Les sénateurs se sont penchés sur le projet de réforme pénale en se livrant à une étude comparative de la procédure dans les sept pays d’Europe les plus proches de chez nous. Le résultat est assez surprenant. Ainsi, l’Allemagne et l’Italie ont supprimé le juge d’instruction depuis plus de 20 ans, et l’Espagne demeure le seul pays où un juge dirige l’instruction.
D’une manière générale, on a assisté ces dernières années à une reprise en main du pouvoir exécutif et le ministère public tient un rôle de plus en plus important dans la poursuite des affaires pénales.
Celui-ci n’est indépendant qu’en Italie et au Portugal. Deux pays qui ont subi le joug de la dictature.
En Italie, depuis la réforme de 1989, le juge d’instruction et la phase d’instruction ont été supprimés. À la place, on a une enquête préliminaire menée par le ministère public.
Mais celui-ci est indépendant à l’égard des autres pouvoirs.
Au Portugal, le nouveau code de procédure pénale entré en vigueur en 1987 a transféré au ministère public toute la phase qui précède le jugement. Toutefois, à l’issue de l’enquête, la personne mise en cause, ou la victime, peut demander l’ouverture d’une information judiciaire. (Cela n’a pas été le cas dans l’enlèvement de la petite Maddie, raison pour laquelle l’enquête a été classée.) Depuis 1992, l’autonomie du ministère public est inscrite dans la Constitution.
En Allemagne, le juge d’instruction a été supprimé en 1975 et les procureurs sont des fonctionnaires hiérarchisés, un peu comme en France.
Aux Pays-Bas, le ministère public est au centre de la procédure pénale depuis 1926. Il peut demander l’ouverture d’une information judiciaire. De fait, c’est exceptionnel, car la police possède les moyens d’investigation autrefois réservés au seul juge.
Le ministère public est placé sous l’autorité du ministre de la justice.
Au Royaume-Uni, le fonctionnement de la justice est atypique. L’enquête est réalisée par la police qui jouit d’une grande indépendance (elle ne dépend pas du ministre de l’Intérieur). Avant, c’était elle qui rédigeait l’acte d’accusation. Depuis la réforme de 2003, elle se contente d’établir le dossier et la décision de poursuite est prise par le Crown Prosecution Service (CPS). Ces dernières années, à coup de petites lois, on tente de réduire l’autonomie de la police pour renforcer le pouvoir du ministre de l’Intérieur.
En Suisse, un nouveau code de procédure pénale a été adopté en octobre 2007 afin d’unifier les textes sur l’ensemble du territoire. Son entrée en vigueur est prévue pour 2011. Ce nouveau code instaure un modèle unique de poursuite pénale, dans lequel le juge d’instruction disparaît au profit du ministère public.
La procédure pénale espagnole est inspirée du code français d’instruction criminelle de 1808. Il a été plusieurs fois modifié, mais sans faire l’objet d’aucune réforme fondamentale. Les infractions les plus graves font l’objet d’une instruction judiciaire. Le juge d’instruction jouit d’une grande indépendance.
En France, nous rappellent en préambule les juristes du Sénat (ici), l’instruction des affaires pénales est obligatoire pour les crimes et facultative pour les autres infractions. Le juge dispose de nombreux pouvoirs (perquisitions, saisies, écoutes téléphoniques, auditions des témoins, des parties civiles et des personnes mises en examen, etc.), dont la plupart peuvent être délégués à des officiers de police judiciaire.
Depuis le 1er janvier 2001, le juge d’instruction ne peut plus décider de placer une personne en détention provisoire : c’est le juge des libertés et de la détention qui ordonne une telle mesure à la demande du juge d’instruction.
À l’issue de l’enquête, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu, de renvoi devant la juridiction pénale, ou de mise en accusation si l’infraction relève de la compétence de la cour d’assises.
Les décisions du juge d’instruction peuvent faire l’objet d’un appel devant la chambre d’instruction, présente dans chaque cour d’appel.
C’est un peu technique, mais cela éclaire « autrement » la réforme de la procédure pénale voulue par le président de la République. En fait, nous sommes à la traîne par rapport à nos voisins. Et, abstraction faite de toute opinion politique, l’honnêteté intellectuelle oblige à admettre que des changements sont nécessaires (ici), aussi bien dans les textes que dans les mentalités. D’autant que les choses bougent également au niveau de l’Europe.
Mais quel exemple, quel panache, si demain la France inscrivait l’indépendance du ministère public au fronton de sa Constitution !
@ stewart mqrie francosie
Je crains que vous ne soyez mal renseigné(e) sur le système belge…
En Belgique, la nomination des magistrats a été dépolitisée il y a une dizaine d’années, par la création du Conseil Supérieur de la Justice (www.csj.be) qui est seul habilité pour les nominations et promotions de magistrats. Composé paritairement de magistrats et de personnes issues de la société civile, c’est le CSJ qui décide des nominations sur base de décisions motivées et communiquées à l’ensemble des candidats.
