LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : G.Moréas (Page 26 of 82)

Fortune de mer pour le Costa Allegra

Le paquebot a-t-il lancé un appel de détresse (Mayday ! Mayday !…) ou un simple message d’urgence (Pan ! Pan !…), comme le font les marins pour demander une aide ponctuelle ou pour signaler une situation délicate ? À présent que les passagers, l’équipage et le navire sont à l’abri, la question pourrait bien se poser, car si aucune rémunération ne peut être demandée pour sauver des vies humaines, il en va différemment pour l’assistance aux biens. Le thonier français qui a remorqué le Costa Allegra doit donc percevoir une indemnité. Mais sur quelle base ? Le capitaine et l’équipage ont-ils réagi pour éviter un naufrage ou simplement pour dépanner un navire en difficulté ?

D’après L’Express, qui rapporte les propos du directeur général de la société de sauvetage « Les abeilles international » : « C’est le commandant qui lance l’alerte. Il envoie un mayday avec sa position (…) Tous les navires dans la zone de navigation reçoivent le SOS… »

A : Seychelles - B : La Réunion - C : Mayotte (Google)

Le Trévignon, un thonier senneur de 90 mètres de long, immatriculé dans le nouveau département de Mayotte (976), mais propriété d’un armateur breton, le capte sans doute comme les autres. Mais c’est lui qui est le plus rapide. Il faut dire qu’à son bord, il y a une équipe de protection de la marine nationale (les eaux sont dangereuses, là-bas), laquelle est probablement dotée de moyens de transmission performants. C’est d’ailleurs le Cross de La Réunion (Centre régional opérationnel de secours et de sauvetage) qui demande au capitaine s’il peut se dérouter. Pour ce bâtiment de pêche, construit pour traîner de lourds filets, le remorquage du paquebot ne pose pas de problèmes majeurs. Ses moteurs sont suffisamment puissants.

Si le « mayday » est considéré comme un appel au secours, ce n’est toutefois pas suffisant pour déterminer la gravité de la situation. Qui dit sauvetage, dit perdition. C’est du moins ce que l’on peut penser. Or, ce n’est pas tout à fait la position de la jurisprudence française. Ainsi, la Cour d’Appel de Montpellier a considéré qu’un yacht, incapable de tenir un cap, à la suite d’une simple avarie, était en péril, même si la météo se montrait clémente. Mais la proximité des terres était un élément déterminant. De toute façon, hors des eaux territoriales, c’est la Convention maritime internationale qui fixe les règles de l’assistance aux navires. Convention que la France a ratifiée en 2001.

Et ce n’est pas simple…

En mer, en cas de problème, il ne faut jamais saisir l’aussière que votre sauveteur vous lance, sinon, vous perdez la propriété de votre bateau… En revanche, si c’est le sauveteur qui la récupère… À moins que ce soit le contraire, je ne me souviens plus. En tout cas c’est l’histoire que m’avaient racontée de « vieux loups de mer » dans un bistrot de Puerto de Mogan, aux Canaries. Mais la bouteille de whisky avait déjà pris une sacrée claque… Allez, il faut tordre le cou à la légende : le sauveteur d’un bateau en détresse n’en devient pas automatiquement le propriétaire. Pour cela, il faudrait qu’il soit considéré comme une épave (le bateau s’entend).  Or, un navire, même abandonné par son équipage, n’est pas considéré comme une épave dès lors qu’il peut reprendre la mer après réparations. En France, c’est la loi du 3 juillet 1985 et un décret de 1987 qui fournit des éclaircissements sur le sujet. Et, en dernier recours, c’est le ministre en charge de la Marine marchande, aujourd’hui le ministre de l’Écologie, qui peut prononcer la déchéance des droits du propriétaire. Pour la petite histoire de la campagne présidentielle, en décembre dernier, François Hollande s’est déclaré favorable au retour d’un ministère de la Mer. Ce qui, pour un pays maritime comme la France, n’est quand même pas si bête.

Mais l’Allegra ne bat pas pavillon français et l’incident s’est produit en haute mer. Et il n’y avait pas de péril imminent. Alors ? En droit maritime, il n’y a assistance maritime que si un navire se trouve confronté « au péril de la mer ». Le danger peut être immédiat ou non et il n’implique pas obligatoirement la perdition. En fait, sauvetage ou assistance, on s’en fiche un peu. Une simple menace pour les personnes ou les biens est suffisante pour justifier l’intervention. On peut donc penser, dans le cas présent, que le remorquage du paquebot constitue bien une assistance maritime et non un simple dépannage. À ce titre, le thonier devrait donc recevoir une indemnité pour avoir aidé à préserver le bateau et le matériel de bord. Et non pour avoir sauvé les passagers. Car l’assistance aux personnes est un devoir qui ne peut donner lieu à une rétribution ni même au remboursement des frais engagés.

Quel pourra être le montant de cette rémunération d’assistance ? D’après les textes, elle doit être équitable. Dans un litige opposant deux plaisanciers, 2 % de la valeur des biens sauvés ont été estimés raisonnables par les juridictions françaises. Mais ici, il ne s’agit pas d’un petit voilier… Il est d’ailleurs vraisemblable que le montant des frais de remorquage ait déjà été négocié par l’armateur. Raison pour laquelle, les autres bâtiments ont escorté le convoi sans se saisir de l’aussière.

En tout cas, outre la fierté d’avoir respecté la règle de la solidarité des gens de mer, on peut espérer que les marins-pêcheurs du thonier breton n’auront rien perdu à interrompre leur campagne de pêche. Et, comme Madame Kosciusko-Morizet a d’autres chats à fouetter, par intérim, je m’autorise un coup de chapeau.

La disparition de la petite Maddie devient un roman

Le 3 mai 2007, Madeleine McCann a disparu. Elle était supposée dormir dans la chambre de l’appartement de vacances que ses parents louaient dans le complexe touristique l’Ocean Club, au sud du Portugal. Elle allait avoir 4 ans.

Vers 22 heures, ce soir-là, sa maman s’est éclipsée du restaurant où elle dînait avec son mari et des amis pour s’assurer que tout allait bien dans le petit deux-pièces. Elle ouvre la porte… Les jumeaux, âgés de deux ans, dorment à poings fermés, mais sa fille n’est pas dans son lit. La fenêtre est ouverte, le volet est levé. Elle donne l’alerte.

