LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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La rente monarchique des anciens Présidents et Premiers ministres

En 1976, tandis qu’il négocie l’achat d’un terrain de 3 000 m2 à Saint-Jean-Cap-Ferrat, au cœur de la presqu’île des milliardaires, Raymond Barre, Premier ministre sous Valéry Giscard-d’Estaing, appelle les Français à se serrer la ceinture. Il lance coup sur coup deux plans d’austérité pour lutter notamment contre l’inflation et le chômage : limitation des hausses de salaire, augmentation des impôts et appel à l’esprit « ruisselant » du patronat. Rien n’y fait, tandis que les Français s’appauvrissent, l’inflation et le chômage continuent leur progression.

Il est amusant de constater que cinquante ans plus tard, les mêmes recettes produisent les mêmes résultats et qu’au tournis des milliards qui s’envolent, on nous demande encore et encore de faire des efforts.

Amusant n’est peut-être pas le mot qui convient…

Raymond Barre est décédé en 2007 et une enquête pour blanchiment a entaché sa mémoire. Je ne sais pas quel était le montant du cumul de ses retraites, mais aujourd’hui, notre armada d’anciens Premiers ministres n’est pas à plaindre – pas plus que nos deux anciens présidents de la République.

C’est sans doute ce qui a poussé le député centriste Charles de Courson à déposer une proposition de loi « visant à encadrer les avantages des anciens présidents de la République et des anciens premiers ministres ».

Dans son « exposé des motifs », il attaque fort : « l’État ne saurait exiger des efforts des citoyens sans lui-même donner l’exemple et sans mettre fin aux excès de son train de vie. » Et il dénonce, en termes policés, les rentes quasi monarchiques attribuées à nos anciens dirigeants dans un pays où plus de dix millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, principalement des chômeurs et des familles monoparentales, dont 350 000 personnes seraient à la rue.

Les avantages des anciens chefs de l’État ont été encadrés par un décret du 4 octobre 2016, à quelques mois de la fin du quinquennat de François Hollande. Ce décret prévoit la mise à disposition, pendant cinq ans, d’un cabinet de sept collaborateurs et deux agents de service, appartenant à la fonction publique ou sous contrat d’État. Au-delà de cinq ans, l’ancien élu dispose ad vitam de trois collaborateurs et d’un agent. L’État règle également le loyer de locaux de bureaux meublés, l’équipement, et le montant des frais de déplacement et de réception – les frais de bouche, comme pourrait dire Gérard Larcher. Alors qu’ils n’ont aucun rôle dans la gestion du pays, en 2023, nos deux anciens présidents nous ont ainsi coûté 1,32 million d’euros rien que pour faire leurs petites affaires. Ce montant semble d’ailleurs sous-estimé, puisqu’en 2019, le Premier ministre Édouard Philippe, répondant à une question écrite, avançait un chiffre nettement supérieur. À cette somme, il convient d’ajouter environ 1,3 million d’euros par président, pour assurer sa sécurité et prendre en charge ses déplacements. Ah, j’oubliais ! mais c’est peanuts, une rente à vie d’un montant annuel de 65 000 euros bruts. Une dotation à laquelle, il convient d’ajouter une somme de 180 000 euros pour chaque ex-président qui déciderait de siéger au Conseil constitutionnel – ce qui n’est pas le cas actuellement.

Sarkozy et Hollande nous coûtent donc aujourd’hui plus de 4 millions d’euros par an.

Je ne sais pas si un juge s’est penché sur la possibilité d’une peine confiscatoire dans le cas où l’un d’entre eux ferait l’objet d’une condamnation pénale…

En additionnant les carottes aux navets, les mauvaises langues disent que François Hollande, qui cumule son salaire de député et ses retraites, empocherait environ 18 000 € par mois de deniers publics. Ce dont il se défend. Mais une question taraude les plus de 60 ans : en 2027 l’ex-Président Macron demandera-t-il à bénéficier de la rente de 65 000 € qui lui est due – cela en ferait le plus jeune retraité de France.

Pour les anciens Premiers ministres, les sommes engagées sont plus modestes, mais ils sont plus nombreux. Sauf erreur, on en compte seize, mais trois ne sont pas concernés : Fabius, en tant qu’ancien président du Conseil constitutionnel, Jean Castex, aujourd’hui PDG de la RATP et Edouard Philippe, par choix personnel. Les trois derniers, Borne, Attal et Barnier, ne sont pas comptabilisés par Charles de Courson, la première nommée n’étant pas partie à la date de ses calculs, les deux autres n’étant pas arrivés.

Un décret du 20 septembre 2019 définit « le soutien matériel et en personnel des anciens Premiers ministres ». Ils peuvent disposer d’un agent pour leur secrétariat particulier sur une période de dix ans, et ce jusqu’à l’âge de 67 ans et d’un véhicule avec chauffeur pour le restant de leurs jours. Comme le décret remet les pendules à zéro, ceux qui étaient en fonction avant la date de sa publication repartent pour un nouveau délai de dix ans. C’est ainsi qu’Edith Cresson, Première ministre éphémère de François Mitterrand, pourra, si elle le souhaite, bénéficier d’un secrétariat et d’une voiture avec chauffeur jusqu’à l’âge de 95 ans.

