LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Actualité (Page 50 of 71)

Une femme caméléon

« La créature politique Rachida Dati, ses aventures, ses succès, ses échecs sont en fait le miroir d’une certaine conception de la politique, celle de Nicolas Sarkozy. Tout est spectacle, rien n’est tabou… ». C’est un peu la clé du livre Du rimmel et des larmes, au Seuil.

jacqueline-remy.1245676753.jpgSon auteur, Jacqueline Remy, qui à la différence de la garde des Sceaux semble ne pas trop aimer les photographes, nous aide à comprendre pourquoi cette femme qui prétendait illustrer la méritocratie française est aujourd’hui tant dénigrée. Et l’on s’interroge sur le comportement de certains « grands de ce monde » qui se sont pliés à ses lubies ! Au fil des pages, il est étonnant de suivre son parcours. Quelle fougue et quelle persévérance pour se sortir de son milieu social ! On a l’impression que rien ne lui est impossible. Si une porte se ferme, elle entre par la fenêtre.

Ainsi, en 1988, elle vient d’être inscrite à Paris-II Assas. La plupart des étudiants se seraient jetés sur les petites annonces, à la recherche de la chambre de bonne providentielle. Pas elle. Elle appelle Paul Bata, ancien spécialiste du Maghreb pour Le Monde, et elle lui demande s’il peut l’aider à se loger. Or, il ne l’a rencontrée qu’une seule fois. À l’issue d’une conférence qu’il avait donnée, elle s’était approchée pour lui dire combien elle appréciait ses articles. Finalement, avec l’accord de sa famille, il va l’héberger pendant un an…

Rachida Dati a dû lire le livre de Dale Carnegie Comment se faire des amis. Elle joue sur la pauvreté, la jeunesse, l’inexpérience, ses origines…, et surtout sur son sourire – et elle obtient tout ce qu’elle veut. Et en quelques années, la jeune femme possède un carnet d’adresses où se bousculent le monde de la politique, celui du CAC 40 et de la presse.

Mais en fait, il semble bien que sa vie soit en trompe-l’œil. Elle s’adapte à ses interlocuteurs. Dati pourrait être l’héroïne de l’ancienne série américaine Le Caméléon. Et elle cache sa véritable personnalité. Connaissez-vous beaucoup de gens qui devant le maire bafouillent sans finalement parvenir à prononcer le « oui » traditionnel ? Ou des femmes qui entretiennent la rumeur sur l’identité du père de leur enfant ?

Jacqueline Remy m’a raconté que plusieurs personnes qu’elle avait rencontrées lors de son enquête s’étaient confiées sous le sceau du secret. Ils avaient peur de Rachida Dati, impression résumée dans une formule souvent répétée : Elle n’a aucune limite… du-rimmel-et-des-larmes.1245677027.jpg

C’est dit-on l’une des caractéristiques des décideurs !

Mais ce qu’on retient de son enquête ce n’est pas le personnage politique, mais le portrait d’une femme surprenante, insolite, attachante et agaçante. En fait un véritable personnage de roman, dans un livre d’ailleurs écrit comme un roman.

Ça remue-ménage à l’Intérieur.

Il y a quelques dizaines d’années, on faisait des courses de bateaux en papier dans les gouttières de la rue des Saussaies. Je suppose que ce genre de facéties n’est plus de mise au ministère de l’Intérieur, où l’on ne doit pas rire tous les jours. A tel point que je me demande si l’on joue encore à qui-s’en-va-qui-arrive…

requin-malin.jpgEn tout cas, une question est sur toutes les lèvres : va-t-Elle partir ?

Pas sûr, disent certains, tandis que d’autres, plus nombreux, vous susurrent dans le creux de l’oreille (pas au téléphone, hein !) que son bilan est en demi-teinte, qu’elle a mal géré l’affaire du fichier Edvige, qu’elle a un peu traîné des pieds sur l’intégration de la gendarmerie et encore plus sur le projet du Grand Paris. Et surtout que le Sarko en a ras les pâquerettes de la MAM…

Que des mauvaises langues, je vous dis ! Feraient mieux de faire des bateaux en papier !

Oui, mais n’empêche, si elle partait, qui la remplacerait ? Là, ça se bouscule. Mes informateurs estiment qu’Estrosi tient la corde, surtout si la place Beauvau est coupée en deux. Mouais, sauf que par un curieux concours de circonstances, deux syndicats de police (droite et gauche) de sa belle ville de Nice viennent de le tacler sérieusement. S’agirait-il d’une sorte de message subliminale pour dire que dans la police, on n’en veut pas ? Avec son flegme habituel, le procureur Montgolfier en a rajouté une couche. En deux phrases, il a carbonisé le projet anti-bandes de son maire.  A mon avis, n’est pas près d’être au tableau d’avancement, le proc. Mais comme il dit : l’indépendance à un prix. Entre nous, je crois qu’il se complaît dans son rôle de martyr…

Christian Estrosi a été plusieurs fois champion de France de moto et lui-même, dit-on, revendique le titre de « motardidacte ». Ce qui le rend plutôt sympa. Mais en revanche, son côté va-t-en-guerre fait un peu peur. On se souvient de cette réflexion à l’emporte-pièce devant les ministres de l’Intérieur des vingt-sept : « Les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance. » Et il serait déplacé de rappeler qu’en 1993, tout jeune député, il a déposé une proposition de loi afin de rétablir la peine de mort pour certains crimes… devise-site-estrosi.1245394487.jpg

Cela n’a rien à voir, mais sur son site on peut lire cette devise :

Mais Estrsoi n’est pas seul dans les starting-blocks, l’air de rien, Bauer fait du porte-à-porte. Avec le doigté acquis dans une vie antérieure et plus confraternelle, il laisse entendre ici ou là qu’il lui serait bien plus facile de mettre ses idées en application s’il était en prise directe avec le pouvoir. Et des idées, le bonhomme, il n’en manque pas, ne serait-ce que pour combattre l’ultra-gauche.

