Vendredi dernier, cinq employés d’une exploitation d’or de l’ouest guyanais ont été attaqués par un groupe armé alors qu’ils circulaient dans un pick-up. Un homme de 67 ans, d’origine luxembourgeoise, a été tué et un second blessé. Les gangsters étaient à la recherche du précieux métal jaune. Ils sont repartis bredouilles. La veille, toujours dans l’ouest de la Guyane, lors d’une opération menée contre un site d’orpaillage illégal, une fusillade a éclaté : un homme a été tué et le gilet pare-balles d’un gendarme a bloqué une balle de calibre .38.

La hausse de l’or est-elle en train de transformer la Guyane en Far-West ?  Ce département français n’a hélas pas attendu les incartades de la finance mondiale pour connaître l’insécurité.  Déjà, il y a cinq ou six ans, un rapport de police estimait que le tiers des homicides était lié à l’or. Et le préfet Ange Mancini, alors qu’il était en poste à Cayenne, avait prévu la mise en place d’un GIR (Groupement d’intervention régional) avec notamment pour objectifs de lutter contre l’orpaillage illégal et l’immigration clandestine. Car, sur les chantiers aurifères sauvages, la plupart des travailleurs seraient brésiliens, entre 3 et 15.000, selon les sources.  Quant au trafic, il semble bien qu’il se fasse via la République du Suriname (ancienne Guyane néerlandaise), dont la frontière débute au nord, à l’embouchure du Maroni. Pays avec lequel il existe pourtant un accord de coopération policière.

D’après un rapport du Sénat de février 2011, ce sont dix tonnes d’or qui seraient extraites annuellement par les clandestins. Trois fois plus que la production légale. À comparer (sans aucune moquerie) aux dix kilos saisis lors des opérations de contrôle… Car, dans cette région couverte à 96 % d’une forêt équatoriale, c’est mission impossible. On comprend bien que dans ce business frauduleux, ce ne sont pas les malheureux qui grattouillent le sable qui s’enrichissent, mais ceux qui les exploitent. Il existe donc une économie souterraine. Et le meilleur moyen de lutter contre ce fléau serait de prendre le problème par le haut. Pas facile. En attendant, et même si l’armée participe au maintien de l’ordre, les gendarmes font ce qu’ils peuvent. Je crois (c’est une opinion personnelle) qu’ils attendent surtout un sérieux renfort en matériel. Notamment des hélicoptères. Vous imaginez une intervention « urgente » dans la brousse à bord d’une barcasse à moteur…

Mais la violence ne se limite pas à la jungle. Les villes aussi la subissent. Il y a une dizaine de jours, c’est un bijoutier qui a été agressé à son domicile. Paulin Clet, un homme de 89 ans. Il a été étranglé. « Cet acte odieux ne doit cependant pas être regardé comme caractéristique de la délinquance en Guyane », a déclaré le préfet, rappelant au passage que le nombre de policiers et gendarmes a augmenté de près de 20% en six ans et que le taux des agressions crapuleuses est en nette diminution depuis le début de l’année. Des paroles pour rassurer. Mais à la vérité, il semble bien que les Guyanais aient de plus en plus de mal à supporter l’insécurité. À tel point que certains envisagent sérieusement d’organiser leur auto-défense, voire de se faire justice. Le sénateur Georges Patient vient d’ailleurs de poser une question orale au ministre de l’Intérieur, rappelant que « la Guyane connaît une effrayante recrudescence des crimes et des agressions violentes. Une réalité qui se généralise sur tout le territoire : des communes, qui, hier encore étaient connues pour être des havres de paix, sont aussi touchées par ce fléau. Pas un jour sans qu’un crime, qu’un braquage ne soient commis (…). Face à cette poussée de la violence et à l’incapacité des pouvoirs publics à l’endiguer, la tentation de se faire justice est de plus en plus prégnante dans la population guyanaise. » De son côté, la députée Chantal Berthelot avait réagi peu avant en se référant à l’agression dont a été victime Maurice Methon, un restaurateur bien connu, âgé de 70 ans. Enlevé dans son établissement par trois hommes armés, il a été exécuté de deux balles et son corps calciné a été retrouvé dans son 4×4.  Elle a saisi le Premier ministre en déposant une question écrite : « Depuis plusieurs semaines des meurtres odieux et des actes de violence se sont multipliés faisant monter la colère et l’indignation dans la population [qui] se sent démunie, voire abandonnée, face à cette violence. La tentation de l’auto-défense est diffuse et une réponse forte de l’État s’impose pour arrêter cet engrenage dangereux… »

Même si, dans ces deux affaires criminelles, les soupçons se portent sur des proches des victimes, la réaction des élus et de la population montre combien les gens ont les nerfs à fleur de peau. Pour les sénateurs, la réponse n’est pas uniquement policière et militaire. Il faudrait, disent-ils, envisager une approche plus globale, voire internationale, pour trouver « une solution pérenne aux questions de sécurité et de développement que connaît la Guyane ».

La première pépite découverte en Guyane remonte à 1854. Au rythme de l’exploitation actuelle, le potentiel aurifère serait de 15 à 20 ans. Il faut prendre l’avertissement des élus au sérieux, car il est probable que les habitants de la région n’attendront pas aussi longtemps avant de manifester leur mécontentement.

Une lueur d’espoir : les structures judiciaires pourraient être renforcées. Si tout va bien, l’année prochaine, Cayenne possédera sa propre Cour d’appel, alors qu’aujourd’hui, il n’y a qu’une chambre détachée de Fort-de-France. Une promesse tenue du président Sarkozy, même si, à ma connaissance, aucun budget de fonctionnement n’est pour l’instant prévu. On parle d’une dizaine de magistrats. Il ne reste plus qu’à trouver des volontaires…