchiment ne concerne pas que l’argent, mais tous les biens qui proviennent d’un crime ou d’un délit. Le simple fait de favoriser la dissimulation de leur origine illégale constitue l’infraction. Mais comme il est souvent impossible de reconstituer le circuit (étape 2 : l’empilage), le législateur parle de « sommes paraissant provenir de l’activité d’organisations criminelles » (loi du 12 juillet 1990). En matière de stups, une loi de 1996 a inscrit dans le code pénal la présomption d’illicéité pour les individus douteux incapables de justifier de leur train de vie et qui sont en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant au trafic (ou à l’usage) de stupéfiants. Un véritable renversement de la preuve, puisqu’il appartient au suspect de prouver qu’il n’est pas coupable. Ce principe a été généralisé en 2006 (321-6 du CP) pour tout crime ou délit.
Parviendra-t-on un jour à juguler le blanchiment de l’argent du crime ? C’est inenvisageable, selon certains, car cela déstabiliserait complètement l’économie mondiale. L’ONUDC (Office des nations Unies contre la drogue et le crime) parle d’un CA de 870 milliards de dollars, soit 1.5 % du PIB de la planète. Pour prendre un exemple, la famille mafieuse Rizzuto, au Québec, gère une fortune de plusieurs milliards de dollars. Peut-être équivalente à celle de Madame Bettencourt. Mais bien en deçà des trois cartels internationaux auxquels Barack Obama a déclaré la guerre. Chaque année, les groupes criminels organisés font des millions de victimes (directes et indirectes). Leur puissance est telle qu’ils peuvent déstabiliser l’économie d’un pays. Tant qu’il y aura une demande, les réseaux criminels profiteront de la vente de biens illégaux, nous dit l’ONUDC. Et la demande n’est pas prête de s’arrêter, car l’évasion fiscale est la clé de voûte du blanchiment. Or son montant est estimé entre 17 000 et 26 000 milliards d’euros pour l’ensemble de la planète. Un véritable trou noir dans l’économie mondiale, peut-on lire dans un article du Monde du 23 juillet 2012. D’autant que ces chiffres ne tiennent pas
compte des actifs non-financiers des hyper-riches, comme les œuvres d’art, dont il a été question ces derniers jours. Chez nous, en 2007, la Cour des comptes parlait de 30 à 40 milliards d’évasion fiscale.
Florence Lamblin apparaît minuscule dans ce schéma. Est-elle coupable selon les critères de la loi ? Elle ignorait vraisemblablement que cet argent provenait de trafiquants de drogue, mais pouvait-elle ignorer que c’était de l’argent d’origine illicite ? À la justice de trancher. Mais son cas est emblématique. Par leurs agissements, des gens « honnêtes » participent au blanchiment de l’argent du crime.
Si l’on additionne l’ensemble des commissions versées pour payer les intermédiaires, l’ardoise finale peut atteindre 50 %. Ce sont donc des sommes colossales qui atterrissent dans la poche de ces petits malins en col blanc qui font le trait d’union entre l’argent sale et les banques. Grand naïf, j’aime à penser que ni eux ni ceux qui grugent le fisc ne sont conscients qu’ils sont un rouage d’un mécanisme criminel où chaque billet est tâché de sang.
Plusieurs grosses pointures de la police sont venues soutenir Michel Neyret devant le conseil de discipline. Il serait un peu léger de n’y voir que du copinage. Car les ennuis judiciaires et administratifs de ce grand professionnel de la lutte contre le banditisme vont plus loin que son cas personnel et risquent de modifier en profondeur le fonctionnement même de la police judiciaire.
Bien sûr, on peut estimer que les méthodes anciennes ont vécu. Mais dans ce cas, par quoi les remplace-t-on ? Les techniques et la science ? La police technique et scientifique prend effectivement de plus en plus d’importance dans les enquêtes, au point parfois de juguler les enquêteurs. La découverte de cette petite fille prostrée sous deux cadavres, dans la BMW découverte criblée de balles, près du lac d’Annecy, en est la démonstration par l’absurde. On gèle une scène de crime – donc l’enquête – en attendant l’arrivée des techniciens. Durant huit heures ! Et si l’enfant avait été blessée ? Cela fait penser à cette mauvaise blague d’école (de police) : Que devez-vous faire en premier en présence d’un pendu ?… Couper la corde, au cas où il ne serait pas mort. On peut d’ailleurs s’étonner que les gendarmes aient fait venir leurs propres techniciens de l’Institut de recherche criminelle, basé dans la banlieue parisienne, alors que le siège de la Sous-direction des services techniques et scientifiques de la police nationale se trouve en périphérie de Lyon. Alors, police-gendarmerie, même rivalité que par le passé… On murmure d’ailleurs Place Beauvau que les deux services pourraient être regroupés au sein d’une nouvelle direction autonome. Cette « autonomie » fait bondir la PJ. La police technique et scientifique doit rester un outil à la disposition des enquêteurs, a rappelé non sans raison l’un de ses patrons.
Personne ne nie l’avancée considérable que représentent la science et les techniques modernes dans la recherche de preuves et d’indices, mais c’est toujours après le crime ou le délit. Or en matière de lutte contre le banditisme, pour être efficace, il faut intervenir en amont.
La police ADN ne marche pas à Marseille.
Bien sûr, on peut planter des écoutes sur les téléphones portables, glisser des balises sous les voitures des suspects, pressurer les dizaines de fichiers, ou pianoter frénétiquement sur les claviers d’ordinateurs, mais… où est le contact humain ?
Autrefois, il y avait autant de règlements de comptes que maintenant et la plupart des enquêtes, comme aujourd’hui, n’aboutissaient pas – mais on savait. On savait pourquoi et par qui. On maîtrisait la structure des bandes et il était même possible de prévoir le nom des prochaines victimes. À défaut de pouvoir empêcher ou réprimer un flingage, on en comprenait les raisons. Cette connaissance du milieu n’existe plus. Or, si l’on veut mettre un frein aux agissements de ces bandes qui gangrènent la région marseillaise, la police a besoin de tuyaux – donc d’indics. Depuis toujours, le système fonctionne ainsi. Même si les flics savent qu’ils jouent avec le feu.
Mais comment « noyauter » ces bandes qui vivent plus ou moins en autarcie ? Eh bien, comme il est impossible d’entrer par la porte, il faut passer par la fenêtre. Car ces jeunots du banditisme ont vieilli. Et peu à peu, ils sont en train de devenir des grands – avec tout ce que cela comporte. Et notamment le désir d’élargir leur environnement, voire de s’en éloigner, afin de mieux profiter de leur bien si mal acquis. Et pour cela, ils ont besoin de complices, des individus tout aussi douteux, mais moins dangereux et surtout beaucoup moins méfiants. Des escrocs, des faiseurs, des enjoliveurs, comme on les appelle (comme ceux que fréquentait Michel Neyret) qui vivent en périphérie du banditisme et qui, pour les enquêteurs, présentent l’avantage d’être visibles. C’est par eux que l’on peut avancer et cerner une équipe de truands. Ensuite, c’est du travail de PJ, presque la routine : surveillances et procédure. Il n’est même pas nécessaire de les prendre la main dans le sac. L’époque du flag est révolue et le code pénal est suffisamment riche pour bâtir un dossier béton pour association de malfaiteurs en emboîtant entre eux des faits qui, à l’unité, ne pèseraient pas lourd devant un juge.
