LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Affaires criminelles (Page 11 of 12)

Maddie : post-scriptum

La disparition de la jeune Maddie passionne la blogosphère. Des milliers d’internautes se sont connectés à ce blog en laissant parfois des commentaires ou en m’envoyant un mail. Beaucoup sont durs envers les McCann. Il est vrai que leur attitude exécrable reflète d’eux une mauvaise image. Ils sont déplaisants. Mais avant de paraître déplaisants, peut-être sont-ils malheureux !

Mais la question n’est pas là !

Une enfant de 4 ans a disparu. On l’a enlevée à sa famille et personne ne sait ce qu’elle est devenue.

Et qu’ils l’acceptent ou pas, les époux McCann sont responsables, comme tous nous le sommes de nos enfants.

Et au lieu de l’admettre, ils tergiversent, ils mentent aux enquêteurs, ils cherchent des protections, en un mot, ils se conduisent comme des coupables.

Et ensuite, ils s’étonnent d’avoir été soupçonnés. Et ensuite, ils s’étonnent d’être pris à parti. Et ils s’indignent qu’on s’attaque à leur honneur. Mais on s’en fiche de leur honneur !

chambre-de-maddie.1220423203.jpgUne enfant de 4 ans a disparu. Et nous sommes tous concernés. Car cette enfant, c’est la nôtre à présent, comme le devient l’espace d’un instant le bambin qu’on aide à traverser la rue ou que l’on console d’un bobo.

Il ne faut pas que l’enquête s’arrête. Au contraire, Interpol, Europol, et toutes les polices d’Europe doivent se mobiliser pour retrouver Maddie. Nous n’avons quand même pas bâti l’Europe uniquement pour une histoire de gros sous !

Et si hélas c’est trop tard ! Si elle morte. Nous voulons savoir comment. Nous voulons connaître le nom de son assassin. Et nous voulons qu’il soit puni.

La mystérieuse disparition de Maddie

Madeleine McCann, dite Maddie, allait avoir 4 ans. En cette soirée du 3 mai 2007, elle a disparu de sa chambre, dans un luxueux complexe touristique, l’Ocean club, au sud du Portugal, où elle était supposée dormir.

Depuis, on ne sait pas ce qu’elle est devenue. Récemment, la pressemadeleine_McCann_kidnappingbe.1220017885.jpg s’est fait l’écho d’une déclaration de la justice portugaise : dossier classé. C’est probablement une fausse nouvelle. Comment un magistrat, un policier, pourrait admettre de refermer un dossier sans penser à la victime, une enfant, presque un bébé. Et si elle était vivante !… La confusion vient sans doute du non-lieu qui a été décrété contre les trois suspects.

LES FAITS : Le complexe touristique de l’Ocean Club est un ensemble de bâtiments comprenant un bloc résidentiel, deux restaurants, le Tapas et le Millénium, des courts de tennis, la plage, etc.

Ce soir-là, les McCann dînent avec des amis au restaurant Tapas. Vers 22 heures, Kate McCann se lève de table pour voir ses enfants, comme elle le fait habituellement, pour s’assurer que tout va bien. Ses deux bébés, des jumeaux, dorment à poings fermés, chacun dans son berceau. La porte de la chambre de sa fille n’est pas fermée, ce qui l’étonne. Elle entre : la fenêtre est ouverte, le volet est levé, Maddie a disparu.

Elle revient précipitamment au restaurant pour prévenir son mari. Tous deux retournent à l’appartement, accompagnés de leurs amis, et ils ne peuvent que se rendre à l’évidence. Ils se mettent alors à prospecter les environs.

C’est la situation que découvrent les premiers policiers appelés sur place. Tout laisse croire à une escapade de la gamine. Elle n’est peut-être pas loin. Les recherches s’organisent.

Peu après, le directeur de la PJ, à Lisbonne, reçoit sur son téléphone portable un appel en provenance de l’ambassade de Grande-Bretagne. Son correspondant lui demande s’il est au courant qu’une enfant britannique a disparu… Il tombe du placard. On imagine la ribambelle de coups de fil qui font suite à cette intervention.

LES PREMIERES CONSTATATIONS : Il n’y a aucun désordre dans la chambre où dormait l’enfant. Le lit n’est pas défait. Il n’y a pas de trace d’effraction, ni sur la fenêtre, ni sur le volet, ni sur la porte. L’enquête de voisinage permet de retrouver des témoins, des vacanciers irlandais, qui affirment avoir aperçu un peu avant 22 heures, un homme qui portait une fillette dont le signalement correspond parfaitement à Maddie : visage, coiffure, vêtements. À présent, il n’y a guère de doute : c’est un enlèvement. L’alerte est donnée.

L’ENQUETE DE LA POLICE JUDICIAIRE : Les péjistes recueillent les témoignages de centaines de personnes, et en priorité ceux des mccann_mailonline.1220018107.jpgparents et de leurs amis. Très vite, ils se rendent compte de certaines contradictions entre les uns et les autres. Une femme affirme par exemple être passée devant l’appartement, plus tôt dans la soirée, et avoir remarqué que le volet de la chambre était fermé. Or, Kate McCain déclare que la fenêtre était ouverte et le volet rentré. Et les enquêteurs ne constatent aucune trace d’effraction. De plus, le volet ne peut s’ouvrir que de l’intérieur. Peut-on imaginer qu’un individu entre par la porte, à l’aide d’une fausse clé, et ressorte par la fenêtre, avec sa victime, après avoir ouvert le volet ? De plus, le lit de l’enfant n’est pas défait, comme si personne n’avait couché dedans. Intrigués, les policiers examinent le téléphone portable de chacun des McCann : l’historique des communications a été effacé. Étonnant de penser à vider la mémoire de son portable alors que son enfant vient d’être kidnappé ! Mais les policiers de la PJ de Faro ont du mal à faire leur travail. La pression devient vite insupportable. La petite Maddie a disparu le jeudi soir. Le vendredi, l’ambassadeur du Royaume-Uni, John Buck, se trouve sur place, accompagné de grands pontes de la police et de la justice. Et le samedi, trois policiers britanniques débarquent à leur tour, en principe pour assister leurs collègues portugais. Le contact n’est pas très bon. Les policiers locaux se sentent rabaissés. Pourtant, pour avoir participé à la formation de policiers portugais, je puis assurer qu’ils n’ont rien à envier ni aux Français ni aux Britanniques – si ce n’est peut-être certains moyens techniques.

Les conditions de travail sont les suivantes : 150 policiers portugais, 3 policiers britanniques, des autorités, des diplomates, et des journalistes… partout. Pas l’idéal pour une enquête. Le samedi, le directeur de la PJ de Faro déclare à la presse : « Il s’agit d’un enlèvement. » Dans le même temps, les époux McCann lancent des appels désespérés devant les caméras de télévision. On dit même que la police détient un portrait-robot du ravisseur, mais qu’il ne sera pas diffusé pour éviter de mettre la vie de l’enfant en péril. Un peu tard, non, pour penser à la jeune victime !

Pendant ce remue-ménage politico-médiatique, le responsable de l’enquête, le commissaire Gonçalo Amaral, commence à entrevoir une autre possibilité. Il trouve que le comportement des McCann n’est pas « naturel ». D’ailleurs pourquoi refusent-ils de participer à une reconstitution de la soirée ? Il trouve que certains témoignages ne sont pas en corrélation et qu’il devient impossible de déterminer où se trouvait untel à telle heure. Ainsi, une invraisemblance apparaît lorsque le témoin irlandais signale qu’après avoir vu Gerry McCann à la télévision, il l’a formellement reconnu : c’était lui l’homme qu’il a aperçu avec Maddie dans les bras, le jeudi, vers 22 heures. Oui mais à cette heure-là, le père de l’enfant se trouvait au restaurant avec ses amis…

Amaral est dubitatif. Il sent qu’il existe une certaine connivence entre ce groupe d’amis. Auraient-ils menti ? Il revient sur les premières constatations et il examine les lieux d’un œil différent – comme il le ferait d’une scène de crime. La mort de la fillette devient l’hypothèse de travail des enquêteurs.

LES ELEMENTS DE PREUVES OU DE PRESOMPTIONS : Un suspect est arrêté. C’est un ressortissant britannique qui vit à une centaine de mètres du centre de loisirs. Je ne donnerai pas son nom, car il a attaqué en justice les journaux qui avaient raconté « des choses » sur lui, et les patrons de presse ont tous baissé culotte. On dit qu’il aurait encaissé 750.000 €.

