PARTIE 25 – Après la vague d’attentats qui a ébranlé la capitale au cours du second semestre 1995, la police nationale (qui digère de récentes réformes) prend conscience qu’une organisation trop structurée peut constituer un frein à son efficacité. En effet, comment lutter contre le terrorisme si chaque service œuvre en solo ? ou si quelques patrons mégalomaniaques en font une affaire personnelle ? Et les grosses têtes de la police inscrivent un codicille aux réformes précédentes – sans savoir qu’ils font le lit d’un petit homme qui ne débarquera place Beauvau que des années plus tard.
Caroline Dickinson fait partie d’un groupe de collégiennes anglaises qui effectue un stage linguistique en France. Dans la nuit du 17 juillet 1996, elle est assassinée dans son dortoir, à l’auberge de jeunesse de Pleine-Fougères, en Ille-et-Vilaine, près de Saint-Malo. Les premières constatations sont brutales : elle a été violée, avant d’être étouffée. Un SDF est interpellé. Malgré ses dénégations, le juge d’instruction, Gérard Zaug, le met en examen. L’affaire est bouclée en quelques jours – sauf que le malheureux n’y est pour rien. Une comparaison ADN (un rien tardive) avec des traces de sperme laissées par le meurtrier, l’innocente inéluctablement. Pendant ce temps, John Dickinson, le père de la jeune victime, obtient, grâce aux témoignages des amies de sa fille, le portrait-robot d’un homme qui a été aperçu à plusieurs reprises, rodant autour de l’auberge. Il demande au juge d’instruction que tous les hommes de Pleine-Fougères fassent l’objet d’un prélèvement ADN. Zaug refuse, mais il se voit dédit par sa hiérarchie. C’est le juge Renaud Van Ruymbeke qui prend la suite. Lui, il n’hésite pas. Pour la première fois dans une enquête judiciaire, on relève l’empreinte génétique de toute la population masculine d’une ville. Résultat : néant. Hélène Hemon et Michel Tanneau ont analysé la méthode dans un livre L’affaire Dickinson : Une enquête hors du commun, aux éditions Apogée. Je n’ai pas lu l’ouvrage, mais il est certain qu’une prospection tout azimut de ce genre pose un véritable questionnement. Mais Van Ruymbeke n’a pas de préoccupation doctrinale. C’est un homme tranchant. Il l’a montré dans son enquête contre Robert Boulin. Rappelons que ce dernier, sans doute victime d’une cabale politique, était poursuivi pour certaines irrégularités qui auraient entouré l’achat d’un terrain, à Ramatuelle. L’information judiciaire a fait chou blanc, mais, à la veille de se donner la mort, Boulin se plaignait de la manière dont il était traité. Il écrivait: « Le jeune juge Van Ruymbeke, aveuglé par sa passion de faire un carton sur un ministre est passé à côté de la question… » Ainsi est Van Ruymbeke. Et il ne craint pas de contourner le code de procédure pénale pour épingler un beau crâne à son tableau de chasse, comme dans l’affaire Clearstream ! Pour lui, seul le résultat compte. A contrario, je me souviens d’une enquête criminelle, au début de ma carrière. On avait pointé du doigt le coupable, mais, pour le confondre, il manquait un petit rien. Je demande au juge de placer son téléphone sur écoute. Il me répond : « Monsieur le commissaire, un juge d’instruction a trop de pouvoirs pour utiliser des méthodes de basse police… » Une autre époque – et d’autres gens.
Finalement, c’est la bonne vieille enquête traditionnelle qui va permettre d’identifier le meurtrier. La recherche de faits similaires, puis l’établissement d’une liste de suspects et une vérification – systématique. Jusqu’au moment où il n’en reste que quelques-uns. Puis un seul : Franciso Arce Montes. C’est un routier de nationalité espagnole, âgé d’une cinquantaine d’années. Mais il est introuvable.