Donc, si l’on veut lutter contre ce néo-banditisme, pas besoin de nouvelles lois, pas besoin de CRS ni de militaires, il faut des moyens de surveillance, de bons procéduriers et… des indics. Pas de ceux que l’on enregistre à la direction centrale et que l’on rétribue avec une poignée de figues (contre reçu, s’il vous plaît). Non, des gens qui sont presque des amis, ou qui peuvent le devenir, et auxquels il n’est pas interdit de rendre de petits services.
Cela nécessite de faire confiance aux policiers. La confiance ! Encore un mot « à l’ancienne ».
Marseille est-elle à feu et à sang ? Non, a répondu le préfet délégué Alain Gardère sur l’antenne de RTL, c’est plutôt « une ville paisible ». Les habitants de l’agglomération ne seront sans doute pas tous d’accord, mais il est vrai que ce focus permanent sur la cité phocéenne donne une vision tronquée de la réalité.
En fait, on pourrait dire « rien de nouveau » : cela fait plus de 30 ans que Marseille est au hit-parade des règlements de comptes. Ainsi, en 1982, 67 affaires de ce type ont été recensées sur l’ensemble du territoire, dont plus du tiers sur le seul ressort du service de police judiciaire de Marseille (15 homicides et 15 tentatives d’homicide). En décembre 1985, Le Figaro, qui a fait deux pages sur le sujet hier, me citait : « L’explosion de la violence dans les rangs du grand banditisme est un phénomène indéniable ». Une remarque sans aucun intérêt, que je reprends uniquement pour montrer que l’histoire du banditisme bégaie. Et moi aussi. Mais je ne suis pas le seul : on retrouve à peu près les mêmes mots dans la presse de ces derniers jours.
Alors, pour Marseille, l’année 2012 sera-t-elle pire que 1982 ? On s’en approche. Mais on n’est pas dans un match de foot, et il est un peu ridicule de compter les morts. Il est plus positif de tenter de comprendre.
Il y a trente ans, les truands étaient plus âgés, plus structurés qu’aujourd’hui. La plupart étaient issus des milieux pauvres, mais dès qu’ils le pouvaient, ils s’en échappaient pour les beaux quartiers. Ils avaient alors pignon sur rue : bars, salles de jeux, sociétés en tous genres… Il était donc plus facile de les surveiller. C’était un milieu que la police pouvait pénétrer, même si quelques poulets s’y sont brûlé les ailes. Comme aujourd’hui, les clans éliminaient la concurrence ou ceux qui leur « avaient manqué », ou les jeunots qui venaient marcher sur leurs plates-bandes. Une bonne partie de ces meurtres ne rentraient d’ailleurs pas dans les statistiques pour la bonne raison que l’on ne retrouvait pas toujours les corps.
À l’époque, les voyous ne se servaient pas de la mythique Kalachnikov. Non, les truands préféraient le pistolet 11,43 ou encore le fusil à pompe, sans doute impressionnés par la puissance de feu (exagérée) de Steve Mac Queen dans le film Guet-apens. À la question d’un sénateur qui interpellait le ministre de l’Intérieur sur l’augmentation du nombre de saisies de kalaches (+113% en un an), Manuel Valls a répondu (JO du 30 août 2012) que le nombre d’armes de guerre récupérées par les services de police et de gendarmerie, toutes catégories confondues, était passé de 90 en 2010 à 165 en 2011. Il ne donnait pas de chiffres pour l’AK 47, mais estimait que « cet armement reste difficile à acquérir et peu répandu ». A-t-il raison ? Oui, car si l’on s’en tient au département des Bouches-du-Rhône, sur 265 armes d’épaule saisies en 2011, il n’y avait que 22 Kalachnikov (8 en 2010). Sur un total de 534 armes récupérées durant l’année (près de 4000 au plan national). Pour la petite histoire, on estime à environ cent millions le nombre de kalaches qui circulent sur la planète. Comme quoi, il faut se méfier des pourcentages – et surtout de l’effet loupe des médias.
Lors de sa réponse au sénateur, le ministre de l’Intérieur a également rappelé que « les travaux réglementaires de mise en application de la loi [du 6 mars 2012] sur le contrôle des armes font l’objet de la plus grande attention ». C’est le moins que l’on puisse dire, car, de mémoire, la proposition de loi remonte au mois d’avril 2010. En réalité, cela n’a guère d’importance : les voyous se soucient peu de la loi. Et même la justice réagit parfois bizarrement dans son application. Ainsi, il n’y a pas longtemps, un homme a été trouvé en possession d’un AK 47, d’un fusil à pompe et d’un pistolet 9 mm : les enquêteurs ont dû insister lourdement pour que le délinquant soit présenté à un juge. Il n’a d’ailleurs pas été incarcéré, mais placé sous contrôle judiciaire. Cette mansuétude, même si elle s’appuie sur de bonnes raisons juridiques, n’est certainement pas un bon message. C’est même peut-être un mauvais service rendu à l’intéressé.
Une quinzaine de règlements de comptes depuis le début de l’année, cela vaut-il la peine d’envoyer l’armée ? La sénatrice socialiste Samia Ghali a sans doute cédé à son exaspération, car la réponse se trouve dans notre constitution. Pour que l’armée dispose de pouvoirs de police, il faut que le Conseil des ministres et le Président de la République décrètent l’état de siège. Ce qui n’a jamais été fait sous la Ve République. La réponse de Manuel Valls a été d’une grande limpidité : « Il n’y a pas d’ennemi intérieur ». Autrement dit, les policiers ne font pas la guerre aux délinquants. Un langage que l’on n’avait pas entendu depuis longtemps.
Alors, si on n’envoie pas l’armée, on fait quoi ? Il faut d’abord s’interroger sur l’enjeu de ces règlements de comptes entre voyous : la concurrence pour le trafic de stups, l’exemplarité et l’argent. Tout cet argent liquide qu’il faut sortir de sa planque pour le blanchir. Ce qui entraîne, on s’en doute, pas mal de tentations. Et dans ce drôle de monde, les arnaques se paient cash. Le petit blanchissage, via des restos, des cafés, des pizzas…, c’est sans doute là le talon d’Achille de ces truands qui savent faire parler la poudre mais qui ne l’ont pas inventée. Il semble de bon augure que Pierre Moscovici participe au comité interministériel « sur Marseille » qui doit se réunir le 6 septembre autour du Premier ministre. Le ministre des Finances a sans doute un rôle important à jouer. Mais il ne sera pas facile d’inciter les agents du fisc à repérer ceux qui paient trop d’impôts. C’est contre-nature.