Pourtant, je n’ai pas vu son nom sur la liste des invités au débat organisé à l’Assemblée nationale, le 30 juin prochain, sur le thème : « Quelle stratégie de sécurité intérieure pour lutter contre le terrorisme ? ». Réunion placée sous le « haut patronage » du président de la République et dirigée par… Christian Estrosi. C’est lui qui ouvrira la séance avant de passer la parole – pour 15 minutes – à la ministre de l’Intérieur (le spectacle est gratuit, mais pour le déjeuner il faut signer un chèque de 80€).

Et puis, il y a les noms qui ne circulent pas, comme le préfet Gaudin, qu’on pourrait ainsi récompenser d’avoir bataillé pour mettre en place le Grand Paris. Évidemment, dans cette hypothèse, la place vacante de super préfet de police en ferait baver plus d’un et entraînerait sine die (non Siné, je parle pas de toi) un gentil jeu de chaises musicales… Que deviendrait Péchenard, l’actuel DG de la police nationale, qui vient d’être nommé préfet hors cadre « chargé d’une mission de service public relevant du Gouvernement » ? Ou Monteil, nommée préfet l’année dernière, qui représente le préfet de police dans ses fonctions de chef de la zone de défense de la région Ile-de-France ?

Mais je me mets à sa place, la vraie question que doit se poser le Président, c’est de savoir quoi faire de MAM ! Car, malgré deux ministères difficiles, la bougresse est encore populaire – plus que lui. Le baromètre politique IPSOS du 13 octobre 2008 lui accorde 51 % de satisfaits. Ce serait la 8e personnalité politique préférée des Français (droite et gauche confondue), et la 5e au sein du gouvernement.
Et elle continue d’animer le mouvement gaulliste Le Chêne, dont le site affirme qu’ « autour de Michèle Alliot-Marie, Le Chêne souhaite contribuer au passage d’une société de défiance à une société de confiance, en plaçant l’Homme au cœur de la décision politique ».

Un joli programme à une époque où les plus grands de ce monde semblent tout faire pour nous transmettre leurs virus anxiogènes.

Alors, laisser la dame sur le carreau à mi-parcours d’une présidentielle, c’est un peu comme ouvrir la porte du chenil. Non, non, il vaut mieux lui donner un os à ronger. Tiens, pourquoi pas la Justice ? Après tout, elle est avocate !

Bon, j’ai l’air de Le conseiller, mais je ne suis pas sûr qu’Il lise mes propos. Dommage, car je Lui aurais bien demandé quel est le plan d’ensemble de toutes ces réformes qui chamboulent la justice, la police et la gendarmerie… Car il y a forcément un bizness-plan derrière tout ça, comme on dit entre gens du CAC.

Mais mes copains du p’tit café, loustal-dans-touriste-de-bananes-de-georges-simenon.1245338001.jpglà où j’ai rencontré mes sources, eux, ils se demandent pourquoi on nous ressert la sécurité en plat de résistance alors que le déficit de la France devient abyssal, que le chômage explose, que les caisses de retraite n’arrivent plus à faire leur fin de mois et que la sécu est dans le rouge que plus rouge tu meurs…

Moi, je leur ai dit franco : Vous feriez mieux de vous taire ou de fermer votre gueule, car vous savez même pas ce qu’est bon pour vous !

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Commentaire supposé des journalistes du Monde.fr : l’auteur de ce blog a besoin de vacances…

L'essor de la police municipale

Le maire de Franconville, dans le Val-d’Oise, veut pourchasser les dealers et pour cela il souhaite que sa police soit équipée de Flash-ball. Cette volonté affichée d’empiéter sur le domaine de la police nationale amène à s’interroger sur les missions de la police municipale et sur son armement.

operation-tranquillite_prefecture_hautrhin.pngTraditionnellement (loi du 5 avril 1884) le maire est chargé d’une mission de police administrative qui vise à assurer le « bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». Les agents de la police municipale (PM) possèdent donc des pouvoirs de prévention et de surveillance. Ils sont également chargés de veiller à la bonne exécution des arrêtés du maire. Mais leurs missions ont évolué ces dernières années, notamment en leur attribuant de nouvelles compétences en matière de police judiciaire afin de lutter contre la petite délinquance. Celle qui est palpable au quotidien.

En mettant sur le terrain une police physiquement présente, le maire tente donc de créer un facteur de sécurisation ou du moins « de diminution du sentiment d’insécurité ». Ce qui répond à une demande de sécurité de plus en plus forte de la part des administrés et vient sans doute combler un vide laissé par la police ou la gendarmerie.

Ces agents municipaux, longtemps toisés de haut par leurs collègues nationaux, ont à présent le vent en poupe, avec une volonté affichée de gommer au plus vite les différences. Pour exemple la guéguerre sur l’uniforme : Alors que le ministre de l’Intérieur souhaitait qu’il soit vert, afin de le distinguer du bleu de la police nationale, les syndicats ont insisté pour qu’il soit bleu, « symbole de l’autorité ». Et quoique cela soit en contradiction avec l’esprit de la loi qui voulait justement éviter toute confusion, ils ont obtenu gain de cause.

