PARTIE 26 – Cette année-là, la PJ va connaître deux événements d’importance. L’un pose encore questions. Il s’agit du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), décidé sous le vent médiatique de plusieurs affaires criminelles à spécificité sexuelle. Quant à l’autre, il est off the record. C’est le départ à la retraite de Mireille Bouvier.
Il est cinq heures du matin. Ce 30 janvier 1998, Stéphanie Jusac fait du stop pour rentrer chez elle. Elle sort de discothèque. Une voiture s’arrête. C’est le début d’un long calvaire pour Stéphanie. Conduite dans un squat, près du Vieux-Port, à Marseille, la jeune fille est violée par une demi-douzaine de marginaux d’origine polonaise. Ils vont se « servir » d’elle pendant des jours et des jours, avant de la supprimer. Son corps ne sera retrouvé que six mois plus tard, enfermé dans une armoire métallique camouflée derrière un mur. Remy Burkel a reconstitué les événements dans un film pour FR3-Méditerrannée. Stanislas Jusac, le père de la victime, gendarme à la retraite, a participé à ce document pour pouvoir, dit-il, « extérioriser sa douleur », et faire passer un message de prudence aux jeunes et à leur famille.
Stéphanie Jusac était serveuse dans un restaurant. Elle avait 22 ans. Ses assassins ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité.
Vers 21 heures, le 6 février, le préfet de Corse Claude Erignac est assassiné en pleine rue. Trois balles dans la nuque, à bout portant. Une véritable exécution. Les assassins abandonnent l’arme du crime sur place. Comme on laisserait une signature. Et c’en est une ! puisque le pistolet, un 9 mm., est celui de l’un des deux gendarmes qui ont brièvement été séquestrés lors de l’attentat contre la gendarmerie de Pietrosella, perpétré cinq mois plus tôt. Or, si cet acte n’a pas été clairement revendiqué, il est rattaché à d’autres actions violentes menées par le groupe Sampieru, dont le chef est un ancien para : Marcel Lorenzini. Une revendication anonyme confirme d’ailleurs cette piste en fournissant aux enquêteurs, trois jours après le meurtre, le numéro de série de l’arme. Des fois qu’ils n’aient pas pensé à faire la recherche ! Lorenzini est arrêté. Mais bientôt, l’enquête prend une autre direction. Il faut dire qu’entre magistrats et policiers on ne joue pas toujours franc-jeu. C’est ainsi que le juge Jean-Louis Bruguière et le commissaire Roger Marion, alias Eagle 4 (y gueule fort), semblent avoir volontairement négligé des informations fournies par le préfet Bernard Bonnet (celui des paillotes), lequel mène de son côté une enquête parallèle. Probable qu’ils n’y ont pas cru. En tout cas, après 18 mois derrière les barreaux, Lorenzini est blanchi (du moins de ce crime), et il recouvre la liberté.
Mais, on va la faire simple, car les histoires corses sont bien plus alambiquées que les histoires belges, et surtout beaucoup moins drôles – sauf racontées par Pétillon. Finalement, 8 personnes sont arrêtées. Quant à Yvan Colonna, il est en cavale – et ses copains lui font gentiment porter le chapeau. Ils seront condamnés à des peines allant de 15 ans à perpette.
Après un long séjour dans le maquis, Colonna est interpellé dans sa tanière, en l’occurrence une bergerie. On dit qu’il a été balancé contre une forte récompense. Si c’est le cas, j’espère que l’insoucieux récipiendaire a prévu sa retraite sous d’autres horizons…
La cour d’assises spéciale juge actuellement Yvan Colonna. Beaucoup disent que la cause est entendue : coupable.
Pourtant, de ténébreuses questions demeurent sur la mort de Claude Erignac. Car ce représentant de l’Etat n’était pas un rigolo, et c’est avec beaucoup de fermeté et de droiture qu’il accomplissait sa tache. Ce qui n’est pas patent dans l’île de Beauté. Et son action dérangeait. Quelques exemples : – Veto sur le projet d’extension du casino municipal d’Ajaccio. – Marchés sur le traitement des ordures ménagères – Utilisation des fonds publics en Corse – Spéculation immobilière sur la vente d’une caserne, à Bonifacio – etc.