Et puisque l’on sait que les produits stupéfiants sont en grande partie responsables de ces règlements de comptes, quitte à passer aux yeux de Mme Ghali pour un « pseudo-gaucho-intello-bobo », je reste persuadé qu’il faut sécher le problème à la base. Et je ne vois pas le mal que l’on se fait à y réfléchir. D’autant que nous sommes nombreux, sans doute, à nous demander comment on peut installer des « salles de consommation à moindre risque » pour les drogues injectables (d’une certaine manière, on dépénalise) et refuser systématiquement toute avancée pour la drogue la plus consommée en France : le cannabis.
Des bandits de haut vol ont été arrêtés grâce à l’interception de messages envoyés sur le système BlackBerry Messenger, pourtant réputé inviolable. Et, malgré la pression des avocats, les enquêteurs refusent de dévoiler la technique utilisée.
Ces truands ne sont pas n’importe qui. Ils sont soupçonnés d’avoir liquidé, le 24 novembre 2011, Salvatore Montagna, alias Sal le Ferronnier, chouchou désigné pour devenir le successeur du parrain Nicolo Rizzuto, assassiné l’an dernier. Il aurait reçu une balle et se serait jeté dans la rivière Charlemagne, sur l’Île de Vaudry, pour tenter d’échapper à son meurtrier. En tout cas, c’est là que son corps a été retrouvé. Montagna a longtemps dirigé le clan new-yorkais de la famille Bonanno, l’une des cinq familles de la Cosa Nostra, avant d’être expulsé des États-Unis, en 2009.
Le principal suspect, Raynald Desjardins, 57 ans, avait lui-même fait l’objet d’une tentative de meurtre deux mois auparavant. Sa voiture de sport a été criblée de balles près du pont d’une autoroute. Il s’agit de l’ancien bras droit du parrain de la mafia italienne à Montréal, Vito Rizzuto, le fils du précédent, qui purge une longue peine de prison aux États-Unis pour avoir liquidé trois membres du clan Bonanno. Cette famille mafieuse a tenu un rôle prépondérant dans la French Connection, puis, plus tard, dans la Pizza Connection. Desjardins est l’un des rares Québécois de souche à avoir été admis par le milieu italien. Mais il est vrai qu’il a passé son enfance en Sicile. Il a été condamné à quinze ans de prison, en 1993, pour avoir importé au Canada 740 kilos de cocaïne. On dit que les barreaux, pour lui, étaient plutôt dorés : bibliothèque, ordinateur, petits plats… Il aurait même restauré à ses frais une ancienne piste de jogging dans la cour du pénitencier. Il est aujourd’hui considéré, au Québec, comme l’un des personnages les plus influents du crime organisé. Mais c’est aussi un homme d’affaires actif, notamment dans le bâtiment.
C’est à partir de cette agression manquée sur Raynald Desjardins que les enquêteurs, persuadés que l’affaire aurait des suites, lui ont collé aux basques. Il semble même que la sûreté du Québec et ceux de la GRC (gendarmerie royale du Canada) aient pour l’occasion uni leurs efforts.
Au mois d’octobre 2011, c’est-à-dire quelques semaines après la fusillade à proximité de l’autoroute, un autre membre du clan, Lorenzo Lopresti, était assassiné alors qu’il prenait l’air sur son balcon. Et en décembre, un de plus. C’est le tour d’Antonio Pietrantonio, gravement blessé par balle, en pleine rue, à Montréal. On pourrait comme ça remonter sans arrêt en arrière et compter les cadavres. En fait, le Québec vit ces derniers mois au fil des règlements de comptes. Sans doute la suite d’une guerre des gangs sans fin qui a commencé il y a des dizaines d’années.
C’est dans ce contexte que les avocats de Desjardins et de ses comparses sont montés au créneau pour demander des comptes à la police : Comment les écoutes sur lesquelles est basée une partie de la procédure, ont-elles été effectuées ? Comme la justice traîne les pieds pour répondre, plusieurs hypothèses circulent : soit la société Research in Motion (RIM), dont le siège se trouve à Waterloo, en Ontario, a répondu à une réquisition judiciaire ; soit les enquêteurs de la sûreté du Québec avaient placé un mouchard dans l’appareil de l’un ou plusieurs des suspects. Par exemple dans celui de Desjardins, alors qu’ils l’avaient sous la main, après son agression. Soit, et c’est la devinette qui circule sur le Net, les policiers ont réussi à percer le secret de la messagerie cryptée qui fait la renommée de l’entreprise canadienne. Dans une région où 46 % des utilisateurs de smartphones utilisent un BlackBerry, cela, évidemment, intéresse beaucoup de monde. Et pas uniquement les mafiosi.
Pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec ce type de téléphone, il faut rappeler qu’en plus des SMS, il est possible avec un BlackBerry d’envoyer des messages instantanés aux autres utilisateurs de BlackBerry. Et que ces messages sont cryptés. Et, si j’ai bien compris, ne laissent aucune trace ni chez l’opérateur téléphonique ni sur Internet. Ils seraient uniquement conservés au siège de RIM. Mais sans être décodés. Si cette confidentialité a fait une partie du succès de la marque, elle a déjà, de par le monde, posé pas mal de problèmes à l’entreprise. Généralement, les États n’acceptent pas que les communications privées soient chiffrées. C’est le cas de la France*. Ou alors, il faut fournir la clé de déchiffrement aux autorités. Ce que BlackBerry se refuse à faire.
Du coup, au Québec, certains experts pensent que la GRC, dont la lutte contre le crime organisé est l’une des cinq priorités, aurait réussi à percer le secret des BlackBerry. Peut-être en recrutant l’un des 2000 salariés licenciés par la firme… En tout cas, il semble bien que pour cette affaire hors du commun, leurs services techniques aient redoublé d’imagination et utilisé un matériel d’espionnage dernier cri. Au point que lors des auditions, les policiers connaissaient tellement de choses sur la vie des truands, que ceux-ci ont cru avoir été victimes d’une balance.
Ils le croient peut-être encore. L’ambigüité des sources, c’est toujours jubilatoire pour les policiers. Et finalement, un peu d’insécurité chez les voyous, ce n’est pas si mal.
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En France, 2011 aura été l’année la plus chaude depuis le début du XX° siècle. Avant, on ne comptait pas. Sans parler d’un record, je crois qu’elle se situe également en bonne place en matière de faits divers.
