LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Toulouse

Apostille à l’affaire Merah : récit d’une affaire ratée

Manuel Valls a admis qu’il y avait eu des erreurs au niveau de la DCRI. Pour lui, Merah aurait dû être surveillé au vu de son profil et de ses nombreux déplacements au Moyen-Orient et en Afghanistan. Et les conclusions de l’enquête interne entraîneront à coup sûr des réformes sérieuses de la DCRI. Bien au-delà d’un changement de chef. C’est peut-être même l’ensemble de nos services de renseignements (12 à 15 000 personnes ?) qui pourrait être visé. La récente nomination d’un diplomate à la tête de la Direction du renseignement (DR) de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) donne une idée de la nouvelle ligne.

En Norvège, après les massacres perpétrés par Anders Behring Breivik, une commission gouvernementale a reconnu les erreurs de la police et des services de sécurité, estimant qu’ils auraient pu empêcher ou du moins limiter l’action du meurtrier. Chez nous, on n’en est pas là. Et si les propos du ministre de l’Intérieur laissent augurer une remise en cause des services de renseignements, il ne faut pas fermer les yeux sur les erreurs qui ont suivi, en aval du premier meurtre.

Car pour le moins, il n’y a pas eu symbiose entre la PJ et la DCRI. Il a fallu attendre l’assassinat des deux militaires, à Toulouse, pour que le contact s’établisse entre les deux services. Soit 5 jours après le premier assassinat. C’est seulement alors que l’adresse IP de la mère de Merah est repérée parmi les mails reçus par la première victime. Trop tard. Le massacre à l’école juive a lieu le lendemain. Ce délai de 5 jours est incompréhensible, alors que Mohamed Merah était considéré comme une « menace directe », selon M. Valls. Et qu’un rapport les présentait, lui et son frère, comme des proches d’islamistes radicaux qui avaient développé une filière de recrutement de candidats au djihad.

Ensuite, il y a eu la double saisine. De mémoire de flic, un truc qui n’a jamais fonctionné. Lorsque Mohamed Merah est identifié de façon quasi certaine comme l’auteur des crimes, la Brigade de recherche et d’intervention de Toulouse débarque en catastrophe près de son domicile. Avec des instructions simples : on planque sur toutes les issues et on le serre à la première occasion. Dans ce genre d’opération, en général, on attend que l’individu soit dans sa voiture. C’est là où les risques sont les moindres. Une opération classique pour des flics de l’antigang. J’imagine la tête du commandant qui dirigeait le groupe lorsqu’il s’est fait éconduire par les pontes de la DCRI sous prétexte que le poisson était trop gros pour lui. Il ne pouvait pas savoir que, lors d’une réunion qui s’était tenue un peu avant, les autorités avaient décidé de faire intervenir le RAID. Pourtant, le RAID, comme le GIGN, n’est pas là pour faire le boulot des autres mais pour prendre en charge les situations extrêmes. Lorsque les méthodes traditionnelles ne suffisent pas. Et pendant que les uns parlaient et que les autres fourbissaient leurs armes, il semble bien que personne ne surveillait le domicile de Merah. Du moins pas sérieusement, puisqu’il serait sorti de chez lui, peut-être même par deux fois. Sans que personne ne s’en aperçoive.

L’intention des hommes du RAID est de le surprendre dans son « premier » sommeil. En l’absence de toute surveillance physique ou technique, ils ne savent pas que leur client ne dort pas, puisqu’il vient de rentrer chez lui. Les policiers d’élite, équipés légers, s’approchent à pas de loup de la porte. On les imagine en chaussettes, sur la pointe des pieds… C’est une image, évidemment. Alors qu’ils s’apprêtent à faire exploser la porte, celle-ci s’entrouvre et Merah ouvre le feu. Un policier est sauvé par son gilet pare-balles et l’autre par son bouclier de protection. Les hommes du RAID ripostent à travers la porte avant de se replier.

Machine arrière. Ça doit râler pas mal dans les rangs. Y avait-il une autre méthode ? N’étant pas préfet, je ne me permettrais pas de critiquer. Je me souviens pourtant de cette affaire des environs de Nice, où le chef du GIPN avait refusé de donner l’assaut pour déloger un forcené retranché chez lui avec un fusil de chasse. Trop dangereux, avait-il dit. Pas d’otage, on peut attendre. C’était la sagesse. Mais pas l’avis des autorités. On a fait venir un autre patron. Bilan : deux policiers sérieusement blessés et l’individu est abattu, alors qu’il a tiré ses deux cartouches et que son arme est vide.

Pas simple, d’être flic !

C’est alors qu’à Toulouse, commencent des négociations invraisemblables : une véritable vitrine médiatique pour Merah. Au point qu’il pourra dire, plus tard (via le procureur de la République)  « Je suis fier d’avoir mis la France à genoux ». Et cela dure, dure…, au point que cela devient ridicule. Il y a bien quelqu’un qui a dû lâcher : On passe pour des charlots ! Donc, rebelote pour le RAID. En respectant un impératif présidentiel : le capturer vivant. Il faut savoir que les policiers de ce service s’entraînent régulièrement à des tirs de neutralisation dans des parties non-vitales. Pour eux, tuer un suspect, c’est presque un échec. Il s’agissait donc d’une consigne parfaitement inutile et qui, d’une certaine manière, les a déstabilisés. Et les voilà repartis à l’assaut avec un armement léger. Et de nouveau, ils sont accueillis par un feu nourri. Merah tire depuis sa salle de bain, réfugié dans sa baignoire et protégé par un frigo. Les premières balles ont fait péter les canalisations d’eau. Les fuites rendent la porte de la salle de bain étanche aux gaz. Il faudrait donc creuser un trou pour enfumer la pièce. Pas le temps. Merah jaillit de la salle de bain en tirant tous azimuts. C’est le deuxième groupe, celui de couverture, qui riposte, avec des armes en l’occurrence inadaptées dans un local si minuscule. Mais toujours en visant les jambes. Touché plusieurs fois par des munitions puissantes, mais à faible pouvoir d’arrêt, le forcené claudique vers la fenêtre en visant les hommes situés derrière et ceux qui sont en position, un peu plus loin. L’un d’eux tombe du balcon alors qu’il tente de se dégager et qu’une balle lui a éraflé la carotide. Merah arrose dans tous les sens. Un autre policier est blessé au pied. Finalement, un tireur d’élite enfreint la consigne et lui colle une balle dans la tête. Dans son rapport, en termes diplomatiques, le chef du RAID fait remarquer qu’en « s’interdisant l’utilisation de certaines techniques et de certaines armes alors même que les circonstances l’auraient justifiée », on a mis en danger la vie de ses hommes.

