LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Actualité (Page 6 of 71)

Avocats et magistrats : tentative de rapprochement

Les avocats se plaignent de trouver toujours porte close lorsqu’ils souhaitent s’entretenir avec un magistrat. Normal, plaisante l’une d’entre eux, « si je laisse ma porte ouverte, cela coupe le chauffage ou la clim’, selon la saison ». D’autant, renchérit un second, que les consignes incendie dans le nouveau palais de justice de Paris interdisent de laisser une porte ouverte.

Pourtant, le dialogue était au rendez-vous lors des assises organisées par le barreau de Paris pour améliorer les « relations entre avocats, magistrats, greffiers et personnels de justice ». Une première ! C’était le 14 novembre dernier, au Palais des Congrès. Un service impeccable dans des salles à faire pâlir d’envie bien des enseignants. Et un buffet copieux… Trop peut-être, car finalement, les avocats ne se sont pas bousculés. Cela aurait pu ne pas se voir, car la presse n’était pas conviée, pourtant, Jean-Baptiste Jacquin, a du se faire petite souris, car il a rédigé un compte-rendu de ces assises sur le site du Monde (ici). Et d’après ses comptes, il y avait 70 magistrats, sur les 500 que comptent le tribunal et 400 avocats, sur les… 29 000 inscrits au barreau de Paris. Donc, petit réflexe arithmétique : 1 magistrat sur 7 avait fait le déplacement et 1 avocat sur 70 environ. Soit dix fois moins. Bien sûr, de nombreux avocats n’ont que des relations épisodiques avec la justice, mais cela pose quand même question.

Les débats ont été ouverts par Jean-Michel Hayat, qui vient de quitter ses fonctions de président du tribunal de grande instance de Paris pour les dorures de la cour d’appel. C’est lui qui a eu la lourde charge de mettre en place le tribunal des Batignolles – que de petits plaisantins ont surnommé le tribunal du grand-guignol. Mais en fait, les décisions ont été prises bien en amont, par ce truc que l’on appelle « l’administration ». C’est ainsi, dit le haut magistrat, qu’il a dû batailler pour que les avocats puissent circuler librement dans les dédales de la justice parisienne. Au départ, il était prévu que seuls quelques centaines d’entre eux aient un badge d’accès. Choisis sur quels critères, on ne sait pas ! Avouez qu’entraver l’accès à la justice à ceux qui sont en charge des droits de la défense et du principe du contradictoire est un peu fort de café !

Car on peut critiquer les avocats, mais c’est aujourd’hui le seul contact humain dans la chaîne judiciaire. Pour leur défense, les magistrats et les greffiers évoquent la surcharge de travail et des raisons de sécurité – un leitmotiv dans notre société. Continue reading

Toni Musulin lave-t-il plus blanc ?

Il y a quelques jours, Toni Musulin était interpellé à Londres alors qu’il changeait plusieurs dizaines de milliers de livres sterling. Interrogé sur l’origine de ces espèces, il a affirmé qu’il s’agissait du produit de la vente d’une voiture de luxe. Why not ! Mais quand même, le personnage est trop sulfureux pour ne pas envisager que cet argent provienne du vol pour lequel il a été condamné !

On se souvient, c’était en 2009, à Lyon. Ce jour de novembre, Musulin est au volant du fourgon de l’entreprise de transports de fonds Lommis, où il travaille depuis dix ans. C’est le milieu de la matinée, mais le véhicule est déjà bien chargé. Alors que ses deux collègues descendent pour procéder à un nouveau ramassage de liquidités, il disparaît avec le fourgon.

 

La suite est rocambolesque. Il aurait transféré, tout seul, 47 sacs de billets dans une camionnette, qu’il remise ensuite dans un box loué sous un nom d’emprunt, dans lequel il a aménagé une cache derrière un double mur, comportant une fente pour y glisser les billets, comme dans une tirelire. Mais, pris d’une soudaine fringale, il va s’acheter un pan-bagnat et, lorsqu’il revient, les flics sont là. Il prend la fuite. Après une dizaine de jours d’une mystérieuse cavale, il se constitue prisonnier à Monaco. Fin de l’histoire, à 2,5 millions d’euros près, que l’on n’a jamais retrouvés.

Pour Michel Neyret, l’ancien sous-chef de la PJ de Lyon, il ne fait aucun doute que Musulin a conservé cette partie du butin. Pour preuve, dit-il, on a retrouvé une empreinte à l’intérieur de l’un des emballages de billets retrouvés vides.

