LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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Justice : le poids des « petits pois »

À la différence de 2007, la sécurité n’est pas au centre de cette campagne présidentielle. Et c’est sans doute une bonne chose. Car l’insécurité, c’est un peu comme une maladie : il faut se soigner, mais c’est encore mieux de ne pas l’attraper. Toutefois, chaque candidat propose ses remèdes.

Quelques mois après les élections de 2007, Nicolas Sarkozy avait traité les magistrats de petits pois : « même couleur, même gabarit, même absence de saveur ». Ce qui n’était gentil pour personne, même pour les petits pois. Deux ans plus tard, une commission de réflexion présidée par Philippe Léger se penchait sur la réforme du Code pénal et de la procédure pénale. Hélas, la volonté politique de supprimer le juge d’instruction devait occulter son travail. C’est donc en catastrophe, devant le risque de voir des centaines de procédures invalidées que, l’année dernière, la loi réformant la garde à vue a été adoptée. Avec des résultats mitigés. Un premier coup de canif vient d’ailleurs de supprimer un article du code de procédure pénale (le 706-88-2), jugé anticonstitutionnel, qui empêchait le libre choix de son avocat par un individu entendu dans une affaire liée au terrorisme.

Dalloz Actualité a tenté de placer le sujet au cœur du débat politique en décortiquant les déclarations de chacun des candidats. C’est assez technique, mais en se limitant aux grandes lignes et aux principaux candidats, on peut se faire une idée du chemin qui pourrait être suivi dans les cinq prochaines années.

L’indépendance de la justice – Il faut d’abord noter (et se réjouir) du consensus qui se dégage pour renforcer l’indépendance de la justice. Mais chacun voit les choses à sa manière. Ainsi, les deux François souhaitent que les procureurs soient nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, mais M. Hollande veut aussi que les membres du CSM soient désignés différemment, de manière moins politique.  Pour Nicolas Sarkozy, pas de proposition, puisqu’il a déjà fait un premier pas (modification de la Constitution de 2008 et la loi organique de 2010) vers une plus grande autonomie du CSM, même si, pour ses détracteurs, le compte n’y est pas. Quant à Eva Joly, elle souhaite que le CSM statue comme conseil de discipline et qu’il soit le garant de l’indépendance des magistrats du siège et du parquet. Marine Le Pen va plus loin. Pour elle, les membres du parquet doivent être inamovibles et les magistrats, un peu comme les militaires, ne devraient pouvoir ni se syndiquer ni s’engager politiquement.

L’indépendance des procureurs – Dans sa lettre aux Français, Nicolas Sarkozy nous dit clairement que le parquet doit être dirigé par une autorité politique élue démocratiquement, car « le rôle du parquet est de défendre la société ». Le programme du PS revendique l’indépendance de la justice mais ne parle pas de l’indépendance des procureurs. Toutefois, l’intervention politique serait limitée aux seules directives générales. Autrement dit, les instructions individuelles rétablies en 2002 seraient de nouveau impossibles. De plus, la durée des enquêtes préliminaires serait limitée. Pour éviter, comme dans l’affaire Bettencourt, que le procureur retarde la saisie d’un juge d’instruction. Le plus important dans ce programme, me semble-t-il, concerne le juge des libertés et de la détention. Il deviendrait un véritable juge des libertés (plus classe !), aux pouvoirs élargis pour mieux contrôler toutes mesures qui touchent aux libertés individuelles. Mais, alors que l’échéance se rapproche, on est bien loin des grandes idées, de celles qui font rêver…