L’année démarre mal. Le 7 janvier, alors qu’ils dînent dans un restaurant, deux Français sont enlevés à Niamey, la capitale du Niger. Les ravisseurs sont pris en chasse par les forces de sécurité nigériennes et les militaires français. Lorsqu’ils franchissent la frontière malienne, les commandos français reçoivent l’ordre d’intervenir. Les deux otages sont tués. Nicolas Sarkozy fait part de sa profonde tristesse après « l’assassinat de nos deux compatriotes ». Une information judiciaire est ouverte et confiée à un juge antiterroriste. Quatre policiers sont envoyés sur place. Il semble bien que l’un des otages ait été exécuté par ses ravisseurs lors de l’assaut aérien et que le second ait été brûlé vif lors de l’explosion du véhicule dans lequel il se trouvait. On ne négocie pas avec Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) aurait dit un représentant du Quai d’Orsay à Annabelle Delory, la sœur de l’une des victimes, comme pour s’excuser. Plus tard, même si comme tout le monde elle s’est réjouie de la libération de Stéphane Taponier et de Hervé Ghesquière, otages en Afghanistan, elle s’est quand même dit que « la vie de deux journalistes valait plus chère que celle de deux péquenots que personne ne connaît ».
Pendant ce temps, en Tunisie, la révolution non-violente se poursuit. En France, on n’a rien vu venir. À tel point que le 12 janvier, le ministre des Affaires étrangères, Mme Alliot-Marie, propose devant l’Assemblée nationale de transmettre à la police tunisienne le savoir-faire français « pour régler les situations sécuritaires ». Deux jours plus tard, après 23 ans au pouvoir, le président Ben Ali quitte son pays, une main devant une main derrière. Quant à Mme Alliot-Marie, elle sera remerciée un mois plus tard.
Ce mardi 18 janvier, vers 22 heures, Laëtitia Perrais, une jeune fille de 18 ans, sort de l’hôtel-restaurant où elle travaille, à La Bernerie-en-Retz, en Loire-Atlantique : on ne l’a jamais revue. Le lendemain matin, son scooter accidenté est retrouvé à proximité de son domicile. Très vite, la thèse de l’enlèvement est privilégiée, d’autant que son petit ami aurait reçu plusieurs SMS inquiétants durant la nuit. Dont un, indiquant qu’elle a été violée (ce que l’autopsie n’a pas confirmé). Sa tête et ses membres seront retrouvés le 1er février, et le reste de son corps plusieurs semaines plus tard. Entre temps, un suspect est arrêté. Il s’agit de Thierry Meilhon, un homme d’une trentaine d’années déjà condamné pour viol et dont les antécédents sont enregistrés au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS). En visite sur le futur porte-hélicoptères de la Marine nationale, Nicolas Sarkozy déclare : « Un tel drame ne peut rester sans suite… ». Il lance l’idée d’une énième nouvelle loi sur la récidive avant de se raviser et de demander la création d’une mission parlementaire. Puis, il dénonce des « dysfonctionnements graves » dans la chaîne judiciaire, ce qui soulève un vent de fronde parmi les magistrats. Du jamais vu. Quant au père d’accueil de la victime, Gilles Patron, il affiche sa tristesse et son indignation devant les médias – ce qui lui vaut d’être reçu à l’Élysée le 31 janvier. Six mois plus tard il est mis en examen pour agressions sexuelles et viols sur Jessica, la sœur jumelle de Laëtitia. Tony Meilhon, lui, reconnaît avoir percuté le scooter de la jeune fille, mais dit ne se souvenir de rien d’autre. Il était sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. En prison, il a tenté par deux fois de mettre fin à ses jours. Il est aujourd’hui détenu en hôpital psychiatrique.
En février, Brice Hortefeux quitte Beauvau et laisse sa place au conseiller de l’Élysée, Claude Guéant. Pour la presse, c’est un virage à droite toute. En tout cas, avec lui, on ne rigole pas tous les jours rue des Saussaies. On comprend que sa feuille de route concerne l’immigration. La tasse de thé de Marine Le Pen. Mais comme les priorités évoluent vite, aujourd’hui, ce qui préoccupe le plus les Français, ce ne sont ni les étrangers ni l’insécurité, mais le chômage. Et la star du jour serait plutôt Xavier Bertrand avec son appel à mieux répartir le travail pour éviter les licenciements… Le prochain slogan des Présidentielles sera-t-il « travailler moins et gagner moins » ?
Et, pendant que Renault s’embourbe dans une rocambolesque histoire d’espionnage, nos députés se penchent sur le sort des malades mentaux. Tout a démarré par le meurtre d’un étudiant, à Grenoble, commis par un schizophrène en cavale. Comme à son habitude, notre Président a mis les pieds dans le plat, estimant que « tous les malades mentaux sont potentiellement dangereux, potentiellement criminels ». Et de fil en aiguille, on en arrive à s’intéresser au sort des 70 000 personnes qui font l’objet d’un internement sans leur consentement, en instituant une procédure simplifiée. Une nouvelle loi que de nombreux professionnels de la santé appellent « la garde à vue psychiatrique ». Mais le Conseil constitutionnel renâcle : au-delà de 15 jours, une personne ne peut être privée de sa liberté sans l’aval du JLD (juge des libertés et de la détention). D’où, aujourd’hui, un sacré casse-tête dans les hôpitaux psychiatriques car les choses sont encore plus compliquées qu’avant.
Bernard Madeleine, lui, n’a jamais simulé la folie. C’était un truand, un voyou, mais il assumait. « Monsieur Madeleine », comme on l’appelait, est mort en ce mois de mars. Il a fait frétiller les menottes de pas mal de flics de ma génération. Je crois au fond qu’il s’est bien amusé. Autant que nous. José Giovanni s’est d’ailleurs inspiré du personnage pour écrire Le deuxième souffle. Le mois suivant, c’est un autre truand qui fait parler de lui : Henry Botey, le premier proxénète de France. Mais il n’est pas mort, le bougre ! À 77 ans, il repasse par la case prison. Il risque de prendre dix ans pour avoir fait travailler « au bouchon » les hôtesses de deux bars de Pigalle.
Le 17 mars, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 1973 qui autorise les frappes aériennes pour protéger le peuple des forces de Kadhafi. La France est fer de lance dans cette équipée. En souvenir du bon temps où le président lybien plantait sa tente dans les jardins de l’Hôtel de Marigny…
En avril, la Cour de cassation prend tout le monde de court en décidant que les nouvelles dispositions sur la garde à vue s’appliquent immédiatement, alors que la loi n’envisageait la chose que pour le 1er juin. La garde à vue new age débarque donc dans les commissariats et les gendarmeries. Plus de liberté pour les uns, plus de paperasses pour les autres. Pourtant, malgré les craintes affichées par plusieurs syndicats de police, les choses se passent plutôt bien. Même les avocats le reconnaissent.
Le 13 avril, des voisins inquiets de ne plus voir la famille Ligonnès avisent la gendarmerie. Huit jours plus tard, les enquêteurs découvrent un charnier sous la terrasse de la maison : les corps d’Agnès Dupont de Ligonnès et de ses quatre enfants recouverts de chaux vive. Ils ont fait l’objet d’une exécution méthodique, chacun ayant reçu au moins deux balles dans la tête. C’est le début de l’affaire de « la tuerie de Nantes ». Un mandat de recherche est lancé contre Xavier Dupont de Ligonnès. À ce jour, il est toujours introuvable. L’éventualité d’un suicide n’est pas à écarter, mais il n’est pas facile de se donner la mort et de faire disparaître son propre corps… D’après Le Parisien, les policiers rechercheraient l’un de ses amours de jeunesse. Une certaine Claudia qui vivrait à Hanovre, en Allemagne. Pour l’instant, cette affaire criminelle reste incompréhensible.