Toni Musulin a-t-il bâti un plan machiavélique ? Peut-on envisager qu’il ait anticipé son arrestation et accepté le principe d’un passage par la case prison, dans l’espoir de profiter ensuite en toute impunité des 20 % prélevés sur le butin ?

Tout cela au nom d’un principe vieux comme le droit, « Non bis in idem » : le voleur ne peut être receleur de son propre vol !

La cour de cassation parle d’ailleurs plus volontiers de « concours idéal d’infractions » : un même fait ne peut entraîner une double déclaration de culpabilité. Avec cependant de légers bémols : la nécessité d’une seule intention coupable et une imbrication entre les délits, l’un ne pouvant exister sans l’autre.

C’est typiquement le cas du recel. Mais pas celui du blanchiment…

Le blanchiment consiste à réinjecter dans le circuit économique des profits tirés d’actes illicites, pour les utiliser à des fins licites. Comme n’importe quel lave-linge, l’action se déroule en 3 phases :

  • Le prélavage, qui consiste à introduire des billets dans un business où les liquidités sont habituelles (casino, bar, restaurant, épicerie…)
  • Le lavage ou empilage, c’est-à-dire la répétition de ce type d’opération, pour mieux effacer les traces
  • L’essorage, qui lisse l’argent blanchi en l’investissant dans des opérations parfaitement légales

Même pas besoin de monter au paradis fiscal !

L’article 324-1 du code pénal définit le blanchiment comme étant le fait de faciliter la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus provenant d’un crime ou d’un délit, ou tout bonnement d’apporter son concours à cette régularisation de façade. La peine est de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.

Des peines qui peuvent être doublées lorsque les faits sont commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle (banquier, agent de change, avocat…).

Pour que les conditions de la répression soient réunies, il faut donc une infraction principale, qualifiée crime ou délit d’où proviennent les fonds à blanchir (que l’auteur des faits ait été condamné ou non) ; qu’il existe au moins l’un des deux éléments matériels évoqués ci-dessus et que le fautif agisse en connaissance de cause.

Il existe une certaine rivalité entre le délit de blanchiment et celui de recel, et le « blanchisseur » peut souvent être considéré comme un receleur. Il appartient au juge de choisir l’infraction qui convient le mieux mais, et c’est là où les choses deviennent intéressantes (enfin, pas pour tout le monde), si le voleur ne peut pas être receleur, il en va différemment en matière de blanchiment : les deux infractions sont distinctes et autonomes. Théoriquement, rien ne s’oppose donc à ce que le voleur soit poursuivi pour le blanchiment des biens qu’il a volés.

La Cour de cassation abonde dans ce sens, affirmant que « l’article 324-1 s’applique à l’auteur du blanchiment du produit d’une infraction qu’il a lui-même commise » (Crim. 20 fév. 2008, n° 07-82977).

La jurisprudence pousse donc à faire du blanchiment un délit autonome de son infraction principale…

Autrement dit, le voleur qui a payé sa dette à la société peut conserver le bien mal acquis, car le recel est la conséquence naturelle du vol. Mais si ce voleur cherche à s’en défaire, il y a de fortes probabilités qu’il soit poursuivi pour le blanchiment du bien qu’il a lui-même volé et, sans doute à l’issue d’une bataille  juridique, condamné.

Dans l’hypothèse où les livres sterling que Toni Musulin a fait briller dans un bureau de change londonien proviendraient indirectement des euros qu’il a dérobés à la Lommis, il aurait du souci à se faire ; surtout s’il rentre en France : nos juridictions sont compétentes pour des infractions commises à l’étranger dès lors que le vol a eu lieu sur le territoire (art. 113-2 du code pénal). Le dossier du nouveau  « casse du siècle » est loin d’être classé.

Pour paraphraser Montaigne, même sur une montagne d’or, on n’est jamais assis que sur son cul.

Vincent Lambert face à ses juges

C’est en retenant le droit à la vie comme la première des libertés individuelles que les trois magistrates qui formaient la cour d’appel de Paris ont estimé que la puissance publique avait outrepassé ses prérogatives en acceptant la procédure d’arrêt des soins de Vincent Lambert ; cela avant que le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU ne prenne une décision : Vincent Lambert est-il un malade en fin de vie qui a le droit de mourir ou une personne handicapée qu’il faut aider à vivre ?