Pendant ce temps, des chiens dressés pour déceler certaines odeurs, notamment celles du sang ou d’un cadavre, sont amenés sur place. Ils détectent des traces à l’intérieur de l’appartement, dans la chambre du couple et dans la salle à manger ; ainsi qu’à l’extérieur du bâtiment. Plus troublant les chiens s’arrêtent sur la peluche de l’enfant et sur des vêtements appartenant à sa mère. On met les chiens en présence d’une voiture louée par les McCann, et ils reniflent là aussi des odeurs suspectes. Or ce véhicule a été loué bien après la disparition de la fillette ! En revanche, les chiens ne détectent rien ni dans la voiture du Britannique mis en examen, ni chez lui.

L’étau se resserre sur les McCann.

caducee-dasclepios_wikipedia_sticksvg.1220018712.pngAux endroits marqués par les chiens, on récupère de minuscules fragments organiques afin de comparer l’Adn avec celui de Maddie (des traces de salives sur les draps de son lit). Les analyses se font en Grande-Bretagne. Lorsque la réponse tombe, il n’y a plus de doute. : Il existe 15 marqueurs identiques dans les deux Adn. Il s’agit de la petite fille.

Début septembre, les époux McCann sont mis en examen, mais laissés libres. La presse rapporte qu’ils sont soupçonnés d’avoir dissimulé le corps de leur fille après un décès d’origine accidentel – on parle de l’administration d’un sédatif trop puissant (les parents sont tous deux médecins) – et qu’ils s’en seraient débarrassés par la suite, en le transportant dans un véhicule loué à cette intention.

Entre-temps cette affaire a pris une ampleur internationale. Les McCann ont appelé le Premier ministre anglais, Gordon Brown, et l’enquête est suivie au plus près par le gouvernement des deux pays. La presse est déchaînée. Les parents se posent en victime d’une police bornée, voire rétrograde. Les journaux britanniques tapent à boulets rouges sur les enquêteurs qui s’en prennent à la famille au lieu de rechercher l’enfant disparue. Les policiers anglais qui participent à l’enquête (et qui en principe n’ont aucun pouvoir d’intervention) ne font rien pour arranger les choses. Le public se passionne pour cette mystérieuse histoire – chargée d’émotion. Un fonds de soutien est créé. Brian Kennedy, un milliardaire britannique, offre ses services. Il prend en charge les frais d’avocats et ceux des enquêteurs privés. On dit même qu’il se déplace pour rencontrer certains des témoins. Cela a-t-il un rapport avec le fait que la plupart aient refusé par la suite de retourner sur place pour participer à une reconstitution ? L’atypique patron de Virgin met également la main à la poche. Il est intéressant de noter que toute cette énergie, tout cet argent, sont essentiellement utilisés pour défendre les suspects.

De nouvelles recherches Adn effectuées par le laboratoire médico-légal de Birmingham prennent le contrepied de la première expertise. Il est dit que les échantillons prélevés (par les policiers portugais) auraient été mélangés…

Le commissaire Gonçalo Amaral demande une contre-contre-expertise. Impossible, lui répondent les Anglais, les prélèvements ont été détruits, ou perdus, on ne sait pas exactement, par le laboratoire. Amaral n’en peut plus. Tout ce tintamarre, cette pression permanente de la hiérarchie, des autorités politiques, des médias l’empêchent de travailler correctement. Il est pris à parti, critiqué, épié… Même ses confrères britanniques lui tirent dans les pattes. Excédé, il se la-verite-du-mensonge.1220018943.jpglâche dans la presse. C’est une erreur, car sa hiérarchie saute sur l’occasion. Il est viré.

Gonçalo Amaral a écrit un livre, La vérité du mensonge, qui sort ces  jours-ci au Portugal. Gageons qu’on va y trouver des éléments intéressants. Du moins s’il est traduit en français. La presse, déjà échaudée dans cette affaire s’en fera-t-elle l’écho ? Pas sûr ! Les McCann ont clairement laissé entendre que leurs avocats étaient prêts à passer à l’action.

Pour en revenir à l’Adn, en France, sauf erreur de ma part, 13 marqueurs identiques dans 2 Adn différents suffisent à la justice. Donc, si les faits s’étaient déroulés chez nous, d’abord l’expertise n’aurait pas été faite en Grande-Bretagne mais dans un laboratoire français, et ensuite les McCann auraient été mis en examen et très certainement placés en détention préventive – et seul le juge aurait pu décider d’une contre-expertise.

Comme quoi les preuves scientifiques, même les plus pointues, ne dépendent pas d’une formule mathématique mais du jugement des hommes.

LE COMPORTEMENT DES PARENTS : On est obligé de dire que le comportement des McCann comparé à celui d’autres parents placés dans une situation aussi douloureuse est… différent. D’entrée de jeux, ils ont pris de haut les policiers portugais. Ils ont menti sur certains points et tout de suite, ils ont cherché des appuis auprès des autorités de leur pays. Comme s’ils se sentaient menacés ! Ont-ils été happés par la machine médiatique ? Le fonds de soutien qu’ils ont créé (et qu’on trouve sur les pages commerciales de Google) a récolté environ 1,5 million d’euros. Or, l’une des premières dépenses engagée par ce fonds a été de régler deux échéances concernant l’achat de leur maison. On dit que 600.000 euros auraient été versés pour régler les honoraires de détectives privés, lesquels pour la plupart se sont révélé être des escrocs. L’un d’eux a même déclaré qu’il avait infiltré un réseau pédophile belge… À décharge, ils ont certifié ne pas avoir utilisé cet argent pour régler les honoraires des avocats qui assuraient leur défense.

Ces gens ont mobilisé autour d’eux tant de monde, tant de beau monde pourrait-on dire, de la politique à la finance…, qu’on ne peut que s’étonner. Font-ils partie d’un réseau ? d’une loge ? d’une secte ? d’un clan ?…

L’ÉTAT DE L’ENQUETE : Les époux McCann n’ayant pas sollicité la poursuite de l’enquête, celle-ci est officiellement terminée. En l’état, on a une gamine de 4 ans, probablement morte ; et trois suspects qui ont été élargis. L’un, le voisin, soupçonné en raison de son passé, mais contre lequel il ne semble pas exister de preuves ; et les parents…

Il est prouvé qu’ils ont menti dès leurs premières déclarations aux policiers, notamment sur leur emploi du temps, visiblement de connivence avec leurs amis. Ils n’ont pu expliquer la présence de trace de sang, ou l’odeur d’un cadavre, notamment dans le véhicule qu’ils avaient loué, trois semaines après les faits. Même si en droit la contre-expertise Adn annule la précédente, elle n’est pas entièrement convaincante. Les experts se contentent de constater qu’ils ne peuvent utiliser les prélèvements qu’on leur a remis, car ceux-ci ont été altérés. Et même si l’on considère que ces deux expertises sont contradictoires, laquelle faut-il croire ? La destruction des prélèvements rend toute confirmation impossible.

Et après ce charivari, Maddie rejoint la longue liste des enfants disparus.

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CONCLUSION : Chacun peut penser ce qu’il veut, mais la justice portugaise a estimé qu’il n’existait aucune charge contre quiconque, aucune preuve, aucun indice. Elle a « archivé » le dossier, comme on dit là-bas.

On peut s’étonner. Mais je crois que c’est un bon moyen de repartir de façon plus sereine. En effet, rien n’interdit aux enquêteurs de poursuivre « discrètement » leurs investigations. La procédure portugaise permet la réouverture du dossier à tout moment, si quelqu’un apporte un élément nouveau.

Ce qui frappe dans cette affaire, c’est qu’on parle beaucoup d’argent et bien peu de la jeune victime. Finalement, l’un des suspects a encaissé 750.000 € remis par certains journaux pour éviter un procès en diffamation, et les deux autres, les parents, ont récolté 1,5 million d’euros sur un fonds de soutien. Sans parler de l’argent dépensé par les richissimes mécènes. Quant aux policiers portugais, ils ont été ridiculisés.

Ils doivent l’avoir en travers… Je vous parie qu’ils ne sont pas prêts de l’oublier.

Imbroglio comme de Broglie

« Il était 9 heures 20 lorsque, depuis ma loge, j’ai entendu des coups de feu. Je suis immédiatement sortie et j’ai aperçu un homme s’écrouler sur le trottoir. Au même instant, deux hommes, policiers m’ont-ils dit, m’ont priée de rentrer chez moi. »

imbroglio-comme-de-broglie.1211561704.jpgCe témoignage est celui de Madame Favier, concierge au 2 rue des Dardanelles, à Paris, dans le 17° arrondissement. Il a été recueilli par un journaliste et diffusé sur les ondes de RTL le 24 décembre 1976.

