À la différence des empreintes digitales ou ADN, notre visage ne laisse aucune trace tangible, et pourtant, par la magie d’une formule algorithmique, on peut aujourd’hui créer l’empreinte informatique du visage. Et si l’on s’interrogeait sur l’utilité des caméras de surveillance, la réponse est tombée : demain, la reconnaissance faciale va les… rentabiliser.

Certes, les résultats de la reconnaissance faciale ne sont pas aussi probants que ceux obtenus par les empreintes papillaires, mais le pourcentage d’erreur est toutefois acceptable. Bien loin du début des années 2000. Époque où le système avait été expérimenté en Floride, pour finalement se terminer par un fiasco. Le porte-parole de la police avait alors dit, en résumé : Nous n’avons arrêté aucun criminel. Ce truc ne sert à rien. Autres temps… De nos jours, le procédé est amplement utilisé aux E-U, soit pour « filtrer » les arrivants, dans les principaux aéroports, en fonction de leur apparence ethnique, soit pour détecter des suspects. On dit même qu’un logiciel scruterait le visage de chaque visiteur de la statue de la Liberté… Et bientôt (si ce n’est déjà fait) les policiers américains pourront télécharger une application IPhone qui leur permettra d’identifier un individu, simplement en le prenant en photo. Cela dit, lorsqu’on sait que là-bas les contrôles d’identité se font souvent la main sur la crosse du calibre, je me demande comment ils vont procéder… Au Québec, ce sont les casinos qui sont sur la sellette. On leur reproche d’utiliser cette technique pour détecter les clients indésirables. Et la reconnaissance faciale pourrait être utilisée pour les JO de Londres. Même si le sujet fait débat en G-B.

Renseignements pris auprès de la place Beauvau : pas question de fournir un Iphone aux représentants de l’ordre (je blague). Pourtant, au mois de juin, à l’Assemblée nationale, devant la Commission des Finances, Frédéric Péchenard, le directeur général de la police nationale, a vendu la mèche : « Il faut améliorer la PTS (police technique et scientifique) et l’on se dirige vers la création d’un troisième fichier, de reconnaissance faciale, qui pourrait servir à l’exploitation des données de vidéosurveillance. » On peut noter que le premier flic de France ne parle pas de « vidéoprotection », cette déviance sémantique que l’on doit à Mme Alliot-Marie. Il y aura donc trois fichiers biométriques dans la police nationale, probablement interconnectés : ADN, empreintes digitales et « empreintes » faciales.

Donc, en associant les caméras de surveillance à un logiciel de reconnaissance des visages, il sera possible d’identifier les gens instantanément. Mais, pour cela, il faut une base de données, c’est-à-dire un fichier regroupant l’empreinte faciale d’un grand nombre de personnes. Le plus possible. Il semblerait que la CIA en ait trouvé une inespérée et entièrement gratuite : les centaines de millions de photos de Facebook.

En France, la tentation est forte d’utiliser la future carte d’identité biométrique. D’où, sans doute, les réserves formulées par la CNIL sur l’utilisation qui pourrait en être faite. Car elle comportera la photo et l’empreinte papillaire de huit doigts. (Pourquoi huit ? Sans doute pour simplifier le travail, car il est quasi impossible de mettre à plat les cinq doigts de la main en même temps.) Qu’on se rassure, pour l’instant, pas question d’enregistrer l’ADN. Ce que certains, sans doute, regrettent. On se souvient, il y a quelques années, des déclarations de M. Estrosi qui voulait prélever le code génétique de tous les nouveau-nés… Il faut faire attention, nous dit la CNIL, car les données biométriques ne sont pas des données comme les autres. Elles ne sont ni attribuées ni choisies, mais produites par le corps lui-même. En deux mots, elles sont propres à chacun, elles sont immuables, elles sont nous. Et en les mettant en boîte sans s’entourer de sérieuses garanties, on prend le risque de mettre à jour notre moi profond. Et sans nos petits secrets, que deviendrions-nous ? Tous identiques. Tous dans un même uniforme, nous serions de bons petits soldats. Et De Gaulle serait content, nous mangerions tous le même fromage.

En matière de police judiciaire, les avancées seront certaines. Il existerait, à titre expérimental, un système facilement transportable (une valise à roulettes) capable « d’aspirer » les données enregistrées par les caméras de surveillance. Ce qui permettrait de suivre, par exemple, le trajet emprunté par la victime d’une agression. En repérant, un individu en plusieurs endroits de son parcours, on tiendrait un suspect. Et l’empreinte de son visage serait exploitée par un logiciel de reconnaissance faciale qui permettrait soit de l’identifier, s’il est fiché, soit de suivre son trajet pour le localiser.

Mais le risque, évidemment, c’est de fliquer toute la population.

L’étape suivante sera peut-être la programmation neurolinguistique (PNL), que la série américaine Lie to me a mis en scène d’une façon caricaturale. En numérisant certaines expressions ou certains gestes, sera-t-il possible un jour de détecter sur un visage, la haine, la violence, la colère, la peur, l’envie, le mensonge… Les entrepreneurs sont aux aguets. Il y a là de formidables marchés à prendre. Si l’on peut comprendre l’utilité dans une grande surface pour tester les réactions des clients ; en matière de police, les résultats paraissent beaucoup plus incertains. La PNL ne va pas remplacer le détecteur de mensonges – qui n’a d’ailleurs jamais remplacé la perspicacité d’un bon flic.

Ces objectifs de caméras qui, sans arrêt, nous épient ont un impact certain sur notre comportement. Qu’en sera-t-il demain, lorsqu’ils suivront nos déplacements de manière… nominative ? Je n’ose l’imaginer.