En septembre 2008, cet homme, alors âgé de 32 ans, est victime d’un accident de la route qui le plonge dans un état végétatif chronique. Souffrant de troubles de la déglutition, il doit être alimenté et hydraté à l’aide d’une sonde introduite dans l’estomac, mais, bien qu’il soit paralysé des quatre membres, son cœur bat et il peut respirer sans l’assistance d’aucune machine. Les premières années, les médecins tentent d’établir une communication avec lui, puis ils y renoncent, incapables de déterminer si les réactions enregistrées tiennent du réflexe ou de la pensée.

Pour les parents de Vincent Lambert, ce doute persiste. Ils estiment que leur fils doit être considéré comme souffrant d’un « handicap cérébral sans comorbidités », c’est-à-dire sans coexistence d’autres troubles ou maladies, et que de ce fait l’État a une obligation de soins, conformément aux termes de la Convention internationale signée par la France et ratifiée en 2010. Et comme le juge administratif les a déboutés de tous leurs recours, ils plaident la voie de fait devant le juge judiciaire.

Dans le domaine du pénal, la voie de fait est une agression contre une personne sans contact physique ni blessure. Cela consiste le plus souvent à impressionner quelqu’un pour lui faire peur : éteindre la lumière, fermer une porte à clé, faire partir un pétard… Sauf élément aggravant, ce type d’infraction est punissable d’une amende contraventionnelle.

En droit administratif, il en va différemment.

La voie de fait consiste dans l’exécution irrégulière d’une décision administrative qui peut de ce fait être sanctionnée par le juge judiciaire, mais cela dans deux cas précis : une atteinte au droit de propriété ou une atteinte à une liberté individuelle. C’est ce dernier point qui est visé ici. Or, si l’article 66 de la Constitution énonce que l’autorité judiciaire est bien gardienne de la liberté individuelle, elle semble n’envisager la chose que sur le plan de la détention arbitraire. Une sorte d’habeas corpus à la française.

Du coup, les juristes sont montés au créneau contre la décision de la cour d’appel Continue reading

Le glissement vers une autre France

L’article 3 de la loi anti-manif, accordant à l’autorité administrative le droit d’interdire à une personne de manifester, a été censuré.  Tout en s’appuyant sur l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme », le Conseil constitutionnel s’est livré à un exercice d’équilibrisme qui ne ferme pas la porte à un nouvel essai. À l’évidence, nos valeurs changent.

Comme pourrait dire le député Éric Ciotti, qu’est-ce que c’est que ce pays qui fonde sa constitution sur des textes révolutionnaires !

« Je suis consterné », a déclaré sur BFM le secrétaire national du syndicat de police Alliance Île-de-France, non pas, comme on pourrait le croire, par la tentative de violation de la Constitution par le gouvernement et une majorité de parlementaires,  mais par le refus des Sages de la rue de Montpensier de franchir un pas décisif, au risque de s’asseoir sur notre passé et de flétrir l’image de la France aux yeux de nos concitoyens européens. « La liberté du plus grand nombre n’est pas respectée », a asséné d’un ton péremptoire le responsable de ce syndicat de police très représentatif.

Heureusement pour le corps, d’autres syndicats, comme UNSA Police, ont pris des positions différentes, rappelant qu’il existait suffisamment de lois pour punir les actes délictuels lors des manifestations et que « l’interdiction de manifester ne peut pas être une mesure administrative ».

Liberté des uns contre liberté des autres, il y a matière à faire fonctionner nos petites cellules grises, chères à Hercule Poirot, et à philosopher sur la réflexion de Nelson Mandela, Prix Nobel de la paix après 27 ans d’emprisonnement : « Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté. » Continue reading

Gilets jaunes et ménage de printemps à la PP

Pour masquer son incapacité à régler politiquement un problème de société, le gouvernement a décidé d’étêter la préfecture de police de Paris, en commençant par le préfet, Michel Delpuech, dit Louis XIV (on n’est pas à deux Louis près). Et dans la corbeille, ces prochaines semaines, les têtes risquent de s’entasser, car c’est bien la PP qui est dans le collimateur. Approche l’aube des boucs commissaires !

D’après Le Canard enchaîné, pour se dédouaner, Delpuech aurait proposé au Premier ministre, pour les manifs à venir, des mesures de quasi-guerre civile : état d’urgence (l’état de siège, c’est pour plus tard) interdiction de manifester dans la capitale, couvre-feu, fermeture des bouches de métro, etc. Des trucs aberrants, mais qui, en grattant bien, peuvent néanmoins trouver une base légale. Ce qui n’est pas toujours le cas des instructions données aux forces de l’ordre ces dernières semaines.