Les justiciables – Dans un pays financièrement exsangue, l’une des questions tourne autour de l’aide juridictionnelle. Comment donner à chacun le moyen de se défendre ? Cela ne concerne pas que les voleurs ou les assassins. Tous, un jour ou l’autre, nous pourrions être soupçonnés d’avoir de près ou de loin participé à l’une des 10 249 infractions répertoriées dans les différents textes qui régissent notre vie de tous les jours. Et même un homme aussi puissant que DSK a avoué devant la caméra de TF1 que, pris dans le tourbillon d’une enquête judiciaire, il avait eu peur. Du côté de François Hollande, on s’oriente vers une justice de proximité et le développement des Maisons de justice et du droit, ou une poussée vers la justice numérique. Avec, tout comme M. Bayrou, la volonté de renforcer la médiation, la conciliation et la recherche d’un nouveau moyen de financement. Mais personne ne parle de taxes supplémentaires. Des mots tabous dans une campagne électorale. Eva Joly est la seule, je crois (c’est plus flou, chez les socialistes), à annoncer une mesure souhaitée par beaucoup de Français : la possibilité d’agir en justice de manière groupée, la class action. Quant au candidat sortant, il veut simplifier le langage juridique pour une meilleure compréhension du droit. Je dois avouer qu’à la lecture du décret du Premier ministre sur les avocats (billet précédent), on est en droit d’être perplexe.

Les victimes – Là, le plus tranchant, c’est M. Sarkozy. Il veut accorder aux victimes le droit de faire appel des décisions des cours d’assises et des tribunaux correctionnels. Une victime pourrait même s’opposer à la demande de libération de son agresseur si elle se sent menacée.

Quels moyens pour la justice ? – Pour Nicolas Sarkozy, il s’agit de poursuivre le programme de construction de nouvelles prisons (6 000 de plus durant son quinquennat) afin d’atteindre 80 000 places en 2017 (environ 57 000 aujourd’hui pour plus de 65 000 détenus). Et il est question d’une nouvelle loi de financement de la justice. François Hollande, lui aussi, parle gros sous. Il souhaite remettre à niveau le budget de la justice et ouvrir de nouveaux postes pour rattraper notre retard par rapport aux autres pays européens. Jean-Luc Mélenchon le rejoint sur les effectifs, par son projet de création d’emplois publics. Marine Le Pen, elle, veut revaloriser le budget à 8.5 milliards d’euros sur le quinquennat. Avec un objectif : 20 magistrats pour cent mille habitants – et la création de 40 000 places de prison. Quant à Eva Joly, elle veut traquer la délinquance financière (c’est son dada), la délinquance environnementale et le crime organisé.

Y a du pain sur la planche – Aujourd’hui, la France compte 12 juges pour cent mille habitants. Le budget de la justice est entre 0.18 et 0.19 % du PIB. Alors que pour nos voisins, il est de plus du double (0.38 % pour l’Allemagne, 0.43 % pour l’Espagne…, et 0.52% pour la Pologne). Ce qui nous classe au 37° rang européen –  sur 43.

Et la police dans tout ça ? Euh !… Je n’ai pas trouvé de quoi faire un billet. Mais je vais chercher.

STIC : la fin annoncée d’un fichier controversé

Le fameux STIC (système de traitement des infractions constatées), pointé du doigt pour ses dysfonctionnements et sa propension à ne jamais être mis à jour, devrait bientôt être rangé aux oubliettes. À sa création, officiellement en 2001 (mais il fonctionnait bien avant), son objectif était de faciliter la constatation des infractions, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs. Il devait également servir d’outil statistique. Mais bien vite, il est devenu un fichier fourre-tout, et surtout un fichier à sens unique. Une fois l’information engrangée, peu d’espoir d’obtenir une rectification. Comme l’avait souligné la CNIL en 2009, constatant l’absence quasi-systématique de suivi, notamment lorsque les personnes fichées étaient mises hors de cause.

On se souvient de la démarche du commandant de police Philippe Pichon* qui avait dénoncé, en 2008, le mauvais fonctionnement de ce fichier – ce qui lui a valu des ennuis judiciaires et administratifs qui ne sont toujours pas réglés.

Depuis, les choses se sont améliorées, mais ce dernier aspect n’a guère évolué : une fois inscrit au STIC, on y reste.

