LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La PJ de 2004 (1)

PARTIE 32 – En cette année 2004, il se passe plein de choses au sein de la police nationale. Le bouillonnant ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy engrange réformes sur réformes et parallèlement dispose habilement ses hommes au sein de la grande maison. Il prend tant de place dans le gouvernement Raffarin, qu’au mois de mars, Jacques shadok_craintif_castaliefrjpg.1219822163.jpgChirac l’expédie à Bercy pour remplacer l’atypique Francis Mer. (Ce dernier n’a jamais été admis dans le sérail.) Mais Chirac a vieilli. Il restera probablement dans l’Histoire comme un politicien redoutable et un président timoré. Il a beau affirmer en parlant de son impétueux ministre : « J’ordonne, il exécute », personne n’y croit – et certainement pas l’intéressé. Quelques mois plus tard, Sarkozy revient place Beauvau.

Pendant ce temps, la PJ s’installe dans de nouvelles structures territoriales, comme il en a été décidé par un décret du 24 avril 2003. Neuf directions interrégionales sont créées (Bordeaux, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Orléans, Rennes, Strasbourg et Pointe-à-Pitre) qui regroupent un ou plusieurs services régionaux. Cette réforme va nous dit-on rapprocher les enquêteurs du terrain… Bon, nous on veut bien ! En tout cas, elle présente au moins deux avantages : elle ne coûte pas cher et elle augmente de facto la compétence territoriale des OPJ. Elle fait partie du lot des 57 mesures concernant le plan de modernisation de la DCPJ. Il est amusant de constater que cette réforme des structures territoriales est carrément à l’opposé de celle qui fut envisagée par le passé. On nous disait alors que pour « rapprocher les enquêteurs du terrain », il fallait départementaliser la PJ… Va comprendre !

Bien loin de tout ça, au Japon, le 27 février 2004, la cour d’appel de Tokyo rejette le deuxième recours déposé par le gourou Shoko Asahara (qui plaidait la folie) et entérine définitivement sa condamnation à la peine de mort. Ce triste personnage est considéré comme l’instigateurshoko-asahara_liberationfr.1219822428.jpg du gazage du métro de Tokyo, en 1995, qui avait fait 12 morts et 5.500 blessés. Rappelons qu’au Japon la peine de mort est appliquée par pendaison. Elle fait débat. D’autant qu’il appartient au ministre de la justice de signer personnellement l’arrêté d’exécution (on peut imaginer Madame Rachida Dati, le stylo à la main…). Les pendaisons sont en général effectuées en catimini. Au moment où j’écris ces lignes, il ne semble pas que Shoko Asahara ait été exécuté. On dit d’ailleurs qu’il y aurait une bonne centaine de détenus dans les quartiers de la mort. Certains attendraient depuis plus de 20 ans… Le bourreau a œuvré pour la dernière fois fin 2007 : trois hommes condamnés pour meurtre ont été pendus.

Début mars, plus près de nous, en Belgique, débute le procès Dutroux et celui de ses complices, Michelle Martin et Michel Lelievre. Tout le monde se souvient de ce tueur pervers, auteur (entre autres) de plusieurs meurtres sur des adolescentes. Il sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine complémentaire lui interdisant le bénéfice de la libération conditionnelle (dans le droit belge cela s’appelle, je crois, une peine de mise à la disposition du gouvernement). Cette affaire a eu un retentissement considérable, on a été jusqu’à parler de complicités au sein de la justice et la police. À défaut, il y a eu au moins un tas d’erreurs, de fautes, de manquements… Tous ces faits ont entrainé de sérieuses réformes, notamment dans l’organisation de la police judiciaire. En 2001, la gendarmerie a été supprimée.