Le 24 avril, au petit matin, le corps de la comédienne Marie-France Pisier est retrouvé dans la piscine de sa propriété, dans le Var. Quoique le procureur ait exclu l’hypothèse d’un crime, les résultats de l’autopsie ne permettent pas de déterminer avec certitude les causes de la mort. On n’en sait donc pas plus.
L’actu va vite. Le 28, un peu avant midi, une explosion détruit en partie le café Argana, sur la grande place de Marrakech. Le bilan est lourd : 17 morts, dont 8 Français et 3 Suisses, et 20 blessés. Les policiers marocains interpellent rapidement (trop rapidement disent certains) des suspects qui seraient proches du Jihad et affiliés à l’organisation Al-Qaida. Jugés en octobre, ils sont reconnus coupables d’atteinte grave à l’ordre public, d’assassinats – des actes liés à leur appartenance à un groupe religieux interdit. Tous ont nié les faits. Et, d’après ce que l’on en sait, les preuves ne sont pas légion. L’un des hommes, considéré comme le chef, est condamné à mort ; son second à une peine à perpétuité. Les sept autres comparses écopent de peines d’emprisonnement de 2 à 4 ans – des peines jugées trop douces pour les proches des victimes. Pour ces sept-là, le parquet fait appel.
Le 14 mai, c’est le début de l’affaire DSK. Les psys et les spécialistes de tout crin sautent d’un écran télé à l’autre. On va tout connaître d’une maladie habituellement tue, l’addiction sexuelle. Dans la foulée, Tristane Banon décide de porter plainte contre DSK pour une tentative de viol perpétrée il y a près de dix ans. Plainte qui sera classée le 13 octobre 2011. Et Luc Ferry, le philosophe cathodique, se distingue en refaisant surgir une rumeur qui avait couru lors de la précédente campagne présidentielle sur les agapes plus ou moins pédophiles d’un personnage en vue. C’est ainsi, tous les cinq ans, la classe politique pète les plombs.
Le 20 juin, Yvan Colonna est condamné une troisième fois pour l’assassinat du préfet Érignac. Il prend perpette simple. C’est la première fois qu’un jury (en l’occurrence de magistrats) d’une cour d’assises motive son verdict. Anticipant l’application d’une loi qui doit prendre effet au 1er janvier 2012.
Pendant ce temps, tel le personnage de Cervantes, le commandant de police Philippe Pichon se bat contre la justice et l’administration. Il a eu le tort de dénoncer les dysfonctionnements du fichier de police le plus important, le STIC, qui comprendrait actuellement des informations sur environ 6.5 millions de « mis en cause » et 38 millions de victimes. D’après un récent rapport parlementaire, 45 % des fichiers pourraient même être considérés comme hors la loi. Mais la sécurité des consultations devrait s’accroître avec l’arrivée de la nouvelle carte de police qui sera équipée de deux puces RFID et d’une piste magnétique. Quant à Philippe Pichon, il a perdu son combat devant le tribunal administratif.
Au mois d’août, le député socialiste Jean-Jacques Urvoas sort un livre qui ressemble à un programme : 11 propositions chocs pour rétablir la sécurité. Mais il ne doit pas être dans les petits papiers de François Hollande, car celui-ci préfère s’attacher les conseils de François Rebsamen, le maire de Dijon, qui a été le chef du cabinet de Pierre Joxe au ministère de l’Intérieur. Sans doute une personnalité plus classique. Dommage, j’aimais bien certaines de ses idées…
Le 7 août, Charles Bauer, qui fut un temps le complice de Jacques Mesrine, décède d’une crise cardiaque à son domicile, à Montargis, dans le Loiret. Âgé de 68 ans, il aura passé près du tiers de sa vie derrière les barreaux.
En septembre, de mauvaises langues parlent d’un cabinet noir à l’Élysée. Et Nicolas Hulot doit se dire qu’il aurait mieux fait de ne pas en rêver. Eva Joly fait un carton, du moins parmi les écolos, car dans les sondages, pour l’instant, le compte n’y est pas. Elle se maintient en ballotage autour des 5 % d’intentions de vote, le chiffre magique qui fait bondir à 8 millions d’euros la participation de l’État aux frais de campagne. Quant à Nicolas Hulot, il vient de perdre son job à TF1. Mais cela n’a sans doute rien à voir.
À la fin septembre, coup de tonnerre dans la police avec l’arrestation du commissaire Michel Neyret, le sous-directeur de la PJ de Lyon. Des fuites savamment distillées font monter la pression. Sa femme tiendrait une maison close, il aurait plusieurs comptes en Suisse, il aurait été infiltré dans la police par un réseau de narcotrafiquants, à moins qu’il ne soit le chef du gang des escrocs à la taxe carbone… Une fraude à la TVA estimée à cinq milliards d’euros. Certains journaux comme Libération, et même Le Monde, balancent des informations parfois hypothétiques. On a l’impression qu’ils se font manœuvrer, mais par qui… Et pourquoi ? On connaîtra bien un jour le fond de l’histoire. En attendant, il est difficile de lui souhaiter une bonne année, ni surtout une bonne « Santé », puisqu’il passera les fêtes en prison. Lors de sa première audition par le juge d’instruction, il y a quelques jours, le magistrat a sorti du placard des écoutes téléphoniques qui n’étaient pas dans le dossier. Du coup, les avocats, qui voulaient requérir sa libération, ont dû demander un report.
En octobre, à Lille, c’est une affaire de proxénétisme qui secoue la ville. Et de nouveau, des policiers et d’anciens policiers seraient impliqués. Cette fois, on ne fricote pas avec le Milieu, mais plutôt avec le gratin du monde des affaires et de la politique. Et l’image des francs-maçons en prend un coup. Puis le nom de Dominique Strauss-Kahn jaillit du chapeau. Comme un pare-feu pour les autres. Il apparaîtrait depuis des mois sur les écoutes téléphoniques. Ce qui fait dire à certains, que, de toute manière, sa candidature aux Présidentielles avait du plomb dans l’aile.
En novembre, c’est un lycéen de 17 ans qui reconnaît avoir violé et tué Agnès, une jeune fille de 14 ans. Ensuite, il aurait brûlé son corps. Un acte prémédité, semble-t-il. Mais, comme il était déjà mis en examen pour un viol commis antérieurement, et malgré la réserve des parents de la victime, un début de polémique pointe son nez. Bouche cousue du côté de l’Élysée. Mais quelques jours plus tard, Michel Mercier, le silencieux garde des Sceaux, déclare avoir reçu des instructions du Premier ministre. Désormais, tout mineur suspecté d’un crime sexuel particulièrement grave devra être placé en centre éducatif fermé jusqu’à la date de son jugement.