Que Dieu lui prête vie !

Le coût des avantages accordés à ces ex est de 1,42 million d’euros pour 2023, auquel il faut ajouter 2,8 millions pour assurer leur sécurité. Soit 4,2 millions d’euros.

Si l’on joint à ses calculs Attal et Barnier (Borne bénéficie des avantages des ministres en exercice), on devrait approcher les dix millions d’euros par an.

Mouais, 10 000 000 € par an !

En début d’année, lorsque le Sénat a adopté le budget, le texte comprenait un amendement de la sénatrice centriste Nathalie Goulet visant déjà à mettre fin aux avantages des ex-présidents de la République et des ex-Premiers ministres. La ligne a été effacée lors de l’examen par la commission mixte paritaire (CMP). Selon Le Canard Enchaîné, cité par le JDD, François Bayrou se serait opposé en personne à cette modification des avantages et des rentes accordés à l’élite (?) du pays. « Il faut bien qu’il y ait dans l’État des choses stables… », aurait-il déclaré devant les députés du Modem.

Toujours ce fameux sens de l’humour…

La proposition de loi de Courson dont, il faut bien le dire la rédaction est un peu bâclée (un peu comme si il n’y croyait pas), a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril.

Tiens donc !

Indices graves ET/OU concordants

On a beaucoup lu et entendu qu’il existait contre Nicolas Sarkozy des indices graves ET concordants suffisants pour justifier sa mise en examen. Pourtant, la formule n’est pas exacte. En fait, le code de procédure pénale (art. 80-1) se contente « d’indices graves OU concordants rendant vraisemblable » que le suspect ait pu participer, comme auteur ou complice, aux faits dont le juge d’instruction est saisi. À notre époque binaire, cette conjonction de coordination (mais ou et donc or ni car) est pour le moins dérangeante.

Avec l'aimable autorisation de Jean-Michel Sicot

Avec l’aimable autorisation de Jean-Michel Sicot

Les choses étaient différentes par le passé. L’évolution n’est pas inintéressante. Ainsi, à une époque où les juges étaient moins surchargés et plus à même d’instruire à charge et à décharge, de simples indices étaient suffisants pour justifier une mise en examen. Une notion assez subjective. Puis, vers la fin des années 80 (époque où les policiers disparaissent des médias), les juges n’hésitent plus à mettre les mains dans le cambouis. Ils deviennent de véritables enquêteurs, perdant sans doute un peu de leur objectivité au fur à mesure que se renforce leur instinct de chasseur.

La loi du 15 juin 2000 a donc tenté de limiter les mises en examen au profit du statut de témoin assisté. Elle a cherché à durcir les conditions nécessaires. Lors des travaux préparatoires de ce texte, il était question d’utiliser une formule retenant « des indices précis, graves ou concordants » Continue reading

Juges et journalistes : secret de l’instruction contre secret des sources

Après la publication d’extraits d’écoutes téléphoniques judiciaires, Nicolas Sarkozy, dans sa lettre aux Français, s’interroge : « Qui a donné ces documents alors même qu’aucun avocat n’a accès à la procédure ? Les seuls détenteurs en sont les juges ou les policiers… Sont-ils au-dessus des lois sur le secret de l’instruction ? » Et simultanément, son avocat, Me Herzog, d’annoncer le dépôt d’une plainte.

Ecoutes L’affaire est intéressante, car, lorsqu’il y a des fuites dans une procédure, il est de coutume d’en accuser les avocats. Il faut dire que c’est souvent le cas, les avocats, et surtout les pénalistes, aiment à briller dans les médias. Et les renvois d’ascenseur ne sont pas rares… Mais ici, il semble bien que les juges aient tenu ces écoutes secrètes jusqu’au dernier moment, quelques semaines après la nomination du nouveau procureur national financier, Mme Houlette, dont les compétences s’étendent de la fraude fiscale au blanchiment, en passant par la corruption et son duplicata, le trafic d’influence. Ce sera donc l’un des tout premiers dossiers du nouveau parquet « mains propres ». Je ne sais pas si le procureur de Paris a été consulté Continue reading

État des lieux du non-lieu

« En décidant d’un non-lieu, la justice vient de me déclarer innocent dans le dossier Bettencourt », a dit Nicolas Sarkozy sur sa page Facebook. Des propos parfaitement lisibles sous la plume de l’ancien président de la République mais sans doute un peu hâtifs sous celle de l’avocat. Car le non-lieu n’est pas un acquittement, et il n’a rien de définitif. D’abord, cette ordonnance du juge d’instruction peut faire l’objet des voies de recours habituelles, mais surtout, si  « une charge nouvelle » survient, l’information judiciaire peut très bien être rouverte. Continue reading

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