Pour Édouard Philippe, la raison du pataquès de samedi dernier tient au fait que la stratégie adoptée par le gouvernement n’a pas été correctement exécutée. « Il y a eu des dysfonctionnements », a-t-il souligné, faisant notamment référence au fait que les policiers et les gendarmes ont reçu des munitions moins puissantes (en fait les munitions préconisées par le fabricant) pour garnir les lanceurs de balle de défense et aussi pour en limiter leur usage. Pas un mot de reproche au ministre de l’Intérieur, responsable en droit du maintien de l’ordre public. Ni la moindre interrogation sur l’état d’esprit des CRS et des gendarmes mobiles.

On entend tout à propos de ces manifestations hebdomadaires et de cette arme, le LBD 40 : ceux qui disent « Faut tirer dans le tas ! » et ceux qui implorent « Arrêtez le massacre ! ». Mais la crainte des gens de métier, c’est de voir demain un gilet jaune pépère tué par les forces de l’ordre. Et il y a des voix qui s’élèvent dans la police (pas assez je trouve), pour dire qu’il serait temps pour ceux qui nous rabâchent que la France est un État de droit de mettre leurs instructions en adéquation avec leurs allégations. Christophe Castaner devrait prendre à son compte ce précepte républicain : dans une manifestation politique, il n’y a pas d’ennemis à combattre, mais des Français à convaincre ; plutôt que de s’exposer à un sobriquet en prônant la castagne.

En attendant, certains font de la résistance passive, comme ces OPJ d’un commissariat parisien cités par Mediapart, qui renâclent à effectuer les gardes à vue d’opérette prescrites par leur hiérarchie, des gardes à vue qui ressemblent à s’y méprendre à des arrestations administratives. Et ils n’ont pas tort, car, quelles que soient les instructions, chaque policier, chaque gendarme, est responsable personnellement de ses actes. Que ce soit en mordant les lignes du code de procédure pénale ou en dénaturant l’usage de la force légitime.

Pour s’en convaincre, ils n’y a qu’à ouvrir le code de déontologie.

Celui-ci rappelle le devoir d’obéissance « sauf dans le cas où Continue reading

Un livre qui nous rappelle le temps où l’on tuait les terroristes

En refermant le livre de Georges Salinas, Le Chat d’Oran, qui nous entraîne dans la lutte contre le terrorisme au début des années 1960, je me suis interrogé : peut-on comparer le terrorisme lié au conflit algérien à la période actuelle ? La réponse est évidemment négative, mais cette expérience désastreuse, qui a mené la France au bord de la guerre civile, devrait au moins nous inciter à ne pas commettre les mêmes erreurs.

Georges Salinas, Librairie Fontaine Haussmann, le 21 février 2019

Antoine Delarocha, le héros, est flic au CRA d’Oran (Centre de renseignement et d’action). Et il tente de faire son boulot de flic, dans des conditions qu’aucun policier aujourd’hui n’oserait envisager. Au début du roman, Delarocha planque sur un ancien militaire qui a rallié le FLN. « Désormais fellagha en cavale, Ahmed Benjelloul était un ancien béret rouge : il avait servi pendant dix ans dans l’armée française, chez les parachutistes », dit-il, alors qu’il s’apprête à lui mettre la main au collet. Mais, évidemment, rien ne se passe comme prévu. Ce face à face de deux hommes, l’indépendantiste et le pied-noir, chacun enfermé dans ses certitudes, c’est le fil de l’histoire.

Salinas n’a pas connu cette époque, il était à peine né, il se fie donc aux souvenirs de son père (Le Chat d’Oran, c’est un peu lui) pour recréer l’ambiance de police de ces années noires. Il nous fait vivre les enquêtes et les filatures à l’ancienne : peu de personnels, peu de moyens et surtout pas de smartphone pour demander des instructions. Tout au mieux des radios portables de la taille d’une bouteille d’eau 2XL. Une fois sur le terrain, c’est l’initiative personnelle qui joue, et aussi l’expérience, et parfois le talent. Mais l’expérience, c’est aussi d’avoir au fond d’une poche le jeton de téléphone qui permettra d’établir une liaison avec son service. L’ancien monde, quoi !

C’était il y a maintenant plus d’un demi-siècle. La France, des deux côtés de la Méditerranée, comptait chaque jour ses morts, alors que l’on nous parlait de « pacification » et de « maintien de l’ordre ». Le mot « guerre », rabâché aujourd’hui, étant alors tabou.