Donc, une affaire loupée de A à Z. Pourquoi ce désastre ? Il faut surtout se poser la question de savoir s’il est normal que le ministre de l’Intérieur dirige une opération de police judiciaire. Avec dans son ombre un procureur qui tente de sauver la face. Les policiers et les magistrats ont donc baissé la tête. Aucun n’a eu le courage de dire non.

Mohamed Merah : Loup solitaire ou agent dormant ?

Alors que les négociations se poursuivent pour obtenir la reddition de l’auteur présumé des meurtres de Toulouse et de Montauban, déjà on s’interroge sur son profil : loup solitaire ou agent dormant ?

Les deux plus grandes craintes en matière de terrorisme.

Le loup solitaire est l’individu qui partage une identité idéologique ou philosophique avec un groupe et qui un jour décide de passer à l’acte. En solo. Sans avoir reçu d’instructions et même parfois sans participer activement à la vie de ce groupe. Internet favorise de telles focalisations. C’est un peu la rébellion de la fourmi dans la fourmilière.

Pour Nicolas Lebourg, chercheur à l’Université de Perpignan, cité dans le blog du Monde Droites extrêmes, c’est une tactique inventée par l’Américain Joseph Tommasi, en 1974, pour qui le terrorisme individuel est le seul susceptible de passer entre les mailles des filets de protection mis en place par les États. Métapédia, date le loup solitaire de la fin des années 90, lorsqu’aux États-Unis, un certain Alex Curtis prônait l’utilisation de tous les moyens « individuels » pour lutter contre tous les non-Blancs. Mais peu importe l’origine, cette stratégie terroriste, quasi mythique, consiste à échauffer des esprits faibles pour les inciter à passer à l’action – de leur plein gré. Ces gens se croient chargés d’une mission. Quelle qu’elle soit. Ici des assassinats, mais il peut tout aussi bien s’agir de lettres de menaces, de colis piégés, du plastiquage des radars routiers, etc.

Le norvégien Anders Breivik, qui aurait agi pour combattre « l’islamisation de l’Europe par les gouvernements socialistes », semble bien cadrer avec cette définition.

Qu’en est-il de Mohamed Merah ? Il est trop tôt pour le dire. Mais il aurait effectué plusieurs « stages » aux frontières du Pakistan et de l’Afghanistan, peu après sa sortie de prison. Ce qui incite à penser qu’il a pu faire l’objet d’un endoctrinement et d’un recrutement par un réseau islamiste clandestin derrière les barreaux de sa cellule. On pourrait donc se trouver en présence d’un agent dormant. C’est une technique qui date du siècle précédent et dont le KGB s’était fait le spécialiste. Ce service secret favorisait l’implantation sociale d’un espion et le laissait mener une vie normale. Il pouvait se passer des années, voire des dizaines d’années, avant qu’il ne soit « réactivé ». Certains ont été identifiés (pas nécessairement arrêtés, mais « retournés ») au plus haut niveau de l’administration française.

La préparation de l’attentat du World Trade Center montre qu’Al-Qaida utilise cette stratégie, du moins sur de courtes périodes.

Dans le cas qui nous intéresse, il appartient désormais aux enquêteurs de déterminer dans quelle case se trouve le suspect. C’est très important. Car s’il a été recruté, formé, puis finalement activé pour commettre ces assassinats, cela voudrait dire que la France est devenue une cible pour les terroristes. Et qu’il y a la volonté très nette d’influer sur la campagne présidentielle.

Si c’était l’un des objectifs, c’est une réussite.

Les enquêteurs ont identifié l’assassin, pourtant, l’enquête est déjà critiquée, comme on peut le lire sur le site OWNI. Avec en filigrane cette question : aurait-on pu éviter le massacre de jeunes enfants ? En fait, il semble bien qu’il y ait eu des hésitations, des lenteurs. Mais comment faire travailler ensemble des dizaines de fonctionnaires appartenant à des services différents, aux méthodes différentes et avec autant de chefs au-dessus d’eux ? Si l’on ajoute la pression politique et médiatique, c’est l’usine à gaz. Plus tard, cela nécessitera un débriefing, et j’espère qu’il sera rendu public.

Quant à la question qui nous tarabuste : pourquoi le RAID n’intervient pas ? Je n’ai pas la réponse. C’est la première fois qu’une telle situation se produit, du moins lorsqu’il n’y a pas d’otage. Soit Mohamed Merah détient des explosifs, et l’on craint un guet-apens, soit personne n’ose prendre le risque de le tuer, pour ne pas aller contre la volonté du président de la République, qui a dit : « J’le veux vivant ! »

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