Une affaire qui va faire couler beaucoup d’encre. Très vite, elle prend une dimension internationale. Le 9 mai, Interpol diffuse une fiche de recherche. La presse britannique se déchaîne et remet en cause le travail des policiers portugais. Le Premier ministre Gordon Brown intervient. Des enquêteurs de Scotland Yard débarquent. Un fonds de soutien est créé, le milliardaire Brian Kennedy le cautionne, le patron de Virgin aussi. Le site internet reçoit 5 millions de visiteurs en 24 heures. Les parents engagent un directeur de communication. Plusieurs millions d’euros de dons, peut-être dix. Les chiens renifleurs détectent des traces suspectes. Gonçalo Amaral, le policier de la PJ responsable de l’enquête, met la pression sur les parents. Il pense qu’ils ont dissimulé la mort accidentelle de leur enfant. Le pape reçoit les McCann. Un ancien pédophile est arrêté. Amaral est viré… Il écrit un livre. La mère aussi… On ne sait toujours pas ce qu’est devenue la petite Maddie.

« Jamais auparavant dans l’histoire, autant de monde s’est intéressé au sort d’une petite fille », écrit Duarte Levy dans le bandeau du blog consacré à cette affaire.

Pour son roman Belle famille, paru chez Gallimard, Arthur Dreyfus, lors d’une interview sur France Culture, dit avoir fait un rapprochement entre cette affaire et Le Rouge et le Noir. Pour le personnage de Julien Sorel, Stendhal se serait inspiré des mésaventures d’un criminel, Antoine Berthet, qui a été guillotiné en 1828. (Je crois que ce n’est qu’une hypothèse.) Dreyfus a été captivé par le côté magique de cette histoire. Les parents couchent leurs enfants, ils vont au restaurant, puis… « Quelques heures plus tard, ils reviennent, elle a disparu, il n’y a pas une trace d’ADN dans l’appartement, il n’y a pas une trace d’effraction, les frères n’ont pas été réveillés. C’est comme si l’enfant s’était évaporée. Donc, il y a quelque chose d’assez magique dans cette disparition. »

Son livre, c’est l’histoire d’un petit garçon. Il a 9 ans, il s’appelle Madec Macand. Et il n’est pas anglais, mais français. Durant la première partie, c’est le personnage central. Un enfant à l’esprit vif, qui découvre la vie et qui s’interroge sur la mort. C’est d’ailleurs la dernière phrase de l’épilogue : « Madec aime bien mourir ».

Puis il disparaît. Il n’y a pas de mystère, on sait ce qui lui arrive. L’intrigue est basée sur le comportement de sa mère. L’auteur n’a pas cherché à se rapprocher de la réalité, mais de l’aspect humain, psychologique. Un enchaînement de gestes non réfléchis qui enferment la femme dans ses mensonges. Au point qu’elle ne parvient plus à faire la part du vrai du faux. Il ne soutient aucune hypothèse. Il ne cherche pas à démontrer la vérité, il en invente une. Il la rêve. « L’écrivain ne fait rien d’autre que cela : rêver la vérité ».

Arthur Dreyfus a 26 ans. C’est son deuxième roman. Dans cette interview, il raconte qu’une lectrice l’a interpellé pour lui demander si le fait de partir d’un fait divers pour écrire un livre, ce n’était pas un peu comme regarder dans un caniveau… Et il lui a répondu que la seule chose qui l’excitait, en tant qu’écrivain, c’était justement de regarder dans les caniveaux…

Ce n’est pas une très bonne réplique, mais son livre est remarquable à bien des égards. Je n’ai aucune compétence pour juger un écrivain, mais en tant que simple lecteur, je dois dire que ce monsieur a du talent. Il farfouille dans les âmes.

Dans la vraie vie, la famille McCann a systématiquement attaqué tous ceux qui parlaient de « leur » affaire d’une manière estimée déplaisante. On dit d’ailleurs qu’ils ont récupéré une petite fortune en dommages et intérêts. Je ne sais pas s’ils attaqueront Gallimard en justice. Leur dernier exploit juridique remonte à quelques mois. Ils s’en sont pris à trois personnalités du petit écran portugais, un présentateur-vedette, un psychologue et un journaliste.

Quant à Gonçalo Amaral, qui avait été condamné en première instance pour son livre L’enquête interdite (Bourin Éditeur), la Cour d’appel lui a finalement donné raison. Les McCann ont bien tenté un recours devant la Cour suprême de justice, mais celle-ci a rejeté leur demande. L’ancien policier va donc pouvoir récupérer une partie de ses biens qui avaient été placés sous séquestre et remettre son livre en vente. Sa vie privée en a pris un sérieux coup, mais c’est le bout du tunnel, comme il dit. Pourtant, je crois qu’il n’en a pas fini avec les McCann.

Je ne sais pas si un jour on saura ce qui est arrivé à la petite Maddie. Les disparitions d’enfants restent souvent inexpliquées. Mais cette affaire marquera son époque par sa médiatisation mondiale, via l’Internet, et par l’argent qui a été fait autour.

Et puis, il restera ce roman.

Affaire Neyret : la procédure a-t-elle été bâclée ?

En tout cas, c’est ce que pensent les avocats. Ils ont saisi la Cour d’appel et demandent ni plus ni moins l’annulation du dossier. Les magistrats de la chambre d’instruction ont reporté au 5 avril prochain l’examen des différentes demandes. Ils pourraient les rejeter en bloc, invalider certains actes de la procédure ou, éventuellement, l’annuler en entier. Voilà de quoi faire rêver Michel Neyret dans sa cellule !

Cela semble toutefois peu probable. Il faut en effet se souvenir que l’affaire a été traitée par l’Inspection générale des services (IGS), donc (on l’espère) par des policiers d’un haut niveau procédural ; et par la Juridiction interrégionale spécialisée de Paris (JIRS), composée de magistrats triés sur le volet. On peut donc penser que le dossier est bien saucissonné.

À moins que…

Si l’on en croit Le Point qui, depuis le début, suit l’enquête de très près, certains éléments soulevés par les avocats semblent néanmoins sérieux.

Si j’ai bien compris, une grande partie des faits reprochés aux protagonistes de cette affaire repose sur des écoutes téléphoniques. Des écoutes capricieuses, à en croire Me Kaminski, l’avocat de Stéphane Alzraa (celui qui aurait fait profiter de ses largesses le commissaire Neyret).  C’est lui qui a porté la première estocade : son client a été entendu sur des écoutes téléphoniques qui n’étaient pas dans la procédure. Ce qui pose un vrai problème. Car on peut soit en déduire qu’il s’agissait d’écoutes administratives (donc en principe inutilisables en justice), soit que c’est le souk dans la procédure.