Le plus souvent, les images de cette époque qui nous reviennent en mémoire sont celles de militaires bardés de décorations haranguant les foules du haut de leur balcon Continue reading

Benalla au pays des Soviets

En publiant l’enregistrement de conversations privées entre Alexandre Benalla et Vincent Crase, on peut dire que Mediapart a sérieusement relancé une affaire qui commençait à s’essouffler : d’un seul coup Benalla n’est pas seulement le petit coq prétentieux qui se la faisait belle à l’ombre de son seigneur, mais il devient suspect d’acoquinement avec un membre influent de l’oligarchie russe, des faits qui pourraient porter atteinte peut-être pas à la sûreté de l’État, mais pour le moins à sa diplomatie.

Pour l’instant, on ne sait pas qui a effectué ces enregistrements, mais il semble admis que la conversation piratée se soit tenue au domicile parisien de la responsable de la sécurité du Premier ministre et de son conjoint. Il y a donc dans cette affaire au moins une quasi-certitude : ce ne sont pas les journalistes de Mediapart qui ont joué aux apprentis-espions ! Mais en rendant public l’enregistrement clandestin d’une conversation privée, le journal numérique s’est néanmoins rendu coupable du délit prévu à l’article 226-2 du code pénal, lequel est punissable d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

On peut donc dire qu’Edwy Plenel, président et directeur de la publication, a pris un risque pour assurer l’information de ses lecteurs !

Mais de ce fait, contrairement à ce que l’on a pu lire ici ou là, et bien que ce soit plutôt inhabituel dans ce type d’affaires, le procureur de Paris était légitime à ouvrir une enquête, même en l’absence de plainte, puisque le délit était public.

Quand je pense à tous ces gens, ces victimes, qui attendent des mois et des mois des nouvelles de leur plainte, avant de s’entendre dire : affaire classée ! Et encore, ceux-là font partie des chanceux, pour les autres, c’est l’oubli, le néant, leur dossier s’est définitivement perdu dans le « lacis inextricable de la procédure », comme dirait Balzac.

L’ABC d’une enquête, tous les flics vous le diront, c’est de commencer par le début  Continue reading

Procès pour viol au 36 : deux accusés anonymisés

Dans le procès qui se tient actuellement devant la cour d’assises de Paris, deux policiers sont accusés d’avoir violé une touriste canadienne dans les locaux de la prestigieuse brigade antigang. Ne cherchez pas leur nom, car la presse dans son ensemble ne cite que leur prénom : Nicolas R. et Antoine Q. Et sans doute, pour ne pas paraître iniques, nombre de journalistes désignent également la victime par son prénom : Émily S.

Ce n’est pas la doctrine retenue par LeMonde.fr. Dans son article du 12 janvier 2019, Henri Seckel donne l’identité de la victime, partie civile au procès, et dit à propos des accusés, comme pour se justifier : « Nous anonymisons les fonctionnaires de police en vertu de l’arrêté du 7 avril 2011 relatif au respect de l’anonymat de certains policiers et gendarmes, mais pas la partie civile, qui s’est exprimée publiquement et à visage découvert sur l’affaire dans les médias… » – Et de mettre un lien sur le site d’un quotidien canadien rédigé en anglais dans lequel cette personne a répondu à une interview.

J’imagine, peut-être à tort, une « conf de rédac » animée… Qu’est-ce qu’on fait, chef ?

D’autant que sur le journal papier du quotidien du soir, la justification a sauté : la victime est citée, les accusés sont anonymes.

Donc pour tenter de comprendre le raisonnement du Monde, et de la presse en général, il faut se référer à un arrêté de 2011, pris par Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, qui abroge l’arrêté de 2008 de Michèle Alliot-Marie, qui abroge l’arrêté de 1995 de Charles Pasqua.

Comme le temps passe…

Dans cet arrêté de 2011, il est dit qu’en application de l’article 39 sexies (si, si !) de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 « Les services et unités dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité […] le respect de l’anonymat des fonctionnaires et des militaires qui y servent […] figurent en annexe. »

Bizarrement d’ailleurs, la BRI de la préfecture de police ne figure plus dans la liste annexée, elle a été remplacée par son émanation, la BAC (brigade anti-commando).