Rappelons que les agents de la PM sont nommés par le maire et doivent être agréés par le préfet (police administrative) et le procureur de la République (police judiciaire). Ils sont compétents sur le ressort de leur commune ou, éventuellement, des communes limitrophes. Même si l’expression « policiers intercommunaux » n’est pas encore consacrée, une police comptétente sur plusieurs communes est sans doute pour demain.

Les policiers municipaux ont le pouvoir de verbaliser dans divers domaines (arrêtés du maire, contrôles routiers, chien dangereux…) et ils peuvent alors recueillir l’identité du contrevenant. En cas de refus de ce dernier, ils en informent un OPJ, seul compétent pour effectuer un véritable contrôle d’identité.

C’est un décret du 24 mars 2000 qui a défini les conditions d’armement des agents de la PM, mettant fin à la possibilité pour ceux-ci d’acquérir et de détenir une arme pour « les besoins du service ». Différents textes lui ont succédé. Aujourd’hui, l’autorisation de porter une arme est accordée par le préfet sur demande (motivée) du maire. Il faut deux conditions : l’existence d’une convention de coordination qui fixe en quelques sortes les règles d’interventions entre la PM, la police et la gendarmerie ; et une justification en fonction des missions attribuées à l’agent. Car cette autorisation est nominative. Elle s’applique à des armes de 4°, 6° ou 7° catégorie : revolver 38 spécial ou pistolet 7,65, bâton de défense ou tonfa, générateur aérosol…

Un décret de 2007 a renforcé les conditions d’entraînement au maniement de l’arme. À noter que les policiers municipaux ne sont autorisés à porter une arme que dans l’exercice de leurs fonctions.  À la fin du service, celle-ci doit réintégrer un coffre-fort ou une armoire forte du poste de police municipale.

Alors pour en revenir à la décision de Francis Delattre, le maire (UMP) de Franconville, de pourchasser les dealers, on peut se poser deux questions :
1) S’agit-il d’une mission de police municipale ?
2) Le Flash-ball est-il adapté aux policiers municipaux ?

À la lecture des textes, on peut dire qu’aujourd’hui encore il appartient à la police nationale ou à la gendarmerie de faire des enquêtes ou des surveillances dans le but d’interpeller des délinquants.  Ce n’est donc pas dans les cordes de la PM et le maire de Franconville se fourvoie lorsqu’il décide de s’attaquer aux dealers – à moins qu’il ne fasse de la provoc pour obtenir des effectifs supplémentaires de la part du ministère de l’Intérieur…

Quant au Flash-ball, il faut reconnaître que sa dotation en PM semblerait plus justifiée que le Taser. Car il s’agit d’une arme de défense qui peut permettre à un agent municipal de se sortir sans trop de risque d’une mauvaise passe. Ce n’est pas le cas du Taser. En effet, ce pistolet électrique n’est pas réellement une arme mais plutôt un « outil » destiné à neutraliser un individu dangereux avant son arrestation. Ce qui n’entre pas dans les missions habituelles de la PM.

Pour extrapoler sur cette requête de la commune de Franconville, puisque l’arme est liée à la mission, si le préfet accorde l’autorisation du Flash-ball, il entérine du même coup l’action du maire et il fait donc évoluer la police municipale (dans son ensemble) vers de nouvelles missions…

Ce qui est peut-être un objectif à moyen terme, avec en ligne de mire une diminution des effectifs de la police et de la gendarmerie.

Dans un bilan, je crois qu’on appelle ça un transfert de charges.

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Remerciements à Laurent Opsomer pour sa documentation.

Gendarmerie : une histoire belge

Un syndicat de police* a lancé une pétition pour une parité police-gendarmerie, mais la ministre de l’Intérieur l’a affirmé de nouveau jeudi dernier : « Il n’est pas question de toucher au statut militaire des gendarmes (…) Il n’est police-de-demain_blog_1mdl.jpgpas question d’une fusion entre la police et la gendarmerie… » Et dans le même temps, elle a regretté que « pour des raisons de calendrier » la loi sur le rattachement de la gendarmerie à son ministère n’ait pas été votée plus tôt par le Parlement (alors que les sénateurs se sont prononcés selon la procédure d’urgence en… décembre 2008)**.

Cependant, les choses étant ce qu’elles sont, je me suis dit qu’il pouvait être intéressant de lorgner un peu chez nos voisins belges – pays où la gendarmerie a fait les frais d’une réforme des services chargés de la sécurité. Ce qui représente, il faut le noter au passage, une sacrée entorse aux traditions, car la gendarmerie belge avait plus de deux siècles d’existence. Créée lors de l’annexion de la Belgique par la France, en 1795, elle était donc antérieure au pays tel qu’on le connaît aujourd’hui.

On dit que cette disparition est la conséquence des ratés de l’enquête sur l’affaire Dutroux.  En fait, on peut se demander si ce n’était pas la goutte d’eau (ou le prétexte) pour tenter de mettre un point final à une réforme déjà entamée.

Avant, il existait trois entités différentes :
– les polices communales, placées sous l’autorité des bourgmestres
– la gendarmerie
– la police judiciaire, plus ou moins rattachée aux magistrats.

J’ai demandé à Jean-Paul Wuyts, commissaire divisionnaire de la police fédérale belge, de nous commenter cette réforme. Voici ce qu’il en pense :

« Dans les années 70, malgré les critiques commissaire-wuyts.1244981436.jpgpersistantes, notamment sur les méthodes de maintien de l’ordre lors des grèves d’envergure, malgré plusieurs déclarations gouvernementales, malgré l’installation de groupes de travail et de commissions, la Gendarmerie poursuit son expansion à un point tel que les médias n’hésitent pas à parler d’un État dans l’État, allant même jusqu’à évoquer des rumeurs d’un possible coup d’État.