Autant de raisons d’en vouloir à ce trouble-fête. En d’autres circonstances et en d’autres endroits, les enquêteurs auraient travaillé plus tranquillement. À l’abri des médias, des pressions politiques et des rivalités entre grands magistrats et grands flics, ils auraient sans doute fait preuve de plus de… circonspection.
Le 26 mars, la radio annonce que Le tueur de l’est parisien a été identifié. Une bavure journalistique, car l’individu est toujours en liberté et il ne sait pas que les enquêteurs de la PJ le recherchent. Heureusement, le lascar n’écoute pas la radio. Il est interpellé en douceur à la sortie du métro Blanche, à Paris. Entre 1991 et 1997, armé le plus souvent d’un couteau, il aurait violé une vingtaine de jeunes femmes – et égorgé sept d’entre elles. Pour tout élément, la police ne possède qu’un signalement, très flou, qui aboutit à un portrait-robot inexploitable ; une empreinte de chaussure, et deux traces ADN. Un travail de fourmi permet de recouper lesdites traces avec les empreintes génétiques d’un multirécidiviste, condamné à plusieurs reprises pour agressions sexuelles: Guy Georges.
En décembre 2000, à quelques semaines de l’ouverture de son procès, le pendard tente une évasion de la maison d’arrêt où il est incarcéré, mais il est rattrapé in extremis par les gardiens de la pénitentiaire.
Devant la cour d’assises, il commence par nier les faits qui lui sont reprochés. Puis il avoue. Guy Georges est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, peine assortie d’une mesure de sûreté de 22 ans.
Cette affaire est la goutte d’eau. Elisabeth Guigou, garde des sceaux, fait adopter une loi, le 17 juin 1998, qui prévoit la mise en place d’un fichier génétique. Il s’agit d’une base de combinaisons numériques (code-barre) qui va permettre de stocker sur une plate-forme informatique, située à Ecully, près de Lyon, le profil génétique des personnes fichées. Cela uniquement pour les seules infractions sexuelles (viol, exhibition, pédophilie…) – et uniquement après qu’une condamnation ait été prononcée. Il sera commun à la police et à la gendarmerie. Il est évident que si ce fichier avait existé, Guy Georges aurait été arrêté beaucoup plus tôt et cela aurait sans doute sauvé plusieurs jeunes femmes.
Sous la pulsion des lois sécuritaires, en 2001, le FNAEG est étendu aux atteintes aux personnes (homicides, violences, terrorisme…). Et, en 2004, son domaine englobe pratiquement toutes les infractions. Le prélèvement ADN devient alors obligatoire, non seulement pour les condamnés, mais pour toutes les personnes plus ou moins mises en cause dans une enquête pénale. Pour des raisons pratiques, il est laissé à l’initiative de l’officier de police judiciaire. Le prélèvement génétique est dorénavant le pendant des empreintes digitales. Il devient la norme.
On dit que plusieurs centaines de crimes ou de délits auraient été résolus grâce à ce fichier. On dit aussi, qu’aux Etats-Unis, plusieurs centaines de personnes définitivement condamnées (parfois à la peine de mort) auraient été innocentées grâce à cette technique. En France, à ma connaissance, le FNAEG n’a jamais été utilisé dans ce sens.
En avril 1988, les indépendantistes canaques attaquent le poste de la gendarmerie de Fayaoué, à Ouvéa, dans l’archipel des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie. La répression est sanglante. Dix ans plus tard, le 5 mai 1998, les accords de Nouméa sont signés. Ils prévoient l’autodétermination. La date du scrutin est prévue pour… 2018.
Le 24 avril 1998, Marc Dutroux, l’homme le plus surveillé de Belgique, parvient à se faire la belle du palais de Justice de Neufchâteau. Comme un pied-de-nez supplémentaire aux autorités du pays. Il sera repris quelques heures plus tard, sur les indications d’un garde forestier.