Je dois avouer que la deuxième version me plaît bien. Car, en fait, il est extrêmement difficile de s’y retrouver lorsqu’une douzaine d’individus sont placés sur écoute simultanément. Cela est vrai pour les policiers qui doivent faire la part des choses dans un flonflon de mots souvent anodins, et encore plus pour les juges qui, eux, doivent se faire une opinion sur des propos extraits d’une ou plusieurs conversations. Ainsi, lorsque les avocats relèvent que les premières écoutes téléphoniques sont antérieures à l’ouverture de l’information judiciaire, indéniablement, ils marquent un point. Il semblerait que ces enregistrements aient été effectués par la brigade des stups, alors qu’elle travaillait sur une autre affaire. Si c’est le cas, comme il s’agit d’éléments pouvant faire penser à un crime ou un délit qui ne concerne pas leur enquête, ils ne peuvent en faire état dans leur procédure. La bonne règle veut alors que l’on en avise le procureur qui juge de l’opportunité d’ouvrir une enquête préliminaire. Mais, dans le cas présent, les faits se passent à Lyon, le proc de Paris n’est donc pas « territorialement » compétent. Il doit passer le relais. Et s’il craint des fuites, car l’affaire pourrait mettre en cause des policiers, voire des magistrats, il lui reste la possibilité de saisir un service à compétence nationale, comme l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ou un office central de la police judiciaire.

Or, la question que l’on se pose depuis le début de cette affaire, c’est pourquoi avoir saisi les policiers parisiens d’une affaire pour laquelle ils n’avaient pas compétence ? La question reste sans réponse. Mais le sentiment de nombreux policiers de province est double. Un, il y a eu méfiance des autorités vis-à-vis des policiers qui n’appartiennent pas au sérail (la PP) ; deux, l’IGS sait montrer beaucoup de « souplesse » dans ses enquêtes. Opinion renforcée par des affaires récentes, comme celle du trafic supposé de titres de séjour ou même l’affaire des fadettes d’un journaliste du Monde.

Me Kaminski, a donc aujourd’hui beau jeu de dire que les critères de compétence du parquet et du juge d’instruction n’ont pas été respectés, « puisqu’aucune des infractions n’a été commise à Paris, aucun des suspects n’y réside et qu’ils ont tous été interpellés en province ».

Cela suffit-il à faire tomber la procédure ? Pour les avocats du commissaire Christophe Gavat, l’ancien chef de la PJ de Grenoble, la question ne se pose même pas, car ils se demandent encore pourquoi leur client a été mis en examen. Pour eux, le dossier est vide.  Le policier est soupçonné d’avoir détourné des scellés (de drogue), à la demande de Michel Neyret, afin de rétribuer des indicateurs. L’air de rien, lors de son arrestation, France 3 a rappelé que ce commissaire atypique (il veut être comédien), lorsqu’il était en poste à Perpignan, a arrêté le maire UMP de Saint-Cyprien, lequel s’est suicidé en prison. Et que dans une affaire de trafic de cocaïne, il a également mis en garde à vue un autre élu de ce parti politique. « Le fait qu’il se soit attaqué à des notables de l’UMP peut-il expliquer les déboires qu’il connaît aujourd’hui ? » s’interroge innocemment le journaliste.

Cette histoire peut-elle avoir un lien avec les idées politiques des uns ou des autres ?  Je ne veux pas le croire. Mais si Michel Neyret et ses collègues avaient eu le « bon » profil, les enquêteurs auraient peut-être reçu la consigne d’y aller avec des gants… Alors que là, le directeur central de la PJ leur a tenu la tête sous l’eau, tandis que des fuites dans la presse faisaient monter la pression. Et, dès la fin de sa garde à vue, Michel Neyret a été suspendu par le ministre de l’Intérieur. « Il ne faut jamais faire quoi que ce soit d’illégal », a virilement déclaré Claude Guéant sur France 2. Depuis, d’autres policiers ont eu un traitement moins ferme.

Alors ce dossier, vide, bâclé ou solide ? Je n’en sais rien. Il faut attendre la décision de la chambre d’instruction de la Cour d’appel. Et dans quelques mois, ou des années, la justice passera, et nous saurons peut-être si autre chose se cachait derrière l’apparence des faits. Mais avec le temps, cela n’intéressera plus personne.

Le discours de la haine

La Cour européenne des droits de l’homme vient de nous faire un vaccin de rappel sur les limites entre la liberté d’expression et la propagation d’idées fondées sur l’intolérance qui incitent à la haine. Et, pour que l’on comprenne bien, elle énumère les différents cas : haine raciale, haine sur l’orientation sexuelle, haine religieuse, discours négationniste, etc. Enfonçant le clou avec des exemples.

Lorsqu’elle s’arrête sur le discours politique, la Cour cite deux cas. L’un en Turquie, où le président d’un parti avait dénoncé l’intervention des États-Unis en Irak et l’emprisonnement du dirigeant d’une organisation terroriste. Et l’autre en Espagne, où des parlementaires avaient protesté contre des mauvais traitements infligés à des membres de l’ETA lors d’une opération policière, mettant en cause la responsabilité du roi d’Espagne. Il s’agit en fait de contre-exemples, puisque dans ces deux cas, elle a donné tort aux juridictions nationales qui avaient prononcé une sanction (en violation de l’article 10 de la Convention européenne sur la liberté d’expression).

La Cour européenne se montre donc très circonspecte dès qu’il s’agit de l’intervention d’un homme politique. Au point de s’entortiller un peu les pinceaux. Ainsi, dès les premières lignes de sa fiche thématique, elle attire l’attention du lecteur sur la conclusion – ce qui est quand même assez original. Si elle rappelle que les sociétés démocratiques doivent sanctionner ou prévenir toutes les formes d’expression fondées sur l’intolérance qui propagent, promeuvent, justifient ou incitent à la haine, elles doivent aussi préserver le droit pour les personnes de s’exprimer librement – notamment les journalistes et les hommes politiques. Si j’ai bien lu entre les lignes ces derniers peuvent, par leur discours ou leurs écrits, chercher « à heurter, choquer ou inquiéter », sans pour cela avoir de sombres arrière-pensées.

Extrait de la fiche thématique de la CEDH (février 2012)

On comprend bien que ce petit rappel à l’ordre n’a rien à voir avec les Présidentielles françaises. Il ne faut pas être nombriliste…

Pourtant, ces derniers jours, dans l’arène politique, l’animosité est palpable. Au point que parfois, on a l’impression qu’il y a de la haine. Et nous sommes sans doute beaucoup à avoir noté la violence du meeting de Marseille, tant dans les propos et l’attitude du président de la République que dans la mise en scène. Aussi, tout comme François Chérèque, le number one de la CFDT, on peut se poser la question : « Pourquoi autant de violence ? » Une élection présidentielle, ce n’est pas un match de foot. Et, au moment de glisser notre bulletin dans l’urne, on ne doit pas se demander ce à quoi l’on échappe en ne votant pas pour tel autre candidat, mais plutôt ce qui nous attend dans les cinq ans à venir.

Vers une chasse aux sorcières dans la police ?