« En 1973, une nouvelle loi relative au statut du personnel est votée : réorganisation du service, limitation de la durée du temps de travail, réformes de la formation, plus d’indépendance fonctionnelle vis-à-vis de l’armée. Mais les gendarmes restent soumis aux lois et règlements militaires.

« En 1978, pour la première fois, une représentation syndicale est reconnue, mais elle reste corporatiste et limitée.

« Au début des années 80, les effectifs atteignent les 18.000 hommes (…) Les syndicats sont de plus en plus actifs. Ils protestent contre les conditions de travail et contre le caractère militaire de l’institution. »

Finalement, une loi de juillet 1991 transfère la gestion de la gendarmerie du Ministère de la Défense au Ministère de l’Intérieur.

« La Gendarmerie est démilitarisée, estime Jean-Paul Wuytz, bien que ce terme ne soit pas utilisé dans les textes officiels afin de ménager la susceptibilité de certains officiers supérieurs… »

Les syndicats sont représentés mais la grève demeure interdite et l’obligation de neutralité politique est également maintenue. Seuls sont reconnus les syndicats catégoriels exclusivement composés de gendarmes. Néanmoins, malgré tous ces changements, la hiérarchie verticale subsiste, ainsi que les grades militaires.

À la suite de l’affaire Dutroux, une commission d’enquête parlementaire convoque tous les protagonistes. Les séances sont retransmises en direct à la télévision. Voici ce qu’en dit sur son blog un ancien gendarme belge (maintenant policier) : « Je me souviens avoir passé des soirées et des nuits entières à les regarder. Mon unité est pointée du doigt, c’est pesant de vivre dans une telle ambiance. Cependant, je n’ai jamais mis en doute la compétence et le professionnalisme de mes collègues et chefs qui ont travaillé sur cette enquête (…) En conclusion de ce show médiatique, les commissaires se prononcent ouvertement pour la mise en place d’une nouvelle structure policière, en annonçant une intégration au niveau fédéral des trois corps de police et toute une série de services spécialisés. »

Le 7 décembre 1998, c’est le grand chambardement. Il est créé une nouvelle police sur deux niveaux : un niveau fédéral (la Belgique est un état fédéral) et un niveau local (avec 196 zones de police).

En mars 1999, les gendarmes expriment leur mécontentement dans des manifestations publiques.
manif-gendarmes-belges-19-mars-99_blog_1mdl.1244981559.jpgLa gendarmerie est officiellement dissoute en 2001 pour être intégrée à cette nouvelle police.

Il semble encore aujourd’hui que cette fusion ne soit pas toujours très bien vécue. « Sur papier, dans la loi et les arrêtés royaux et ministériels d’application, la réforme est chose faite, nous dit Jean-Paul Wuyts. Dans les faits, on n’efface pas les mentalités et les produits de cultures différentes d’un trait de plume. On pourrait, plus opportunément me semble-t-il, dire que le processus de réforme est enclenché. Il faudra sans doute une génération pour que les choses se stabilisent. Encore faudra-t-il compter sur des mini-réformes partielles qui viendraient éventuellement corriger le tir, par-ci par-là. »

Mais qu’on se rassure, chez nous, policiers et gendarmes vont conserver leur statut propre. Et ils vont travailler main dans la main, chacun sous l’autorité de sa propre direction générale. Bien sûr aujourd’hui, nombre de gendarmes s’interrogent, conscients des difficultés concrètes qui ne vont pas tarder à surgir, inquiets surtout d’une inégalité majeure qui les met en position d’infériorité : l’impossibilité de revendiquer. Car si les gendarmes veulent réclamer, contester…, ils devront demander à leurs collègues policiers de le faire à leur place.

Certains gendarmes renaclent. Ils réclament l’application de la Recommandation 1742 du Conseil de l’Europe d’avril 2006 : « (…) autoriser les membres des forces armées à s’organiser dans des associations professionnelles représentatives ou des syndicats ayant le droit de négocier sur des questions concernant les salaires et les conditions de travail… »

Mais Mme Alliot-Marie a été formelle : tant qu’elle sera ministre de l’Intérieur, il n’y aura pas de syndicats chez les gendarmes.

En Belgique, il s’est écoulé 10 ans entre le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur et sa dissolution. En France, on attaque la première année.

Donc, à suivre…

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* Le syndicat Alliance.

** Sur une vidéo du Sénat la réponse de MAM à la question du sénateur Alain Gournac (11 juin 2009).

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La main courante du brigadier-chef

« Pendant quelques secondes, une petite fille m’a regardé crs.1244466733.jpgen ayant peur de moi (…) Elle ne pleure pas, elle ne dit rien ; la bouche entrouverte, elle tremble (…) Une petite Algérienne, menue, proprette, les pouces dans les bretelles du cartable, le cou tordu vers le haut, très haut, vers le grand flic en cotte noire et rangers… » En sortant du squat où il venait de participer à une expulsion le brigadier-chef Serge Reynaud n’était sans doute plus tout à fait le même homme…

Reynaud, c’est un pseudonyme, mais pas pour me cacher, dit-il, simplement par convenance personnelle. Ses collègues savent qu’il a écrit un livre, d’autant qu’indirectement, ils ont participé… Car il s’agit d’une série d’anecdotes liées aux situations parfois insolites, parfois pathétiques, parfois drôles, que les flics de terrain peuvent rencontrer au cours de leurs missions. Comme celle-ci :