Le 3 mars, La Dépêche du Midi lâche l’information que tous les journalistes de France taisaient comme un seul homme : la France fait l’objet d’un chantage à l’attentat de la part d’un mystérieux groupe qui se fait appeler AZF. Menaces de sabotages de voies ferrées, empoisonnement d’usines d’eau potable, etc. Sarkozy est furax : il avait imposé le blackout à la presse. Pourtant, ce genre de plaisanterie n’a rien d’exceptionnel. C’est le plus souvent le fait de trublions à l’âge mental incertain qui se paient à bons comptes des poussées d’adrénaline. En principe on n’y prête guère attention. Heureusement que le ridicule ne tue pas…

attentat-espagne.1219822900.jpgEn Espagne, quelques jours plus tard, il n’y a eu ni menace ni chantage avant qu’une dizaine de bombes n’explosent dans plusieurs gares de la capitale. Le bilan est terrible : 191 morts et 1.500 blessés. Cet attentat sera également fatal au gouvernement Aznar. Lors des élections législatives qui suivent, les Espagnols ne lui pardonnent pas d’avoir voulu faire porter le chapeau à l’ETA, alors que les enquêteurs découvrent rapidement qu’il s’agit de terroristes islamistes. Le socialiste José Luis Zapatero est élu haut la main.

Le 19 mars, Maurice Agnelet est mis en examen pour le meurtre, en 1977, de sa maîtresse Agnès Le Roux, la riche héritière du casino Le palais de la Méditerranée, à Nice. Déjà incarcéré pour ces faits, il avait été relaxé en 1986. Jugé par la cour d’assises des Alpes-Maritimes, il sera acquitté en 2006. Mais, profitant d’une révision du code de procédure pénale (voulue par Robert Badinter, en 2000), le procureur général fera appel de cette décision du jury populaire. Rejugé en 2007, Agnelet écopera cette fois de 20 ans de réclusion criminelle. Maurice Agnelet a donc été « jugé » trois fois avant d’être reconnu coupable du meurtre d’une femme dont on ignore si elle est décédée ou pas. À n’en pas douter, le cas de ce bonhomme sera décortiqué dans les facultés de droit.

Quelques jours plus tard, la justice décide un non-lieu général dans l’affaire Kaas. Les faits se sont déroulés en avril 1992 : Sylviane Kaas a été assassinée dans sa demeure, une somptueuse villa située à Anneville-Ambourville, dans la Seine-Maritime, tandis que son mari était au cinéma avec ses enfants. Sur la base d’une dénonciation, 18 mois plus tard, André Kaas est mis en examen. Il est soupçonné d’avoir recruté deux tueurs à gages pour éliminer son épouse, afin d’hériter de sa fortune. Il est incarcéré. Alors qu’il était un promoteur immobilier prospère, son affaire périclite durant les 3 ans qu’il passe en prison. À sa sortie, il a quasiment tout perdu. Pour cette erreur judiciaire, Kaas réclame 5 millions d’euros d’indemnité, tandis que le parquet quant à lui estime son préjudice à 539.000 €. Finalement, en 2005 on lui octroie généreusement cent mille euros. Une misère par rapport au million d’euros encaissé par Patrick Dills ou aux centaines de milliers d’euros perçus par les acquittés d’Outreau. Une affaire pas suffisamment médiatique, peut-être !

Fin mars : élections régionales. Sur les 22 régions seules deux (l’Alsace et la Corse) échappent au raz-de-marée rose. Au PS, on se réjouit, on se congratule, et l’on oublie un instant que la gauche n’a connu la victoire que… par défaut. Et nous on part pour une cohabitation new-look.