Dans un article du 14 février 2012, Le Monde pose le problème de la reprise en main de la police en cas de victoire de François Hollande à la Présidentielle. La question vaut d’être posée, car, ces dix dernières années, la police a fortement été marquée par Nicolas Sarkozy. Au premier abord, on peut se dire que les mal-pensants ont été depuis longtemps écartés et que les postes clés sont aujourd’hui tenus par des fidèles, mais les réformes entreprises sont plus profondes. Il y en a eu des bonnes. Et d’autres plus discutables, comme la création de la DCRI ou le rattachement de la gendarmerie à l’Intérieur. En tout cas, il ne faudrait pas tout casser, comme dans le passé…

En 1981, beaucoup de policiers, comme moi, attendaient un grand chambardement. Nous pensions que notre Maison valait mieux que les copinages, les réseaux ou autres petits arrangement, et qu’il y avait là un beau défi pour la gauche : rabibocher les Français avec leur police.

Quelle déception !

Cette année-là, le 19 mai, Valéry Giscard d’Estaing nous dit au revoir. Il nous fait le coup de la chaise vide. Ce sera un adieu. Son successeur, lui, prépare son investiture. Avec le réalisateur Serge Moati et le comédien Roger Hanin, François Mitterrand met la dernière touche à son périple dans les galeries du Panthéon : des roses rouges et une musique de Beethoven. Un grand spectacle populaire. Mais dans les jours qui ont précédé ces événements, l’effervescence était ailleurs. Dans les ministères la consigne était de faire place nette. Ainsi, à Beauvau, on a assisté à un va-et-vient de mystérieux « déménageurs ». Enfin, n’exagérons pas, rien à voir avec les convois de camions de Mai-68. À cette époque, dans la crainte d’un coup d’État, ce sont toutes les archives secrètes de la rue des Saussaies qui avaient alors quitté le ministère.

Si, si, nous sommes bien en République ! Celle de Coluche qui, candidat pour rire, avait lancé son slogan de campagne : « Jusqu’à présent la France était coupée en deux, avec moi, elle sera pliée en quatre. »

Il n’y aura pas de chasse aux sorcières annonce Gaston Defferre, avant même de prendre ses fonctions. N’empêche que certains serrent les fesses. Au SAC, le fameux Service d’action civique cher à Pasqua, c’est l’affolement. Et si on déterrait de vieilles affaires ! Dans une sorte de soubresaut, quelques gros bras envahissent la demeure du sous-brigadier de police Jacques Massié, à Auriol. Ils le soupçonnent d’avoir viré à gauche. Ils tuent toute la famille. Le SAC est dissous l’année suivante et les six hommes du commando sauvent probablement leur tête grâce à Robert Badinter qui, entre temps, a fait adopter la loi contre la peine de mort.

Defferre se veut grand seigneur. Toutes les décisions seront prises, assure-t-il, en concertation avec les syndicats. Dans la police, on rêve… Douche froide, le nouveau locataire de l’Élysée congédie les policiers pour les remplacer par des gendarmes – qui, eux, n’ont pas de syndicats. Et, un peu plus tard, il créera la fameuse cellule élyséenne dont les principaux responsables, bien des années après, passeront en justice pour avoir pratiqué des écoutes illégales.

Le nouveau ministre s’entoure de Maurice Grimaud, le préfet de police de Mai-68, de Bernard Deleplace, le secrétaire général de la Fédération autonome des syndicats de police (FASP), et de Frédéric Thiriez (qu’il n’a sans doute pas choisi), un jeune énarque, originaire du nord de la France, comme le premier ministre Pierre Mauroy,

L’état de grâce ne dure pas longtemps. Le 6 octobre, Gaston Defferre, dans un discours à l’Assemblée nationale, accuse les policiers de racisme. Le syndicat des commissaires réagit sèchement. D’autant que les cadres de la police sont dans le flou. Ils se plaignent de ne pas recevoir de consignes précises. La boutique tourne à vide. En fait, on ne sait pas trop qui commande. Le 3 novembre, à Lyon, le brigadier Guy Hubert est tué par des braqueurs. Mouvement de colère lorsque l’on apprend que les auteurs appartiennent à Action directe, dont deux membres importants (Rouillan et Ménigon) ont été amnistiés peu avant par le président de la République. Le ministre de l’Intérieur est violemment pris à partie lors des obsèques du policier lyonnais. Peu après, il remet une décoration à l’un des collègues de la victime, qui lui n’a été que blessé, et il lui dit : « Vous, au moins, vous avez de la chance, vous êtes blessé et décoré. »

L’ambiance se détériore. Le jeu de chaises musicales va commencer. Marcel Leclerc, le patron de la brigade criminelle, est proposé pour la place de sous-directeur à la PJ-PP. Mais les syndicats de gauche l’estiment trop à droite. Ils font barrage. Defferre recule et lui propose alors de prendre la direction du SRPJ de Marseille. Leclerc refuse. François Le Mouel, le directeur de la PJ parisienne, menace de démissionner. La tension grimpe au 36. Defferre affirme que cette décision n’a rien à voir avec les opinions politiques du commissaire. Finalement, Leclerc est affecté à l’IGPN, le cimetière des éléphants. Du coup, Olivier Foll, son adjoint, renonce à prendre la tête de la brigade criminelle. C’est une jacquerie. Pour couronner le tout, François Le Mouel, l’un des rares grands chefs de la police qui affiche des idées socialistes, met ses menaces à exécution. Il démissionne. Un bras… Defferre, qui se transforme en bras d’honneur.

Les deux années suivantes sont des années noires. La majorité de gauche tiraillée entre son désir de s’émanciper du tout-répressif et la réalité au quotidien : crimes, délits, terrorisme, etc., ne parvient pas à trouver le point d’équilibre. Tandis que la plupart des chefs de service font le dos rond, et s’accrochent à leur fauteuil, les opportunistes jouent des coudes, et les bannis du gouvernement précédent règlent leurs comptes. Ceux qui se contentent d’être flics, la grande majorité, assistent désabusés à la démolition de leur maison, attendant en vain qu’à l’horizon un sage se profile et leur donne enfin une feuille de route.

Pour récupérer le coup, Pierre Mauroy nomme en catastrophe un secrétaire d’État pour la police, Joseph Franceschi. Celui-ci appelle à ses côtés l’ancien patron de la FASP, Gérard Monate. Ce sera son conseiller technique. Du coup, la Fédération est omniprésente dans toutes les décisions. La Franc-maçonnerie aussi.

Mais derrière les hommes de lumière il y a aussi les hommes de l’ombre. En effet, sur le trottoir d’en face, d’autres tirent les ficelles. En apparence, c’est le directeur de cabinet de l’Elysée, Gilles Ménage, qui mène le jeu. Mais il est probable qu’en arrière plan, Michel Charasse et le secrétaire général, Jean-Louis Bianco, sont les véritables chefs d’orchestre. Lorsque les choses vont se tendre, Frédéric Thiriez, servira de fusible. Fort opportunément, la DST sort alors un dossier sur son passé trotskyste, et, dans la foulée, on parle aussi de ses relations avec une personne proche du Canard Enchaîné. Exit Thiriez.