D’après le ministre de l’Intérieur, qui répondait à la question de la députée Danielle Bousquet (PS), le STIC et son pendant à la gendarmerie nationale, le JUDEX, devraient tous deux être remplacés « dans un avenir proche » par le TPJ (traitement des procédures judiciaires). Moi, j’en étais resté au fichier Ariane, mais j’ai peut-être loupé une marche… Ce nouvel outil devrait faire l’objet de mises à jour régulières et assurerait l’échange d’informations entre les services d’enquêtes et l’autorité judiciaire. Pour cela, il sera relié à la base de données « Cassiopée » qui pourrait bientôt être opérationnelle. Du moins l’espère-t-on place Vendôme ! Un projet qui ne remonte pas à la mythologie grecque mais dont les balbutiements datent quand même de près de dix ans.

Depuis, elle en a connu des soucis, la belle Cassiopée ! Des bugs à répétition, un cahier des charges aux pages manquantes, l’impossibilité par exemple de corriger une erreur ou d’effectuer une recherche globale sur une même personne, etc. Un fiasco informatique selon certains, une perte de temps pour d’autres, soulignant que l’on va plus vite avec l’ancienne formule. D’ici qu’on en revienne à la plume Sergent-Major…

Tant de problèmes, qu’à l’automne 2009, son installation a été suspendue durant plusieurs semaines et qu’une cellule de crise a été mise en place au ministère de la Justice. Le premier prestataire, la société Atos Origin, est alors montrée du doigt. Aujourd’hui présidée par l’ancien ministre des Finances (2005-2007) Thierry Breton, la reprise en main a été énergique. M. Breton a mis Atos au même régime que France Telecom. La méthode dite des « vagues de lean », qui, d’après Rue89, nous vient tout droit du Japon : « Le travail de chaque salarié est observé, mesuré, puis des axes d’amélioration définis afin d’éliminer temps et gestes inutiles. » Résultat : un stress croissant chez les salariés et un taux d’absentéisme qui explose. En deux mots, un copier-coller de ce qui s’est passé à France Telecom. Rien à voir avec Cassiopée, car la société Sopra a pris le relais depuis longtemps. Mais le projet patine toujours. « En définitive, les principaux griefs du ministère de la Justice à l’encontre de la société Atos Origin portent sur son manque de réactivité et de moyens dans la gestion de certaines crises techniques. Compte tenu de l’importance des fonds publics investis dans ce projet et de l’enjeu qui s’attache à une justice moderne et dématérialisée, cette situation ne saurait plus être tolérée à l’avenir », dit clairement le député Étienne Blanc (UMP) dans son rapport du 15 février 2011.

Extrait du rapport du député Etienne Blanc

Mais bientôt tout sera au point : un fichier unique police-gendarmerie couplé à celui de la justice. Si certains s’inquiètent de ces nouveaux outils, ils ont tort. L’objectif, nous dit-on, n’est pas de « fliquer » un peu plus la population mais au contraire d’être efficace tout en respectant la protection des données personnelles. Un juste équilibre auquel on ne peut que s’associer. À condition que ne se reproduisent pas les erreurs du passé et qu’une réglementation sérieuse encadre leur fonctionnement. Pour l’instant, à ma connaissance, seul un groupe de travail présidé par Alain Bauer veille au grain. Il a été créé en 2006 et pérennisé en 2009, avec déjà des suggestions intéressantes, comme celle de renforcer le rôle des contrôles et des audits (!). « Ainsi, l’Inspection générale des services de la police nationale (IGPN) a été mandatée pour procéder à des contrôles inopinés au sein des services de police », a déclaré le ministre de l’Intérieur.

Pour être franc, je pensais que c’était déjà le cas… En tout cas, malgré les rapports publics de M. Bauer, et plusieurs avis de la CNIL et des autorités européennes, les résultats obtenus en cinq ans ne sont pas vraiment convaincants.

Avec l’évolution de la technique, les fichiers ont de plus en plus pour objet d’anticiper les comportements individuels ou ceux de certaines populations, en déterminant des échelons dans la dangerosité. Du coup, le plus important, ce ne sont plus les fichiers, mais les critères de sélection.

En faisant entrer des notions subjectives dans la mémoire d’un ordinateur, ne joue-t-on pas avec le feu ?

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* Philippe Pichon vient de sortir un essai, La tentation anarchique ou Lettre ouverte à Julien Coupat, aux éditions Jean-Paul Rocher.

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