Tous les jours, vers cinq heures, le car de CRS prend le même chemin, le long de la Seine. Ceux qui ne dorment pas ont l’habitude de regarder une péniche qui dépasse du quai, vide de tout chargement. Mais ce matin, elle est chargée à ras-bord : une montagne de sable. Le car est arrêté à un feu rouge. « Le gradé semble dubitatif, ses yeux las vers le bateau surbaissé. Il se tourne vers le chauffeur et, le plus sérieusement du monde, lui inflige un : T’as vu, la Seine a monté cette nuit… »

serge-reynaud.jpgÀ 19 ans, Serge Reynaud choisit d’être gendarme et 6 ans plus tard, il opte pour la police. Les CRS, la 38 à Mulhouse, la 5 à Massy, la 54 à Marseille, et des détachements en Italie et en Bosnie-Herzégovine. Une carrière dans les CRS qu’il assume complètement. Dans son livre, il ne cherche ni à justifier l’action de la police ni à se mettre en valeur ni à régler des comptes, mais l’air de rien, il nous fait faire connaissance avec les policiers de base, ceux qui ne « causent jamais dans le poste » et qu’on voit rarement plastronner au vingt-heures.

Même pour leur hiérarchie, ce ne sont souvent que des soldats. D’autant que les CRS ont de multiples missions : le maintien de l’ordre, bien sûr, mais aussi les patrouilles, les renforts saisonniers, l’assistance aux opérations de PJ, etc. Par définition, ils sont mobiles et corvéables à merci. On n’a à peine le temps de s’habituer à eux qu’ils sont déjà partis.

Tiens, pour la culture des chefs, je ne peux m’empêcher de citer ce passage : « Le commissaire, c’est celui qui fait l’ambiance, la qualité de vie d’un commissariat (…) Si le patron veut du chiffre, tu lui donnes du chiffre. S’il est sociable, tu discutes. S’il est paranoïaque, tu fermes ta gueule en attendant le suivant. S’il est bon, les services vont tourner. Si c’est une buse, ça va gripper ».

Sur ce blog, parfois, il m’arrive de critiquer la police, mais c’est parce que je l’aime bien. Je l’idéalise. Je ne voudrais pas qu’on en fasse une armée qui livre bataille, mais seulement des hommes et des femmes qui assurent notre sécurité, notre tranquillité, dans le respect des lois et de la morale. Des gardiens de la paix, quoi !

Serge Reynaud (on va respecter son anonymat) chroniques-main-courante.jpga 45 ans. Aujourd’hui, il est chef de section à la compagnie départementale d’intervention de Marseille, donc en sécurité publique.

Si vous voulez savoir qui se cache derrière la visière d’un CRS, lisez ce livre : Chroniques de la main courante, histoires vécues, de Serge Reynaud, Bourin éditeur, ou allez faire un tour sur le blog de l’auteur Police-Histoires. Après, vous aurez sans doute un regard différent sur ce corps de la police nationale.

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Et aussi une fiche de lecture de ce livre sur le blog de Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde.

AZF : la vérité est-elle dans le sac ?

Lorsque l’huissier a brisé les scellés du grand sac blanc, dans la salle d’audience, le suspens était palpable. Les avocats s’étaient approchés et comme tout le monde, ils retenaient leur souffle…

azf-le-tribunal_ladepeche.jpgPetit retour en arrière : Bien après la catastrophe, à la demande de la société Grande Paroisse, un huissier a saisi les sacs vides qui se trouvaient dans le hangar 335 –  ce qui n’avait pas été fait lors de l’enquête. Et personne ensuite ne s’intéresse à ce scellé jusqu’au jour où le journaliste Jean-Christian Tirat met en évidence une contradiction* : le nitrate d’ammonium, le produit utilisé pour démontrer la thèse de l’accident, n’était peut-être pas le bon.

En effet, le nitrate d’ammonium est contenu dans des sacs munis de 4 anses et d’une inscription en noir. Or Gilles Fauré, l’ouvrier qui a pelleté le produit, a affirmé qu’il s’agissait d’un sac muni d’une seule anse, portant effectivement des inscriptions en noir**, mais contenant de l’ammonitrate.

Mais on ne l’a pas cru, car il était admis que l’ammonitrate ne pouvait être marqué qu’en vert. Et toute l’instruction judiciaire a été bâtie sur l’hypothèse que les sacs d’une capacité d’une tonne portant une inscription en noir, contiennent obligatoirement du nitrate d’ammonium (un explosif de carrière). Personne n’a pensé aux sacs de 600 kg, qui eux aussi portent une inscription en noir, mais lorsqu’ils contiennent de l’ammonitrate, c’est-à-dire un engrais agricole, non explosif dans des conditions normales d’utilisation.

Ce qui rend les déclarations de l’ouvrier Fauré plausibles. Mais encore fallait-il les confirmer !

Donc, en cet instant de l’affaire AZF, après des années d’instruction et des semaines de procès, l’huissier sort du grand sac blanc d’autres sacs, et sur deux d’entre eux, l’inscription « ammonitrate 33,5 % » est écrite en noir…

L’avocat de la ville de Toulouse, sac-ammonitrate.jpgMe Lèguevaques, tente bien de noyer le poisson en estimant qu’il est impossible de déterminer l’origine de ces sacs. Mais Serge Biechlin, l’ancien directeur d’AZF, le reprend : tous les sacs sont tracés et le numéro de l’usine de Toulouse est 31555. L’huissier vérifie : les sacs portent ce numéro.

Que peut-il se passer maintenant ? Lors de son délibéré, le tribunal correctionnel va-t-il malgré tout maintenir l’existence d’une responsabilité pénale contre AZF et ses représentants ?

Voici ce qu’en pense l’universitaire Hubert Seillan, spécialiste en droit du danger. Il est interviewé par Anna Lutzky, dans Usine Nouvelle, sous le titre : « Procès AZF : En quarante ans de carrière, je n’ai jamais vu ça ».