Le 31 mai 1983, tandis que l’Assemblée nationale examine en deuxième lecture l’abrogation de la loi « sécurité et liberté », jugée « liberticide », à Paris, un banal contrôle d’identité se transforme en drame. Deux gardiens de la paix sont tués, Émile Gondry et Claude Caïola. Un troisième, Guy Adé, est très grièvement blessé. C’est la goutte d’eau. La fronde menace. Quelques jours plus tard, lors de la cérémonie à la mémoire de ces hommes, dans la cour de la Préfecture de police, Gaston Defferre et Joseph Franceschi sont accueillis par des huées et des coups de sifflet. Puis, spontanément, les policiers décident d’aller manifester devant le palais de Justice. Au fil du parcours, le cortège grossit. Ils sont trois ou quatre mille en arrivant place Vendôme. La Chancellerie est gardée par deux escadrons de gendarmes mobiles et quelques dizaines de gardiens de la paix. Ceux-ci mettent képi bas devant leurs collègues. Le Garde des sceaux, Robert Badinter, déclarera plus tard sur Europe 1 que, depuis la fenêtre de son bureau, alors que les policiers entonnaient La Marseillaise, il les a nettement vus, le visage défiguré par la haine, lever le bras « dans un geste qui lui a rappelé les tristes souvenirs de son enfance ». Une déclaration étonnante pour un homme d’une telle culture. Bilan de cette journée noire : le préfet de police démissionne, le directeur général de la police est remercié, un policier est mis en retraite d’office, sept sont suspendus, et deux représentants syndicaux sont révoqués pour « participation à un acte collectif contraire à l’ordre public ». C’est la plus grave atteinte aux libertés syndicales depuis la triste époque de l’occupation allemande.

Lorsque Defferre et Franceschi quittent la place Beauvau, en 1984, la police est KO debout. Heureusement, Pierre Joxe, le successeur sera à la hauteur.

« Il y aura des changements à opérer », confie François Rebsamen dans cet article du Monde. « Il ne s’agit pas de descendre trop bas dans la hiérarchie, ni de faire un grand chambardement. Mais ceux qui ont impulsé des comportements peu républicains ou des pratiques professionnelles éloignées de l’esprit républicain doivent être remplacés. Il faudra redonner confiance à l’ensemble des préfets ».

La confiance ! Oui, aux préfets aussi… Mais n’oubliez pas, Monsieur le futur ministre de l’Intérieur, que les policiers ne sont efficaces que par leur initiative. Et l’initiative ne se commande pas, elle s’encourage.

Du petit cadeau à la corruption

« Il n’y a aucune preuve contre moi… », a dit M. Éric Woerth, à la suite de sa mise en examen pour deux délits qui visent des faits liés à sa carrière politique. Il a peut-être raison, car les infractions qui consistent à user de son influence pour obtenir un service, un avantage, voire de l’argent, sont parmi les plus difficiles à réprimer. Qu’il s’agisse de corruption ou de ces délits dits d’atteinte à la probité, comme le trafic d’influence, le favoritisme, le détournement de fonds publics, etc. D’autant que dans ces affaires, les protagonistes sont d’accord entre eux et chacun y trouve son compte. Non seulement il n’y a pas de victime « physique », mais, le plus souvent, tous les participants tombent sous le coup de la loi. Donc, aucun n’a intérêt à dévoiler le pot aux roses.

Si, la plupart du temps, ces dossiers sont mis à jour par des journalistes, ils ne peuvent aboutir que par la pugnacité de certains juges d’instruction. En d’autres temps, Mme Eva Joly disait d’ailleurs que ces enquêtes (je crois qu’elle parlait de l’affaire Elf) ne pourraient pas sortir dans un système judiciaire du type accusatoire. Et même l’avocat général Philippe Bilger, qui voulait « achever le juge d’instruction », a fait machine arrière, déclarant dans Marianne2 : « Je n’ose imaginer ce qu’aurait été la justice actuellement si nous n’avions pas des juges d’instruction… »

Ces infractions sont liées au pouvoir. Elles ne concernent pas que les élus ou les membres du gouvernement, mais tous les gens qui détiennent une parcelle de pouvoir – comme les fonctionnaires. À noter qu’une loi de juillet 2005 a introduit la corruption privée dans le Code pénal.

L’agent public est soumis à une obligation de moralité qui lui interdit d’accepter un cadeau susceptible de mettre en doute son impartialité ou sa probité. S’il passe outre, il peut tomber sous le coup de la loi. Pourtant, tout est dans la mesure. Il ne viendrait à l’idée de personne de chercher des poux dans la tête au facteur qui sonne à notre porte, en fin d’année, pour « vendre » ses calendriers ? Certains pays, notamment en Afrique, interdisent aux fonctionnaires d’accepter le moindre cadeau, alors que d’autres, comme la Suisse, admettent le « cadeau de peu de valeur offert par courtoisie » (canton de Berne). Le code de déontologie américain donne, lui, toute une liste de petits cadeaux que le fonctionnaire peut accepter. Alors que pour le voisin canadien, tout présent doit être retourné au donateur ou à l’État.
« Par essence, si le cadeau est banalisé, voire systématisé, cela signifie que le système en lui-même est corrompu », dit Frédéric Colin, Maître de conférences à l’Université Paul-Cézanne à Aix-en-Provence (Actualité juridique – Fonctions publiques, chez Dalloz).

Pour le policier français, la bonne règle voudrait qu’il n’accepte aucun cadeau ni aucune récompense. Il n’est pourtant pas inhabituel que la victime d’un vol, par exemple, tienne à montrer sa reconnaissance aux enquêteurs qui ont retrouvé ses bijoux, ses tableaux… C’est ainsi que l’ancien Orphelinat de la police (aujourd’hui Orpheopolis) a reçu parfois des donations d’une valeur assez inhabituelle. Je me souviens d’une anecdote… Le producteur de la série télévisée du Commissaire Moulin avait obtenu l’autorisation (rare) de tourner quelques séquences dans la cour mythique du 36. Et, pour remercier, il avait pris l’initiative de faire parvenir au directeur de la PJ une caisse de champagne. Celle-ci lui avait été retournée avec un mot sec, du genre : Un policier n’accepte pas de cadeau. Tout le monde n’a pas forcément le charisme de M. Jean-Pierre Sanguy, puisque c’est de lui dont il s’agit. Pour la petite histoire, c’est ce même personnage qui, quelques années auparavant, dans une affaire dramatique qui avait sérieusement perturbé la brigade antigang de Nice, et qui s’était traduite par la mort d’un jeune gardien de la paix, avait écrit au magistrat pour lui demander d’être inculpé au même titre que ses hommes. Alors que l’information judiciaire avait été ouverte pour assassinat.