Le 11 mai, la première pièce en euro sort des ateliers de Pessac, en Gironde. La monnaie européenne verra le jour en 2002 et restera sans doute dans la mémoire populaire comme une grande filouterie sur notre pouvoir d’achat. Le 22 mai démarre l’Exposition universelle, à Lisbonne, sur le thème des océans. Et, un mois plus tard, Eric Tabarly disparaît en mer d’Irlande. Il avait 66 ans. Pendant ce temps, l’Inde et le Pakistan font la course aux essais nucléaires : cinq tirs dans chaque camp – ce qui n’est pas fait pour faciliter le replâtrage de ces deux pays.
Moi, non sans nostalgie, j’ai abandonné mon bateau dans un port du sud de l’Espagne, à l’entrée du détroit de Gibraltar. Il change de nom, et il part pour d’autres horizons, avec un autre équipage. Tahiti cat, ce catamaran de 45 pieds, a été mon sanctuaire pendant quatre ans, et il m’a trimballé (finalement sans trop de casses) sur environ 20.000 milles. De cette équipée, je regretterai surtout cette tension permanente face aux éléments déchaînés…, comme on peut le voir sur cette photo.
En juin, les Français passent aux 35 heures et découvrent les avantages des RTT. Et le mois suivant, pour la première fois, les Bleus sont champions du monde.
En septembre, le congrès des Etats-Unis tente une procédure de destitution contre Bill Clinton. On lui reprocherait presque d’avoir transformé la Maison Blanche en lupanar, alors qu’en fait, il s’est satisfait de biens modestes buccogénitalités avec une certaine Monica Lewinsky. Même pas de quoi l’inscrire au fichier génétique.
Pendant ce temps, les ministres de la justice et de l’intérieur des pays européens (Enfopol 98) préparent une résolution sur « l’interception légale des communications », notamment par satellite, Internet, cryptographie, cartes prépayées, etc. Pour les téléphones portables, par exemple, les opérateurs seront tenus de fournir l’accès intégral au contenu des conversations, ainsi que les chiffres composés en plus du numéro d’appel (codes, audioconférences, etc.). Pour l’Internet, ils devront pouvoir transmettre aux services de sécurité, en permanence et en temps réel, les échanges effectués, ainsi que les numéros de comptes, les codes, les adresses électroniques, etc.
Quelques mois plus tard, Lionel Jospin annonce son intention de libéraliser la cryptologie, seule possibilité pour les entreprises et les particuliers d’échapper aux « grandes oreilles ». La France est isolée dans ce domaine. En effet, chez nous, le codage des communications est interdit pour les particuliers. Mais un sérieux coup de frein suit cette déclaration. Pas question de coder les communications téléphoniques. Pourtant, Jospin, que l’on dit ancien gaucho, doit avoir lu Max Stirner : « Un morceau de liberté n’est pas la liberté. »
Le 2 septembre, le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, lors d’une banale intervention chirurgicale, est victime d’un grave accident d’anesthésie : Il ne se réveille pas. Le Che doit négocier ferme, là-haut, car huit jours plus tard, il revient parmi les vivants. Certains crient au miracle. Sarcastique, le député socialiste Georges Sarre, rectifie : « Un miracle, oui ! Mais un miracle républicain ». Le temps de sa convalescence, Chevènement est remplacé au pied levé par Jean-Jack Queyranne.
Et cette année-là, Nicolas Sarkozy voit le bout du tunnel. À plusieurs reprises, depuis son soutien à Edouard Balladur, il a été vilipendé par ses « amis » du RPR (gageons qu’il s’en souvient !). Et, même si le prochain poste ministériel est encore loin, il reprend du poil de la bête, et sans doute prépare-t-il déjà son avenir…
De 1998, les péjistes retiendront deux nouvelles techniques d’enquête, des premières (ou presque) :
– L’utilisation de l’ADN pour identifier Guy Georges, le tueur de l’est parisien.
– Le traçage des téléphones portables dans l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac.
