LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La PJ, de 1993 à 1995

PARTIE 23 – Au congrès de Rennes, le PS affiche sa division (rien de nouveau). Trop occupés à éfaufiler le linceul d’un président moribond, les intrigants restent insensibles au mécontentement de leurs sympathisants. Devant cette capilotade et le malaise suscité par les affaires concernant les financements occultes du Parti, les électeurs montrent leur ras-le-bol aux élections législatives d’avril 1993. L’assemblée nationale change de bord, et Jacques Chirac, échaudé par la première cohabitation, laisse le manche à Edouard Balladur.

francois-de-grossouvre-avec-le-president-mitterrand_13emerue.1191080430.jpgAu soir du 7 avril 1994, François de Grossouvre, est retrouvé mort, assis à son bureau, à l’Elysée. Selon toutes vraisemblances, il s’est tiré une balle dans la tête. Mais personne n’a rien entendu. C’est le gendarme du GIGN qui lui sert habituellement de garde du corps qui le découvre. Après une courte enquête préliminaire, le procureur classe le dossier. Il n’y aura donc pas d’information judiciaire concernant la mort de Grossouvre. C’est regrettable, car cette attitude sème le doute dans bien des esprits. Il faut dire que le personnage est mystérieux. Jusqu’en 1985, il est chargé de mission auprès du président de la République. Puis, il devient conseiller international des avions Marcel Dassault, puis, plus modestement, président du comité des chasses présidentielles (si, si, ça existe). Bien qu’aucun rôle ne lui soit plus attribué à l’Elysée, il y conserve un bureau. On dit même que son appartement, quai Branly, est voisin de celui de la concubine de Mitterrand… C’est l’homme de l’ombre, des mystères. Celui qui ne parle jamais. Pourtant, d’après ses proches, il écrivait ses mémoires. Cela doit être inexact, puisqu’on n’a jamais retrouvé son manuscrit…

Cette année-là, Zinédine Zidane est sélectionné pour la première fois en équipe de France et une Italienne de 62 ans, Rosanna Della Corte, donne naissance à un petit garçon de 3.2 kilos.

Pendant ce temps, un petit juge de Créteil, Eric Halphen, aligne les procès-verbaux. Il est saisi d’un dossier fleuve pour fausses factures et trafic d’influence qui tournicotele-juge_blog_pascal_robert-diard.gif autour du RPR et que les journalistes appelleront « l’affaire des HLM de la Ville de Paris ». Il place en examen Michel Roussin, ancien bras droit de Chirac à la mairie de Paris et ministre de la coopération, puis il oriente ses recherches vers les Hauts-de-Seine, principalement en direction du conseiller général RPR Didier Schuller, et du maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany. Les Hauts-de-Seine sont de longue date le fief de Charles Pasqua qui cumule pour l’heure les fonctions de président du conseil général et de ministre de l’intérieur. Le 17 décembre 1994, sur les ordres du directeur central de la PJ, Jacques Franquet, une écoute téléphonique est placée sur le docteur Jean-Pierre Maréchal. Ce psychiatre n’est autre que le médecin de la mère de Schuller. C’est également le beau-père du juge Halphen. Il apparaît clairement sur les comptes-rendus d’écoutes que le docteur Maréchal propose à Schuller de faire pression sur son gendre, Eric Halphen, afin de freiner ses ardeurs. Le tout moyennant une modeste rétribution d’un million de francs. Mais ces écoutes dites «administratives» (car non décidées par un magistrat) ne peuvent être reçues comme une preuve. Du coup, le procureur de Paris abandonne les poursuites contre Jean-Pierre Maréchal, et renonce à dessaisir Eric Halphen de son dossier. Puis, dans un deuxième temps, il revient sur sa décision. Outré, Mitterrand saisit alors le Conseil supérieur de la magistrature – qui blanchit Halphen. Il peut poursuivre ses investigations, mais le dossier est séparé en deux : Paris et les Hauts-de-Seine. Il faut dire que chez les magistrats cette histoire a fait l’effet d’une bombe. Ils sont tous solidaires pour dénoncer une basse manoeuvre de déstabilisation. On retire l’enquête à la PJ pour la confier à la gendarmerie.