Et, lorsqu’on se tourne vers la presse, le quatrième pouvoir, les choses ne sont pas plus évidentes. Si la plupart des rédactions mettent en commun les cadeaux que les journalistes reçoivent, c’est à l’initiative de chacun. Je crois savoir que cela se passe ainsi au Monde, notamment pour les livres envoyés par les éditeurs. Dans un autre journal, en fin d’année, une amie a reçu une caisse de bons vins. Situation embarrassante, lorsqu’on a le code de déontologie comme livre de chevet… Difficile de retourner le présent sans froisser le donateur. Discrètement, elle a fait suivre la caisse au comité d’entreprise. J’espère qu’ils en ont fait bon usage… Mais quid de ces voyages de presse offerts par des annonceurs publicitaires ! Ou de ces journalistes ou pseudo-journalistes qui chaque année figurent sur la liste de la promotion à la Légion d’honneur ! Il n’y a pas de honte, disent certains, à accepter une médaille. Et pourtant, M. Woerth est bien soupçonné d’avoir utilisé ce stratagème pour faire embaucher son épouse par Patrice de Maistres, le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt. Heureusement, certaines journalistes ont une autre opinion de leur métier. Comme Françoise Fressoz et Marie-Ève Malouines qui en janvier 2009 ont refusé cette distinction.

Pour les fonctionnaires, les limites entre le pénal et l’administratif sont parfois bien floues. Ainsi, lorsque l’on nous dit que le commissaire Michel Neyret s’est fait offrir un voyage au Maroc, que faut-il en penser ? Eh bien, s’il a accepté ce cadeau en échange ou en remerciement d’un service, c’est de la corruption passive (corruption active pour le corrupteur). Mais s’il n’existait aucune contrepartie à ce cadeau, alors, cela ne regarde pas le juge. Il s’agit d’une faute qui entraine une sanction administrative.

Pas facile de démêler l’écheveau. Et il faut bien reconnaître que la France est un peu à la traîne pour lutter contre la corruption. D’autant que la prolifération du « Secret défense » a encore compliqué les choses. Le FBI, par exemple, n’hésite pas à utiliser tous les moyens pour parvenir au flagrant délit. La preuve absolue en la matière. Chez nous, il n’y a guère d’exemple. L’affaire Schuller, peut-être, en 1995. Dans laquelle, une information recueillie par le juge Éric Halphen a permis aux enquêteurs de surprendre une remise de fonds de la main à la main. Il s’agissait, on s’en souvient, de l’affaire des HLM de la Ville de Paris (résumé sur Wikipédia). La création de la brigade centrale de lutte contre la corruption (BCLC) date seulement de 2004. Mais, à ce jour, on ne lui a jamais donné les moyens suffisants pour être véritablement performante. Elle compterait cinq fois moins d’enquêteurs que son équivalent en Belgique. Pire, ces dernières années, la sous-direction des affaires économiques et financières a plus ou moins été démantelée. Bien sûr, il y a Tracfin. Mais ce service ne brille pas par sa transparence. D’ailleurs n’est-il pas assimilé à un service secret ? Je pose seulement la question… Transparence International France remarque que seulement deux condamnations mineures ont été prononcées à ce jour au titre de la Convention sur la corruption entrée en vigueur il y a dix ans. Alors que dans le même temps, l’Allemagne a prononcé 42 condamnations et les États-Unis, 88.

Alors, soit nous sommes un pays particulièrement vertueux, soit, malgré les effets de manche et les mouvements d’épaule, la volonté politique n’y est pas.

Le miracle de la petite fille du manège

Lorsqu’on parle de la police, on pense arrestations, gardes à vue, P-V, etc. Mais la police, c’est aussi l’histoire d’Églantine.

Elle a 7 ans et demi. L’autre samedi, grimpée sur une moto miniature, elle devait rire aux éclats sur ce manège du Jardin d’acclimatation, à Paris. Comme tous les enfants de son âge. Soudain, son écharpe se coince dans les rayons de l’une des roues. Tout va très vite. La petite fille s’étrangle. Deux promeneurs surprennent la scène. En un clin d’œil, le manège est arrêté. Ils se précipitent vers l’enfant. L’un est médecin, l’autre pompier: bouche à bouche, massages cardiaques… Six minutes plus tard, les pompiers de Paris sont sur place et, sept minutes après, le médecin du SAMU arrive à son tour.

Un flash d’urgence tombe sur les portatifs des policiers. Pour l’heure, certains font la chasse aux vendeurs à la sauvette qui proposent des « Tour-Eiffel » souvenirs aux touristes du Champ-de-Mars. Le genre de mission que les policiers n’apprécient pas beaucoup. Mais, depuis le vote de la LOPPSI 2, c’est un délit fermement pourchassé (6 mois de prison et/ou 3 750 € d’amende). Plusieurs milliers de ces vendeurs de porte-bonheur ont d’ailleurs été interpellés l’année dernière.

Mais les messages crépitent et prennent vite une tournure dramatique. Les policiers abandonnent leur mission. Ils sont un peu loin, mais peu importe. Ils foncent sur les lieux de l’accident. Au cas où… Lorsqu’ils arrivent, tout le monde s’affaire, pourtant le médecin a le front sombre : impossible de ranimer la petite fille. Il faut la transporter à l’hôpital de toute urgence… Les motards sont commandés. Sirènes hurlantes, ils ouvrent la circulation. L’escorte fonce dans Paris. Des policiers prennent les parents en charge, et, dans la voiture qui suit le convoi, durant le trajet, ils les rassurent et tentent de leur donner confiance. Les autres, ceux qui restent sur place, recueillent des témoignages et se livrent aux premières constatations… En fait, ils n’auraient pas besoin d’être si nombreux, mais ils ont du mal à partir. Ils attendent des nouvelles.

Il faut 15 minutes à l’ambulance pour parvenir à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Un sacré challenge pour les motards, un samedi après midi, sur le périphérique humide ! Les urgentistes ont été prévenus. L’enfant est prise en charge sans attendre. Tout est prêt. Hélas ! Il n’y a guère d’espoir. Impossible de la ranimer. Son pronostic vital est engagé.

On sait ce que cela veut dire…

Et, mardi dernier, miracle ! Contre toute attente, Églantine sort du coma.

Le papa est venu au commissariat pour annoncer la bonne nouvelle et remercier tout le monde. Un grand moment d’émotion parmi les policiers.

Aujourd’hui, c’est à peine croyable !… Églantine a quitté l’hôpital. Elle marche, elle parle et elle a des réactions normales. Elle est juste un peu fatiguée.

