Le jour des élections, il y a ceux qui votent, ceux qui ne veulent pas et ceux qui ne peuvent pas voter. Si les sondages prévoient un taux d’abstentions record, on ne connaît pas le nombre de personnes qui sont privées de leur droit électoral. Combien sont-ils ces « incapables », ceux à qui le juge a retiré le droit d’être un citoyen comme un autre ? Ou pour qui le droit de vote ressemble à un parcours du combattant.

Les condamnés – Les personnes condamnées peuvent être privées de tout ou partie de leurs droits civiques, civils ou de famille (art. 131-26 du CP) pour une période qui peut atteindre dix ans pour un crime et cinq ans pour un délit. En fait, pour celles qui sont condamnées à une peine de prison ferme, le délai est plus long. Car, si l’interdiction s’applique dès la condamnation, le délai, lui, ne commence à courir qu’au jour de la libération (art. 131-29 du CP). Un délinquant condamné à cinq ans d’interdiction et qui passe deux ans derrière les barreaux ne pourra donc pas voter pendant sept ans.

Cela dit, avant une loi de 1994, la perte des droits civiques était à vie pour les crimes et de dix ans pour les délits. Et les juges n’avaient pas à se prononcer : la mesure était automatique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il s’agit d’une peine complémentaire que la juridiction de jugement peut prononcer en plus de la condamnation principale. Il existe des exceptions pour certaines infractions, comme le manquement au devoir de probité, la corruption, le détournement d’un bien… L’incapacité électorale est alors automatique. Cela concerne plutôt les fonctionnaires, les élus, etc.

Pourtant, dans la pratique, l’interdiction du droit de vote est prononcée de façon quasi systématique en matière criminelle et dans les affaires correctionnelles d’une certaine gravité. L’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne vise pas les mineurs.

C’est l’INSEE qui gère le fichier des électeurs. Cet organisme est donc destinataire de l’extrait de casier judiciaire où figure cette condamnation et l’enregistre dans la liste des « interdits ». Toute personne qui passerait outre à une incapacité prévue par la loi en se faisant inscrire sur une liste électorale risquerait un an de prison et 15 000 € d’amende.

Retour vers le passé – Bizarrement, une personne condamnée avant la loi de 1994, pourrait très bien aujourd’hui être encore privée de vote. Tandis qu’une autre, condamnée plus tard pour des faits identiques, pourra glisser son bulletin dans l’urne en toute légalité. Alors que toutes deux sont à jour avec la société.

Et si l’on remonte dans le temps, c’était pire. Après la Révolution, celui qui était condamné à « la peine de la dégradation civique » était conduit en place publique, placé sous carcan, et exposé au regard du peuple. À cette époque, après un bref passage au « suffrage universel masculin » (seuls les hommes de plus de 21 ans pouvaient voter), on est vite revenu à un suffrage réservé aux « citoyens actifs ». En gros, seuls ceux qui payaient des impôts avaient le droit de vote. Tandis que les autres, les « citoyens passifs », ne pouvaient pas s’exprimer. Du moins par les urnes.

Ce terme de « citoyen passif » devrait faire réfléchir les abstentionnistes.

Les détenus – Lorsqu’ils n’ont pas perdu leurs droits civiques, ils peuvent voter en prison. C’est évidemment le cas pour tous ceux qui sont en attente de jugement. Plus du quart de la population carcérale. Les prisonniers peuvent demander à être inscrits sur les listes électorales de la commune où est implanté l’établissement pénitentiaire. Dans ce cas, il leur est délivré un extrait du registre des écrous qui vaut justificatif de domicile. Mais pour voter par procuration, ils doivent ensuite trouver un proche qui réside dans la commune où ils effectuent leur peine. Ce qui n’est pas toujours évident.

Ils peuvent aussi demander une permission de sortie. Enfin, pas tous. Ceux qui sont en détention provisoire ne bénéficient pas de cette mesure. Cela ne concerne que certains condamnés, en fonction de leur peine. Il ne s’agit pas d’un droit. La décision revient à l’administration judiciaire.

Extrait de la circulaire du ministère de la Justice du 1er février 2012

Ceux qui n’ont plus toute leur tête – En France, environ 800 000 personnes font l’objet d’une protection juridique. Un chiffre sans cesse en augmentation. La mise sous tutelle est la forme la plus lourde de cette mesure. Certains parlent alors de « mort civile ». Pourtant, ce n’est plus fatalement la mort civique, car, depuis la réforme de 2009, la règle est inversée : le droit de vote est la norme pour les gens sous tutelle, sauf si le juge en décide autrement.

On peut évidemment s’interroger sur la liberté de choix de certaines personnes dépendantes. Question qui se pose d’ailleurs parfois pour celles qui sont en soins intensifs. Une étude faite aux États-Unis a montré que ce sont souvent les accompagnateurs qui décident si une personne assistée doit voter ou non. Pour celles qui pourraient être mentalement déficientes, un outil d’évaluation a même été mis au point pour juger de leur capacité de compréhension et de décision. Mais il est probablement contraire à la loi visant à interdire toute forme de discrimination.

Pourtant, la Convention de l’ONU, relative aux droits des personnes handicapées, garantit à tous les citoyens les mêmes droits civiques – avec ou sans handicap. En fait, 4 ou 5 États de par le monde respectent cette convention en ce qui concerne le droit de vote des personnes qui souffrent d’un handicap mental.

Le droit de voter – Il n’est pas donné à tous, le droit de voter librement. Dans certains pays, c’est même un luxe. Et chez nous, la suppression du droit de vote est une sanction pénale. Pourtant, sur le site du Monde, le 17 avril, le philosophe Michel Onfray nous explique pourquoi « on peut ne pas voter ou voter blanc ». Je ne me permettrai pas de le contredire. D’ailleurs, je n’ai pas tout compris. Pourtant, même si cette campagne électorale est trop longue, trop médiocre, trop ras-des-pâquerettes, je me dis que c’est un moment unique où pointent un peu d’espoir, de rêve… Un moment rare où l’on a l’impression de faire partie de la même communauté, et alors, on n’est plus tout à fait un « citoyen passif ».