LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Étiquette : Proxénétisme en bande organisée

Flic story : Le gardien de but des JO était un julot

Délivrés de leur devoir de réserve, les anciens policiers, gendarmes, magistrats, etc., ont souvent en mémoire des enquêtes, des expériences, qui les ont marqués plus que d’autres, je leur ouvre ce blog.

Cette première histoire, racontée par un spécialiste de la répression de la traite des êtres humains, nous montre que des décennies avant #MeToo et le tamtam des réseaux sociaux, le sort des prostituées, objets de violences et de contraintes, était déjà une priorité tant pour les services de police que pour la justice.

Philippe Barbançon, 2024

Philippe Barbançon a effectué toute sa carrière à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), ce qui doit être un record. Il a quitté la police avec le grade de commandant à l’échelon fonctionnel « Je suis arrivé́ à l’OCRTEH le 1er juin 1978 et j’ai quitté́ l’Office le lundi 31 aout 2009 à 23 h, après avoir vidé́ la mémoire de l’ordi, enlevé́ mon nom sur la porte. » On l’imagine balayer d’un regard nostalgique ces lieux où il a passé une partie de sa vie… « J’ai éteint la lumière et remis la clef de mon bureau à l’accueil du 101 Fontanot à Nanterre. Le temps de parcours dans les transports en commun ce soir-là̀ a suffi pour faire de moi un retraité… Après 30 ans et 3 mois à chasser les maquereaux, je tente aujourd’hui de les pêcher. Une sorte de destinée… »

*

Nous sommes en 1987. Le week-end s’annonce tranquille, aucune affaire urgente à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains. C’est alors que tombe l’appel du vendredi soir : une secrétaire de l’ambassade de Thaïlande, avec laquelle j’avais sympathisé lors d’un précédent dossier, m’informe que cinq jeunes Thaïlandaises, sans passeport et sans argent, viennent de trouver refuge dans les locaux de son ambassade. Elles ont été déposées par un taxi dont le chauffeur réclame avec insistance le prix de sa course. En panique, apeurées, elles racontent qu’elles étaient séquestrées au 5e étage d’un immeuble du boulevard Davout, à Paris, où elles étaient contraintes à se prostituer.

Elles se sont échappées par une fenêtre, en longeant le mur extérieur, pour atteindre le balcon du logement mitoyen, vide d’occupant et en travaux, dont les fenêtres avaient été laissées ouvertes.

Elles souhaitent dénoncer leurs proxénètes-geôliers et, surtout, elles désirent au plus vite rentrer dans leur pays.

J’en informe le commissaire Bernard Trenque, le chef de l’OCRTEH. Il contacte immédiatement le Parquet, puis il appelle Martine Monteil, alors Cheffe de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme (l’ancienne mondaine) à la préfecture de police. « L’un de mes groupes travaille actuellement sur ce bordel asiatique…, de nombreuses surveillances ont déjà été exercées…, etc. » Mais la saisine de l’OCRTEH par le Parquet la contraint néanmoins à nous transmettre dès le dimanche matin, pour jonction, l’intégralité de son enquête préliminaire accompagnée d’un rapport de synthèse.

Nous mettons le cap sur l’ambassade du Royaume de Thaïlande pour y récupérer les victimes en même temps qu’un groupe de souriantes interprètes.

Début des auditions au siège du service, au 127 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Les faits dénoncés sont rapidement confirmés. Je reste au service avec Jojo (Georges Bastien) pour enregistrer sur procès-verbal les déclarations des jeunes femmes tandis que Bernard Trenque récupère les troupes encore disponibles à cette heure et file bd Davout.

Ils reviennent avec 2 individus dont l’un a la pommette bien rougie : interpellé dans l’escalier, les mauvaises langues disent que sa tête aurait servi de « marteau de porte » pour solliciter l’ouverture de l’appartement.