Le procès de cette affaire s’est terminé en 2006. Aucun homme politique n’était cité à comparaître. En 2002, le juge Eric Halphen s’est mis en disponibilité pour se lancer en politique. Il soutient la candidature aux présidentielles de Jean-Pierre Chevènement, puis se présente aux élections législatives dans l’Essonne, où il prend une veste. Dans un livre aux éditions Denoël, Sept ans de solitude, il donne sa version des faits. Après avoir créé un parti éphémère, le MARS (manifeste pour une alternative républicaine et sociale), en 2006, il rengaine son amour-propre et sollicite sa réintégration dans la magistrature. Magnanime, Jacques Chirac signe son décret de réintégration. Jacques Franquet, quant à lui, n’aura fait qu’un bref passage à la tête de la PJ. En 1995, il est nommé préfet délégué pour la sécurité et la défense. Une voie de garage – mais pour TGV. Quelles que soient poubelle_revuecites.1191080787.jpgles malversations commises, de cette lamentable pantalonnade, on peut tirer un enseignement : la justice a eu bon dos. Et ni la magistrature ni la police judiciaire n’en sont sorties grandies.

Tandis que le tribunal de commerce de Paris prépare la liquidation judiciaire de Bernard Tapie, les policiers de la DST montrent « qu’ils n’ont rien oublié ». Vingt ans auparavant, le 27 juin 1975, deux des leurs, Raymond Dous et Jean Donatini, étaient tués par un certain Ilitch Ramirez Sanchez, alias Carlos. En 1994, il est repéré à Khartoum, au Soudan, où il se terre. La DST monte une opération digne d’un film d’espionnage. Le 14 août, Carlos est enlevé et extradé en catimini, en dehors de tout circuit judiciaire ou diplomatique. Charles Pasqua couvre l’opération. Condamné en France à la réclusion criminelle à perpétuité, en 2004, Carlos a publié une autobiographie qui a aidé à sa légende. On dit maintenant de lui qu’il est le plus grand terroriste de notre époque. Son avocate, Maître Isabelle Coutant-Peyre, qu’il a épousée en prison, l’a même comparé à Che Guevara, dans une émission de Mireille Dumas à laquelle je participais. Mais qu’en pensent les centaines de victimes des nombreux attentats qu’il a perpétrés… Depuis sa prison, Carlos ilich-ramirez-sanchez-dit-carlos_nouvelobs.1191086675.jpga donné son opinion dans une interview téléphonique diffusée sur M6 : « Il n’y a pas de victimes innocentes. » Chacun jugera.

À la veille de Noël, à Alger, quatre Algériens du GIA (groupement islamique armé) prennent la maîtrise d’un Airbus d’Air France. Trois passagers sont tués par le commando. Le 26 décembre, l’avion se pose sur l’aéroport de Marseille-Marignane et les terroristes sont abattus par le GIGN. Air France suspend ses vols avec l’Algérie.

En avril 1995, Jacques Chirac se présente pour la troisième fois aux élections présidentielles. Malgré la… trahison d’Edouard Balladur et de Nicolas Sarkozy, il est élu avec 52.6 % des voix. Alain Juppé devient Premier Ministre et Jean-Louis Debré ministre de l’intérieur.

Le 9 mai 1995, un décret fixe l’organisation de la direction centrale de la police judiciaire. Il y a désormais quatre grandes sous-directions :

Les affaires criminelles

Les affaires économiques et financières

La police technique et scientifique

Les liaisons extérieures

Cette dernière sous-direction est appelée à prendre de plus en plus d’importance, notamment avec le gonflement des relations internationales.

Deux anarchistes de pacotille – Ils ont 42 ans à eux deux. Florence Rey et Audry Maupin sont étudiants à la fac de Nanterre. Lui en philo, elle en lettres modernes. Tous deux partagent une chambre de la cité universitaire, et, pour boucler leur budget, ils font de petits boulots. Florence est pionne, et Audry, animateur de centre aéré. Deux étudiants qui s’aiment et qui se débrouillent du mieux possible dans ce monde qui n’est pas fait pour eux. Mais leur chemin croise un certain Abdelhakim Dekkar, alias Tourmi, un petit voyou qui aime se faire mousser. Il se dit membre de l’OPR (organisation de propagande révolutionnaire), et, chuchote parfois qu’il appartient aux services secrets de l’armée algérienne. À eux trois, et quelques autres personnages non identifiés, ils passent des soirées à fumer et à refaire le monde. Et peu à peu, Florence et Audry se prennent pour des anarchistes, prêts à prendre les armes pour défendre le bon peuple contre le capitalisme et à en découdre avec tous ses suppôts. Leurs idoles s’appellent Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon… Ils achètent à Tourmi un fusil à pompe, puis un fusil de chasse dans un grand magasin. Leur objectif premier : braquer des banques. Mais pour cela, ils ont besoin d’un armement plus discret. Dans la soirée du mardi 4 octobre 1994, ils mettent leur plan à exécution.