Au printemps 2001, Tommy Onko, un officier de police américain de Detroit, tombe par hasard sur un article de journal retraçant l’affaire. Il consulte sa base de données, et… bingo ! Francisco Arce Montes est incarcéré en Floride pour attentat à la pudeur. Ce qu’on appelle du flair.
Extradé vers la France, l’individu a été jugé par la cour d’assises de Rennes le 14 juin 2004. Il a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle, peine assortie d’une sûreté de 20 ans. La sentence a été confirmée en appel.
Le 18 octobre 1996, la France adopte le numéro de téléphone à 10 chiffres et le mois suivant, vingt ans après sa mort, en grandes pompes, les cendres d’André Malraux sont transférées au Panthéon. Il rejoint Jean Moulin au royaume des souvenirs. Rappelons-nous de cet homme qui a écrit dans Les voix du silence, en 1951 : « Nous avons refusé ce que voulait en nous la bête… ».
Vers 17 heures, le 3 décembre, trois hommes montent dans le RER B, à la station Aéroport-Charles-de-Gaulle 2. Tandis que l’un fait le guet, les deux autres glissent un sac sous une banquette. Il contient une bonbonne de gaz de 13 Kg, du nitrate de sodium, de la poudre, des bouteilles d’essence, des clous et des écrous. Une bombe artisanale faite pour tuer. Un peu après 18 heures, l’engin explose à la station Port-Royal, à Paris. C’est une heure de grande affluence. Le bilan est lourd : 4 morts et 170 blessés. Cet attentat a été attribué à des terroristes islamistes venus spécialement de Belgique pour le perpétrer, mais il n’a pas été revendiqué.
Le 23 février 1997, deux scientifiques écossais nous présentent Dolly. La petite brebis est née le 5 juillet 1996. C’est le premier mammifère cloné. Quant à Jacques Chirac, il apparaît sur le petit écran, un soir d’avril, pour nous déclarer : « J’ai décidé de dissoudre l’assemblée nationale. » Six ans plus tard, en 2002, atteinte d’une maladie pulmonaire, Dolly est euthanasiée – et Chirac est réélu avec plus de 82% des voix. L’une est exposée au musée d’Edimbourg, l’autre vient de prendre sa retraite.
Au mois de mai, la cour d’assises du Var juge Francis Heaulme pour une série de meurtres commis dans le sud de la France. Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, peine assortie d’une mesure de sûreté de 22 ans. Cette même année, l’adjudant-chef de gendarmerie, Jean-François Abgrall transmet à la justice un rapport sur des confidences que cet individu lui aurait faites, cinq ans plus tôt. En résumé, Heaulme se serait trouvé à Montigny-lès-Metz, près des voies de la SNCF, à l’endroit précis où deux enfants ont été assassinés, en 1986. Or, pour ce double crime, Patrick Dils a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. À la suite d’un long périple judiciaire, Dils sera définitivement acquitté par la cour d’assises du Rhône, le 8 avril 2002. La plus grosse erreur judiciaire que la justice ait jamais reconnue.
Quant à Francis Heaulme, il sera de nouveau condamné, en 2004. On dit qu’il est atteint de la maladie de Klinefelter. Cette maladie se caractérise, chez l’homme, par la présence d’un chromosome sexuel supplémentaire : un chromosome Y et deux chromosomes X. Le malade est stérile et vraisemblablement impuissant. D’ailleurs Heaulme n’a jamais violé ses victimes. Lors de la découverte de cette anomalie, en 1942, on affirmait que ce chromosome supplémentaire était celui du crime. On n’ose imaginer les conséquences de l’application de cette théorie maintenant qu’il existe un fichier génétique !