Sur l’enquête : « Je suis venu le surlendemain de la catastrophe sur le site d’AZF, avec 100 étudiants, sans qu’il y ait aucune limite, c’était la foire. Quand un simple accident survient dans un atelier, les policiers mettent des scellés, bloquent les machines, font des prélèvements immédiatement… Ici rien. De même, les experts ont travaillé sur les données qu’on leur a fournies or ces dernières ont été très partielles ».

Sur la responsabilité de Total : « Soit c’est un accident interne au hangar, et là Total est pleinement responsable de la formation de ses employés, et de la sécurité du site. Soit c’est de la malveillance interne liée à la sous-traitance, et Total n’a pas bien géré ses sous-traitants. Soit c’est une source extérieure, terroriste ou accidentelle, et Total est toujours impliqué : quand on a un site industriel, on s’arrange pour que personne ne vienne chez soi. Il reste cependant l’hypothèse d’une malveillance sans aucune intrusion… ».

Le président Le Monnyer a terminé la séance du mardi 9 juin par ces mots rapportés sur le blog La Dépêche de Sabine Bernède : « Je considère maintenant que l’essentiel de l’instruction a été dite ».

Ce mercredi 10 juin, Thierry Desmaret azf-serge-biechlin_lepost.1244621417.jpgl’ancien président de Total est attendu à la barre. Plusieurs associations envisagent de manifester.
Et le vendredi 12 juin, Serge Biechlin, l’ancien directeur d’AZF (à droite), et son directeur général, Daniel Grasset, seront entendus par le tribunal.

Ensuite viendra l’accusation, la défense et… la décision du tribunal.

Mais en l’état, ce procès risque bien de se terminer sur une question : Que s’est-il réellement passé le 21 septembre 2001 sur le site AZF de Toulouse ?

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* Le blog de Jean-Christian Tirat : AZF : l’enquête assassinée.

** Sur ce blog: Une histoire de sacs.

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Lorsque la liberté d’expression se ramène au droit de se la fermer (tribune libre de Ph. Pichon)

Petit à petit, « le cas Pichon » prend l’allure d’un symbole : un policier a-t-il le droit de penser différemment de sa hiérarchie et de l’autorité politique ou lui est-il impossible, comme à un prêtre, de ne pas croire en Dieu ? Conserve-t-il encore une certaine liberté d’expression, du moins dans sa vie privée, ou faut-il considérer que sa profession en fait un marginal, exclu de la société civile ?

shadok-cerveau_castalie.jpgPour avoir critiqué le fichier STIC, le commandant Philippe Pichon a été révoqué de la police nationale, mais ne s’agissait-il pas plutôt d’un prétexte ? Ce qu’on reproche à Pichon, c’est de penser… D’où la question : Un intellectuel a-t-il sa place dans la police d’aujourd’hui, ou ce corps de l’État est-il réservé aux gros bras et aux tireurs d’élite ? Même si on leur a collé un uniforme sur le dos, même si l’obéissance quasi militaire est devenue la règle, les policiers ne sont pas des soldats. Ils ne sont en guerre contre personne, ni les truands ni les honnêtes gens. Ce ne sont pas des combattants, mais des gardiens de la paix. Regardez ! Il suffit de l’arrivée d’un nouveau président aux E-U et l’on voit combien les propos va-t-en-guerre d’un Bush sont devenus ringards…

Dans une tribune libre*, Pichon nous fait une analyse sur le devoir de réserve, le secret professionnel et le respect de la vie privée.
« Les termes « vie privée » sont surtout employés dans deux expressions distinctes (…) Nous avons, d’abord, l’expression « secret de la vie privée » : le respect du secret de la vie privée doit être intégralement garanti et les dérogations sont très peu nombreuses [c’est] la vie de l’esprit. Nous avons, ensuite, l’expression « liberté de la vie privée », conçue comme le pouvoir d’une personne de se comporter comme elle l’entend (…) liberté d’aller et venir, liberté de réunion, liberté de penser, liberté de manifestation des opinions, etc. »

Je ne partage pas à 100 p. 100 tous les arguments de cette tribune libre. Je me dis, à tort peut-être, qu’à trop vouloir démontrer on finit par s’y perdre. Mais je suis de la vieille garde, de l’époque où les policiers pouvaient sans doute prendre plus facilement des initiatives personnelles… Je ne suis pas d’accord non plus sur le jugement en filigrane que Pichon porte sur Martine Monteil, qui pour moi reste un « grand patron » de PJ.
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* Tribune libre de Philippe Pichon (format pdf) : Police nationale : lorsque la liberté d’expression se ramène au droit de se la fermer.

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De l'homo erectus à l’homo numericus

Certains ont bien du mal à s’adapter au nouveau monde, comme on le voit ces temps-ci avec la réaction judiciaire de Mme Morano ou avec la loi Hadopi de Mme Albanel. Et bizarrement les idées nouvelles surgissent de ce lieu supposé ringard que certains vonotre-ancetre_jlegrand.GIFulaient même supprimer : le Sénat – qui devient peu à peu le seul endroit où l’on pense.

En effet, les sages se sont penchés sur les difficultés d’adaptation de notre société à l’ère du numérique. Ils s’inquiètent de ces nouvelles technologies qui accumulent les données et permettent de suivre un individu dans l’espace et le temps, et ils livrent à notre méditation 15 recommandations qui tournent autour de trois axes principaux :

– L’implication de chacun, maître et responsable de ses données personnelles
– Le renforcement des moyens de la CNIL
– Une modification du cadre juridique pour clarifier la notion de « vie privée ».