Le 6 décembre, la Cour de cassation renvoie le procureur Philippe Courroye dans ses buts : Il a bien enfreint la loi en violant le secret des sources des journalistes. C’est l’épilogue (tout provisoire) de la guerre des fadettes entre lui et le journal Le Monde.
Pendant ce temps, à Marseille, la violence semble quotidienne. Les règlements de comptes entre dealers deviennent monnaie courante et les flics ont du mal à gérer la situation. En fait, depuis le début de l’année, la seule chose qui a vraiment changé, c’est le préfet de police. Gilles Leclair a été remercié pour avoir dit tout haut ce qui se dit tout bas. En deux mots, avec les moyens dont dispose la police, impossible de faire des miracles. « Je ne suis pas le Sauveur », a-t-il déclaré devant la presse. Évidemment, la place est déjà prise.
Allez, malgré tout… Une bonne année à tous.
Alors que le film d’Olivier Marchal, Les Lyonnais, va sortir sur les écrans, Francis Renaud, le fils du juge assassiné en 1975, publie un livre qui laisse entendre que son père aurait pu être victime du gang de Momon Vidal. Cela nous ramène près de 40 ans en arrière : Nick-le-Grec supplante Jeannot la Cuillère et deux commissaires de police, dont Charles Javilliey, un as de la PJ, se retrouvent derrière les barreaux. Comme Michel Neyret aujourd’hui.
Tout cela mérite bien un petit flash-back…
En 1971, parmi la centaine de hold-up comptabilisés dans la région Rhône-Alpes, au moins cinq sont attribués à une même équipe : des individus lourdement armés, grimés ou masqués, chacun revêtu d’une blouse bleue. Et à chaque fois, ils prennent la fuite à bord d’une Renault Estafette. Au mois d’août, grâce à un coup de téléphone anonyme, les gendarmes de Bourg-en-Bresse retrouvent le véhicule. Ils découvrent à l’intérieur un véritable arsenal : des armes de tous calibres, des munitions, des cagoules, des postiches, etc. Tout laisse à penser que les malfaiteurs ont pris la sage décision d’arrêter les frais, de prendre leur retraite. Et, avant de tirer leur révérence, comme un dernier pied de nez, ils font don de leurs outils de travail à la maréchaussée. En fait, ils sont juste partis en vacances. En septembre, le ballet reprend, avec du matériel tout neuf. En février 1972, quatre hommes armés attaquent un transporteur de fonds sur le parking du Carrefour de Vénissieux. Les convoyeurs résistent. Fusillade. L’un des bandits est blessé, mais les malfaiteurs parviennent à s’enfuir avec un butin qui frôle le million de francs. Le lendemain, les gendarmes surprennent un étrange manège : ce qui semble bien être un transbordement entre une Estafette et une BMW. À la vue des képis, l’Estafette prend le large, tandis que le conducteur de la puissante BM s’embourbe dans la terre meuble du chemin. L’homme est interpellé. Il s’agit d’un gitan de 27 ans : Edmond Vidal. Il se dit ferrailleur. En 1967, il a été condamné à cinq ans de réclusion pour une agression à main armée contre un bar de Lyon en compagnie d’un truand bien connu : Jean-Pierre Gandeboeuf. Mais ce jour-là, les gendarmes n’ont rien à lui reprocher. Ils le laissent partir, sans doute à regret. Et ils avisent le service de police judiciaire.
C’est le début de la traque du gang des Lyonnais. Elle durera plusieurs années.
Aussitôt informé, avant même d’être officiellement saisi de l’enquête, le chef du groupe de répression du banditisme de Lyon, le commissaire Georges Nicolaï, entre en scène. Au bout de quelques semaines, le noyau de l’équipe est identifié. Outre Edmond Vidal, dit Momon, il y a Pierre Zakarian, dit Pipo, et Michel Zimetzoglou, alias Le Grec. Ces deux derniers sont associés dans la gérance d’un restaurant du quartier Saint-Jean de Lyon, « Le Tire-Bouchon », avec Joseph Vidal, dit Galane, le frère du précédent.
À cette époque, une affaire de proxénétisme éclabousse la police lyonnaise. Les commissaires Louis Tonnot, de la sûreté urbaine, et Charles Javilliey, de la PJ, sont soupçonnés de corruption. Javilliey, spécialisé dans la lutte contre le grand banditisme, possède pourtant un palmarès impressionnant. Il se défend comme un beau diable. Il affirme que ses relations avec le milieu, voire ses petits arrangements, sont le prix à payer pour obtenir des tuyaux. Rien n’y fait. Il est incarcéré. Condamné en première instance, il sera finalement relaxé devant la Cour d’appel en 1974. Ce charivari fait bien les affaires des truands et notamment d’un certain Jean Augé, dit Petit-Jeannot, le parrain du milieu lyonnais. Celui qui tire les ficelles. On peut se demander si quelqu’un bénéficie aujourd’hui de l’incarcération du commissaire Michel Neyret…
Jean Augé a été collabo durant la guerre, mais, lorsque le vent a tourné, il est entré dans un bar et il a tué deux Allemands – au hasard. Ce qui a fait de lui un héros. Reconverti au Gaullisme, il est rapidement devenu le responsable du SAC (Service d’action civique) pour toute la région. Durant la guerre d’Algérie, il a fait partie de cette police parallèle qui se livrait aux pires exactions : exécutions sommaires, torture… Ses amis lui avaient gentiment attribué le sobriquet de « Jeannot la Cuillère », car dans les interrogatoires, il utilisait cet ustensile pour énucléer ses victimes. On dit de lui qu’avec son complice, un ancien sous-officier, il préparait ses coups comme un chef d’état-major. Il a été le mentor d’Edmond Vidal et probablement le cerveau du hold-up de l’hôtel des postes de Strasbourg. Quasi une opération commando. Après son arrestation, comme beaucoup de truands, Edmond Vidal a d’ailleurs tenté de politiser ses méfaits en revendiquant des centaines d’opérations pour le compte du SAC. Ce qui n’a jamais été confirmé. Petit-Jeannot a été abattu en juin 1973 alors qu’il se rendait à son club de tennis.