Par ailleurs, contrairement à la France, la licence en droit est un prérequis indispensable pour devenir magistrat (ainsi qu’une expérience juridique ou judiciaire).
Enfin, je ne vois pas les affaires auxquelles vous faites allusion et qui auraient démontré de manière flagrante l’insuffisance du système judiciaire belge (par ailleurs fort semblable au système français dont il s’est plus que largemement inspiré). Si c’est l’affaire Dutroux que vous évoquez, sachez que les disfonctionnements étaient essentiellement policiers et que la police a été entièrement réformée depuis (avec des bons et des mauvais côtés…).
La Faculté de droit de Nîmes et l’Ordre des avocats de la Cour d’Appel de Nîmes présentent une conférence ayant pour thème :
L’instruction en examen
Constat et perspectives
Jeudi 26 mars, 16heures 30 – 20h00 – Amphithéâtre A1 – Université de Nîmes
Avec la participation de :
* Mme Jallamion, Pr. Histoire du droit, Université Montpellier I
* Me Josserand, Avocat, Maître de conférences, Université de Nîmes
* M. Michot, Vice-Bâtonnier, Barreau de Lausanne
* M. Buet, Président de la Chambre de l’instruction, Cour d’Appel de Nîmes
* M. Courazier, Doyen des Juges d’Instruction, Tribunal de Grande Instance de Nîmes
* M. Gelli, Procureur de la République, Tribunal de Grande Instance de Nîmes
* Me Expert, Avocat Barreau de Nîmes
* M. Sautel, Maître de conférences, Université Montpellier I
* M. Darmaisin, Maître de conférences, Université de Nîmes
Une réflexion (une de plus) d’un abonné du Monde sur la suppression du juge d’instruction :
http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2009/03/19/disparition-du-juge-d-instruction-reforme-judiciaire-ou-reduction-des-couts_1169867_3232.html
Il faut préciser que cette notion d’instruction à charge et à décharge est sans nul doute mal interprétée. Tout comme les policiers, les juges d’instruction ont pour objectif de trouver les responsables des crimes et délits pour lesquels ils sont saisis. L’enquête porte donc sur tous les éléments susceptibles d’établir la vérité. Il ne s’agit pas de prendre quelqu’un au hasard et de s’acharner aveuglément afin de lui coller le forfait sur le dos et de l’envoyer au bagne. Je crois qu’il existe trop de fantasmes sur le travail des enquêteurs (au sens large). Un dossier de qualité présenté à l’audience a nécessairement pris en compte les éléments dits à décharge… sinon on peut dire que le travail a été bâclé. Cela arrive sans conteste, notamment dans les affaires de peu d’importance (ceci dit toutes les affaires devraient être considérées comme importantes). Mais d’une manière générale, le travail des enquêteurs (policiers et magistrats instructeurs) reste de qualité. On entend et lit beaucoup de donneurs de leçons, de professeurs… les investigations des autorités judiciaires sont pourtant souvent difficiles. Vu de l’extérieur, les choses paraissent toujours plus simples et évidentes.
Réflexion de Fa on ne peut plus pertinente en matière de (vraie) justice… et non de bras armé « civil » du pouvoir politique. Un état de fait toujours d’actualité depuis… l’instauration de notre Code pénal.
Savez-vous que la France pourrait bien être condamnée du fait de la dépendance du parquet à l’égard du pouvoir exécutif ?
Ainsi, le 10 juillet 2008, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation par la France de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif qu’en matière de privation de liberté, le procureur de la République n’est pas une « autorité judiciaire », faute d’indépendance.
Le Gouvernement français a déféré cet arrêt à la Grande Chambre de la Cour. L’audience relative à cette affaire se déroulera à Strasbourg, le 6 mai prochain.
Extrait de l’arrêt :
ARRÊT CEDH – STRASBOURG – 10 juillet 2008 – CINQUIÈME SECTION – AFFAIRE MEDVEDYEV ET AUTRES c. France – (Requête no 3394/03)
… « Force est cependant de constater que le procureur de la République n’est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié (voir Schiesser c. Suisse, arrêt du 4 décembre 1979, série A no 34, §§ 29-30) »… (point 61).
Cet arrêt est en ligne ici :
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?key=71686&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166DEA398649&portal=hbkm&action=html&source=external-click&highlight=&sessionid=19748315&skin=hudoc-en
La conclusion de la dernière « En fait on est à la traîne par rapport à nos voisin » arrive sans qu’il y ait démonstration. On ne sait pas ce qui serait mieux ailleurs, au contraire. Etre à la traîne serait de ne pas être comme les autres? Bof.
Le juge d’instruction ne serait plus « adapté à notre époque », dixit Philippe Léger en charge de nous proposer une alternative à la suppression de cette « institution » judiciaire.
A lire sur Le Monde un entretien avec ce haut magistrat :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/03/16/philippe-leger-le-juge-d-instruction-n-est-plus-adapte-a-notre-epoque_1168702_3224.html
Sans indépendance de la justice, il ne peut il y avoir de vraie démocratie.