Pendant ce temps, à Rouen, s’ouvre le procès de l’affaire de la Josacine empoisonnée. En réalité, il s’agit du meurtre de la petite Emilie Tanay. Le 11 mai 1994, cette enfant est morte après avoir absorbé un antibiotique d’usage courant, la Josacine. Elle avait 9 ans. Aussitôt le produit est retiré de la vente. Jusqu’à l’autopsie, où l’on découvre des traces de cyanure. Le médicament retrouve sa place dans les officines et les soupçons se portent sur Jean-Marc Deperrois, 43 ans. Ce notable du petit village de Gruchet-le-Valasse, en Seine-Maritime, est marié et père de deux enfants. À tout hasard, les enquêteurs le placent sur écoute. C’est ainsi qu’ils vont découvrir que Deperrois s’est procuré un kilo de cyanure de sodium, quelque temps avant le drame, pour les besoins de son entreprise, précisera-t-il plus tard. Il ne reste plus qu’à trouver le mobile. Le magistrat bâtit l’hypothèse suivante : (cette partie a été retirée en l’absence d’éléments recoupés).
Jugé sur un dossier construit plutôt à charge, et malgré une solide plaidoirie de son avocat, Maître Libman, le 24 mai 1997 Jean-Marc Deperrois est condamné à 20 ans de réclusion criminelle. Libéré l’année dernière, il se bat pour obtenir la révision de son procès. Quant à la Josacine, c’est toujours l’antibiotique les plus prescrit chez les enfants – et le laboratoire Bayer Pharma a été définitivement mis hors de cause.
La gauche remporte les élections législatives et, penaud, le 2 juin 1997, Chirac demande à Lionel Jospin de former son gouvernement. C’est le début de la troisième cohabitation, ce truc qui déplaît tant à nos politiques et qui, personnellement, ne me déplaît pas tant que ça.
D’entrée de jeu, Jospin annonce la fermeture du surgénérateur Superphénix, situé à Creys-Malville, dans l’Isère. Pour les contribuables français, c’est un gouffre financier : son coût est estimé à plus de 40 milliards de francs. Quant aux investisseurs étrangers, ils seront indemnisés par la fourniture d’une électricité gratuite pendant 4 ans. Sa destruction, programmée sur des dizaines d’années coûtera probablement près de 3 milliards d’euros. Elle avance à petit pas. On estime qu’environ 1/3 du site a « déjà » été déconstruit. La prochaine étape est prévue pour 2025. La construction de Superphénix a été décidée sans consultation publique, par une loi de 1977. Il s’agissait d’un projet international. Son abandon a été décidé sans consultation publique, par un arrêté ministériel du 30 décembre 1998. Certains juristes se sont penchés sur la légalité de ses procédures. Mais à quoi bon ! Cela nous coûte assez cher comme ça.
Jeanne Calment avait 122 ans lorsqu’elle est morte le 4 août 1997. C’était la doyenne de l’humanité.
Trois semaines plus tard, Diana Spencer, plus connue sous le nom de Lady Diana, l’ex-épouse du prince de Galles, est victime d’un accident sous le tunnel du pont de l’Alma, à Paris. Elle meurt à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Quant à son compagnon, le riche Égyptien Dodi Al-Fayed, il a été tué sur le coup. On a tout dit sur cette histoire, que Lady Di était enceinte, qu’elle voulait se convertir à l’Islam, que le chauffeur était ivre, qu’une mystérieuse voiture a percuté la Mercedes, etc. En fait, il semble bien que le chauffeur, Henri Paul, roulait beaucoup trop vite, sans doute pour échapper aux paparazzis qui pourchassaient la princesse. Quant au père de Dodi, Mohamed Al-Fayed, il est toujours persuadé que son fils a été victime d’un complot ourdi par la famille royale d’Angleterre.
Le 5 septembre, à l’âge de 87 ans, Mère Teresa s’éteint à Calcutta. Prix Nobel de la paix en 1979, elle s’est dévouée sans relâche pour aider les plus déshérités. Dans la nuit du 24 novembre, c’est la chanteuse Barbara (Monique Serf, pour l’état-civil) qui nous quitte. Elle meurt à l’hôpital américain de Neuilly des suites d’un choc toxi-infectieux. Elle était âgée de 67 ans. En 1981, elle avait inscrit à son répertoire Regarde, une chanson spécialement composée pour saluer l’arrivée au pouvoir de son ami, un certain François Mitterrand.