 

La déferlante des drogues de synthèse

Les policiers canadiens les appellent les drogues de dernière génération. Ils en saisissent beaucoup. Des tonnes. « Cuisinées » dans des laboratoires de fortune, mais parfois aussi produites de manière quasi industrielle, elles sont en grande partie destinées à l’exportation. Les « cocktails de drogues » ainsi réalisés sont chargés sur des camions ou noyés dans le fret aérien, et partent aux quatre coins de la planète : États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, et aussi Europe. En très peu de temps, le Canada est devenu la plaque tournante des drogues de synthèse. Quant à la consommation locale, il semble qu’elle concerne plutôt les jeunes. Ils la privilégieraient à la cocaïne, à l’héroïne et même au haschich.

La France n’est pas épargnée. Pour l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), ces drogues seraient apparues d’une manière conséquente il y a seulement quelques années. La première a été identifiée en Europe en 2005 (par un laboratoire français) : la MDHOET (ou N-hydroxyethyl MDA). Leur succès tient à la similitude des effets par rapport aux drogues plus traditionnelles. Mais, si leur structure moléculaire se rapproche des amphétamines, de la cocaïne, etc., elle n’est cependant pas tout à fait identique. Et de ce fait, elles échappent à la législation sur les stupéfiants – du moins jusqu’au jour où elles sont identifiées. Ce qui demande du temps et des moyens. Il existe une collaboration entre les différents laboratoires au niveau national et européen, via le Système d’Alerte Précoce (Early Warning System : EWS). Les informations sont dispatchées par Eurotox qui se trouve à la tête d’un système de diffusion du type pyramidal. Après l’avoir repérée, il faut environ six mois pour inscrire une substance psychoactive au tableau des stupéfiants.

Si les drogues répertoriées sont systématiquement saisies et placées sous scellés, une note de la DGPN rappelle que des prélèvements de produits présumés stupéfiants sont également possibles, notamment pour alimenter la base de données nationale. Ils ne peuvent toutefois être utilisés dans une procédure judiciaire.

En 2008, une enquête nationale, concluait que les drogues de synthèse étaient encore ignorées des jeunes de 17 ans. En revanche, la méphédrone (surnommée depuis « miaou miaou »), était déjà prisée dans certains cercles d’initiés, gays en particulier. Ces effets stimulants, de type ecstasy, étant particulièrement recherchés lors de débauches sexuelles. Pour faire simple, on peut dire que c’est la drogue des partouzards. Elle a été classée dans les produits stupéfiants en juin 2010. Mais il n’était pas difficile de s’en procurer sur le Net, où elle se présentait sous diverses étiquettes : sels de bain, engrais… Sa fabrication et sa commercialisation ont finalement été interdites par décision des ministres de l’Intérieur de l’U-E, il y a environ un an.

Dans ce domaine, les choses vont très vite. Ainsi, dans un article du Figaro de mars dernier, le commissaire Lucas Philippe, responsable de la division du renseignement et de la stratégie au sein de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCTRIS), déclarait qu’aujourd’hui, les jeunes de 18-20 ans étaient « particulièrement concernés ». Il faut dire que le prix et la facilité d’usage rendent ces petites pilules bien attrayantes…

En matière de drogue, le besoin crée le business. Il est tellement facile de se procurer les ingrédients sur l’Internet, que l’on pourrait bientôt voir, chez nous, des coins de cuisine se transformer en labo de fortune. Si ce n’est déjà le cas. D’autant que les services de la douane sont maintenant sensibilisés au problème : l’importation devient plus risquée. L’année dernière, les saisies frontalières ont explosé les statistiques.

Mais à ce jour, rien à voir avec le Canada. Là-bas, les drogues de synthèse sont devenues un enjeu des différentes mafias. Avec des laboratoires parfois dissimulés au sein même d’entreprises qui ont pignon sur rue. Un peu comme dans la série télévisée américaine Breaking bad, dans laquelle le petit professeur de chimie du Nouveau-Mexique est récupéré par les narcotrafiquants pour une production de masse. Du coup, la gendarmerie royale canadienne (GRC) a mis en place une unité pour surveiller les courtiers en produits chimiques et détecter ceux qui alimentent les circuits mafieux. Et une section spéciale a également été créée pour lutter contre les drogues synthétiques.

Bizarrement, notre gouvernement, pourtant prompt à dégainer, n’a pas vraiment réagi devant cette menace. Et pourtant, les drogues de synthèse sont autrement plus dangereuses que le cannabis. Elles sont tellement différentes de l’une à l’autre que le consommateur ne sait jamais ce qu’il ingurgite. Comme on peut le voir dans la liste (partielle) tirée d’un rapport canadien de 2008. On y trouve même parfois du Sildénafil, c’est-à-dire du Viagra. Or ces molécules, utilisées dans les médicaments, ont toutes des effets indésirables, voire contradictoires. Et peuvent entraîner notamment des troubles cardiaques. Autrement dit, quelle que soit la couleur de ces petites pilules, le simple fait d’en avaler une revient à jouer à la roulette russe…

Dans n’importe quelle commune de la banlieue parisienne, la moitié de l’activité judiciaire des policiers  vise des affaires de stupéfiants. Pour une grande part, le cannabis. Je peux me tromper, mais la déferlante des drogues de nouvelle génération va probablement bientôt toucher notre pays. Et, pour être pragmatique, il faudra alors faire un choix entre la poursuite judiciaire du petit fumeur de joints et la protection de la santé publique – et surtout de notre jeunesse. Le débat sur la dépénalisation du cannabis  pourrait alors ressembler à un combat du passé.

Faut-il démanteler la DCRI ?

La direction centrale du renseignement intérieur, c’est un peu le fait du prince. Créée par la seule volonté du président Sarkozy, sur les conseils forcément autorisés d’on ne sait trop qui, à ce jour, elle n’a pas réussi à convaincre. Pire, elle draine la suspicion. Sa première affaire, l’arrestation spectaculaire, au fin fond de la Corrèze, de Julien Coupat et de son équipe de pseudo-terroristes, restera dans les annales. Une enquête, affirmait alors sans rire le ministre de l’Intérieur (Mme Alliot-Marie), effectuée en collaboration avec les services secrets américains et ceux de plusieurs pays d’Europe, qui a mis à mal une « structure à vocation terroriste ». Et aujourd’hui, une affaire qui semble en déliquescence. D’autant qu’une information judiciaire a été ouverte pour faux en écriture publique, en raison d’un procès-verbal de surveillance peut-être bidonné. Et une seconde, par un juge de Brive-la-Gaillarde, pour des écoutes sauvages mises en place sur le bar-épicerie que tenaient les « terroristes ».

On pourrait se dire qu’il s’agissait d’une mise en jambes… Sauf que si le service était tout récent, les policiers, eux, ne manquaient pas d’expérience. C’est donc l’organisation même qui a failli. Trop proche du pouvoir politique, diront certains.