L’homme qui a été tué s’appelait Jean de Broglie, du moins dans la forme écrite, car vocalement cela donnait « debreuil ». Prince de son état, ce personnage roulait sa bosse dans la politique depuis 1946. Propriétaire d’un château et de milliers d’hectares de terre, décoré moult fois, cousin de la femme du président en place, Valérie Giscard d’Estaing, et ami intime du ministre de l’intérieur Michel Poniatowski. En 1976, Broglie est âgé de 55 ans. C’est un personnage important. On ne s’attend certes pas à le voir finir comme un quelconque truand avec trois balles dans la tête, étendu sur un trottoir parisien…

Madame Favier, la concierge, n’a jamais été retrouvée ni par les enquêteurs ni par le juge d’instruction, s’étonne Guy Simoné, dans son livre Imbroglio comme de Broglie (un septennat meurtrier), aux éditions Dualpha. Et toute sa défense s’écroule, car du coup il est le seul à mentionner que des policiers se trouvaient sur place et pouvaient témoigner en sa faveur. Alors, comment justifier sa présence à proximité de la scène du crime ? Comment expliquer que le meurtrier l’ait rejoint dans sa voiture ? La justice va lui reprocher d’avoir recruté (ou pour le moins « couvert ») le tueur, un certain Gérard Frèche, proxénète gagne-pain, qui pour exécuter ce contrat aurait empoché la somme de 50.000 F.

À cette époque, Simoné était inspecteur principal à la brigade des mineurs de Viroflay, dans les Yvelines. Au fil des pages, il décortique le piège qui s’est refermé sur lui. En effet, toute la hiérarchie policière était au courant des menaces qui pesaient sur Jean de Broglie, et il faisait l’objet d’une surveillance rapprochée. En cette veille de Noël, les policiers de l’antigang étaient sur place, affirme Simoné. Ses dires sont d’ailleurs corroborés par un inspecteur de la BRI, que nous appellerons J.B.V., pour respecter sa volonté, puisqu’il a choisi depuis le pseudonyme d’Éric Yung. A présent rédacteur en chef et producteur à Radio-France, Eric Yung a écrit plusieurs livres. Dans La tentation de l’ombre, récemment réédité en poche, aux éditions Gallimard, il confirme à mots prudents que ses chefs, à la brigade antigang, avaient décidé d’effacer toutes traces de leur présence (surveillances, écoutes, P-V…), et qu’en marquant son désaccord sur de tels procédés, il s’était fait bannir du 36. Ceci n’a sans doute rien à voir avec cela, mais Éric Yung (à l’époque, il était border line) a eu ensuite de sérieux ennuis, il a même fait l’objet d’un attentat à la bombe, alors qu’il se trouvait chez son ami Yves Mourousi, présentateur du journal de 20 heures sur TF1. L’immeuble du XVI° arrondissement où se trouvaient les deux hommes a été sérieusement endommagé : ils s’en sont sortis indemnes.

On peut donc raisonnablement penser que le ministre de l’intérieur, Michel Poniatowski, Jean Ducret, le directeur de la PJ parisienne, et Pierre Ottavioli, le patron de la brigade criminelle, lorsqu’ils s’adonnent à un show devant un parterre de journalistes, dans les locaux du quai des Orfèvres (une première), alors même que la garde à vue des suspects est à peine terminée, nous racontent des salades. Ils s’autofélicitent. Une enquête rapidement menée : Jean de Broglie a été tué pour une vague histoire de remboursement d’un prêt destiné à l’achat d’un restaurant, La reine Pédauque, près de la gare Saint-Lazare, à Paris.

Bien sûr, ce n’est pas impossible ! Mais lorsqu’on s’attarde sur le parcours de feu de Broglie, on ne peut s’empêcher d’être un rien dubitatif…buron-joxe-et-broglie_accirds-devian_masterwebfr.1211562065.jpg

Le prince de Broglie, nous dit Simoné, a été chargé de réunir des fonds en vue de la campagne électorale de Valéry Giscard d’Estaing. « En avril 1968, un protocole d’accord fut signé entre MM. Jean de Broglie, Raoul de Léon, Léon Grunwald et Vila Reyes. Par cette convention, Jean de Broglie s’engageait à trouver un financement de vingt millions de dollars sous la forme d’un emprunt obligataire. Le remboursement devait s’effectuer en décembre 1976, sous sa propre responsabilité. »

Vous avez dit en décembre 1976 ?…

Pour réaliser ce projet, Broglie dépose les statuts d’une dizaine de sociétés (Sodetex, Brelic international, Publifinance, etc.) en France et dans des paradis fiscaux « […] Officiellement, l’activité principale était l’import-export de métiers à tisser… », nous dit Simoné. On est en mai 1968, et tandis que CRS et étudiants s’envoient des amabilités, et que les parisiens redécouvrent les bienfaits de la marche, chez ces gens-là, mooonsieur, les affaires continuent…

Simoné nous affirme également que Jean de Broglie figurait sur les tablettes de l’Opus Dei, au côté de plusieurs personnalités politiques de premier plan, dont il donne d’ailleurs les noms, et que cette mafia catholique a participé financièrement à l’élection de Giscard d’Estaing.

Le 30 décembre 1976 les portes de la prison se sont refermées sur Guy Simoné, et il n’a recouvré la liberté que le 9 mai 1983.

Dans son livre, il ne cache pas ses faiblesses, il ne nie pas ses erreurs, mais il n’a jamais, affirme-t-il, participé de près ou de loin à l’assassinat d’un homme. Je l’ai rencontré il y a quelques semaines et je dois reconnaître qu’il m’a convaincu.

photo004.1211562214.jpgAujourd’hui, il est âgé de 65 ans. Je peux vous dire qu’il est remonté à fond et bien décidé à reprendre l’enquête – de A à Z. De retrouver les protagonistes (du moins les survivants, car beaucoup sont morts), de faire parler les témoins, d’éplucher les rapports, les procès-verbaux, de détricoter les réseaux… Il a du pain sur la planche, d’autant que le dossier sur l’affaire de Broglie a été classé « secret-défense ».

Ce livre, Imbroglio comme de Broglie, n’est pas très littéraire. Guy Simoné se laisse parfois emporter par sa fougue, ou par sa rancœur, et il est alors difficile de le suivre, mais c’est un témoignage au plus près d’une affaire qui a jeté l’opprobre sur la classe politique française – et rabaissé au passage le prestige du 36, quai des Orfèvres.

Un document indispensable pour ceux qui suivent les affaires criminelles – mais une sale affaire, vraiment !

Une affaire carrée

L’enquête sur le meurtre de la jeune suédoise Susanna Zetterberg a été résolue en quelques jours. Je sais bien, tant que l’homme mis en examen n’a pas été condamné…

Si l’on veut bien s’attarder sur la technique utilisée par la PJ pour mener à bien cette affaire, on retient d’abord une chose : Il s’agit d’une enquête traditionnelle. On a tellement pris l’habitude de nous bassiner avec l’Adn, les fichiers ceci, les écoutes cela, qu’il est important de le souligner.taxi_journalchretien.1209401081.jpg

Ici, les péjistes ont fait du porte-à-porte. Ils ont enregistré les déclarations des témoins, des amis, etc. Puis, lorsqu’ils ont appris l’existence du texto de la jeune femme qui s’inquiétait du comportement du chauffeur de taxi, ils ont fouillé les fichiers, les dossiers, pour finalement tomber sur le suspect idéal. Faux chauffeur de taxi, vrai détraqué sexuel. Et, avec le concours de la brigade antigang, ils l’ont filoché afin de tenter de récupérer le maximum de preuves. Lorsqu’ils l’ont surpris en train de déterrer quelque chose dans le bois de Boulogne, ils ont décidé de l’interpeller. Quasi en flag !

Donc, fi de tous les gadgets à la mode, il s’agit d’une vraie enquête de flics, telle que la pratiquaient les anciens.

Chapeau !

Les pinailleurs détecteront toutefois une particularité intéressante dans le déroulement de cette enquête – cette fois, côté justice.

Le corps de la jeune femme a été retrouvé le dimanche 20 avril 2008, dans l’Oise, hors du ressort de compétence de la préfecture de police. Concomitamment (ou presque) à cette macabre découverte, les amis de Susanna s’inquiétaient de ne pas l’avoir revue et signalaient sa disparition à la police parisienne.

Les gendarmes chargés de l’enquête en crime flagrant ont donc fait les constatations sur les lieux, sur le corps, etc., et leur enquête semblait avancer rapidement puisqu’ils avaient déjà fait un rapprochement (judicieux) avec une agression similaire.

Et le mardi 22 avril, badaboum ! le procureur de Senlis se dessaisit au profit du parquet de Paris – lequel charge illico la brigade criminelle de la poursuite des investigations. On imagine la tête des gendarmes…

Je crois qu’il s’agit là d’une première. En effet, le seul lien qui relie la capitale au meurtre de Susanna Zetterberg est le fait qu’elle ait pris un taxi à Paris. En l’état, on ne sait pas où le crime a été commis, mais tout laisse supposer que ce n’était pas sur le ressort territorial de la préfecture de police.