Le droit à la vie privée et la protection des données personnelles sont mentionnés dans de nombreux textes**, mais aujourd’hui, avec une technologie de plus en plus performante, on peut dire qu’ils ne sont plus raccords.

Et ce qui chatouille le plus le groupe de travail du Sénat sur le respect de la vie privée*, c’est « la recherche d’une sécurité collective toujours plus infaillible » Pour de nombreuses personnes, il n’y a pas d’inconvénient à être surveillées, suivies à la trace…, partant du principe qu’elles n’ont rien à se reprocher, ni à cacher. On en est donc à admettre l’existence d’une « surveillance institutionnelle ». Avec, c’est dans les tuyaux, une délégation au secteur privé – et les dérives qu’on peut imaginer. Cas d’école : la loi Hadopi.

Et les sénateurs estiment qu’il faut encadrer certaines techniques comme le GPS, ou la technologie sans contact (les puces RFID), deux techniques qui sont « un défi nouveau au regard du droit à la vie privée et de la liberté d’aller et venir ».

Enfin, le rapport revient sur les sites sociaux (Facebook, MySpace, etc.) ou les blogs, qui invitent à « l’exposition volontaire de soi et d’autrui ». Or, une fois en ligne, on n’est plus maître de ces données. Impossible de les supprimer, de les modifier… Il faudra les assumer toute sa vie. D’où l’idée d’un droit à l’oubli.

Parmi les mesures juridiques préconisées, on peut en retenir quelques-unes, simples d’application, comme celle qui consiste à affirmer sans ambiguïté que l’adresse IP constitue une donnée à caractère personnel, ou cette autre qui réserve au seul législateur la possibilité de créer un fichier de police.

Mais la meilleure est sans conteste l’inscription dans la Constitution du droit au respect de la vie privée.

L’homo erectus caractérise l’homme à un stade précis de son évolution : lorsqu’il s’est dressé sur ses deux jambes. C’est l’homme debout. L’homo sapiens, c’est l’homme qui s’est mis à penser : l’homme sage.

L’homo numericus sera-t-il capable de faire les deux : être sage, mais toujours debout ?

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escoffier_anne_marie_senat.1244360144.jpg* Créé le 22 octobre 2008 par la commission des lois du detraigne_yves_senat.1244360125.jpgSénat présidée par M. Jean-Jacques Hyest (UMP, Seine-et-Marne), le « groupe de travail sur le respect de la vie privée à l’heure des mémoires numériques » est composé de M. Yves Détraigne (UC – Marne, photo de droite) et Mme Anne-Marie Escoffier (RDSE   Aveyron, photo de gauche). Les conclusions ont été déposées lors de la réunion de la commission des lois du Sénat du 27 mai 2009. Ce sont les sénateurs qui parlent de l’homo numericus.

** Le droit à la vie privée comme la protection des données personnelles, qui en est une déclinaison, sont largement consacrés dans les textes, qu’il s’agisse de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 novembre 1966, de la « Convention 108 » du Conseil de l’Europe de 1981 et de la Charte européenne des droits fondamentaux du 7 décembre 2000. En France, le droit à la vie privée est inscrit à l’article 9 du Code civil et consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel (source Sénat).

La police pichonnée

 Le commandant de police Philippe Pichon est le plus jeune retraité de France. Contre son gré. Il y a quelques mois, il a fait l’objet d’une sanction administrative pour avoir dénoncé à sa manière les dysfonctionnements du fichier STIC, c’est-à-dire en rendant publique la fiche de deux stars du showbiz : Hallyday et Debbouze. Déficiences confirmées peu après par la CNIL, qui a notamment relevé un taux d’erreur inadmissible et une mise à jour très aléatoire.

Or, le 5 mai 2009, le TA (tribunal administratif) de Melun a désavoué la ministre de l’Intérieur en annulant son arrêté concernant la mise à la retraite d’office du policier (en fait une révocation) et en la condamnant à lui verser 2.000 € à titre de dédommagement.

Philippe Pichon doit donc être réintégré !

Sauf que parallèlement aux poursuites disciplinaires, les fonctionnaires de l’IGPN (inspection générale de la police nationale) avaient procédé à une enquête judiciaire pour violation du secret professionnel. Et à l’issue d’une garde à vue de 48 heures, ils avaient présenté leur collègue devant le juge d’instruction Gérard Caddeo – qui l’avait mis en examen et placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer son métier.

Et le 20 mai dernier le ministère de l’Intérieur dépose un recours en révision à la décision de réintégration prononcée par le TA. Pour quel motif ? L’administration évoque un élément nouveau : Elle ne savait pas que le commandant Pichon avait été mis en examen – six mois auparavant – et elle ne savait pas que son contrôle judiciaire lui interdisait d’exercer ses fonctions.

Alors, il ne peut pas être réintégré…

Mais il semblerait que le juge d’instruction parisien, n’ait pas envie de servir d’alibi à un règlement de comptes entre flics, aussi vient-il de mettre fin au contrôle judiciaire concernant Pichon*.

Donc, rien ne s’oppose plus à sa réintégration…

Si ce n’était la vie sociale d’un homme qui est en jeu, on croirait une partie d’échecs. Mais qui bouge les pièces, place Beauvau ? MAM ou le directeur de la sécurité publique, le commissaire Éric Le Douaron ? On dit la première sur le départ et le second va bientôt prendre ses fonctions de préfet en Bretagne. Mais cela ne changera rien, car ce n’est pas une question de personnes, mais une question de principes : la police peut-elle admettre que l’un des siens dénonce une irrégularité ?