Les malheurs du commissaire Javilliey n’empêchent pas Pierre Richard, le n°2 de la PJ, de se frotter aux informateurs. Et il obtient de l’un d’eux un tuyau sur le prochain coup que prépare le gang des Lyonnais. L’idée de faire un flag fait toujours bander les flics. Plus de cent policiers travaillent jour et nuit pendant plus d’un mois et demi sur Momon et sa bande. Des surveillances, des filatures, des écoutes sauvages, et même la sonorisation, avec l’aide de la DST, du domicile de certains suspects – à l’époque, en toute illégalité. Mais rien ne va comme prévu. Peut-être un problème de commandement… ou de sous. Finalement, Honoré Gévaudan, le directeur des affaires criminelles de la PJ, donne l’ordre d’arrêter les frais et de « casser » l’affaire. C’est l’opération « chacal ». Et c’est quitte ou double, car les preuves sont bien minces… Le véhicule d’Edmond Vidal est repéré devant le domicile de sa compagne, Jeanne Biskup, dite Janou, à Sainte-Foy-lès-Lyon. Lorsque le couple sort, tous deux sont interpellés. En douceur. Momon n’est pas armé. Dans la foulée, le reste de l’équipe est arrêté, à l’exception de l’un d’entre eux, qu’on ne retrouvera jamais. Peut-être l’indic qui a été invité à se mettre au vert avant les hostilités… À moins que ses amis aient découvert le pot aux roses… En tout cas, on n’en a plus jamais entendu parler. Des dizaines d’hommes et de femmes en garde à vue, des perquisitions dans toute la région, des centaines de P-V… Pour les nostalgiques de la fouille à corps, l’un des membres du gang, Pierre Pourrat, alias Le Docteur, tente de s’ouvrir les veines durant sa garde à vue à l’aide d’un canif qu’il avait dissimulé dans son slip. Mais les flics sont à cran. Trop longtemps que ça dure. L’ambiance est virile et certaines auditions sont musclées. On raconte que l’un des juges (il y en avait beaucoup), en voyant la tête légèrement carrée de Momon Vidal, lui aurait demandé s’il voulait déposer une plainte contre les policiers. Il aurait répondu : « Non, Monsieur le juge, c’est une histoire entre hommes ». Je ne sais pas si l’anecdote est vraie, mais c’est le fond du film d’Olivier Marchal : démontrer que les bandits de l’époque avaient un code d’honneur. Le romantisme d’un artiste. Personnellement, je trouve plutôt indécent de faire d’Edmond Vidal un homme d’honneur, comme on a fait de Jacques Mesrine un justicier, ou du terroriste Carlos un Che Guevara. Les années ne peuvent effacer les crimes des uns et des autres. Je n’aime pas les criminels qui se racontent sous prétexte qu’ils ont pris des rides.
Durant ces 48 heures de garde à vue, si les clients ne sont guère bavards, les perquisitions sont payantes : 274 scellés. Des armes, des munitions, de l’argent, des cartes routières annotées… Finalement, en rassemblant les pièces du puzzle, 14 vols à main armée sont mis au crédit de l’équipe. Celui de Strasbourg, le hold-up du siècle comme dit la presse, ne fera pas partie du lot. Et comme il se murmure que l’argent (près de 12 millions de francs) aurait renfloué les caisses d’un parti politique, certains laissent entendre que les policiers n’ont pas trop insisté. Ce qui est faux, en tout cas au niveau de l’instruction judiciaire, car le juge François Renaud s’accroche sérieusement à cette piste. Il place tout le monde en détention, notamment Jeanne Biskup, la compagne d’Edmond Vidal, et même son épouse dont il est séparé depuis plus d’un an. Une pratique inhabituelle, à l’époque. Le truand se rebelle et refuse dans ces conditions de répondre aux questions du magistrat. Il veut que sa compagne soit libérée. La presse s’en mêle et critique à mi-mots la dureté de François Renaud. Ainsi, le 27 juin 1975, Le Progrès de Lyon cite les avocats des malfaiteurs qui stigmatisent les « bons plaisirs que le juge s’octroie » de laisser à l’isolement la dernière femme détenue. Huit jours plus tard, le juge Renaud est assassiné : trois balles de calibre .38 Spécial, dont deux à bout portant. Cela ressemble fort à de l’intimidation. Son successeur ne reprendra pas les recherches sur le SAC et Jeanne Biskup retrouvera la liberté dans les semaines qui suivent la mort du magistrat.
On peut se demander pourquoi Edmond Vidal voulait tant que sa compagne sorte de prison. Il existe une hypothèse : elle aurait su où était dissimulé le butin de la bande. Un magot estimé à 80 millions de francs. Mais un autre personnage devait, lui aussi, être dans la confidence : Nicolas Caclamanos, alias Nick-le-Grec, le conseiller financier de la bande. Et peut-être celui du SAC, avant qu’il ne se fâche avec Jean Augé. Une fâcherie qui a coûté la vie à Petit-Jeannot. Le journaliste d’investigation, Jacques Derogy, celui qui sans doute connaissait le mieux cette affaire, pense que Nick-le-Grec a commandité la mort du juge Renaud. Il en devait une à Momon pour lui avoir fait perdre pas mal d’argent dans une affaire de drogue qui avait mal tourné. L’occasion de se dédouaner. Un personnage ambigu, ce Caclamanos, mi-flic mi-voyou, il jouait sur les deux tableaux. On dit même qu’il roulait pour le Narcotic bureau. Il aurait donc versé 500 000 francs à des tueurs à gages pour liquider François Renaud. Mais dans quel but ? Pour se réhabiliter aux yeux de Momon Vidal ou pour empêcher le juge de mettre le nez dans les affaires du SAC ? Personne ne le sait. Peut-être un peu les deux, comme à son habitude.
Le procès s’ouvre en juin 1977. L’avocat général demande la réclusion criminelle à perpétuité pour Edmond Vidal. Après une longue délibération, vers 22 heures, le verdict tombe : dix ans. Cris de joie et applaudissements dans la salle d’audience. C’est la première fois sans doute que le président d’une Cour d’assises est ovationné par les proches de celui qu’il condamne… Quant à Jeanne Biskup, elle écope de cinq ans de prison dont la moitié avec sursis, ce qui lui permet de sortir libre du tribunal.
Edmond Vidal a été libéré en 1981. Plusieurs membres du gang des Lyonnais ont depuis connu une fin tragique, comme Michel Simetzoglou, ligoté sur un pneu et probablement brûlé vif. On se demande pourquoi. Un désaccord sur le partage du magot, peut-être… Quant à l’enquête sur la mort du juge Renaud, elle n’a jamais abouti.
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Je me suis référé aux livres de MM. Honoré Gévaudan (Ennemis publics, éd. JC Lattès) ; James Sarazin (M… comme milieu, éd. Alain Moreau) ; Jacques Derogy et Jean-Marie Pontaut (Investigation, passion, éd. Fayard).
Dans son émission Vivement dimanche, diffusée sur France 2 le dimanche 27 novembre, Michel Drucker reçoit Olivier Marchal et un panel de « flics à l’ancienne », au front ridé mais à l’œil pétillant.
L’arrestation du commissaire Michel Neyret et de plusieurs de ses collaborateurs attire l’attention sur les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Ces magistrats, chargés de lutter contre la criminalité organisée, bénéficient de pouvoirs hors du commun. Ce que l’on appelle les procédures dérogatoires. Aussi, aujourd’hui, beaucoup de policiers s’interrogent : pourquoi de tels moyens pour enquêter sur leurs collègues ? Pourquoi des Parisiens pour enquêter sur des Lyonnais ? Et que se serait-il passé, si des pontes du quai des Orfèvres avaient été arrêtés par des policiers de province sur des faits qui se seraient déroulés en région parisienne ?
