À la différence de 2007, la sécurité n’est pas au centre de cette campagne présidentielle. Et c’est sans doute une bonne chose. Car l’insécurité, c’est un peu comme une maladie : il faut se soigner, mais c’est encore mieux de ne pas l’attraper. Toutefois, chaque candidat propose ses remèdes.

Quelques mois après les élections de 2007, Nicolas Sarkozy avait traité les magistrats de petits pois : « même couleur, même gabarit, même absence de saveur ». Ce qui n’était gentil pour personne, même pour les petits pois. Deux ans plus tard, une commission de réflexion présidée par Philippe Léger se penchait sur la réforme du Code pénal et de la procédure pénale. Hélas, la volonté politique de supprimer le juge d’instruction devait occulter son travail. C’est donc en catastrophe, devant le risque de voir des centaines de procédures invalidées que, l’année dernière, la loi réformant la garde à vue a été adoptée. Avec des résultats mitigés. Un premier coup de canif vient d’ailleurs de supprimer un article du code de procédure pénale (le 706-88-2), jugé anticonstitutionnel, qui empêchait le libre choix de son avocat par un individu entendu dans une affaire liée au terrorisme.

Dalloz Actualité a tenté de placer le sujet au cœur du débat politique en décortiquant les déclarations de chacun des candidats. C’est assez technique, mais en se limitant aux grandes lignes et aux principaux candidats, on peut se faire une idée du chemin qui pourrait être suivi dans les cinq prochaines années.

L’indépendance de la justice – Il faut d’abord noter (et se réjouir) du consensus qui se dégage pour renforcer l’indépendance de la justice. Mais chacun voit les choses à sa manière. Ainsi, les deux François souhaitent que les procureurs soient nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, mais M. Hollande veut aussi que les membres du CSM soient désignés différemment, de manière moins politique.  Pour Nicolas Sarkozy, pas de proposition, puisqu’il a déjà fait un premier pas (modification de la Constitution de 2008 et la loi organique de 2010) vers une plus grande autonomie du CSM, même si, pour ses détracteurs, le compte n’y est pas. Quant à Eva Joly, elle souhaite que le CSM statue comme conseil de discipline et qu’il soit le garant de l’indépendance des magistrats du siège et du parquet. Marine Le Pen va plus loin. Pour elle, les membres du parquet doivent être inamovibles et les magistrats, un peu comme les militaires, ne devraient pouvoir ni se syndiquer ni s’engager politiquement.

L’indépendance des procureurs – Dans sa lettre aux Français, Nicolas Sarkozy nous dit clairement que le parquet doit être dirigé par une autorité politique élue démocratiquement, car « le rôle du parquet est de défendre la société ». Le programme du PS revendique l’indépendance de la justice mais ne parle pas de l’indépendance des procureurs. Toutefois, l’intervention politique serait limitée aux seules directives générales. Autrement dit, les instructions individuelles rétablies en 2002 seraient de nouveau impossibles. De plus, la durée des enquêtes préliminaires serait limitée. Pour éviter, comme dans l’affaire Bettencourt, que le procureur retarde la saisie d’un juge d’instruction. Le plus important dans ce programme, me semble-t-il, concerne le juge des libertés et de la détention. Il deviendrait un véritable juge des libertés (plus classe !), aux pouvoirs élargis pour mieux contrôler toutes mesures qui touchent aux libertés individuelles. Mais, alors que l’échéance se rapproche, on est bien loin des grandes idées, de celles qui font rêver…

Les justiciables – Dans un pays financièrement exsangue, l’une des questions tourne autour de l’aide juridictionnelle. Comment donner à chacun le moyen de se défendre ? Cela ne concerne pas que les voleurs ou les assassins. Tous, un jour ou l’autre, nous pourrions être soupçonnés d’avoir de près ou de loin participé à l’une des 10 249 infractions répertoriées dans les différents textes qui régissent notre vie de tous les jours. Et même un homme aussi puissant que DSK a avoué devant la caméra de TF1 que, pris dans le tourbillon d’une enquête judiciaire, il avait eu peur. Du côté de François Hollande, on s’oriente vers une justice de proximité et le développement des Maisons de justice et du droit, ou une poussée vers la justice numérique. Avec, tout comme M. Bayrou, la volonté de renforcer la médiation, la conciliation et la recherche d’un nouveau moyen de financement. Mais personne ne parle de taxes supplémentaires. Des mots tabous dans une campagne électorale. Eva Joly est la seule, je crois (c’est plus flou, chez les socialistes), à annoncer une mesure souhaitée par beaucoup de Français : la possibilité d’agir en justice de manière groupée, la class action. Quant au candidat sortant, il veut simplifier le langage juridique pour une meilleure compréhension du droit. Je dois avouer qu’à la lecture du décret du Premier ministre sur les avocats (billet précédent), on est en droit d’être perplexe.

Les victimes – Là, le plus tranchant, c’est M. Sarkozy. Il veut accorder aux victimes le droit de faire appel des décisions des cours d’assises et des tribunaux correctionnels. Une victime pourrait même s’opposer à la demande de libération de son agresseur si elle se sent menacée.

Quels moyens pour la justice ? – Pour Nicolas Sarkozy, il s’agit de poursuivre le programme de construction de nouvelles prisons (6 000 de plus durant son quinquennat) afin d’atteindre 80 000 places en 2017 (environ 57 000 aujourd’hui pour plus de 65 000 détenus). Et il est question d’une nouvelle loi de financement de la justice. François Hollande, lui aussi, parle gros sous. Il souhaite remettre à niveau le budget de la justice et ouvrir de nouveaux postes pour rattraper notre retard par rapport aux autres pays européens. Jean-Luc Mélenchon le rejoint sur les effectifs, par son projet de création d’emplois publics. Marine Le Pen, elle, veut revaloriser le budget à 8.5 milliards d’euros sur le quinquennat. Avec un objectif : 20 magistrats pour cent mille habitants – et la création de 40 000 places de prison. Quant à Eva Joly, elle veut traquer la délinquance financière (c’est son dada), la délinquance environnementale et le crime organisé.

Y a du pain sur la planche – Aujourd’hui, la France compte 12 juges pour cent mille habitants. Le budget de la justice est entre 0.18 et 0.19 % du PIB. Alors que pour nos voisins, il est de plus du double (0.38 % pour l’Allemagne, 0.43 % pour l’Espagne…, et 0.52% pour la Pologne). Ce qui nous classe au 37° rang européen –  sur 43.

Et la police dans tout ça ? Euh !… Je n’ai pas trouvé de quoi faire un billet. Mais je vais chercher.