Il s’agit donc d’un tour de passe-passe judiciaire pour que cette affaire soit traitée à Paris.

Dans la même lignée, pour justifier que les pirates du golfe d’Aden soient jugés en France, on a dit qu’il s’agissait de terroristes – sans abuser quiconque. Par ailleurs, autre bizarrerie, il semble que les coupables n’aient pas été placés en garde à vue mais en détention administrative. Ce qui est également une première.

Honnêtement, si ces deux affaires n’étaient pas aussi graves, on serait en droit de s’interroger sur ces interprétations très approximatives du code de procédure pénale.

L'Adn de Machin

Au début de mois de mars, un homme sonne à la porte de la brigade criminelle : « Bonjour, je m’appelle David A. c’est moi qui ai tué Marie-Agnès B, sous le pont de Neuilly. ».

pont-de-neuilly_infos-trafic-paristf1fr.1206983588.gifC’est évidemment impossible. L’assassin de cette dame a passé 48 heures en garde à vue, dans les locaux du 36, il y a 7 ans – et il a reconnu les faits. Il s’agit de Marc Machin, un SDF de 19 ans (à l’époque). Un pauvre type rongé par l’alcool et par la drogue.

Il a d’ailleurs été condamné en 2004 à 18 ans de réclusion criminelle.

C’est à l’honneur de la brigade criminelle de ne pas hésiter à rouvrir le dossier et à vérifier les allégations du farfelu qui vient ainsi remettre leur travail en question.

Et il faut reconnaître à Philippe Courroye, le procureur de Nanterre, une certaine audace pour suivre les enquêteurs dans leur démarche. Il demande une comparaison de l’Adn de ce… soi-disant criminel avec les prélèvements effectués sur les vêtements de la victime, en 2001. Et il y a concordance.

On ne peut pas dire que David A. a tué madame Marie-Agnès B., mais on peut affirmer qu’il était présent au moment où ce crime a été commis.

Il appartient maintenant à la commission de révision de se prononcer. Mais le résultat ne fait aucun doute : cette affaire sera rejugée.

Il y a un enseignement à tirer de ces événements.

Le procureur de Nanterre a déclaré que ces nouvelles analyses Adn ont été rendues possibles grâce à « de nouvelles méthodes scientifiques » (source : Le Point). Alors la question est la suivante : Pourquoi le fichier Adn (FNAEG) n’est-il jamais utilisé pour confirmer ou infirmer des jugements rendus avant sa mise en fonction ? Puisqu’on nous impose ce flicage génétique, pourquoi ne pas exploiter toutes les possibilités offertes par la police scientifique ? Pourquoi la justice française refuse-t-elle d’envisager l’existence d’erreurs judiciaires ? – etdatisoldes_jym-mgcdblogspotcom.1206983745.jpg qu’en ce moment il y a sans doute des innocents derrière les barreaux. N’en sortirait-elle pas grandie ? Aux États-Unis, des centaines de condamnés – dont certains à la peine de mort – ont ainsi été innocentés. Pourquoi pas chez nous ?

A cause de textes de loi anachroniques : En effet, pour réviser un procès, il faut un élément nouveau – comme une recherche Adn « causante ». Mais pour faire une recherche Adn, il faut… un élément nouveau. Glup !

Ne serait-il pas flatteur, Madame le Garde des Sceaux, que nous associassions votre nom à une loi équitable, comme dans un passé récent (et simple) nous associâmes le nom de Robert Badinter à la suppression de la peine de mort ? Ouf ! – Une loi Dati, ça t’aurait de la gueule, non !

Je crois que les médias devraient appuyer une telle démarche. Mais je crains fort que cela ne soit pas pour cette fois. Ces jours-ci, les journalistes ont recherché dans leurs archives une photo de Marc Machin – vainement. Car cette affaire n’a jamais fait la Une. À défaut, ils ont publié celle du procureur de Nanterre, ou, comme Le Monde, les trottoirs du Pont de Neuilly.

Je vais te dire un truc, Machin ! Ton histoire, elle n’intéresse personne.

Délit de sale gueule pour Agnelet

Après 30 ans de procédure, Maurice Agnelet a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle – en 2 heures.

agnelet_contours.1192176154.jpegPoursuivi pour le meurtre de sa maîtresse, Agnès Le Roux, cet assassin, puisque c’est ainsi qu’à présent il faut l’appeler, avait auparavant fait l’objet d’un non-lieu, puis d’un acquittement.
Il est donc « l’heureux bénéficiaire » d’une loi votée le 15 juin 2000, qui modifie le code de procédure pénale et institue la possibilité de faire appel d’une décision de la cour d’assises.

Cette réforme, nous avait-on dit à l’époque, répondait à la demande de la convention européenne des droits de l’homme, qui exigeait une juridiction à deux degrés en matière criminelle, comme cela existait pour les délits. Mon professeur de droit avait dû se retourner dans sa tombe. Lui qui s’acharnait à nous expliquer, en son temps, qu’il existait deux degrés en matière criminelle : l’information judiciaire et le jugement. Et que la décision de la cour d’assises ne pouvait être remise en question car elle était l’expression d’un jury populaire. L’héritage de la Révolution. C’est d’ailleurs ce premier degré, affirmait-il, qui justifiait les pouvoirs exorbitants du juge d’instruction.

Le marrant de l’histoire, c’est que cette loi de l’an 2000, qui permet de claquer la porte d’un cachot sur Agnelet, est une loi sur la présomption d’innocence.

En faisant appel de la décision d’acquittement, l’avocat général n’a-t-il pas détourné l’esprit de cette loi ?elisabeth-guigou_wikipedia.1192175061.jpg

Qu’en pense donc Madame Elisabeth Guigou, en ces temps-là garde des sceaux, et instauratrice de ce texte? Pour être honnête, elle n’est pas responsable. Sa copie a été en partie frelatée par sa remplaçante, Marylise Lebranchu. Le 21 février 2002, l’assemblée nationale adopte en effet différentes modifications du texte initial et notamment, l’alinéa 2 de l’article 380, qui dit : « Le procureur général peut également faire appel des arrêts d’acquittement ». La droite ne sera pas en reste. En juillet 2002, sous le gouvernement Raffarin, Dominique Perben en rajoute une couche dans sa loi d’orientation et de programmation de la justice.

Pour faire simple, aujourd’hui, de la loi sur la présomption d’innocence, il ne reste que le titre.

Bon, on va attendre l’opinion de la cour de cassation !

Une chose est certaine, sur sa gueule, Maurice Agnelet méritait perpette. Et, comme m’a dit une amie très chère: « Il est sûrement coupable. »

Pierre Goldman clamait à son procès : « Je suis innocent, parce que je suis innocent ! » De Maurice Agnelet, on pourrait dire : Il est coupable parce qu’il est coupable.

Agnès Le Roux a-t-elle été enterrée sous X ?

Au moment où Maurice Agnelet (qui se fait appeler Jean-Maurice Agnelet) est jugé une troisième fois pour l’assassinat d’Agnès Leroux, on peut se demander si l’embrouillamini juridico-policier qui a précédé ce nouveau rendez-vous devant la justice peut se reproduire de nos jours.

Rappelons les faits :

renee-le-roux_lecrapouillot.1190618145.jpgEn 1967, au décès de son père, Agnès Le Roux a hérité (entre autres) d’une partie des actions qu’il détenait dans le casino Le Palais de la Méditerranée, à Nice. Or, Le Palais, comme disaient les habitués, fait baver d’envie un certain Jean-Dominique Fratoni, alias Jean-do. Ce dernier, avec le soutien du maire, Jacques Médecin, vient en effet de créer le casino Ruhl, mais son ambition ne s’arrête pas là. Pourtant, malgré une situation financière difficile, Madame Renée Le Roux n’entend pas céder aux pressions de son concurrent. Agit-elle ainsi en fonction de son tempérament de bagarreuse ou répond-elle aux dernières volontés de son mari… On ne sait pas. Ce qu’on sait, c’est qu’elle n’a pas un bon feeling avec sa fille. Celle-ci, rejette en bloc, l’argent, les jeux, le pouvoir… et sa mère. En un mot, c’est une fille à papa. Pour marquer la rupture, en juin 1977, elle décide de vendre à Fratoni son droit de vote dans la société qui gère Le Palais. Et elle encaisse un chèque de trois millions de francs. (Ce qui correspondrait de nos jours à environ 1.5 million euros.) Enfin, quand on dit elle encaisse, ce n’est pas tout à fait vrai. Elle le dépose en Suisse, sur un compte ouvert en commun avec son amant, Maurice Agnelet. Peu après, cet argent est viré sur un autre compte dont cette fois Agnelet est le seul bénéficiaire.