Dans la publication Arpenter le champ pénal (ACP n° 141 – pas encore en ligne), Frédéric Ocqueteau, chercheur au CNRS, décortique le cas Pichon pour s’interroger sur un « appareil de police qui perd son âme ». Il cite le sociologue américain John Van Maanen, pour qui les policiers partagent les citoyens en trois catégories (je schématise) : ceux ne se posent jamais de questions ; ceux qui ont quelque chose à se reprocher ; et les emmerdeurs, discutailleurs ou chieurs, bref, les empêcheurs de tourner en rond. D’où ce dialogue entre le flic et le quidam : « Votre permis, monsieur ! – Mais pourquoi me contrôlez-vous, moi ? Vous feriez mieux de pourchasser les criminels ! – Je vous contrôle, monsieur, parce que vous êtes un emmerdeur, mais je l’ignorais jusqu’au moment où vous avez ouvert votre grande gueule ! ».

Et Frédéric Ocqueteau s’interroge : Que se passe-t-il quand l’emmerdeur est un flic ? Il estime que l’administration ne peut supporter qu’on dénonce ses carences de l’intérieur : « L’appareil de sécurité publique se met alors à tousser puis à bégayer face à des comportements logiques mais non attendus, issus de ses meilleurs agents décidés à transgresser l’interdit suprême : dévoiler les mécanismes de la duplicité congénitale de l’appareil, quitte à accepter de le payer de leur personne en s’entêtant dans leurs gestes citoyens ».philippe_pichon_editions_netb.1244193588.jpg

Me William Bourdon, le défenseur de Pichon, a rappelé, dans son mémoire devant le conseil de discipline que « le droit international et le droit européen n’ont cessé ces dernières années de consacrer le droit d’un citoyen et particulièrement d’un fonctionnaire de révéler l’existence de conduite ou d’acte illégaux ».

J’ai demandé à Philippe Pichon comment il réagirait s’il obtenait gain de cause. Il ne m’a pas répondu. Je crois qu’il ne se fait guère d’illusions sur une éventuelle réintégration dans la police.

Normal, puisque c’est un emmerdeur !

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* Il n’y a pas mainlevée du contrôle judiciaire, mais une ordonnance de modification du juge d’instruction qui autorise Philippe Pichon à exercer ses fonctions de police.

AZF : une histoire de sacs

L’accusation du procès AZF repose sur un mélange accidentel de deux produits dont la réaction aurait entraîné une explosion. Or aujourd’hui, il n’est pas exclu que les faits se soient déroulés différemment. Et si cela était azf_histoire-1923-1938-photo-yan.1244110031.jpgconfirmé, c’est tout le travail des experts qui serait remis en cause. C’est un ouvrier, Gilles Fauré, qui supporte le poids de l’accusation ; car c’est lui qui a pelleté des produits du hangar 335 pour les déposer dans le hangar 221 – celui qui a explosé.

Il y a deux versions :

A) Celle retenue par l’instruction : L’ouvrier a chargé dans une benne, à l’aide d’une pelle, du nitrate d’ammonium et un dérivé chloré ; et 48 heures plus tard ces produits ont été déversés dans le hangar 221 – et 15 minutes après tout a explosé.

B) Celle de Gilles Fauré : Ce n’est pas du nitrate qu’il a chargé dans la benne, mais de l’ammonitrate, c’est-à-dire un banal engrais agricole. Et cela ne pouvait pas exploser.

L’instruction est entièrement basée sur la version A. Les experts ont « reconstitué » une explosion (avec bien du mal, semble-t-il) en utilisant les produits concernés. Ce qu’on appelle dans le dossier « le tir 24 ». C’est la base même de la thèse de l’accident retenue par l’accusation qui implique la responsabilité de la société Grande Paroisse et de sa maison mère Total.

Le juge n’a pas tenu compte des réfutations de Fauré, car dans un premier temps, devant les policiers, il avait admis que la version A était possible.

En janvier 2009, un peu avant l’ouverture du procès, le journaliste Jean-Christian Tirat, qui tient les chroniques AZF sur ce blog (pas cette semaine, il n’a pas eu le temps), fait une découverte qui remet tout en question.

Il s’agit d’une photo prise quelques heures après le drame sur les lieux de la catastrophe par le photographe de La Provence, Bruno Souillard. Elle représente un sac sur lequel le mot ammonitrate est écrit en noir. Ce qui correspond aux déclarations sans cesse répétées de Gilles Fauré – dont on n’a jamais tenu compte en partant du postulat que les inscriptions en noir étaient réservées au seul nitrate d’ammonium. Et qu’en conséquence, il se trompait.

sac-ammonitrate_photo-bruno-souillard_laprovence.1244109652.jpg

Du coup, Tirat, qui est également partie civile au procès, a demandé au président Le Monnyer de bien vouloir questionner les experts :

1) Pourquoi ont-ils affirmé que seuls les sacs de nitrate d’ammonium (produit explosif) portaient une inscription en lettres noires, alors que cette photo prouve le contraire ?
2) Si Gilles Fauré a réellement chargé de l’ammonitrate, comme cela devient maintenant vraisemblable, la réaction chimique de ce produit avec un dérivé chloré peut-elle oui ou non entraîner une explosion ?

Jean-Christian Tirat en doute, mais il estime que seule une nouvelle expérimentation pourrait permettre d’obtenir une certitude, dans un sens ou dans l’autre.

Le tir 25 en quelque sorte.

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Pour cette explication sommaire faite par un nul dans ce domaine, j’ai simplifié au maximum. Ceux qui veulent approfondir peuvent trouver tous les détails sur le blog AZF, l’enquête assassinée.

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