Le soir même, transport rapide à Créteil où est domicilié l’un des protagonistes. Il faut arriver avant 21 heures, l’heure limite pour pénétrer dans un domicile. Il est… enfin, j’inscris 20 h 59 sur le PV. Un homme de type asiatique, chemise blanche, cravate, nous ouvre la porte. Il parle parfaitement le français. Alors que son épouse commence à crier, il la fait taire d’un ton autoritaire : « Ces messieurs agissent en flagrant délit sur des faits de proxénétisme aggravé, ils sont tout à fait dans leur droit ». Titulaire d’une carte de réfugié politique, il s’agit en fait de l’ancien procureur de Vientiane, la capitale du Laos. Il est désormais comptable. Visiblement étranger à l’affaire en cours, il admet avoir fourni une adresse de complaisance à l’un de ses compatriotes. Je le place en garde à vue tout en lui promettant de lever immédiatement la mesure si l’individu recherché vient se livrer au 127. Dans cette optique, je l’autorise à passer un appel. Communication très brève, en langue asiatique. Le ton est cassant et les paroles plus sifflées que prononcées.

Nous retournons au service, au rythme du gyrophare. Devant le 127, un Asiatique attend devant la grille, il baisse les yeux et s’incline respectueusement devant notre gardé à vue, lequel ne lui adresse ni un regard ni une parole. Je respecte le marché et libère l’ancien haut magistrat après trois lignes d’audition.

Le lendemain matin, Trenque retourne avec les fonctionnaires consignés à l’appartement du Bd Davout et récupère le reste des proxénètes-geôliers qui, revenus dans les lieux, attendaient tranquillement sur place, pensant que les filles avaient été déplacées seulement pour la nuit. Dans leur esprit, elles allaient nécessairement revenir, car leurs affaires étaient toujours sur place. Très mauvaise analyse.

Le résultat des investigations est sans appel : les jeunes Thaïlandaises étaient contraintes à la prostitution, jour et nuit, sur des matelas sans drap posés à même le sol, moyennant 500 francs la passe. L’intégralité du produit de leur activité était confisquée. La publicité de ce claque était faite via des cartes de visite distribuées exclusivement dans la communauté asiatique avec seulement l’adresse de l’appartement et une formule en chinois que l’on pouvait traduire par « Ici la soupe est bonne ».

L’enquête a duré plusieurs mois et a abouti à la mise sous écrou des auteurs et des complices, dont deux frères qui tenaient une échoppe en sous-sol, à la station de métro Strasbourg–Saint-Denis. Avec mon collègue Serge Guillon, nous sommes allés les cueillir sur place et nous les avons ramenés au 127, via la ligne 9, pincés à une barre du wagon, devant des usagers médusés : une interpellation économique avec une empreinte carbone quasi nulle.

Les « filles » passaient par l’Allemagne, avant d’arriver en France. Le passeur était un taxi parisien, lequel, très prudent, avait commis l’erreur de contacter durant dix secondes son épouse depuis la chambre d’un hôtel de Francfort où les jeunes femmes étaient en transit. Il ignorait que cet hôtel conservait la liste des appels téléphoniques pendant un an. On ne pense pas à tout…

Il nous restait à interpeller le chef du réseau, une légende à Bangkok, car il avait gardé la cage de l’équipe nationale de football thaïe aux JO de Mexico, en 1968. Il était adulé dans son pays, même s’il avait encaissé 19 buts pendant la compétition… Il devait venir à Paris, le… 25 décembre.

C’est ainsi que Bernard Trenque himself se sacrifia et passa le réveillon de Noël au 127, derrière une Olympia, en compagnie du « sélectionneur » des futures victimes du réseau dans les gogo bars de Bangkok.

Après prolongation (de garde à vue), il termina au ballon. Fin du match !

Bien plus tard, en 1989, royal, le chef nous désignera, Hervé Jaouen et moi, pour terminer le dossier en Thaïlande dans le cadre d’une commission rogatoire internationale.