Et Agnès Le Roux disparaît. Son amant ne bouge pas une oreille. C’est sa mère qui s’inquiète et qui signale sa disparition. Après quelques démarches infructueuses, le 22 octobre 1977, elle écrit au procureur. Sans résultat. Le 13 février 1978, elle finit par trouver l’argutie qui aura raison de cette apathie. Elle dépose plainte contre X pour séquestration arbitraire et insiste sur le fait qu’en octobre 1977, sa fille a été admise par deux fois à l’hôpital Saint-Roch de Nice à la suite de deux tentatives de suicide consécutives.

Le procureur décide alors l’ouverture d’une information judiciaire.

Agnès Le Roux a disparu depuis trois mois.jean-dominique-fratoni_lecrapouillot.1190618046.jpg

Au départ, les enquêteurs traînent les pieds. Pas plus que la justice ils ne croient à un enlèvement – et encore moins à un meurtre. Ils pensent plutôt à la fugue d’une enfant gâtée. Ils mettront trois mois de plus pour effectuer, via Interpol, la première diffusion internationale :

« Avis de recherche concernant Madame Agnès Le Roux, divorcée Hennequet, née le 14 septembre 1948 à Neuilly-sur-Seine, demeurant… »

« Avis de recherche concernant la découverte d’une femme amnésique… »

« Ou la découverte d’un cadavre non identifié, dont le signalement correspondrait à celui d’une femme de 1,76 m, type européen, corpulence mince, visage aux traits réguliers, yeux marron, aucun signe particulier… »

« Recherche également de son véhicule Range Rover, de couleur blanche, immatriculée 726 BEZ 75, numéro de série… »

On connaît la suite : Agnès Le Roux n’a jamais été retrouvée, son véhicule non plus.

On comprend bien que cette lenteur, cette inertie, de la justice (3 mois pour ouvrir une information judiciaire), de la police (6 mois pour effectuer une première recherche internationale) a enlevé toute chance de connaître la vérité – voire de sauver la jeune femme.

Que se passerait-il si Agnès Le Roux disparaissait aujourd’hui ?

Sa mère signale sa disparition. Le policier enregistre sa requête et établit une RIF (recherche dans l’intérêt des familles). Et cela s’arrête là, car il s’agit d’une personne majeure, donc libre de ses mouvements. Mais, plus tard, la mère découvre que sa fille a fait deux tentatives de suicide. Elle signale ce fait nouveau au policier qui mentionne alors qu’il s’agit d’une « disparition inquiétante ». Il en informe le procureur de la République et l’OCRVP (office central de répression contre les violences faites aux personnes). Cet office, crée en 2006, est dirigé par le commissaire divisionnaire Frédéric Malon. Composé de policiers et de gendarmes, il est basé à Nanterre, et possède des correspondants, policiers ou gendarmes dans tous les départements.

ocrvp_dcpj.1190618493.jpgIl est probable qu’à ce stade, le procureur décide d’une enquête préliminaire. Mais sans attendre, depuis une loi de 2002, les enquêteurs peuvent requérir l’aide des organismes publics (sécurité sociale, impôts…) ou des organismes privés (banques, opérateurs téléphoniques…), et la personne disparue est enregistrée sur le FPR (fichier des personnes recherchées) et sur le fichier Schengen. Si les premiers éléments sont inquiétants, le magistrat ordonnera l’ouverture d’une information judiciaire.

On peut donc penser, qu’aujourd’hui, les investigations pour rechercher Agnès Le Roux seraient plus rapides, et sans doute plus efficaces.

Hélas, a contrario, aucun progrès n’a été fait pour identifier les personnes qui meurent sans qu’on connaisse leur identité. On estime à 800 par an, le nombre de personnes non identifiées qui décèdent dans les hôpitaux, et deux fois plus sur la voie publique. Si les causes de la mort ne sont pas suspectes, aucune enquête n’est effectuée, car il n’y a ni crime ni délit. Si les causes de la mort sont douteuses, une enquête judiciaire est effectuée. Mais, même dans ce cas, l’identification est parfois impossible, ne serait-ce qu’en raison de l’état du cadavre (voir La PJ, mes débuts). Ces morts sont enterrés sous X, au frais de la commune sur laquelle le décès a été constaté.

Agnès Le Roux a-t-elle été enterrée sous X ?

Plusieurs associations, comme Manu association, l’APEV (aide aux parents d’enfants victimes), l’ARPD (assistance et recherche de personnes disparues), etc., se battent pour que toute personne enterrée dans ces conditions fasse au minimum l’objet d’un prélèvement ADN. Cela semble de bon sens. Certaines de ces associations vont plus loin, comme de répertorier dans le FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques) les personnes à risques (malades mentaux, malades Alzheimer, suicidaires, etc.) ou de donner un pouvoir d’investigation à certaines administrations, en dehors du champ judiciaire. D’autres souhaitent voir la mise en place d’un plan enlèvement, comme celui qui existe pour les mineurs en danger ou carrément le fichage génétique de toute la population (ce qui de toute façon nous pend au nez).

Il y a dans ces propositions du raisonnable et du déraisonnable, mais on doit écouter les gens qui ont créé ces associations, car ils ont tous un point commun : un proche qui a disparu. Et le silence. Et les portes qui se referment. Et cette lourdeur insoutenable, mélange de malheur et d’espoir.

 

Action directe en action

Après la libération, en Allemagne, de Brigitte Mohnhaupt, l’ancienne dirigeante de la Fraction armée rouge (FAR), la France s’amignonne avant de se décider à libérer, oui ou non, les membres d’Action directe.

action-directe.1179232862.jpgIl faut dire que la loi d’amnistie voulue par Mitterrand, peu après son élection, n’a pas été une franche réussite. Ce ne sont pas les victimes de la série d’attentats des années 1982-1983, qui viendront me démentir.

Pour l’heure, c’est Nathalie Ménigon qui est dans les starting-blocks.

Elle est notamment détenue pour les assassinats du général René Audran, en 1985, et du PDG de la Régie Renault, Georges Besse, en 1986. Elle a été condamnée par deux fois à la réclusion criminelle à perpétuité en 1987. Il y a tout juste vingt ans.nathalie-menigon_photot_le_figaro.1179232935.jpg

Cette personne, tout comme sa complice, Joëlle Aubron, libérée pour raisons médicales en 2004 (décédée en 2006), n’a jamais, à ma connaissance, exprimé le moindre regret, le moindre remord, pour les centaines de victimes d’Action directe. Cela prouve une conviction inaltérable dans l’idéologie de la lutte armée.

Une conviction inaltérable…

Georges Besse a été assassiné pour avoir eu le tort de diriger une entreprise dont l’un des vigiles aurait tué un militant maoïste (sic). Ce sont à peu près les termes de la justification d’Action directe. Mais, pour le général Audran, l’argumentaire est encore beaucoup plus flou. Il est même inexistant.

georges-besse_photo_annalesorg.1179233204.jpgEn effet, Audran n’est pas un militaire comme les autres. Il est ingénieur général de l’Armement, directeur des affaires internationales au ministère de la Défense. En 1985, même sous la gauche, la France est toujours l’un des pays parmi les plus grands marchands d’armes du monde. Or, dans le microcosme interlope de ces businessmen, cet homme est une exception. Il est efficace, et tout simplement honnête. Autrement dit, il gêne une foule de gens dans quantité de pays. Car, rien n’est possible sans lui. Et quand Audran dit non, ce sont d’énormes commissions qui s’évaporent. On a ainsi parlé, durant l’enquête qui a suivi sa mort, de malversations qu’il aurait découvertes au sein de son service. Des pots-de-vin engrangés lors d’une vente de systèmes d’armements à l’Arabie Saoudite, par une poignée de cadres de la société Thomson et quelques hauts fonctionnaires de la direction générale de l’armement. Mais bien d’autres gens auraient pu lui en vouloir. C’est l’époque où la France ouvre au méchant Saddam Hussein une ligne de crédit illimitée en matière d’armement, ce qui déplaît fortement à l’Iran. Aussi, le méchant ayatollah Khomeiny, via un intermédiaire bien placé, demande à la France, sans doute dans un louable souci d’équité, de lui fournir des missiles, du genre Crotales ou Exocet, ou autres babioles. Quoique cette transaction fût inenvisageable sur le plan diplomatique, il semble bien que les autorités françaises acceptent, du moins de fermer les yeux sur une négociation secrète. Autrement dit, l’Élysée est OK – mais pas Audran. Il met son veto. Les Iraniens ne sont pas contents, les intermédiaires perdent des sommes colossales et certains responsables de notre pays perdent la face. Tout ça pour un petit général !rene-audran.1179233589.jpg

Or, à cette époque, les services secrets iraniens soutiennent le terrorisme international. Un certain Sabri al-Banna, alias Abou Nidal, joue un rôle capital dans cette nébuleuse. Et il a été démontré que cet individu a eu plusieurs contacts avec Action directe.