C’est sans doute l’avis du député Jean-Jacques Urvoas. Dans une étude de trente pages, que l’on peut télécharger sur le site de la fondation Jean Jaurès, Il revient sur la suppression de la direction de la surveillance du territoire (DST) et des renseignements généraux (DCRG). Une réorganisation effectuée à l’emporte pièces, sans aucune étude préalable, supprimant d’un coup des services qui marchaient bien, même si tous deux ont connu parfois quelques trous d’air. Avec un objectif principal : centraliser le renseignement « fermé », c’est-à-dire secret, voire protégé par l’estampille « secret-défense ». Les RG de Paris, qui dépendent du préfet de police, sont d’ailleurs restés en dehors de la réforme. Même si l’on a changé leur nom : les RGPP sont devenus la DRPP (direction du renseignement de la préfecture de police).

Pour le reste de la France, la direction des renseignements généraux a été dissoute pour faire place à une sous-direction de l’information générale (SDIG) rattachée à la sécurité publique. Perdant au passage plus de la moitié de ses effectifs. Rappelons que si les RG avaient souvent mauvaise presse dans l’opinion publique, aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’avait pris jusqu’ici le risque de s’en passer. Ils étaient un peu le thermomètre de la société. La SDIG, qui les a remplacés, a-t-elle les moyens de suivre les difficultés de la population, des entreprises, des commerçants, des administrations… ? En fait, avec cette réforme, il semble bien que nos dirigeants se soient coupés de la France profonde. Ils sont à présent souvent dans l’impossibilité de prévoir une fermeture d’usine, un mouvement social…, ou tout simplement de prendre le pouls d’une cité de banlieue.

Quant à la gendarmerie nationale, qui excelle dans le domaine du renseignement « ouvert », après une période de flottement, elle a finalement relancé son activité dans ce domaine. Ce qui entraîne une compétition gendarmerie-police qui va à l’encontre de l’objectif fixé par le rapprochement de ces deux grands corps de l’État.

« Comment se fait-il qu’à l’heure actuelle, demande M. Urvoas, en pleine crise économique, aucune synthèse ne vienne centraliser les notes alarmistes qui remontent des services territoriaux, annonçant la fermeture imminente en cascade d’entreprises et d’usines ? » Et de quand date la dernière synthèse nationale sur les violences urbaines ? Le député socialiste propose plusieurs pistes de réflexion pour « reconstruire » le renseignement social, dont la création d’une direction générale. Peu importe les modalités, le plus important, me semble-t-il, tient dans le titre même de la note : Rebâtir le renseignement de proximité.

Et, comme cela suppose des moyens en hommes et en matériel, il est probable que l’on déshabille la DCRI. En deux mots, on reviendrait peu ou prou à la case départ. En essayant de faire mieux, mais en se disant aussi que cela ne marchait pas si mal avant.

Les hackers sont-ils des terroristes ?

Il y a quelques jours, Anonymous piratait le site d’un syndicat de police. L’action des « cyber-activistes » se serait traduite par la publication pendant quelques heures des coordonnées personnelles de 541 policiers.

Publier des informations permettant d’identifier quelqu’un dans l’intention de lui nuire est un délit, mais il n’est pas sûr que le texte soit bien adapté. L’année dernière, pour des événements sensiblement similaires, le ministre de l’Intérieur avait préféré déposer plainte pour diffamation publique. En revanche, le fait de s’introduire dans « tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données » entraîne une kyrielle de sanctions prévues dans les articles 323-1 et suivants du code pénal. Et la volonté d’entraver le fonctionnement d’un système informatique, par exemple en le saturant, est considéré comme un déni de service (5 ans de prison).

Tout cela ne fait pas des Anonymous de dangereux terroristes. Sauf, évidemment, si les autorités du pays estimaient que par leur action, ils portent atteinte aux « intérêts fondamentaux de la Nation ». Dans ce cas, peut-être, l’article 411-9 pourrait s’appliquer (15 ans de détention criminelle)…

Mais alors, pourquoi la DCRI est-elle chargée de ce type d’enquête ? C’est tout simplement que cette direction de la police nationale a hérité des services techniques de la DST. Qui, il n’y a pas si longtemps, étaient chargés entre autres de la « police des communications radioélectriques » (PCR). Et même – un peu plus avant – de la surveillance des pigeons voyageurs. Si, si ! Il y avait un groupe « colombophilie » composé, il est vrai, d’un seul enquêteur. L’ami Raymond. Les anciens de la PCR (comme moi) se souviennent des « nuits gonio » passées dans l’ancien centre d’écoutes de « la Grenouillère », à Noisy-le-Grand ; ou de la chasse aux fanas de la « citizen band », les gentils rebelles des années 60. Bon, d’accord, ce sont les mêmes poulagas qui ont tenté de « bidouiller » les locaux du Canard Enchaîné… Personne n’est parfait.

Heureusement, ces « techniciens » d’aujourd’hui ne semblent pas plus méchants que ceux des décennies précédentes. Du moins si l’on se rapporte au récit que fait Pierrick Goujon de son arrestation, à OWNI, ou sur une page personnelle : « Je ne crache pas sur des mecs qui font leur métier, ceux à qui j’ai eu affaire étaient vraiment sympas (…) Merci pour ce que vous avez fait pour moi. Et de m’avoir laissé fumer 20 clopes en 60 heures, je sais que beaucoup ne l’auraient pas fait. »

C’est vrai qu’ils sont plutôt sympas, à la DCRI. Ils auraient pu verbaliser pour « tabagisme dans un lieu à usage collectif »…

 « Nous traversons le présent les yeux bandés… », dit Soph’, dans un commentaire du billet précédent, citant Milan Kundera.

Il y a 25 ans, le 9 juillet 1986, une bombe explosait dans les locaux de la brigade de répression du banditisme (BRB) de Paris : un mort, l’inspecteur divisionnaire Basdevant, et vingt blessés. L’attentat était revendiqué par un groupuscule inconnu qui aurait voulu venger un jeune homme tué par les CRS. Toutefois, à l’époque, l’enquête s’est plutôt orientée vers l’artificier de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) – aujourd’hui en règle avec la société. Jacques Chirac, alors tout nouveau Premier ministre de François Mitterrand, s’était déplacé Quai de Gesvres : « La police est de nouveau en deuil, une fois encore, etc. ». Bon, sur le petit film de l’Ina, on voit bien qu’il a d’autres soucis en tête que la mort d’un poulet. « Notre nouvelle frontière, ce doit être l’emploi », avait-il déclaré quelques semaines plus tôt, lors de son discours de politique générale prononcé devant l’Assemblée nationale. La même volonté farouche de lutter contre le chômage que dimanche dernier, sur le petit écran…

Tout ça pour dire qu’il n’est pas mauvais de se tourner vers son passé et de vivre le présent avec discernement.

 

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