Mireille Bouvier – Mireille a vingt ans, elle est issue d’un milieu modeste, et elle vient de réussir le concours de sténodactylographie de la Ville de Paris. Nous sommes en 1958. Elle est affectée au pool dactylo du quai des Orfèvres. C’est là qu’elle découvre la vraie vie, dans des rapports souvent salaces, toujours sordides, et au contact de flics pour beaucoup issus de la Résistance. Des hommes durs. À cette époque-là, il n’y a pas de femmes dans la police. On peut penser que la carapace de ces anciens combattants fond devant cette gamine ingénue ! En tout cas, ils n’hésitent pas à faire appel à ses services lorsque le besoin s’en fait sentir : une fouille à corps (d’une dame, évidemment), une filoche… Même Max Fernet flanche devant ce bout de femme. Fernet est un homme rigide, froid, mais un vrai pro. Je ne l’ai pas connu, mais chacun s’accorde pour reconnaître ses qualités de chef et de meneur d’hommes. En 1970, il est bombardé directeur central de la PJ. Un « PP » à la sûreté nationale, on n’avait jamais vu ça ! Il emporte dans ses bagages le commissaire Gilbert Raguideau et deux secrétaires, dont Mireille Bouvier. Il ne reste pas longtemps à ce poste, mais il ouvre une voie royale. La direction centrale PJ va devenir pour des lustres la terminale des directeurs de la PJ parisienne. Ils vont y passer les uns après les autres : Maurice Bouvier, Michel Guyot, Gérard Thil, Jacques Genthial, Jacques Franquet et Bernard Gravet. Et Mireille sera la secrétaire particulière de chacun. Même le préfet Solier, qui dirigera la PJ de 1971 à 1974, la gardera à ses côtés. Malgré la porte capitonnée du bureau directorial, Mireille a connu tous les secrets de la PJ. Elle a vu le dessous de toutes les affaires qui ont fait la une des journaux (l’attentat du Petit-Clamart, Ben Barka, Mai-68, l’enlèvement du baron Empain, etc.). Et elle a pratiqué (en tout bien tout honneur) des centaines de policiers. Lorsque je décrochais mon téléphone et que j’entendais : « Bonjour, mon petit Georges! C’est Mireille… », je savais que le ciel allait me tomber sur la tête. Mais plus tard, lorsque j’ai quitté la police, elle a été l’une des rares, avec son complice de l’époque, le commissaire Jean-François Rullier, à ne pas me faire la gueule.
Je te souhaite une longue et paisible retraite, ô Mireille ! Toi qui n’as pas écrit tes mémoires et qui es sans doute la seule à avoir autant de souvenirs.
Lyon, le 30 aout 2010
Bonjour,
Je suis le fils de Jean-François RULLIER, cité quelques lignes plus haut.
Il est malheureusement décédé le 9 juin dernier.
Je suis tombé un peu par hasard sur votre blog, cherchant à joindre Mireille BOUVIER pour lui annoncer la nouvelle, et ait donc découvert un peu plus de la vie de cette dame de la PJ.
Mireille fait partie pour mes sœurs et moi de nos souvenirs d’enfance, quand nous allions visiter le travail de papa, et qu’ils nous confiait à elle quelques temps…
En tout cas j’ai eu plaisir à lire cet article, ai découvert votre blog et lit maintenant les autres.
cordialement,
Julien RULLIER
Geniale trouvaille que celle du fichier ADN qui a aussi permis une arrestation tout a fait extraordinaire ; celle de l’effronté voleur du scooter du fils de notre actuel président de la république… une avancée sécuritaire qui a fait sourir des milliers, voire des millions de Français… Quant à moi, une question m’obsède ; pour comparer un ADN, l’identifier grace au fichier, il était indispensable que sa trace, son enregistrement existât au-dit fichier… Suis-je dans l’erreur ?
Quel crime avait bien pu commettre un gamin de cet age pour se retrouver « tracé » a vie ?
Les progres de la lutte contre la criminalite sont necessaires, indispensables, notemment envers les « progres technologiques » de la-dite criminalité ; les moyens de les utiliser restent aussi meprisables que les « saintes questions de l’Inquisition »… seul l’esprit de nos dirigeants avides de pouvoir, de reconnaissance, de perenite dans la sinecure choisie ne progressera jamais. Tout tout de suite, sans répugnance pour les moyens, sans etat d’ame pour les victimes potentielles… en fait ; le meme credo que les pires délinquants traques a juste raison.