L’article présente les options prises dans différents pays. Mais pourquoi faut-il les hiérarchiser et que justifie l’une des dernières phrases « En fait, nous sommes à la traîne par rapport à nos voisins. » ? A la lecture, on est tout à fait fonder à poser le diagnostic contraire « En fait, nos voisins sont à la traîne par rapport à nous. »
En fait, les discussions sur une « réforme » de la justice doivent se préoccuper du fond et non de la forme. Le problème n’est pas de faire une « réforme » parce que c’est la mode de se dire « réformiste » même si quelques fois c’est pour revenir à des pratiques de l’Ancien Régime (p.ex., affermage de services publics), mais de faire en sorte que le justice soit indépendante du pouvoir politique, égalitaire et respecter la présomption d’innocence, trois points qui sont dans la Constitution. Le premier point entraîne la séparation effective des pouvoirs et le second veut que la justice soit la même que l’on soit riche et puissant ou pauvre et misérable (p.ex., pas de passe-droit en cas de fraude fiscale, pas de classement sans suite de certains dossiers dits sensibles, pas de possibilité de classer secret défense des opérations douteuses). Le troisième point doit obliger à une instruction impartiale, c’est-à-dire à charge et à décharge, donc à une procédure inquisitoire et non à une procédure accusatoire laissant la charge à la défense, si elle en a les moyens, de trouver les arguments à décharge (ce qui en fait aussi une justice inégalitaire).
En réponse @ Astrid,
Je doute que le systême judiciaire belge soit une référence… sinon dans tout ce qu’il se doit d’être éviter… même si nos juges français « luttent » pour la dernière place !
En Belgique la fonction de magistrat doit beaucoup plus aux connaissances dans le monde politique qu’à la connaissance du droit… une licence en cette matière restant facultative.
L’instruction n’étant pas contradictoire, le juge laissant la bride sur le cou aux enquêteurs en matière d’investigation, le pays en est arrivé à des sommets de dysfonctionnement rarement égalés en d’autres pays Européens… nul besoin de rappeler les références, le nom hyper-médiatisés des « juges » suspendus à des ficelles, j’imagine !
J’ignore si Georges était documenté sur les particularités de fonctionnement de ce système, mais il fut bien inspiré de ne point l’évoquer en matière d’exemple !
Le systeme juridique que vous attribuez au Royaume-Uni est en fait celui de l’Angleterre. L’Ecosse a un systeme different.
Je ne partage pas du tout la conclusion de l’auteur de l’article et je ne crois pas que l’indépendance du Parquet soit une bonne chose.Dans le cadre de son action le Parquet doit , en effet, appliquer la politique pénale voulue par le pouvoir. Il doit même dans le cadre du principe de « l’opportunité des poursuites » suivre les instructions du Pouvoir et ne pas poursuivre si cette poursuite peut causer polius de dommage que de bien.
Par contre, il est absolument indispensable que l’on puisse s’opposer à l’inertie du Parquet qui, sur instructions du gouvernement, ne poursuivrait pas dans certains types d’affaires (financiére et poolitique par exemple). Il faut dés lors , en contrepartie de la suppression du juge d’instruction donner davantage de pouvoirs aux partie et notamment aux victimes et leur permettre de saisir un Juge Indépendant qui aurait le pouvoir de contraindre le parquet à ouvrir une procédure. Il faut donc developper les pouvoirs des Juges du Siège.
Dans le canton de Genève, le procureur est élu par la population. Il est donc indépendant de l’exécutif … Et l’instruction peut donc être confiée à l’administration déconcentrée sans qu’il n’y ait de collusion d’intérêt. (En droit ; parce que dans les faits, les procureurs sont soutenus par des partis … qui peuvent diriger l’exécutif cantonal.)
Obtenir une justice de qualité même avec des acteurs défaillants, médiocres, voire malveillants. C’est à ça qu’il faudrait arriver avec la réforme de la procédure pénale.
A lire : réponse à l’auteur du blog selon lequel le rapport Léger croirait enterrer les affaires et selon lequel la presse serait le seul recours des plaignants et victimes.
http://dossierssignales.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/03/11/le-rapport-qui-croit-enterrer-les-affaires.html#comments
La situation en Belgique ne mérite-t-elle pas d’être également examinée? Le pays est plus proche que les Pays-Bas il me semble? Quant au Royaume Uni, la philosophie du droit est tout autre et dès lors pus difficilement comparable…
Merci pour cet article et bravo pour votre conclusion !
Il semble en effet, fort malheureusement, que le pouvoir politique partout reprenne la main. Souvent avec vigueur, quitte à vider morceau par morceau le contenu démocratique de nos société. L’exécutif souvent trace un cercle concentrique autour de lui, tricoté d’ego et de la soif d’une emprise durable sur les siens… j’ai trouvé ce joli dessin sur la toile http://www.marceletmoi.fr/nombril.htm qui pourrait souvent être porté par ceux qui nous dirigent… enfin si il avaient de l’humour :))