À la mi-décembre, à Paris, commence le procès du terroriste Carlos. Il est accusé du meurtre de trois personnes, le 27 juin 1975, dont deux inspecteurs de la DST.
L’affaire Dutroux – Le 20 octobre 1996, 300.000 personnes défilent sobrement dans Bruxelles. C’est la marche blanche. Une réaction populaire et spontanée à l’affaire Dutroux.
Au mois de mai, une fillette de 12 ans, Sabine Dardenne, disparaît sur le chemin de son école. Trois mois plus tard, c’est au tour de la jeune Laetita Delhez, 14 ans. Elle est enlevée alors qu’elle sort de la piscine. Mais cette fois, un témoin a remarqué un véhicule suspect. Il se souvient d’une bribe de numéro minéralogique. Marc Dutroux est arrêté en compagnie de son épouse, Michelle Martin et d’un complice, Michel Lelièvre. Ce dernier, héroïnomane, ne résiste pas longtemps aux questions des policiers. Il dénonce Dutroux. Finalement, ce dernier craque à son tour et mène les enquêteurs à une cache aménagée dans la cave de sa maison de Marcinelle, dans l’agglomération de Charleroi. C’est là où sont séquestrées les deux gamines.
L’affaire Dutroux commence.
Outre ces faits, l’individu est soupçonné de nombreux crimes, lesquels s’étalent sur des années (enlèvements, séquestrations, viols, meurtres, trafic de drogue, etc.). Mais c’est Julie Lejeune et Mélissa Russo qui sont les victimes les plus connues de cet odieux personnage. Car leurs parents n’ont jamais baissé les bras et se sont battus bec et ongles contre une administration frileuse qui refusait l’évidence. Hélas, fin 96, les corps des deux jeunes filles sont retrouvés dans la propriété de leur assassin, à Sars-la-Buissière, située en région wallonne, dans la province de Hainaut. À côté du cadavre de son complice, le Français Bernard Weinstein, dont Dutroux s’est débarrassé tant pour supprimer un témoin gênant que pour lui dérober une importante somme d’argent. L’autopsie confirmera d’ailleurs cette dernière hypothèse : Weinstein a été sauvagement torturé, avant d’être enterré encore vivant.
En 2004, Marc Dutroux est condamné à la réclusion à perpétuité et à une peine complémentaire de dix années de mise à la disposition du gouvernement – ce qui de fait lui interdit le bénéfice d’une libération conditionnelle.
Cette même année, Sabine Dardenne se confie à Marie-Thérèse Cuny, dans un livre « J’avais douze ans, j’ai pris mon vélo et je suis partie à l’école », actuellement aux éditions Pocket.
À la suite de cette affaire, une commission parlementaire s’est réunie pendant des mois. Elle a entendu des centaines de témoins, en direct, devant les caméras de la télévision. Ensuite, la police a été réformée de fond en comble et, en janvier 2001, la gendarmerie a été supprimée. Enfin, de nouvelles dispositions ont été prises pour traiter les disparitions dites inquiétantes, et notamment celles des mineurs. Ah oui ! J’oubliais… Le ministre de la justice, le ministre de l’intérieur et le chef de la gendarmerie ont démissionné.
Cela se passe en Belgique – pas en France.
Désolé, il m’est difficile de commenter pour deux raisons :
1/ Mon anglais est trop rudimentaire pour comprendre les subtilités du texte ;
2/ Je ne connais pas suffisamment le dossier.
Cordialement.
GM
A propos de cette horrible affaire Dutroux et des dossiers X, avez vous lu cette (longue) page?
http://www.isgp.eu/dutroux/Belgian_X_dossiers_of_the_Dutroux_affair.htm
C’est incroyablement recherche et detaille, j’aimerai enormement avoir vos commentaires!
j’espere que l’anglais n’est pas un probleme 🙂
Bien vu, chasseur,mister commissaire.Adèle