Dans le même temps, bien loin de là, en Lituanie, le chanteur Bertrand telefilm-colette.1219823314.jpgCantat répond du meurtre de la comédienne Marie Trintignant. Les faits se sont déroulés les derniers jours du tournage d’un téléfilm sur la vie de Colette, le 26 juillet 2003. Cette soirée a été arrosée. Une fois dans leur chambre, les deux amants se disputent violemment : une scène de jalousie dont l’origine n’est pas certaine (on, parle d’un Sms que la jeune femme aurait reçu de son ex-mari). Cantat assomme sa maîtresse de plusieurs coups portés au visage. Puis il la transporte dans son lit. Ce n’est que plusieurs heures plus tard qu’il se décide à appeler des secours. C’est sans doute ce délai qui sera fatal à Marie Trintignant. Transportée à l’hôpital de Vilnius, elle est opérée par des chirurgiens français. Ils jugent son cas désespéré. Passant outre l’avis du corps médical, sa mère, Nadine Trintignant, fait transporter sa fille en France, où elle décédera le 1er aout 2003, dans une clinique de Neuilly-sur-Seine. Pour ces faits, Bertrand Cantat est condamné à une peine de 8 ans de prison. Les deux parties font appel, puis tout le monde se désiste, comme si un arrangement était intervenu… En tout cas, sur le strict plan du droit, on peut s’étonner qu’une information judiciaire ait été ouverte en France pour ces mêmes faits. On peut également s’étonner que l’accusé ait été extradé, quelques mois plus tard, pour effectuer sa peine dans une prison française. Il a été libéré 4 ans plus tard, après qu’un accord ait été trouvé pour indemniser l’assureur du téléfilm et les quatre enfants de Marie Trintignant.

Le 1er mai, dix nouveaux pays font leur entrée dans l’Union européenne. Et pendant ce temps, on bichonne les poulagas. Les officiers de police vont être surclassés en basculant du cadre B au cadre A (sans doute une première dans l’administration), c’est-à-dire qu’ils rejoignent le corps des commissaires de police. Pour rassurer ces derniers, on leur promet une aspiration vers le haut, mais im-happy_forumdoctissimo.1219823499.jpg dans sa forme actuelle ce grade est probablement amené à disparaître. Les syndicats sentent l’effet d’aubaine. Ils en demandent plus. Et, outre une prime de résultats, ils obtiennent la garantie du paiement de toutes les heures supplémentaires engrangées au fil du temps. Et comme on sait très bien que cette promesse ne pourra pas être tenue (il s’agit d’environ cinq millions d’heures sup’), on colle un nouveau gadget entre les mains des policiers pour qu’ils puissent faire joujou. Il s’agit du Taser, l’arme non létale adoptée par la police de certains pays et catégoriquement rejetée par d’autres. L’arme de police la plus controversée de par le monde.

à suivre…

 

2 Comments

  1. Georges Moréas

    Vous avez raison. Tenant compte de votre réaction, j’ai atténué mes propos.
    GM

  2. jmdesp

    Si on examine l’affaire en laissant de coté l’émotion (légitime) causée par les circonstances du décès de Marie Trintignant, je ne crois pas qu’il y ait réellement de motifs d’être surpris du traitement qu’a reçu Bertrand Cantat.

    La France a, comme avec un certain nombre d’autre pays dont le Soudan (cf l’affaire des « orphelins » du Darfour), un accord avec la Lituanie qui permet à ses nationaux de purger leur peine dans leur pays, donc pas de traitement de faveur ici.

    Ensuite le jeux des remises de peines qui a diminué la durée effectuée par deux a été rigoureusement le même que celui dont peut bénéficier tout prisonnier, si sa conduite a été sans défaut en prison et s’il peut présenter un dossier solide démontrant ses possibilité de réinsertion à la sortie.

    Si ces remises de peine étaient remises en cause, les gardiens seraient en première ligne pour les défendre, car c’est cela qui leur permet de tenir les prisonniers. Et à partir du moment où elles existent, difficile de trouver une justification autre que émotionnelle pour ne pas les appliquer à Cantat. Quelles raisons objectives trouver ? Car il ne faut pas se faire d’illusions les autres personnes condamnées à 8 ans de prison en France sans homicide volontaire, c’est avec des circonstances aggravantes au moins aussi lourdes que celles de Cantat quand on voit un chauffeur de poids lourd responsable en état d’ébriété de la mort de deux policiers condamné à seulement 2 ans. Et eux voient leur peine effectuée divisée par deux sans que cela provoque de débat public.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