Dans ce petit monde dépravé, il n’y a ni morale – ni fin à mon histoire. Mais on sait depuis longtemps que, même si les motivations sont différentes, tous les mouvements terroristes, Action directe, ETA, FLNC, etc., ont rempli des contrats (attentats, meurtres, enlèvements…) afin de récupérer des fonds, ou des armes, pour servir « la cause ».

Le général Audran est peut-être mort pour ne pas avoir cédé à la corruption. Mais aujourd’hui, la question est de savoir si Nathalie Ménigon et ses complices doivent être libérés ! Pour les militants du collectif Ne laissons pas faire, la cause est entendue. Ils ont purgé la peine incompressible qui s’attache à leur condamnation à perpétuité, et ils doivent être libérés.

En droit, ils ont raison. Mais le droit est-il bien fait ? Comment nous expliquer, à nous, le petit peuple, qu’une peine à perpétuité n’est valable que pour une durée limitée ? Si l’on veut que notre justice conserve cette mansuétude, il faudrait alors lui adjoindre une peine complémentaire, et inciter ces gens à se faire oublier – ailleurs. Loin de leurs victimes et des malheurs qu’ils ont semés.

Jadis, on appelait ça le bannissement.

La PJ, de 1980

PARTIE 12 – En ce début des années 80, nombre de démocraties voient apparaître des mouvements prônant l’usage de la force et se revendiquant du marxisme. (Raymond Marcellin aurait-il eu raison ?) Près de nous, en Allemagne, c’est la Fraction armée rouge ; et en Italie, les Brigades rouges. En France, le 1er mai 1979, Action directe revendique le mitraillageaction-directe.1174741791.jpg du siège du patronat. Ce mouvement n’a pas fini de faire parler de lui… Cette année-là, le chanteur Daniel Balavoine dénonce les médias, « dont les propos n’intéressent plus personne », et attire l’attention sur la jeunesse, qui se désespère. Hélas ! Il chante à la lune.

Dans la nuit du 1er au 2 février 1980, Joseph Fontanet, ancien ministre de l’éducation nationale et de la santé, est grièvement blessé d’une balle de 11.43 dans la poitrine, devant son domicile du XVI° arrondissement, à Paris. Il meurt quelques heures plus tard. Assassinat jamais revendiqué. L’enquête sera classée sans suite. Le mois suivant, c’est un personnage bien différent qui va nous quitter.

René Juillet, dit le Petit prince, a été un peu le businessman de Gilbert Zemour. Puis, ils se sont fâchés. Pour l’heure, il est dans la panade. Non seulement Zemour le talonne, mais ses affaires sont en pleine déconfiture. Il finit par déposer plainte contre son ancien complice pour racket. Mais, il est sur les nerfs. Toujours armé. Un jour, il tire sur le journaliste Marc Francelet, qu’il soupçonne d’être de connivence avec son ennemi. En désespoir de cause, il collabore avec la police et il balance Gilbert Zemour, lequel se fait interpeller comme un bleu, au volant de sa voiture, alors qu’il revient de Bruxelles. Pour une peccadille : il lui reste treize jours à purger sur les dix mois de prison dont il a écopé. Le 27 mars 1980, neuf jours après que Zemour ait réglé sa dette à la société (sic), au petit matin, devant le restaurant de nuit Le miroir du temps, trois hommes guettent, dissimulés à l’intérieur d’une Mercedes. René Juillet sort pour prendre l’air. Il est en confiance. Ici, c’est son QG. La voiture s’approche lentement. Il aperçoit trop tard le canon du fusil. Sa tête explose sous les chevrotines. Les clients sortent. Claude Brasseur, un habitué, doit penser que c’est mieux au cinéma. Bien sûr, les enquêteurs de la criminelle trouvent étrange la contiguïté de ce meurtre et la sortie de prison de Zemour. Mais, petit Gilbert a un alibi béton. D’ailleurs, malgré les apparences, il n’est pas certain qu’il soit l’auteur de ce règlement de comptes. On peut penser que le Petit prince a été mordu par un autre serpent. En l’occurrence, le gang de la banlieandre-gau_photo-surveillance_archives-perso.1174733300.jpgue sud, dirigé par Marcel Bennacer, alias Nénesse, et André Gau, celui que Jacques Imbert, alias Jacky le Mat, avait surnommé Dédé gode, après l’avoir « descendu à la cave » pour lui donner une correction. Il se vantait, en effet, d’avoir forcé son intimité avec une bouteille de Perrier… Ce qui le faisait beaucoup rire. D’où ce surnom. Depuis peu, Bennacer et Gau se sont lancés dans la reprise d’établissements de nuit. Au moment des faits, ils sont d’ailleurs en train de négocier le rachat du restaurant Le bœuf sur le toit, dans le VIII°. On ne connaîtra jamais la vérité, car Bennacer est abattu huit mois plus tard, dans les sous-sols d’un café, avenue Trudaine, à Paris. Une nouvelle fois, André Gau, s’en sort bien. Il va bénéficier d’un (long) délai de grâce.

Ce même mois, Marguerite Yourcenar bouscule les traditions. C’est la première femme à être élue à l’Académie française. Et Maître Agnelet, lui, est radié du barreau de Nice. Il est inculpé d’homicide volontaire sur la personne d’Agnès Leroux, la fille de la patronne du casino Le palais de la Méditerranée, que l’on suppose morte, mais dont on n’a jamais retrouvé le corps. Jean-Dominique Fratoni, le propriétaire du casino Ruhl, à Nice, et du casino de Menton, via la SA Socret, dont le capital est détenu pour moitié par de mystérieux italiens, est soupçonné de complicité. Mais, en l’absence de la moindre preuve, le dossier est transmis à la section financière de la PJ. Poursuivi pour fraude fiscale, il quitte la France précipitamment.

Jean-Paul Sartre se meurt et Albin Chalandon, le nouveau président d’Elf-Erap, signe un second contrat avec une petite société implantée au Panama, la Fisalma, dans laquelle on trouve la présence de la banque suisse UBS, quelques personnages interlopes, et un avocat, Jean Violet, ancien correspondant du SDECE, l’ancêtre de la DGSE. Ce nouveau contrat porte l’ardoise à un milliard de francs. Ces sommes astronomiques sont destinées à mettre au point et à fabriquer un appareil susceptible de détecter les nappes de pétrole, en effectuant un simple survol du terrain. Donc, plus de forage. C’est de l’alchimie. Mais le projet fait rêver, et, surtout, il y a la caution morale d’Antoine Pinay. Elf est une entreprise nationalisée, cet accord ne peut donc se faire qu’avec la bénédiction des plus hautes autorités, en l’occurrence, Giscard d’Estaing, Raymond Barre, et son prédécesseur à Matignon, Jacques Chirac. Trop beau pour être vrai, se dit un chercheur, le professeur Jules Horowitz. Il n’a aucun mal à démontrer la supercherie. Les «inventeurs» acceptent de se livrer à une démonstration. Cela consiste à repérer une règle placée derrière un mur. Subrepticement, Hirowitz tord la règle. On démarre l’expérience, et la règle apparaît sur les appareils de contrôle – bien droite. L’image n’est qu’une photographie. Tout était truqué depuis le début. Trois ans plus tard, Le Canard Enchaîné sortira l’affaire en titrant sur « les avions renifleurs ». La commission d’enquête parlementaire, constituée pour calmer l’opinion publique, va pondre un rapport de 650 pages. François Mitterrand interviendra personnellement pour que son prédécesseur ne soit pas entendu. Jean Cosson, chef de la section financière du parquet de Paris, en ces années-là, estime qu’il s’agit d’une fausse escroquerie. Une escroquerie à l’escroquerie, en quelques sortes… Il s’en explique dans un livre (que je n’ai pas lu) Les industriels de la fraude fiscale.

Les mauvaises langues disent que ce pécule aurait atterri dans la caisse noire d’un parti politique… Cette manie de persécuter les grands de ce monde! Heureusement, le 8 mai 1980, l’OMS estime que la variole est éradiquée sur toute la planète. La variole, seulement.

casino-namur.1174733148.jpgPendant ce temps, Gilbert Zemour se frotte les mains. Il vient de réaliser le fruit de plusieurs années d’efforts. Grâce de nombreux pots-de-vin auprès des autorités locales, il a réussi à mettre sur pied un magnifique casino à Namur, en Belgique, au bord de la Meuse. Bien sûr, l’homme n’apparaît pas au grand jour. Officiellement, cet établissement est la propriété du groupe Gonzalès, détenu par un financier du jeu, Joseph Kaïda, et un contrôleur général de la police nationale, récemment retraité, Michel-Joseph Gonzalès. Ce dernier s’y connaît, puisqu’il a longtemps officié aux « courses et jeux », au ministère de l’intérieur. Mais ce soir de novembre 1980, rien ne va plus. Ce ne sont pas les joueurs qui flambent, mais le casino. Malgré la présence d’une cinquantaine de pompiers et de nombreux bénévoles, il est détruit aux deux tiers. La police belge établit qu’il s’agit d’un incendie criminel, et l’enquête s’arrête là. N’a pas la baraka, P’tit Gilbert.