Une mission à haut risque, comme le montre la photo…

Avril 1989 : Philippe Barbançon et Hervé Jaouen au Pink Panther, un gogo bar de Patpong, le quartier chaud de Bangkok

De cette mission, j’ai ramené un souvenir ce badge « clin d’œil » que j’avais fait confectionner par le patron du Pink-Panther à Bangkok, où chaque coco-girl porte un badge numéroté pour faciliter son identification par les clients et favoriser la comptabilité du tôlier. Il est à l’effigie du « 127 Saint-Honoré », l’adresse mythique de la PJ qui a longtemps réuni 3 Offices centraux : répression du trafic international de stupéfiants, répression du grand banditisme et répression de la traite des êtres humains.

Philippe Barbançon

Une bande organisée, c’est quoi ?

Dans l’affaire Tapie, trois personnes ont été mises en examen pour escroquerie en bande organisée. Les mots sont cinglants, et surtout, ils parlent à tout le monde. Mais en droit, quel est le sens réel de cette épithète à l’infraction de base ?

La bande organisée suppose l’existence d’une organisation structurée en vue de commettre un crime ou un délit (art.132-71). Lorsque cette hypothèse est retenue, elle entraîne une aggravation de la peine, un peu comme la préméditation transforme le meurtre en assassinat. Mais surtout, elle donne des moyens d’investigation plus importants.

Dans notre droit, la différenciation est récente. Une ébauche apparaît dans la loi « Sécurité et  liberté » de 1981.  Mais le texte était tellement mal fichu qu’il n’a pratiquement jamais été utilisé. C’est la loi du 9 mars 2004 qui a rendu l’idée cohérente.

L’intérêt principal de la bande organisée se situe dans les pouvoirs d’enquête. Cette qualification permet des mesures dérogatoires au droit commun, assimilables à celles qui sont utilisées pour lutter contre le terrorisme, le proxénétisme ou le trafic de stupéfiants. Lorsque les magistrats ajoutent les mots magiques, les enquêteurs disposent de tout ou partie des pouvoirs détaillés dans le titre XXV du Code de procédure pénale : garde à vue plus longue, infiltration, écoutes téléphoniques, perquisitions en dehors des heures légales, sonorisation, captation d’images et de données informatiques, etc.

 » Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on est plus de quatre on est une bande de cons… « 

Toutefois, la conséquence la plus visible est l’alourdissement de la peine. En fin de parcours, c’est souvent la cour d’assises. En théorie. Car, dans la pratique, la justice « correctionnalise » à tout va. Ainsi, une information judiciaire ouverte pour vol en bande organisée passible des assises et de 15 ans de réclusion criminelle peut devenir un vol en réunion, délit passible de 5 ans d’emprisonnement. Les juges feront mine de croire que la réunion est fortuite. Il n’y aurait donc ni organisation ni préméditation.

Il pourrait bien en être ainsi dans l’affaire du Carlton de Lille. Les personnes poursuivies, dont DSK, ont été mises en examen pour proxénétisme en bande organisée. Une infraction qui relève de la Cour d’assises, punissable de 20 ans de réclusion criminelle et de 3 millions d’euros d’amende. Or, au terme de ce dossier particulièrement médiatisé et qui a coûté fort cher au contribuable (il y aurait plus de 3.000 P-V), les juges envisageraient de requalifier l’infraction en proxénétisme en réunion (10 ans d’emprisonnement), ce qui permettrait au procès de se tenir devant un tribunal correctionnel. En l’occurrence, il faut reconnaître que des magistrats professionnels montreraient peut-être plus de sérénité qu’un jury populaire dans une affaire qui a un peu chatouillé l’opinion publique.

La bande organisée permet donc de donner des armes supplémentaires aux juges et aux enquêteurs. Mais la généralisation de son application semble donner raison aux juristes qui s’inquiètent de cette vulgarisation des moyens dérogatoires au droit commun. Et si son utilisation devait devenir une ficelle juridique, il y a fort à parier que, sous la pression de la Cour européenne, le législateur pourrait être amené un jour ou l’autre à revoir sa copie.

Et pour revenir à l’affaire Tapie, en clin d’œil à Brassens, qui sera le cinquième de la bande ?

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