La guerre des polices serait-elle rouverte ? Non ! Mais il y a quelques jours, le représentant d’un syndicat de la magistrature, interviewé sur une radio, a dit que, désormais, les magistrats se doivent de prendre leurs distances avec les policiers : la confiance, c’est fini. Presque une déclaration de guerre. Au minimum une reprise en main nettement affichée, avec peut-être en toile de fond l’idée sans cesse remâchée de rattacher la police judiciaire à la justice.
Les JIRS ont été mises en place en octobre 2004. Il en existe huit (Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort-de-France). Elles sont compétentes pour traiter les enquêtes concernant la criminalité organisée (art. 706-73 du CPP) et la délinquance financière (art. 704 du CPP) ou celles qui présentent une complexité particulière. Ces juridictions regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction spécialement habilités et font appel à des assistants spécialisés (douanes, impôts, santé…). Ces magistrats peuvent autoriser des policiers ou des gendarmes à commettre des actes qui, sans leur accord formel, seraient considérés comme tombant sous le coup de la loi. Le fait de pénétrer en douce à l’intérieur d’un domicile, sur un lieu de travail ou dans une voiture pour y installer un mouchard, par exemple. Ou d’autoriser l’infiltration d’un milieu délinquant, quitte à commettre, si nécessaire, des actions « ordinairement » délictueuses. Ces juridictions utilisent les nouvelles technologies. Elles sont dotées de logiciels spécifiques et disposent de moyens de vidéoconférences pour effectuer des auditions à distance ou procéder à des prolongations de garde à vue. À la pointe de la technologie, leurs procédés sont à l’opposé de la pêche aux renseignements telle qu’elle est pratiquée de manière ancestrale en PJ : le PV qu’on fait sauter, le pastaga au bar du coin, etc. D’après Pascal Guichard, vice-président chargé de l’instruction à la JIRS de Marseille : « La JIRS n’a pas vocation à être connue du grand public puisqu’elle s’intéresse quand même à un secteur d’activité très spécialisé qui est la criminalité organisée ».
Avec l’affaire Neyret, c’est loupé.
On nous dit que le commissaire a été balancé par des voyous à l’issue d’une affaire de trafic de cocaïne. Il appartenait donc au procureur de la JIRS, au vu des confidences qui visaient un policier en activité, de décider de la suite à donner. Puisque tous les faits se déroulaient hors de sa zone territoriale, la marche normale aurait été de saisir l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui a compétence nationale, ou de transmettre le dossier à son homologue lyonnais. Il ne l’a pas fait.
L’enquête a été effectuée par l’Inspection générale des services (IGS), compétente sur le ressort de la préfecture de police de Paris. Il s’agit probablement d’une première. Michel Neyret a donc été mis en examen par des juges parisiens pour association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants, corruption, trafic d’influence, détournement de biens et violation du secret professionnel. Autant ratisser large !
Au fait, qu’est-ce qui justifie « l’association de malfaiteurs » ? Le commissaire est-il un redoutable chef de bande ou a-t-on voulu lui appliquer à tout prix une procédure exceptionnelle ?
L’association de malfaiteurs est un délit en soi. Mais elle ramène à la bande organisée qui, elle, est une circonstance aggravante justifiant les procédures d’exception. Il faut bien dire que, insidieusement, ces procédures dérogatoires prennent de plus en plus le pas sur le droit commun, donnant aux enquêteurs des pouvoirs qui, dans un passé récent, étaient réservés à la lutte contre le terrorisme. Au détriment des libertés individuelles .
Toutefois, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré le législateur français sur ce point. Dans une décision de mars 2004, il a quand même remis les pendules à l’heure. Précisant que les procédures dérogatoires ne peuvent se justifier que s’il existe « des éléments de gravité suffisants », et que, dans le cas contraire, il s’agirait d’une « rigueur non nécessaire au sens de l’article 9 de la Déclaration de 1789 ». Des notions bien subjectives ! Le Conseil a finalement conclu, tel Ponce Pilate, qu’il appartient à l’autorité judiciaire d’apprécier. Ce qui n’a pas empêché, en novembre 2007, le vote d’un nouveau texte qui vise la lutte contre la corruption et le trafic d’influence, et qui donne aux juges pratiquement les mêmes pouvoirs que pour lutter contre la grande criminalité ; infiltration, écoutes, sonorisation…
Qu’est-ce qui attend Michel Neyret ? Personne ne le sait. Pourtant, même si aucune affaire n’est semblable, on peut rappeler l’histoire du brigadier Gilles Ganzenmuller. En avril 2005, il est arrêté par l’IGPN (les JIRS n’étaient pas encore tout à fait opérationnelles). On lui reproche d’être un ripou et d’avoir monnayé des informations. À l’époque, il est affecté à l’OCRB (office central pour la répression du banditisme) où il est chargé d’infiltrer le milieu du 93. Il dispose d’une grande autonomie : voiture de fonction, ordinateur et téléphone portables professionnels. Et peu à peu, grâce à un indic, il est parvenu à gagner la confiance des frères Hornec, alias les « H » – comme on parlait autrefois des « Z », pour désigner les frères Zemour. Le genre de clients que tous les policiers rêvent « de se faire en flag ». Il est mis en examen pour association de malfaiteurs, corruption, escroquerie en bande organisée (un délit tout neuf en 2005 : dix ans de prison). Il se défend comme un beau diable. S’il a fourni des renseignements, c’est pour mieux en obtenir. Et toujours avec l’accord de sa hiérarchie. Rien n’y fait. Les écoutes téléphoniques semblent l’accabler, alors que, comme c’est souvent le cas, leur transcription sur le papier donne lieu à interprétation. Lorsque, par exemple, son indic lui propose un cadeau et qu’il répond : « Ce n’est pas ça que je veux… » Le rédacteur mentionne entre parenthèses, « Il veut de l’argent », sans penser que le flic attend autre chose : des tuyaux. Quatre mois de préventive. À sa sortie de prison, il est révoqué. Il se retrouve sans le sou, avec sa femme et ses deux enfants. Et interdiction de parler à ses anciens collègues. Un commissaire fait même afficher sa photo à l’entrée du service, pour ne pas qu’on le laisse entrer. De quoi se flinguer ! Il fait appel de sa révocation devant le tribunal administratif qui ordonne sa réintégration. Mais deux ans plus tard, la Cour d’appel annule cette décision. Et aujourd’hui, l’administration lui demande de rembourser ses deux années de salaires… Normal, me direz-vous, s’il est coupable. Mais en février 2011, il a enfin été jugé – c’est-à-dire six ans après les faits. Le procureur a émis des réserves sur l’enquête, et le tribunal a suivi, ne retenant aucun des éléments de l’instruction. Il a toutefois estimé que Gilles Ganzenmuller avait violé le secret professionnel : trois mois de prison avec sursis.
Tout ça pour ça.