Le 3 octobre, un attentat à l’explosif fait quatre morts et une vingtaine de blessés devant la synagogue de la rue Copernic, à Paris. L’attentat, non revendiqué, sera attribué au Front populaire pour la libération de la Palestine.

En décembre, John Lennon nous quitte. Le cofondateur des Beatles est âgé de 40 ans. Et, à quelques mois des élections présidentielles, on apprend que last-jean-cap-ferrat.1174733424.jpg France compte un million cinq cent mille chômeurs. Ce qui aujourd’hui nous fait rêver… Quand à Raymond Barre, notre premier ministre, il prépare sa retraite. Il finit d’aménager sa résidence secondaire, une bien modeste demeure, allez ! au bord de la Méditerranée, à Saint-Jean-Cap-Ferrat.

La mort d’un ami – Grâce à un tuyau d’une informatrice aux yeux bleus, on collait aux baskets d’un trio d’anciens militaires que l’on soupçonnait des pires intentions. Ce jour-là, une écoute téléphonique nous confirme qu’ils préparent un coup. Pour le lendemain. On se met en planque. La BRI de Nice est à présent parfaitement rodée, et les hommes se positionnent d’instinct. Vraiment une bonne équipe ! L’inspecteur Charles Marteau connaît l’un des protagonistes, un certain Richard Ughetto. Il l’a déjà arrêté. C’est donc lui qui se poste dans le « sous-marin ». Faut dire qu’il est un peu remonté, car, à sa sortie du cabinet du juge d’instruction, libre comme l’air, ce jour-là, Ughetto lui avait fait un bras d’honneur. Donc, Charly en veut. Dans son talkie-walkie, il nous décrit la scène : « Il fouille dans sa sacoche. Il sort un truc… C’est un fusil à pompe. Il a un calibre, aussi… ». En tout, ils sont trois. Ils partent avec deux voitures. On prend la RN 202, puis au bout d’un moment, nos lascars bifurquent et empruntent une petite route qui longe la Vésubie. Il fait nuit noire. 

Quel coup peuvent-ils préparer ? Un saucissonnage ? Un enlèvement ? Un braquage ? Dans ce coin désert de l’arrière-pays niçois, sûrement pas. On se perd en conjectures, tandis que notre convoi de voitures banalisées, tout feux éteints, file sur une petite route déserte, bordée par le ravin du torrent. Puis, ils s’arrêtent, et s’engouffrent tous trois dans la plus grosse des voitures, une Audi. Laissant sur place la Simca. Et nous laissant sur place aussi. On les a perdus. Je décide de planquer sur ce qui semble bien être la voiture relais. Puisqu’on est dans l’impossibilité de les faire en flag, on va les serrer au retour. Les heures passent. L’un de mes hommes suggère de mettre la Simca en panne. Après réflexion, je me dis qu’en leur interdisant de s’enfuir, on se donne une chance de plus. Et j’acquiesce. Mais rien ne se passe comme prévu. L’Audi revient et s’arrête à les-autorites-rendent-hommage-a-charles-marteau.1174738740.jpgdistance. Deux hommes en descendent et la voiture fait demi-tour, et repart. Les deux zigotos se dirigent vers la Simca – mais ils ne pourront pas démarrer, puisque qu’on a retiré les fils des bougies. « Intervention ! » En un éclair, nos clients sont emballés. Mais il nous manque le chef, Richard Ughetto. Il n’a pas pu nous repérer. Donc, il ne se doute de rien. Et la seule route, pour revenir à Nice, passe par ce petit pont, qui surplombe la Vésubie. De nouveau, il faut attendre. C’est fou ce qu’on peut attendre, dans ce métier. Mon plan est simple. Lorsqu’il va s’engager sur le pont, je vais avancer ma voiture, et comme il n’y a pas la place pour deux véhicules, il sera bien obligé de s’arrêter. Et les autres véhicules vont l’encadrer. Ça c’est passé comme ça, exactement. En quelques secondes, la voiture, pilotée par Ughetto, est bloquée de tous les côtés. Il lui est impossible d’en sortir. À part qu’immédiatement, il ouvre le feu. Pas de sommations, chez les voyous. Il tire à travers son pare-brise. C’est du gros calibre. Je vois les flammes sortir du canon. On riposte, bien sûr, mais, avec plus de discernement, car nous avons le risque de tirs croisés. On a su, après, qu’il portait un gilet pare-balles. Ce qui n’était pas notre cas. Il n’y avait pas le budget pour ça. Puis, une fois son arme vide, il se glisse par la vitre et il disparaît. Je fulmine. Marcel, le vétéran de la brigade, a été touché. Heureusement, la balle de 11.43 s’est plantée dans le cuir de son holster, ce qui a freiné sa course. La blessure ne sera pas trop grave. Il nous a fallu un bon moment pour nous apercevoir de la disparition de Charly. Dans la nuit sans lune, on s’est mis à le chercher. Charly ! Charly ! La Vésubie nous a rendu son corps au bout de quatre jours. Charles Marteau avait trente ans.

Le ministre de l’intérieur s’est déplacé pour les obsèques. Devant le cercueil, un petit garçon de dix ans, le regard voilé, mais les yeux secs, n’avait pas encore compris qu’il ne reverrait plus son papa.

Je me souviens de la réflexion de Julien, mon petit-fils, à la mort de sa grand-mère. Il a regardé ses parents en pleurs, et il a murmuré : « J’ai envie de pleurer, mais je ne sais pas. » – On a tôt fait d’apprendre.

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La PJ, sous Giscard (3)

PARTIE 11 – A la fin des années 1970, la décrépitude du clan Zemour est en marche. Le guet-apens du café Le Thélème y est sans doute pour beaucoup. Un an plus tard, le 13 septembre 1976, la mort du chef des Siciliens, Jean-Claude Vella, abattu à Paris, puis celle de Marcel Gauthier, revolvérisé à Nice, suffiront, semble-t-il, pour effacer l’ardoise. L’honneur est sauf, se disent les Zemour. Edgard s’installe en Floride et Gilbert s’embourgeoise dans les beaux quartiers parisiens. Pour eux, le châtiment interviendra plus tard. Les règlements de comptes entre truands ne sont pas terminés pour autant. Maintenant, c’est Gaétan Zampa et Francis Vanverberghe (Le Belge) qui font tonner la poudre. Dans les années 77 et 78, c’est une petite dizaine de voyous qui passent ainsi l’arme à gauche, tous dans le sud de la France. Cette hécatombe, c’est la goutte d’eau. Après l’affaire du Palais de la Méditerranée, le casse de la Société Générale et quelques autres tripatouillages politico-mafieux, en 1978, en pleine période estivale, Nice va s’enrichir d’une brigade antigang.

patrick-henry.1174227066.jpgPendant ce temps, Patrick Henry est jugé pour le meurtre du petit Philippe Bertrand. La plaiderie de Robert Badinter et la mazarinade qui entoure l’exécution de Christian Ranucci, deux ans et demi plus tôt, vont lui éviter la guillotine. En janvier 1979, il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il sera libéré vingt-deux ans plus tard. Il n’y aura d’ailleurs plus une seule exécution en France. Hamida Djandoubi, condamné pour tortures, viol et assassinat, est donc le dernier criminel à avoir été condamné à mort. Il a été guillotiné le 10 septembre 1977, à la prison des Baumettes, à Marseilles.