Mais ne pinaillons pas… Continue reading

À la recherche d’un maintien de l‘ordre républicain

Dans son discours de fin d’année, le président Macron s’est montré menaçant, stigmatisant les Gilets jaunes et affirmant que l’ordre républicain serait assuré « sans complaisance ». Une réflexion qui a fait réagir pas mal de policiers, dont ceux du syndicat contestataire (et contesté) « France Police – Policiers en colère » qui rappelle que depuis le 17 novembre, « plusieurs manifestants pacifiques ont été probablement mutilés par nos LBD [lanceurs de balles de défense] et nos grenades de désencerclement ». Et les syndicalistes de s’interroger pour savoir ce que les policiers doivent faire de plus pour être moins complaisants avec les Gilets jaunes !

Charpentier, 1957

Il faut reconnaître que dans notre pays, un tel usage de la force et des armes pour disperser des manifestants nous ramène loin en arrière.

Si au temps d’une vie notre mètre étalon est Mai-68, le préfet de police, le ministre de l’Intérieur et autres, devraient relire (ou lire) la lettre individuelle que le préfet de police Maurice Grimaud, adressa à chacun des policiers parisiens, quel que soit son grade, près d’un mois après le début des manifestations : « … Je veux parler d’un sujet que nous n’avons pas le droit de passer sous silence : c’est celui des excès dans l’emploi de la force. » Dans ce courrier, tout en se montrant solidaire de « ses » hommes, il a le courage de leur dire que la réputation de la police – notre réputation, écrit-il – est en jeu : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. » Mais Grimaud ne s’est pas contenté d’écrire, bien calé dans son fauteuil de cuir, en regardant depuis sa fenêtre Paris s’enfiévrer. Non, chaque jour, il était sur le terrain, sillonnant les rues de la capitale, seul, sans garde du corps, au volant de sa 4 L banalisée, parlant avec les uns, avec les autres. Et ses commissaires l’ont imité : ils sont allés dialoguer. « Une manifestation dans laquelle on a pu établir des contacts se passe infiniment mieux que celle où l’on va comme sur un champ de bataille », dira-t-il, quarante ans plus tard.
La stratégie utilisée lors des manifestations de Mai-68 dans la capitale a assis la réputation de la police française dans le monde entier.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Un autre préfet avant lui, Louis Lépine, avait tenté de faire entrer dans les mœurs un maintien de l’ordre apaisé en tentant de répondre à cette gageure : tenir la rue contre les « trublions » tout en respectant le droit de chacun à manifester sans risque pour sa vie. Continue reading

Gilets jaunes : manifestants, trublions ou révolutionnaires ?

Pour la première fois depuis longtemps, la France connaît un mouvement populaire, spontané, sans arrière-pensée politicienne, juste pour dire : « Ça ira ! » En manifestant ainsi, en dehors des clous, les Gilets jaunes prennent des risques : le risque d’un mauvais coup ou d’une bouffée de lacrymogène, mais surtout celui d’être confrontés à une législation qui dénature le droit de manifester ses opinions, notamment en créant une responsabilité collective qui tient plus de la loterie que de la justice.

En fait, nous dit l’article 431-3 du code pénal, tout rassemblement sur la voie publique susceptible de troubler l’ordre public devient un attroupement. Et le code de la sécurité intérieure (art. 211-9) rappelle qu’un attroupement peut être dispersé par la force après deux sommations de l’autorité compétente. Le manifestant qui n’obtempérerait pas, risquerait, d’abord de subir des « violences légitimes », et/ou un an de prison, trois s’il a le visage masqué, et même cinq s’il est porteur d’une arme par nature ou par destination.

Pourtant, à l’issue de la manifestation de samedi dernier sur les Champs-Élysées, une vingtaine de personnes se sont retrouvées devant la 23° chambre correctionnelle de Paris, celle des comparutions immédiates, non pour délit d’attroupement mais pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations ». Il leur a donc été appliqué la loi « anti-bande » du 2 mars 2010, indigne héritière de la loi anti-casseurs des années post soixante-huitarde. Lors de la discussion de cette dernière, à l’Assemblée nationale, le député Mitterrand avait dit : « Cette loi est dangereuse parce qu’elle altère gravement le droit de rassemblement. »

Sa remplaçante ne vaut pas mieux. Elle est d’ailleurs sévèrement critiquée par les juristes, qui considèrent qu’il s’agit là d’un droit flou et dérogatoire : l’association de malfaiteurs du pauvre, en quelque sorte. Sous prétexte de protéger les citoyens des violences de groupes, disait en 2009 le Syndicat de la magistrature, « ce texte contribuera à pénaliser à la fois les plus démunis et ceux, militants et citoyens, qui veulent agir ensemble pour faire connaître leurs droits ».

On est en plein dedans. Continue reading

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