Leur guerre va durer une petite heure.audry-maupin_affaires_criminelles.1191080932.jpeg

Ils enfilent des cagoules et, de nuit, pénètrent dans la préfourrière de la porte de Pantin. Leur intention est d’immobiliser les gardiens avec leurs propres menottes et de s’approprier leurs armes. Les deux policiers tapent le carton dans une petite guérite. Ce ne sont pas des héros. Devant le canon des fusils, ils lèvent les mains, sans faire d’histoire. Florence et Audry s’emparent des deux revolvers .38 Spécial, mais ils se heurtent à une difficulté imprévue : les gardiens n’ont pas de menottes. Après un moment d’hésitation, ils aspergent les deux hommes d’un gaz lacrymogène, arrachent les fils du téléphone, et s’enfuient à toutes jambes. Ils ont réussi. Ça y est, ils sont de grands criminels ! L’arme à la main, ils arrêtent un taxi, menacent le chauffeur et le passager, et se font conduire à la Nation. Mais le chauffeur, Ahmadou Diallo, vient de Guinée. Il en a vu d’autres, et il n’a pas l’intention de se laisser dévaliser. Il aperçoit une voiture de police stationnée place de la Nation. Délibérément, il fonce dessus. Le choc est violent. Mais les policiers ne réagissent pas comme prévu. Deux d’entre eux descendent tranquillement de leur véhicule pour établir un constat. Pris de panique, les deux jeunes gens ouvrent le feu. Thierry Maymard, 30 ans, et Laurent Gérard, 25 ans, s’écroulent sans même avoir dégainé leur arme. Ahmadou Diallo sort de son taxi en hurlant. Une cartouche de fusil à pompe le stoppe net. Il avait 49 ans et venait d’acheter une petite maison dans son village natal de Kanssagny.

Trois hommes agonisent sur le macadam. Plusieurs passants sont blessés. Florence Rey achève les deux policiers et s’empare de leurs armes. Le troisième policier tire à son tour, mais sans résultat. Le couple s’enfuit en courant. Florence et Audry braquent le conducteur d’une R5 et l’obligent à les conduire à Nanterre. Mais le périphérique est fermé. Ils ne connaissent pas le chemin et le chauffeur n’est pas en état de les aider. Il part en sens opposé. Ils sont pris en chasse par une voiture de police et un motard et se retrouvent dans le bois de Vincennes. Les deux jeunes gens rechargent leurs armes. Ils brisent la lunette arrière de la petite voiture et tirent sur leurs poursuivants. Comme au cinéma. Pendant ce temps, les flashes crépitent sur la fréquence police. Les voitures de patrouille arrivent de toute part. Bientôt, la R5 se trouve face à un barrage.

florence-rey_photo_ij.1191134374.jpgC’est la fusillade. Un motard, Guy Jacob, 30 ans est tué. Un autre policier prend une balle dans la tête. Il s’en sortira. Audry Maupin encaisse deux balles. Il s’effondre. Il va mourir à l’hôpital Bichat, quelques heures plus tard. À ses côtés, Florence Rey continue de tirer – jusqu’à sa dernière cartouche. Elle est déchaînée. Dans un état second. Un policier finit par lui donner un coup de crosse sur la tête pour la neutraliser. Conduite quai des Orfèvres, la jeune fille ne desserre pas les dents. Elle finit, après de longues heures de garde à vue, par donner son nom et l’adresse de ses parents.

Devant la cour d’assises, en 1998, Florence Rey a chargé son compagnon au maximum. Puis, face aux jurés, elle s’est excusée. L’avocat général avait réclamé 30 ans de réclusion. Elle en a pris 20. Avec le jeu des remises de peine, sa demande de libération conditionnelle devrait lui être accordée. Elle sera libre avant la fin de l’année. Elle pourra refaire sa vie, elle a 32 ans. L’âge moyen de ses victimes.

 

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1 Comment

  1. Jean-Pierre

    J’aurais aimé avoir votre opinion sur l’épilogue de l’affaire Rey-Maupin. La sortie anticipée de Florence Rey via des réductions de peine vous paraît-elle choquante? Comme beaucoup, je pensais que ceux qui ont tué des policiers ou tiré sur des policiers n’y avaient pas droit. C’est également l’opinion d’un des syndicats de gardien de la paix. S’en prendre a des représentants de la loi n’est-il pas une circonstance aggravante? N’est-ce pas un dangeureux précédent et un mauvais signal?
    En sait-on plus sur les motivations de ces deux individus ou le mystère continue-t-il d’entourer leurs buts?

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