Le 19 mai 1978, les paras de la légion sautent sur Kolwezi, au Zaïre, afin de libérer des otages occidentaux détenus par des rebelles. Ce fait d’armes va sceller le destin d’un truand hors du commun, Bruno Sulak. Ce jeune homme, qui a sans doute choisi la légion pour ne pas tomber dans la délinquance, ne participe pas à cette opération militaire. Blessé dans son orgueil, il décide de ne pas rejoindre son régiment. Considéré comme déserteur, il va entamer une farandole de vols à main armée, dont certains seront mis en scène avec une certaine habilité, parfois teintée d’humour. Nous en reparlerons. Quelques mois plus tard, un terroriste palestinien prend plusieurs otages, à l’ambassade d’Irak, à Paris. La brigade criminelle, la BRI, et, très bizarrement, une toute jeune unité de la gendarmerie, le GIGN, se retrouvent sur place. Après de longues heures de négociation, le forcené accepte de se rendre. Broussard va le récupérer à l’intérieur de l’immeuble. Il le mène à une voiture où se trouve Ottavioli, le patron de la brigade criminelle. C’est alors que, depuis les étages de l’ambassade, une fusillade éclate. Les policiers ripostent. Tout ça sous l’objectif des caméras de télévision. Aux infos télévisées, on découvrira Broussard en train de se défiler, tandis que Pierre Ottavioli, figé sous les balles, reste droit comme le général de Gaulle, dans sa DS, lors de l’attentat du Petit-Clamart. Certains, par la suite, vont railler Broussard. Il s’en vexera. C’est pourtant lui qui avait raison. Lorsqu’il pleut du plomb, il vaut mieux se mettre à l’abri. C’est l’abc. Mais, hélas, dans cet échange de coups de feu, un policier a été tué, l’inspecteur Jacques Capella, et plusieurs autres ont été blessés. Les tireurs, tous protégés par l’immunité diplomatique, sortent « libres » des locaux de la brigade criminelle. Ils sont attendus, devant le 36, par une double haie de policiers en colère. Et l’on assiste à cette scène invraisemblable, où des tueurs sont protégés de la colère des flics par des gendarmes… Des gendarmes sur le ressort de la préfecture de police, lesquels participent à une opération de PJ, puis protègent des assassins de la vindicte des policiers, cela fait… deux premières, si je puis me permettre. Il faudra du temps pour dissiper le malaise né de ce déni de justice.

Cette même année, Giscard d’Estaing fait voter la loi informatique et libertés, qui vise à lutter contre l’utilisation abusive des fichiers informatiques.

Le 28 mars 1979, un arrêté modifie la direction centrale de la police judiciaire, et créé la sous-direction de la police criminelle et scientifique. Cette nouvelle structure chapeaute les laboratoires de police scientifique de Paris, Lille, Lyon, Marseille et Toulouse, ainsi que les services d’identification judiciaire et la documentation criminelle. Le mois suivant,corps-de-robert-boulin_les-secrets-de-notre-monde.1174233710.jpg un 19° SRPJ voir le jour, celui des Antilles et de la Guyane. En juin, Simone Veil devient le premier président du Parlement européen, dorénavant élu aux suffrages universels. Ce qui apporte de l’eau au moulin de Jacques Chirac, qui, six mois plus tôt, a lancé l’appel de Cochin. Lors de cette déclaration, il a qualifié l’UDF et les giscardiens de « partis de l’étranger », pour leurs prises de positions proeuropéennes. Le 30 octobre 1979, c’est un ancien résistant, opposé à Jacques Chirac, qui est retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet, dans les Yvelines. Il s’agit du ministre du travail, Robert Boulin, dont le nom circule alors pour remplacer Raymond Barre, à la tête du gouvernement. Le commissaire Alain Tourre, du SRPJ de Versailles, prend la direction de l’enquête. On a dit tout et son contraire sur la mort de Boulin, jusqu’à suspecter la véracité de l’enquête judiciaire. A posteriori, on se doute bien qu’un policier qui se serait laissé séduire par le chant des sirènes de la politique, au point de torpiller une enquête criminelle, se serait retrouvé ou préfet, ou en prison. Or, Tourre a fait une carrière normale – et bien en-deçà de son mérite. Il a fini contrôleur général. Et, il a conclu à un suicide. La cour de cassation confirmera d’ailleurs ce résultat, douze ans plus tard, après que la famille du ministre ait épuisé toutes les voies judiciaires pour démolir cette procédure. Le suicide est culpabilisant, pour ceux qui restent. Robert Boulin passait pour un homme intègre, ce qui est rare en politique, il n’a sans doute pas supporté que Le Canard Enchaîné publie une lettre anonyme qui l’accusait d’avoir acquis, dans des conditions douteuses, un terrain à Ramatuelle. Qui est l’auteur de cette lettre anonyme ? Pourquoi a-t-elle été publiée sous cette forme ? Qui aurait pu profiter des circonstances pour laisser planer le doute sur la véracité de son suicide ? Et pourquoi ? C’était une autre enquête. Qui n’a pas eu lieu. Le journal satirique croule d’ailleurs sous les tuyaux, puisque dans le même temps, il sort une information qui va couler Giscard d’Estaing aux élections suivantes : l’affaire des diamants. En 1973, un mois après que Jean-Bedel Bokassa soit débarqué de son trône d’empereur (sic) de Centre Afrique, il aurait offert à Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des finances, une plaquette de bijoux d’une valeur d’un million de francs. Giscard s’embarbouille dans ses explications. Il n’arrive pas à se justifier. Il ne s’en relèvera pas, avec le résultat que l’on connaît, en 1981.

Le 2 novembre 1979, Jacques Mesrine est abattu au volant de sa voiture, porte de Clignancourt, à Paris.

La création de la BRI de Nice – Nous étions une trentaine, assis en rond, par terre, dans une salle vide de tout mobilier. C’est ainsi que s’est tenue la première réunion de la un-groupe-de-la-bri-de-nice.1174235638.jpgbrigade antigang de Nice. Alors que nous discutions, j’observais ces hommes (et cette femme), qui allaient constituer cette brigade de choc. Ils venaient des quatre coins de France. Et, à l’exception de Marcel, un « vieux » de 47 ans, tout de suite surnommé Pépé, ils avaient tous entre 25 et 35 ans. Nous avions à notre disposition une caserne entière, désaffectée, dans le quartier Saint-Roch – et pas un bureau, pas une chaise. J’étais un peu découragé. Tout était à faire. Heureusement, mon adjoint, le commissaire Pierre Guiziou, se montra d’une efficacité certaine. C’était un homme de contact, qui avait le don pour se faire ouvrir les portes – alors que moi, je préférais les claquer. Nous étions complémentaires. L’une de nos premières grosses affaires nous mena à Paris. Une filature de mille kilomètres. Je crois que nous avons été les seuls flics capables d’effectuer ce genre d’exercice, à notre initiative, sans en référer à qui que ce soit. Les lascars que nous surveillions préparaient un coup, mais nous ne savions pas quoi. L’un d’eux, surnommé l’ingénieur, était un spécialiste des systèmes d’alarme. Une nuit, il avait réussi à pénétrer dans une agence bancaire, et il s’était endormi. Au petit matin, les employés l’avaient réveillé. Il avait simplement voulu démontrer l’inefficacité des protections de la banque. Six mois de prison. Il y a des gens qui n’ont pas le sens de l’humour. En fait, nos truands voulaient répliquer le casse du siècle. Et la filoche nous amena justement devant ladite banque, laquerry-rue-de-sevres.1174233256.jpg Société Générale de la rue de Sèvres, à Paris, là où notre ingénieur avait passé la nuit. En partant des caves d’un immeuble voisin, transformés pour les apparences en employés EDF, ils avaient imaginé percer un tunnel pour rejoindre les égouts et déboucher derrière le mur de la chambre forte de la banque. Lorsqu’on comprend enfin le scénario, on se congratule. C’est une superbe affaire, menée de A à Z par trente flics qui en veulent. L’ambiance se rafraîchit lorsque j’annonce qu’il va être temps de référer de notre aventure. Lucien Aimé-Blanc, le chef de l’OCRB, me reçoit gentiment, avant de me dire que tout son service est mobilisé sur le cas Mesrine. « Je te donne un gars, si tu veux, en observateur ! » me propose-t-il. Je décline l’offre. Et je passe de la rue du Faubourg-Saint-Honoré au quai des Orfèvres. Broussard me reçoit gentiment. Il me dit que tout son service est mobilisé sur le cas Mesrine. « Tu as combien d’hommes sur le terrain ? me demande-t-il. – Douze ! – J’en mets douze de plus. » Et les 24 poulets de la grande BRI de Paris, et de la toute jeune (et petite) BRI de Nice, se mettent à planquer de conserve. Jusqu’au jour où l’on s’aperçoit que nos voleurs ont sans doute vu trop grand. La lance thermique, qu’ils ont prévue pour transpercer le mur de la chambre forte, nécessite un recul de plusieurs mètres, pour ne pas fondre avec le béton. Ils risquent de ne pas avoir l’espace suffisant. On se dit qu’ils vont abandonner. Tout ce travail pour rien ! Alors, avec Broussardbroussard-et-moi.1174233155.jpg, et son adjoint, le commissaire René-Georges Querry, on décide d’intervenir, avant qu’ils ne plient les gaulles. Délit impossible, argueront plus tard les avocats. C’était un peu vrai. Ils écopèrent de peines gentillettes.

C’était la première fois que je descendais dans les égouts parisiens.

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